Beyond the Stars
Chapitre vingt-neuf
« De toute façon, ils nous ont sans doute déjà repérés, remarqua judicieusement Jacob. Nous n’allons pas pouvoir nous infiltrer proprement.
— Alors… Il va falloir y aller avec la manière forte, conclut Garrus.
— Si j’ai bien compris… Nous fonçons dans le tas ? demanda tout de même James qui était aux commandes du Kodiak.
— C’est tout à fait ça », confirma Shepard.
Elle avait espéré autre chose. Ne pas avoir à faire une entrée fracassante. Mais il fallait se rendre à l’évidence. Atteindre Chronos sans se faire prendre semblait être véritablement impossible.
« C’est tout de même étrange, mumura Kaidan, les yeux fixés sur les écrans qui montraient la station ennemie. S’ils nous avaient repérés, ils nous auraient déjà tirés dessus, non ? C’est bien calme… »
Shepard regarda Kaidan puis posa son regard sur les écrans. Le Major semblait avoir raison. Pas de présence de vaisseaux autour de la station. Le bouclier kinétique était bel et bien activé, mais il ne paraissait y avoir aucune tourelle en action. A la distance où se trouvait actuellement le Kodiak, c’était pourtant facile de l’atteindre. Mais rien. James continuait son approche, un peu plus prudemment, certes mais la distance qui les séparait de la station diminuait et aucun ennemi n’était venu les intercepter. A croire que…
« On dirait qu’ils nous invitent à entrer, remarqua Jack qui fronçait les sourcils. J’aime pas ça. »
A vrai dire, Shepard non plus. Mais le Sujet Zero semblait avoir raison. C’était comme si Cerberus les laissait venir. Est-ce qu’ils allaient se jeter dans le piège ? Le Commander fit un geste en direction de James pour que celui-ci cesse d’avancer. Elle devait réfléchir. Et vite.
« Qu’est-ce qu’on fait ? demanda-t-elle à ses coéquipiers. Il faut que nous décidions rapidement de l’attitude à prendre.
— Si Cerberus sait que nous sommes là, il ne sert à rien de faire demi-tour pour tenter une autre approche, remarqua Garrus.
— En effet. Ils sont sur le qui-vive, ils savent que nous sommes là, continua Kaidan. Si nous laissons passer notre chance, il risque de ne plus en avoir d’autres.
— C’est clairement un piège, ajouta Jacob. Mais c’est notre ticket d’entrée. Nous pouvons encore retourner la situation en notre faveur.
— Mais nous ne savons pas ce qui nous attend là-dedans. Le comité d’accueil doit être fourni. Si on entre avec le Kodiak, on risque de se faire arroser dès qu’on tentera de sortir.
— Sérieusement, on a pas le choix, non ? On entre et on avise. De toute façon, on s’est préparer à toute option, non ? On sait que Cerberus n’est pas à un coup tordu près ! »
Garrus se tourna vers Shepard. « Jack n’a pas tort. Même si je ne suis pas très emballé par cette perspective, il nous faut saisir la chance d’entrer. Après, peu importe ce que mijote l’Homme Trouble, nous serons dans la base et aurons plus de latitude pour réagir. Là, nous ne pouvons pas faire grand-chose. Après tout, je pense que nous nous y attendions. Tant qu’à faire, autant prendre ce qui nous est offert. »
Shepard sentait le traquenard, mais ils avaient tous raison. Ils n’avaient pas le choix. Aborder la station secrète était le point faible de leur plan. Il fallait saisir l’opportunité qui se présentait.
« Très bien. James, mettez-vous en approche. Mais restez prudent. »
Il serait malvenu que Cerberus décide de les atomiser en plein espace. Shepard déglutit avec difficulté. Elle n’avait pas vraiment prise sur ce qu’il se passait. Mais une fois hors du Kodiak, là, elle pourrait agir. Quoiqu’il se passe.
L’approche se fit sans anicroche. Il n’y avait rien… Pas de riposte, pas d’escorte. Juste eux. Et l’entrée béante de la station. Shepard pesta entre ses dents. Elle commençait à comprendre le manège de l’Homme Trouble. Il voulait les déstabiliser. Prouver qu’il avait le contrôle de la situation et qu’ils ne pouvaient pas y faire grand-chose. Encore une expression de sa mégalomanie. Il faisait sa petite mise en scène. Elle l’imaginait prendre son pied en les voyant hésiter à approcher pour finalement se jeter dans ses bras. Rien que cette pensée la mit en rage. Il ne payait rien pour attendre. Elle prendrait du plaisir à le mettre à genoux, à le faire plier. Elle s’en fit la promesse.
