Adrian Pendragon
Au pas de la porte close de la chambre de son père, Adrian, un jeune garçon de neuf ans, pleurait en silence. À l'approche des équinoxes d'été, il entendait toujours son père Merlin étouffer ses crises de larmes. Adrian, qui avait hérité des pouvoirs de son père, parvenait depuis deux ans à ressentir ses souffrances intérieures.
La première fois que cela lui était arrivé, il avait été tellement bouleversé qu'il était parti dans la pièce commune et s'était jeté tout contre son oncle Gauvain. Il ne comprenait pas les blessures de son père. Elles étaient si dures à supporter qu'il n'avait pas réussi à émettre un seul mot.
Mais, aujourd'hui, il fallait que cela cesse. Merlin avait le droit d'avoir l'esprit en paix et de vivre comme n'importe quel homme. Peu importait ce que pouvait représenter Arthur Pendragon, son père avait besoin de lui pour les cicatriser.
— Adrian, l'appela doucement son oncle de la pièce adjacente.
Il le rejoignit, tête baissée. Sans dire un mot, les bras de l'adulte l'attirèrent pour l'assoir sur ses cuisses.
— Oncle Gauvain ? marmonna-t-il d'une petite voix. Papa est toujours triste, il pleure encore.
Les grandes mains essuyèrent ses joues puis, glissèrent chacune sur le côté, écartant ainsi ses boucles blondes derrière ses oreilles. Adrian, les yeux humides, ferma ses paupières et laissa le chevalier déposer un baiser sur son front. Il adorait Gauvain, parce qu'il était celui qui rendait son père heureux. Même s'il retournait à Camelot pour tenir ses devoirs en tant que chevalier, il avait toujours été présent dans sa petite vie.
— Cela ne peut plus durer, lui chuchota son oncle. Ton père m'en voudra, mais je crois qu'il est temps qu'Arthur prenne ses responsabilités.
Adrian écarquilla ses yeux bleus, surpris par ces mots. Cela faisait des jours qu'il demandait à Gauvain de faire quelque chose et, aujourd'hui, enfin, son oncle allait agir.
— Je peux venir avec toi ? demanda-t-il, en sautant à pied joins pour se trouver face à son oncle.
Adrian avait depuis longtemps un plan, mais il fallait que cela puisse fonctionner, si et seulement si, Gauvain l'emmenait à Camelot de son propre chef. C'était l'occasion ou jamais !
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Gauvain leva quelques secondes les yeux sur la porte close et les reposa sur l'enfant avant d'accepter. Il avait pris le temps de réfléchir à la situation ces derniers mois. Il savait que, durant cette période, Merlin pouvait lui faire confiance. Puis, se disait-il, Arthur n'aurait qu'à regarder Adrian pour comprendre qu'il avait un fils : un héritier.
— Okay, mais tu me promets de ne pas utiliser ta magie au château.
— Promis, mon oncle.
— Parfait. Va préparer un sac, moi, je selle les chevaux.
Une demi-heure plus tard.
Gauvain soupira en levant piteusement son regard vers ciel : Adrian venait de faire étinceler ses prunelles pour changer la couleur de sa tunique.
— Qu'est-ce que je t'ai demandé tout à l'heure ?
L'enfant haussa ses épaules et sourit en lui répondant innocemment :
— Nous ne sommes pas encore au château et puis, le rouge me va mieux.
— Tu as raison, mais attention, je t'ai à l'œil...
Lorsqu'ils furent sur le point de quitter la maisonnette, Gauvain laissa un mot à Merlin, l'informant qu'il campait avec son fils au lac d'Avalon. Il n'était pas fier de devoir mentir à son ami, mais il était prêt à subir ses foudres s'il venait à l'apprendre.
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Ils partirent en début d'après-midi tous les deux en direction du royaume d'Arthur. Le temps était doux et la brise était rafraichissante. L'été semblait annoncer une chaleur étouffante et des journées de baignades en perspective.
