Le secret
Chapitre 3 : "Qu'est-ce que vous avez encore foutu ?"
1586 mots, Catégorie: M
Dernière mise à jour 10/11/2016 05:27
Elle passa la porte et salua. Le colonel Alenko tournait dans la pièce comme un fauve en cage. Il ne lui prêta aucune attention. Son visage était fermé et un tic nerveux crispait sa bouche. L’homme semblait prêt à exploser à tout moment. Finalement, il se planta devant elle.
- Lieutenant… Qu’est-ce que vous avez encore foutu ? s’exclama-t-il sans préambule.
Seven sentit une vague glacée l’envelopper. Les yeux noisette du colonel, plongés dans les siens, flamboyaient de colère retenue. Kaïdan Alenko n’était pas quelqu’un avec qui l’on plaisantait. Peu porté sur le respect de la hiérarchie, il était néanmoins froid, agressif et passablement désagréable. Un soldat qu’on était heureux d’avoir à ses côtés en mission, mais détestable en dehors du combat. La jeune femme ne répondit pas. La question était rhétorique, et uniquement destinée à lui faire comprendre la teneur de la crise. Seven elle-même, donc. Malheureusement, ce n’était pas la première fois. Et ce coup-ci, le colonel semblait à bout de patience.
Le lieutenant était dans l’armée depuis presque dix ans. Elle avait suivi l’entraînement des forces spéciales et décroché la prestigieuse mention N7 arborée au revers de son uniforme noir. Membre d’unités combattantes, elle avait affronté des mercenaires et des pirates, personnages violents et peu recommandables, à de nombreuses reprises. Ses supérieurs avaient souvent loué sa vivacité et son courage, allant régulièrement jusqu’à la qualifier de tête brûlée. À cet instant pourtant, elle aurait échangé avec joie une demi-douzaine de bataillons Berserkers contre le savon que le colonel lui réservait. Et deux fois plus pour savoir exactement ce qui avait provoqué cette fureur.
- Savez-vous à quel point la situation est grave, Lieutenant ?
- Je crains que non, Monsieur, répondit Seven d’une voix ferme.
Que son ton tremble, ne serait-ce qu’infiniment, et Alenko s’engouffrerait dans la brèche. Tout serait bien pire. Pour le moment, il conservait son self-control, mais il pouvait exploser à tout moment.
- Je vois… marmonna-t-il. Vu ce que vous avez picolé hier soir, ça ne me surprend pas. Une connerie de plus à ajouter à votre dossier, Cooper, et celle-ci est de taille ! Qu’avez-vous à me dire sur votre soirée d’hier ?
- Elle est très floue, mon colonel, hésita la jeune femme. Je me souviens avoir fêté ma montée en grade, mais les détails…
- Avez-vous terminé la soirée avec quelqu’un ? coupa l’officier.
- Oui, Monsieur. Un butarien, précisa-t-elle à contrecœur.
- Vous le connaissiez ?
- Non. Pas même son nom.
Sans ajouter un mot, il se tourna vers l’écran et effleura une console. Une image se forma, parsemée de quelques parasites. Seven reconnut l'établissement où la soirée de la veille avait débuté, en compagnie de quelques soldats.
- C’est bien vous, ici ? demanda Alenko en pointant du doigt l’une des silhouettes un peu floues de l’enregistrement.
La jeune femme hocha la tête. On ne pouvait s’y tromper. Il n’y avait que peu d’humaines visibles, et ses longs cheveux noirs étaient assez typiques. Elle s’observa déambuler dans le bar, rire, s’amuser, danser… Et boire. Boire pas mal. Le colonel activa l’avance rapide et s’arrêta un peu plus loin. Cette fois-ci, les soldats de l'Alliance avaient quitté les lieux, et Seven se vit attablée avec un groupe de krogans, fort occupée à vider des verres en leur compagnie.
- Je constate que vous restez cohérente dans le choix de vos compagnons de beuverie, remarqua froidement Alenko.
- Les krogans sont une race très intéressante, je compte de nombreux amis parmi eux.
- À dire vrai, ça ne me surprend absolument pas, lieutenant, répondit-il sèchement.
Seven hésita, puis glissa :
- Monsieur, veuillez m’excuser, mais… J’étais en permission pour une semaine. Je n’étais pas en service hier soir, et, quels que soient mes divertissements, ils ne sont pas répréhensibles.
- Vous croyez ça, Cooper ?
À nouveau, le colonel fit avancer un peu la vidéo. Cette fois, elle était perchée sur les genoux d’un butarien, qu’elle embrassait à pleine bouche. Seven fit une grimace et détourna le regard.
- Vous le reconnaissez homme ? demanda-t-il d’une voix atone.
- Je… Oui.
- Il n’y a plus beaucoup de butariens depuis la destruction du relais Alpha, je ne vous apprends rien. La plupart sont des pirates, des Soleil Bleus, ou d’autres groupuscules terroristes du même acabit. Garhal est de ceux-là.
- Je l’ignorais, Monsieur, dit-elle précipitamment. Je l'ai rencontré hier soir.
- Un jury aurait bien du mal à vous croire en se basant sur cette vidéo…
Alenko se contenta de désigner l’écran. Tandis que la jeune femme et Garhal se livraient à un pelotage en règle, une patrouille du SSC surgit et se rua vers eux. Consternée, Seven se vit tirer son arme et faire feu sur les policiers. Le butarien l’imitait. En quelques instants, l’altercation tourna au chaos complet. Plusieurs clients renversèrent tables et chaises en s’enfuyant, d’autres dégainèrent. L’image de mauvaise qualité ne permettait plus de suivre les mouvements rapides des protagonistes. Le colonel coupa l’enregistrement. Durant le visionnage, il avait paru se calmer, mais ce n’était qu’une fausse impression.
- Qu’est-ce qui vous est passé par la tête, lieutenant ? hurla-t-il à s’en casser la voix. Vous compromettre avec un terroriste recherché ! Tirer sur des membres du SSC ! Ce n’est pas la première fois que vous causez ce genre de problème, Cooper, et je croyais avoir été clair sur les sanctions que vous encouriez à l’avenir !
La jeune femme serra les mâchoires pour les empêcher de trembler et s’efforça de rester immobile, tout en rêvant de prendre ses jambes à son cou.
- Vous imaginez les retombées d’un évènement pareil ? Les tabloïds en ont déjà fait leurs gros titres : « Un officier de l’Alliance tue deux policiers du SSC » !
- Il y a des morts ? s’exclama Seven malgré elle.
Le colonel la fixa un instant sans répondre. Puis ajouta d’une voix plus posée, vibrante de colère :
- Deux officiers sont décédés des suites de coups de feu portés à la tête et à la poitrine. Un humain et un turien. Je vous ordonne de me remettre votre arme, lieutenant.
La gorge nouée, Seven lui tendit son pistolet.
- Vous êtes mise à pied et consignée dans vos quartiers, sur le Cyclone, annonça-t-il. Interdiction d’en descendre. Le SSC m’a déjà demandé de vous livrer à la justice de la Citadelle, j’ai usé de mon influence de Spectre pour obtenir de vous garder ici jusqu’à la fin de l’enquête. J’ai engagé ma parole, ne me le faites pas regretter. Vous êtes passible d’une double peine, lieutenant. Le SSC vous poursuivra pour meurtre, et l’Alliance vous fera comparaître en cour martiale pour le même motif. L’examen de votre arme nous dira si c’est vous ou Garhal qui avez descendu les deux agents. Étant donné vos antécédents, je ne donne pas cher de votre liberté, et vous êtes assurée d’être exclue de l’armée.
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