Comme elle l’avait pressenti en se rendant compte que l’ennemi ne réagissait pas, le hangar qui accueillit le Kodiak était vide. Même pas un soldat de faction pour contrôler l’arrivée. Non. On les laissait entrer. Pour mieux les garder ici. A peine le véhicule se posa que la porte qui donnait sur l’extérieur se ferma. Pris au piège. C’était clairement ça.
James vérifia par le biais des caméras extérieures que la voie était dégagée pour sortir du Kodiak. Chacun prit une arme dans la main, vérifia les clips et les boucliers. Il fallait se préparer au pire.
Shepard fit un geste et James ouvrit la porte latérale du Shuttle. Kaidan prit la direction de la première équipe. D’un geste, il signala à James de partir en repérage. Le soldat sauta à bas du véhicule, le dos recourbé, en alerte. Il fit un signe de la main. Voie dégagée. Kaidan et Jacob sortirent à leur tour. Shepard attendit qu’ils avancent un peu plus pour sortit son équipe. Il ne fallait pas miser sur tous en même temps. Il avait été décidé dès le départ que les deux équipes agiraient en décalé. Cela ne changeait pas. Maintenant qu’ils progressaient en terrain ennemi, il ne fallait pas qu’ils restent groupés tous les six. Trois permettait une bonne progression, une couverture efficace et un roulement dans les rôles.
« C’est vraiment vide, murmura Kaidan dans son oreillette.
— Continuez à avancer. Nous descendons au niveau du sol. Voyez-vous une porte ?
— Non. Mais nous continuons à chercher. »
Shepard termina la communication. Il était temps de descendre. James avait posé l’engin près d’un tas de caisses de tailles diverses, qui assuraient une couverture pour la sortie. Shepard se laissa tomber le long du Kodiak et avança, dos recourbé. Garrus la talonnait et Jack fermait la marche. Ils essayaient d’être le plus silencieux possible.
« Shepard. »
La voix de l’Homme Trouble résonna dans tout le hangar. Le Commander en sursauta, les sens en alerte, le cœur battant à tout rompre. Elle jura entre ses dents. Ce n’était qu’une voix dans les haut-parleurs.
« Voyons, ne vous cachez pas. Je sais que vous êtes là. »
Cette intonation… Trop mielleuse. Elle lui hérissait les poils. Elle avait oublié à quel point son ton condescendant pouvait l’irriter.
Elle attendit un peu. Toutefois, l’Homme Trouble ne reprit pas la parole. Il attendait sans doute qu’elle se montre. Elle savait qu’il était sûr qu’elle n’allait pas tarder à se montrer. Le Commander continua à progresser le long des caisses. Bien décidée à ne pas laisser à l’Homme Trouble la sensation qu’il contrôlait ses moindres gestes. Elle se reconcentra sur l’objectif. Trouver une porte pour sortir du hangar et continuer leur progression dans la station. Que le leader de Cerberus veuille faire joujou n’était pas son problème. Elle n’allait pas se laisser faire. Shepard savait qu’elle risquait de perdre son sang-froid et c’était bien la dernière chose à faire. Se retournant vers Garrus, elle lui fit signe de passer devant.
« Shepard. » Ce coup-ci c’était la voix de Kaidan. « A trois heures, une porte.
— Accessible ?
— Pas certain. Je vais m’approcher pour regarder de plus près.
— Bien reçu. »
Elle tapa sur l’épaule de Garrus et lui désigna de la main la position du Major. Le Turian hocha la tête et progressa vers l’endroit, toujours accroupi. Cela était apparemment inutile, mais comme l’Homme Trouble semblait désirer les voir, il valait mieux rester à couvert. Ils ne savaient pas ce que cela ferait, si jamais le maître des lieux les avait en visuel. Et Shepard n’avait pas envie de le savoir.
Elle finit par apercevoir le Major qui se trouvait devant la fameuse porte. D’un coup d’œil, elle pu voir qu’il ne semblait pas y avoir de dispositif d’attaque pour pourrait se déclencher à l’ouverture de la porte. Elle semblait vraiment être accessible. Sauf qu’il fallait déjouer le verrou qui était posé dessus. Kaidan fit un signe en direction de Jacob. Ce serait lui qui se chargerait de pirater la fermeture. Cela prendrait un peu de temps. Shepard en profita donc pour explorer un peu plus les environs. Dans un hangar, il pouvait y avoir des informations importantes. Pas de première nécessité mais un jeu de clips supplémentaire ne serait pas de trop.