Cependant, c'était une des saisons que le chevalier appréciait le moins depuis quelques années. Merlin plongeait irrémédiablement dans ses pires souvenirs et jamais personne n'avait pu l'en sortir durant ces trois jours de solitude totale.
Bien sûr, il avait fallu à Gauvain des années pour connaitre la vraie raison de cette torture. Le sorcier se sentait fautif à tel point qu'il n'utilisait plus sa magie. Et pour Gauvain, cela n'était plus supportable. Merlin, son ami depuis toujours, devait tourner la page et accepter sa nouvelle vie.
Lorsque la forêt commença à s'assombrir, ils s'arrêtèrent au bord du lac qui était à mi-chemin du royaume d'Arthur. Il ne servait à rien de se presser. Les chevaux avaient besoin de repos et Gauvain, celui de se convaincre que sa décision était la bonne.
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Le chevalier Léon venait de terminer l'entrainement de ses élèves quand, en marchant en direction du parvis du château, il distingua Gauvain. Il fronça les sourcils parce que c'était sa période de repos, celle où Gauvain partait généralement une dizaine de jours chez Constantin, le petit frère de ce dernier. Même si parfois, Léon admettait que leurs relations se limitaient à des salutations courtoises et des joutes verbales qu'il jugeait parfois agressives depuis le départ du sorcier, il ne restait pas moins poli.
Soudain ses pas se figèrent en découvrant l'enfant qui accompagnait son ami. Son cœur se mit à palpiter tant la ressemblance avec son souverain était frappante. Les cheveux bouclés lui rappelaient ceux de la reine Ygraine mais les yeux n'étaient pas ceux d'un Pendragon.
— Gauvain ! le salua-t-il en tentant de cacher son trouble.
— Bonjour Léon, lui répondit son cadet. J'aimerais m'entretenir avec le roi s'il est disponible, et oh, je te présente Adrian, mon neveu.
— Le fils de Constantin ?
Il détourna son regard en entendant l'éclat de rire de Gauvain qui rectifia sur un ton sarcastique :
— Mon petit frère n'a que dix-sept ans ! C'est... celui d'un autre.
Mal à l'aise, Léon fit demi-tour en lui disant qu'il allait informer Arthur de sa visite.
— Bien, je serais dans les appartements de Gaius, le prévint Gauvain.
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Depuis que Gauvain avait décidé de prendre en charge Constantin au décès de leur mère, Léon avait dû le supplier de rester chevalier. Pour cela, Gauvain lui avait soumis plusieurs conditions : de servir le roi par périodes alternées qui correspondraient toujours à dix jours et, qu'en cas d'urgence, il serait en droit de quitter son poste sans avoir à se justifier.
Au début, avant de les accepter, Léon s'était lâchement emporté contre Gauvain parce qu'il n'arrivait pas à comprendre le lien qui l'unissait à Merlin. Pourtant, en tant que chef de la cavalerie, il savait qu'il aurait dû le délier de ses devoirs pour subvenir aux besoins de son petit frère. Cependant, Léon avait refusé qu'il quitte définitivement les rangs. Il s'était habitué à sa présence et de ne plus l'avoir à ses côtés était seulement impensable.
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Arrivé devant la porte du roi, Léon respira profondément, frappa trois coups puis, entra dans la chambre. Il n'attendait plus la permission d'Arthur depuis que ce dernier semblait lentement se défaire de son statut de souverain.
Cela faisait trois ans que la reine était décédée sans lui avoir donné d'héritier. Léon ne se permettait jamais de lui rappeler son rôle, mais le peuple lui faisait bien comprendre qu'il était en droit de trouver une seconde épouse. Arthur n'était pas vieux. À trente-deux ans, c'était un des plus bels hommes du royaume et toutes les jeunes filles potentiellement en âge d'être mariée étaient, pour la plupart, venues dans l'espoir d'être courtisée à leur tour. Cependant, aucune n'avait réussi à faire battre son cœur et Léon avait toujours su que celui de la reine avait toujours été pris par Lancelot.