Elle continua accroupie à évoluer entre les caisses et les véhicules qui étaient encore stationnés sur Chronos. Cerberus n’avait donc pas envoyé toutes ses troupes. Il y aurait un peu de résistance dans la station. Ce qui était tout à fait normal. L’Homme Trouble ne pouvait pas se trouver seul. Cela aurait été grossièrement ridicule. Il n’était pas sûr de lui à ce point.
Kaidan lui signala par radio que Jacob en avait fini avec le verrou. Elle revint donc sur ses pas, bredouille. Tant pis.
Le groupe de Kaidan prit la tête de l’expédition. Jacob ouvrait la marche, suivit par Kaidan et James. Le couloir était étrangement vide. L’instinct de Shepard lui hurlait que c’était forcément un piège. Ils étaient rentrés sans problème. Pas de comité d’accueil. Juste la voix d l’Homme Trouble qui l’appelait encore. Mais elle ne voulait pas entrer dans son jeu. Hors de question de lui laisser ce plaisir.
« Attention ! » Le glapissement de Jacob la fit sursauter. Elle eut à peine le temps d’apercevoir le groupe de Kaidan sauter sur le côté pour esquiver la mitraille de la tourelle. Elle en fit de même. James était déjà en train de faire sauter le bouclier de la machine qui finit par exploser. Toutefois, ils n’étaient pas au bout de leurs peines.
Une barrière kinétique sépara les deux groupes.
« Qu’est-ce que c’est que ce bordel ? » Jack approcha la main de l’onde bleutée pour en tester la résistance. Ils étaient pris au piège. Et pas de la meilleure façon.
La voix de l’Homme Trouble s’éleva à nouveau. La projection de sa silhouetta apparut du côté de Shepard, plus vraie que nature.
« Shepard, dit-il nonchalamment, tirant une bouffée de sa cigarette.
— Vous ne perdez rien pour attendre, se contenta-t-elle de répondre.
— Ouais… On va te faire la peau, espèce de connard ! »
Le leader de Cerberus ne prit même pas la peine d’adresser un regard à Jack.
« Oh… J’ai juste envie de vous tester, continua-t-il à l’adresse du Commander. Encore une fois. Voir votre résistance. Vous en avez après moi, certes. Alors débusquez-moi dans ma propre forteresse. Voyons ce dont vous êtes capables sur un terrain que vous ne maîtrisez absolument pas. Mais moi… J’en connais toutes les ressources.
— Pas très équitables comme règles, ironisa Shepard.
— Allons bon… Vous n’allez pas vous laisser abattre pour si peu. Je vais même rajouter un peu de piment. Voyez-vous, j’aime l’esprit de compétition… » Il laissa planer un silence théâtral, tout en fumant tranquillement sa cigarette.
« Une équipe de six, c’est trop avantageux. Et je vois que vos petits groupes sont plutôt bien équilibrés. Pourquoi ne pas voir qui de vous ou du Major Alenko va me trouver en premier ? Qui est le meilleur d’entre vous deux ? »
Shepard eut un reniflement dédaigneux avant de rétorquer qu’elle ne voyait pas l’intérêt de la chose.
« Oh, vous êtes si naïve, si croyante en la bonté humaine. Mais voyons… Le Major Alenko, tout coopératif qu’il soit me semble toujours nourrir une certaine jalousie à votre égard. Parce qu’il ne pourra jamais, malgré tous ses efforts, faire la moitié de ce dont vous êtes capable. Et puis… Êtes-vous vraiment certaine d’avoir toute sa confiance ? N’a-t-il pas encore ce petit doute vous concernant ? Qui lui dit que vous n’avez pas… une sorte de dispositif qui me permettait de reprendre le contrôle sur vous ?
— N’écoutez pas ce qu’il dit, Shepard, intervint Kaidan.