— Sire, Gauvain souhaiterait s'entretenir avec vous.
Le regard posé sur le dos du roi, le silence pesant de la pièce l'obligea à poursuivre :
— Dois-je le faire venir ici ?
— Non, où est-il ? lui répondit-il sans bouger.
— Il est parti chez Gaius.
— Bien, tu peux disposer.
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Gaius, loin d'être étonné par la présence d'Adrian, l'enlaçait dans ses bras. Cela faisait une saison qu'il ne l'avait pas revu.
— Je m'inquiète pour mon père, lui dit le petit homme.
— Je sais mon garçon.
— Dites, chuchota le chevalier, pensez-vous que le roi serait d'accord pour rencontrer Merlin ?
— Vu la manière dont est parti Merlin, lui répondit Gaius. Arthur ne sera jamais prêt...
— Mais, coupa Gauvain en serrant des dents, cela fait dix ans ! Et, Adrian a le droit de connaitre son deuxième père !
— Je me fiche du roi ! cingla froidement l'enfant, il n'est rien pour moi ! Mais pour que papa aille mieux, je sais que cet idiot doit être là.
— Adrian ! le gronda Gaius. Si Gauvain m'avait laissé finir ma phrase, vous auriez compris ce que je pense de tout ça. Pour vous répondre, je suis de tout cœur avec vous, parce que l'un comme l'autre, ils ont besoin de se revoir et de mettre à plat ce qu'ils ont à se dire.
— Non ! Jamais, papa acceptera de lui parler ! brailla l'enfant en reculant d'un pas. Ça ne marchera pas ! Et moi ! J'en ai marre que papa pleure sans arrêt quand le grand soleil arrive ! J'en ai marre qu'il se punit ! et...
Les larmes dévalant ses joues, Adrian continua plus doucement :
— Et c'est dur de... de ne plus exister quand... il s'enferme dans sa chambre...
— Adrian, chuchota le médecin en tentant de le calmer.
— Non ! marmonna l'enfant de ses lèvres vibrantes. Pendant ces jours, papa ne me voit plus ! Tout ce qui compte, c'est...
Adrian se tut en apercevant un homme aussi grand que Gauvain qui pénétrait dans la pièce. Durant une fraction de seconde, il croisa le regard du père indigne qu'il haïssait de tout son être. Il ne voulait rien savoir de cet homme. Tout ce qu'il voulait était le bonheur de Merlin.
Alors, dans un excès de rage, il courut jusqu'à lui en lâchant toutes ses larmes d'enfants emplies d'une magie révoltée. Si son plan était en marche, Adrian n'aurait pas aussi bien calculé son coup, parce que sa colère était bien réelle. Il ne pouvait pas la feindre, encore moins, devant la magie.
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Gaius et Gauvain n'avaient que leurs yeux pour agir. C'était comme si le temps s'était figé et qu'une force invisible leur empêchait de faire le moindre mouvement. Ils ne pouvaient qu'observer la scène qui se jouait devant eux. Adrian venait d'empoigner fermement le roi puis, cria un "Je te déteste !" si fort que la magie opéra. Une lumière quitta le corps du roi et celui de Gauvain, interchangeant ainsi leur place.
— Miséricorde... marmonna Gaius, en les voyant tous trois s'évanouir sur le sol.
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Arthur se réveilla sur un lit. Pendant qu'il reprenait ses esprits, il se souvenait de s'être fait agresser par un gamin. Une fois les yeux bien ouverts, il réalisa qu'il était dans l'ancienne chambre de Merlin. L'endroit lui étant devenu insoutenable, il se débattit avec les draps en voulant quitter le lit, mais s'empêtra avec les bouts de tissus et s'étala de tout son corps contre le plancher. Lorsqu'il parvint à se mettre debout, il crut mourir d'une crise cardiaque en découvrant le visage de l'homme qui venait d'ouvrir la porte :
— Bien dormi, sire !
— Que... bégaya-t-il en reculant d'un pas.
Il heurta le lit et y tomba sur les fesses. Pourquoi se voyait-il ? Et, affolé de perdre la tête, il saisit rapidement un vieux miroir pour se contempler : il avait le visage de Gauvain.
— Mais, qu'est-ce qui se passe, ici ? s'écria Arthur.
— Oh, ça ? Un malentendu, murmura sa propre voix qui résonna à ses oreilles. Je tenais à vous présenter Adrian.
Les yeux écarquillés et le cœur battant, le roi détailla l'enfant qui était la cause de son état.
— C'est le fils de Merlin, dut ajouter Gauvain qui se trouva dans son corps, à lui.
Alors, ainsi, Merlin avait refait sa vie. Comment ce gamin, osait-il lui faire cet affront ? Ou, comment Merlin osait-il envoyer son fils, ici ?
— Et ! cingla Arthur en entendant ce nom honni.
Ce fut au tour du garçon de lui répondre implacablement :
— Vous êtes mon second père ! Et vous allez venir m'accompagner en restant dans le corps de Gauvain !
Arthur, le souffle coupé et la gorge sèche, lâcha un grognement de mécontentement en imaginant très bien le sorcier manipulé la magie à sa guise.
Il allait lui répondre, mais la voix énervée d'Adrian le coupa net :
— Je suis votre fils, que vous le vouliez ou non ! Et ! grinça-t-il en lui décochant un regard sombre. Je vous assure, votre majesté, qu'après l'avoir vu, je vous bannirai de ma vie !
Ces mots vibrèrent à ses oreilles comme une promesse, obligeant son cœur à battre encore plus de frénésie. Cet enfant était donc le sien ? Mais comment Merlin avait-il fait pour porter un enfant ? Nul doute que là, encore, le sorcier avait tout prévu. Arthur était si énervé qu'il se leva brusquement son regard vers la porte, prêt à appeler ses gardes. Cependant, l'enfant l'en empêcha en posant une petite main contre la sienne.
Tout ce qui l'entoura parut soudainement s'envoler avant de voir réapparaitre les couleurs. Il n'eut pas le temps de réaliser où il se trouvait que la voix glaciale d'Adrian le menaça :
— Si jamais Merlin apprend que je vous ai fait échanger de corps avec oncle Gauvain...
Arthur n'aimait pas du tout le ton de l'enfant, mais il devait admettre qu'il était un tantinet effrayant. Il avait l'impression d'entendre son propre père Uther.
— Je vous promets que je ferais de votre vie un enfer !
Il déglutit et hocha la tête, parce que, après tout, au fond de lui, il avait secrètement prié n'importe quel Dieu pour revoir Merlin.
— Adrian !
Arthur se raidit en entendant la voix de Merlin. Elle lui avait tellement manqué qu'il avait peur de lui faire face.
— Rappelez-vous, le défia le blondinet, vous êtes Gauvain.
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Parallèlement à Camelot, le chevalier et Gaius se contentèrent de se regarder dans le blanc des yeux.
— Ma foi, conclut Gauvain. C'était peut-être la meilleure chose à faire pour ces deux-là.
— Elle m'aura à l'usure, maugréa Gaius.
— Qui, ça, elle ?
— Non, rien, émit le médecin qui semblait ne pas vouloir s'étendre sur elle. Bon, mon ami, je crains que vous ne soyez roi pour les prochains jours.
— Oh, ça ! Ça me convient, je vais pouvoir mater les chevaliers !
— Gauvain ! s'outra Gaius.
— C'est ''sire'' ou ''votre majesté'', je vous prie, s'amusa à indiquer le chevalier.
Gaius soupira et le pria de ne pas provoquer de déclaration de guerre.
— Oh, non. Juste contre Léon, répliqua le faux roi, le sourire amusé aux lèvres, à moi le trône !
Le médecin sentait que cela allait sûrement mettre un peu de pagaille...