— Allons bon, ne dit-on pas que le démenti attire la suspicion. Vos belles paroles trompent peut-être votre entourage, Major mais je pense que vous ne pouvez pas vous duper vous-même. N’importe qui à votre place nourrirait de l’aversion pour le Commander Shepard. Comment se fait-il que malgré son attitude toujours en marge des règles, elle ait encore le commandement du Normandy alors que vous êtes plus gradé qu’elle ? N’est-ce pas là quelque chose de révoltant ? »
Shepard serra le poing. Cet enfoiré d’Homme Trouble cherchait à semer la zizanie. Et elle savait qu’il était relativement doué pour ça. Il savait trouver les faiblesses des autres et les exploiter à son compte. Il était capable de briser la volonté de quelqu’un juste en trouvant les mots justes. Ce n’était pas un leader accompli pour rien. Shepard devait réfléchir à ce qu’elle disait.
« Vous croyez savoir ce que je pense, n’est-ce pas ? dit doucement Kaidan avec un sourire narquois. Très bien, vous n’avez pas tort. »
Le Commander Shepard en eut un haut le cœur. Qu’est-ce que racontait Kaidan ? Comment ? Mais elle vit Jacob qui la fixait. Il fallait qu’elle se calme. Kaidan tentait de retourner la situation en leur faveur en essayant d’endormir l’Homme Trouble. Mais il n’était pas dit que ce dernier se laisserait prendre. Il était bien plus malin que cela et Kaidan devrait sans doute déployer des capacités qu’il n’avait pas.
« Certes, Shepard a de quoi rester au trou pour le reste de ses jours. Elle est bornée, indisciplinée et avec tous ses manquements aux règles, j’aurais de quoi la traîner en cour martiale. Mais c’est justement ça qui fait qu’elle est Shepard. Et qu’elle va réussir à tous nous tirer de là. »
L’Homme Trouble mima des applaudissements.
« Quel joli petit discours, Major. Un peu trop larmoyant à mon goût. Belles paroles… C’est ce que vous vous dites chaque matin en vous levant pour endormir votre ressenti ? Comment pouvez-vous supporter qu’elle ait les rênes alors que vous êtes tout aussi méritant qu’elle. Sans parler que pour vous, la hiérarchie et les règles sont la base de toute discipline militaire. »
Kaidan ne répondit pas. Il regardait Shepard à travers la barrière bleutée.
« Oh. » L’Homme Trouble prit une pause dramatique. « Je vois… » Il secoua la tête.
« Vous me décevez, Major. Mais en même temps, vous m’offrez la possibilité de rendre les choses encore plus divertissantes. »
Il eut un rire un peu fou.
« Ajoutons une règle. Vous contre Shepard, certes. Le premier qui me trouve mourra, quant au groupe perdant, je me chargerais de lui trouver un sort plus enviable...
— Complètement insensé », commenta Garrus.
« Pas de règles particulières, tous les coups sont permis. Je sais que Shepard ne laissera pas ses hommes se faire descendre quand à vous, Major… Perdre Shepard vous serait insupportable, n’est-ce pas ? »
Voilà que l’Homme Trouble changeait de discours. Il n’avait pas vraiment si bien cerné Kaidan que ça au départ. Il ne fallait pas utiliser le ressentiment qu’il aurait pu avoir contre elle. Non… Il fallait jouer sur un autre registre et le leader de Cerberus avait fini par le comprendre très vite. Ah… Si seulement Kaidan était moins… idiot.
« Comme je suis d’humeur à respecter les usages, les dames d’abord. » La barrière kinétique s’ouvrit suffisamment pour laisser Shepard sortir avec son groupe tout en maintenant celui de Kaidan enfermé.
Suivie de Jack et Garrus, le Commander s’élança. Elle allait débusquer ce connard de tordu et lui faire la peau. Elle se le tenait pour dit. L’influence de Jack commençait à se faire ressentir. Elle pensait avec les mots qu’elle affectionnait.
« Qu’est-ce que c’est que ce bordel ? demanda d’ailleurs la jeune femme. Il joue à quoi ? Comme si on avait le temps de suivre ses plans de détraqué !
— Nous n’avons pas vraiment le choix, tempéra Garrus. Notre but, c’est de l’éliminer. Si son jeu consiste juste à nous regarder nous mettre chacun des bâtons dans les roues, il faut s’y plier. Cela nous sera plus utile que de chercher à déjouer ses règles. Comme vous le dites, nous n’avons pas le temps. Contentons-nous de le trouver. »
Shepard ne dit rien, mais elle était d’accord avec le Turian. Elle aurait pu envoyer chier l’Homme Trouble et ne pas faire attention à lui. Maintenant qu’il avait clairement énoncé ses règles, elle s’était dit que chercher à les trangresser serait sans doute plus coûteux que de les suivre. Après tout, elle voulait juste lui mettre la main dessus. Et ce, le plus rapidement possible. Étant donné qu’il voulait la tester, comme il le disait si bien ; il était certain qu’il allait mettre sur leur chemin des obstacles ardus. Les idées de stratégies établies dans le Normandy allait donc bien pouvoir leur servir.
Garrus la poussa sur le côté. Toutes à ses pensées, elle n’avait pas vu le Némésis. Merde. Elle n’allait pas laisser l’Homme Trouble la déstabiliser. Règles ou pas, jeu ou pas, c’était une mission comme une autre et les ennemis étaient bel et bien réels. Et redoutables.
« Trois à gauche… murmura Garrus. Deux centurions droit devant et un ingénieur à trois heures.
— L’ingénieur d’abord… Jack ? Vous vous en chargez ? »
La jeune femme hocha la tête. Son corps s’enveloppa d’une aura bleutée et elle se faufila à travers les obstacles qui jonchaient la pièce dans laquelle ils avaient débouchés.
Alors qu’elle visait les Centurions qui leur tiraient dessus, Shepard se demanda où était Kaidan. Lui et son groupe avaient dû être libérés. Sans doute, ils n’avaient pas du emprunter le même chemin. Elle fit une tentative de liason radio mais cette dernière, ainsi que le radar étaient HS. Il fallait donc avancer à l’ancienne avec la gestuelle réglementaire et sans détecteur d’ennemi. Pas qu’elle en soit particulièrement gênée par ce problème technique, mais il était vrai que la technologie avait parfois du bon. Fort heureusement, on lui avait appris à ne pas trop lui faire confiance et surtout à s’en passer.
Les deux centurions s’écroulèrent tandis que Jack s’en donnait à cœur joie contre l’ingénieur. Ce combat ne posait pas de problème particulier. Sans doute une petite mise en bouche avant que le pire n’arrive. En tout cas, une fois les Nemesis approchés au corps à corps, ils furent vite éliminés.
Le trio continua donc à progresser. Pour l’instant, la route était plutôt linéaire. Ce n’était pas le dédale auquel elle s’était attendue. Mais bon, d’après les plans qu’EDI avaient trouvés, ils n’en étaient qu’à la base de la structure. D’ailleurs, le Commander commença à sérieusement se douter que l’Homme Trouble avait sciemment laissé EDI prendre les plans. Il avait sans doute réfléchi à son petit coup depuis longtemps, savant par avance que Shepard finirait par le débusquer.
Elle secoua la tête. Ce n’était pas le moment de penser à ça.
« Par où ? » demanda Jack alors qu’ils se trouvaient face à un embranchement. Shepard observa attentivement les deux possibilités. Rien ne les distinguait. Il fallait donc agir à l’instinct.
« Voyons ce qu’il y a de ce côté-ci, dit elle en désignant une porte. Rien ne nous empêche de rebrousser chemin. »
A vrai dire, ce petit jeu de piste allait vite l’agacer. Jack avait raison, c’était une perte de temps. Quelle plaie ! L’Homme trouble ne perdait rien pour attendre. Elle prendrait un malin plaisir à le faire souffrir. Ça, elle en était sûre.
La porte était verrouillée mais rien d’insurmontable. Elle ne voulut pas rebrousser chemin. Elle n’allait pas suivre exactement l’itinéraire qu’on avait décidé pour eux. Pirater le verrou ne prit qu’un petit instant. La porte chuinta en s’ouvrant. Il n’y avait pas de lumière dans la salle. Quelques néons lointains projetaient une lumière douce. La visibilité était réduite. Passé le cercle de lumière produit par les lampes du couloir dont ils venaient, il n’y avait rien de visible. Shepard alluma la lampe de son fusil, imitée par ses deux acolytes.
Le faisceau lumineux projetait un cercle de faible intensité. Shepard balaya rapidement la pièce pour cerner d’éventuels dangers. Rien.
Le silence était omniprésent. Prudemment, le Commander risqua de faire quelques pas. Garrus et Jack s’étaient positionnés chacun d’un côté afin de ne pas se faire surprendre de dos. Ils progressaient doucement. Le faisceau buta sur une table jonché de datapads. Un pilier cachait la vue d’un écran dont le signal d’urgence clignotait. A ses pieds, des débris de verre. Comment était-il possible de laisser un tel capharnaüm ? Cette pièce semblait, à ce que le groupe pouvait voir, inutilisée. Et vu son état, inutilisable.
Toujours sur leurs gardes, le trio s’enfonça plus dans la pièce. Shepard commençait à songer à faire demi-tour. Après tout, rien ne disait que cette pièce ouvrait sur le chemin vers l’Homme Trouble. Cependant, tordu comme il était, elle se dit que cela devait faire partie de son plan. Il n’allait pas leur flécher le chemin avec des signaux lumineux. Non… Les laisser se désorienter dans le noir était plus dans son délire. Ce cadrait bien mieux avec le personnage.
« Putain… J’aime pas ça », marmonna Jack. C’était rare qu’elle ait la trouille mais à vrai dire, Shepard n’en menait pas large non plus. Quelque chose lui disait de faire demi-tour. Et vite.
Mais, évidemment, alors qu’elle était sérieusement en train de considérer cette option, la porte par laquelle ils étaient entrés se referma sur elle-même avec une telle célérité que le bruit de la fermeture résonna dans toute la pièce.
« Et merde. »
Elle ne s’était pas retenue. Garrus soupira à sa gauche. Elle voyait à peine son visage à la lueur du projecteur de son fusil.
« Que fait-on ? demanda-t-il. Personnellement, je ne serais pas contre le fait de sortir rapidement de là. J’ai une impression étrange avec cette pièce.
— Ouais, je suis d’accord. Elle me fiche les boules, renchérit Jack à sa droite.
— Hum… Il faudrait voir si on peut refaire sauter le verrou. »
Toujours avec prudence et en maintenant la formation serrée, le trio commença à retourner vers la porte. Maintenant qu’elle était close, Shepard se sentait de plus en plus oppressée. Et puis, elle avait commencé à sentir une odeur étrange. Qui prenait à la gorge.
Un gaz ? Il s’abaisserait donc à ça ? C’est limite décevant.
Elle ferma les yeux. Non… Ce n’était pas un gaz. C’était quelque chose de… d’organique.
Un cri déchira l’air. Un hurlement bestial, qui la paralysa. Ce cri, cette plainte suraïgue, elle la reconnaissait à présent.
« Une Banshee ! » C’était Garrus qui venait de s’exclamer à côté d’elle. Shepard sentit qu’il avait perdu un peu de confiance. Ce n’était pas une peur panique, mais une appréhension qui était assez rare chez le Turian.
« Putain, où elle est ? » Jack n’avait pas encore eu affaire à ces immondes créatures mais Shepard avait briefé tout le monde sur la marche à suivre pour en venir à bout. Elles étaient coriaces et il ne fallait absolument pas qu’elles s’approchent. Si elles s’emparaient de leur adversaire, ce dernier n’avait que très peu de chances de s’en sortir.
Il fallait localiser la monstruosité et s’en débarrasser. Pas le choix, il leur fallait progresser dans le noir. Si seulement, il était possible de remettre le courant…
Pas après pas, collés les uns contre les autres, le petit groupe avança à l’aveuglette. L’ordinateur qui émettait le signal lumineux de danger pouvait peut-être être remis en service. En espérant qu’il puisse permettre d’atteindre les commandes. S’approchant du clavier, Shepard commença à taper sur les touches. En vain.
« Vous avez entendu ça ? » demanda Jack d’une voix peu assurée.
Shepard tendit l’oreille. Quelque chose qui ressemblait à un grattement était audible. Le bruit s’arrêta net. Avant de reprendre quelques instants plus tard.
« Ça vient de là, il me semble, remarqua Garrus qui désigna la baie vitrée fracassé qui se devinait sous les faisceaux de lumière. Shepard pointa sa lampe dans la direction indiquée par le Turian. Il y avait une autre salle derrière. Jetant un dernier coup d’œil à l’ordinateur dont elle savait désormais qu’elle n’en tirerait sûrement rien, elle prit la décision de franchir l’obstacle et de fouiller cette nouvelle pièce.
De la crosse de son fusil, Garrus acheva de faire tomber les pans de verre dont les pointes tranchantes pointaient vers le plafond. Ils passèrent sans difficulté. Faisceaux braqués devant eux, ils observèrent la nouvelle zone. Des conteneurs en verre étaient fracassés. Des tuyaux les reliaient entre eux, il y avait des piles de datapads partout au sol. Jack se pencha pour en saisir un et le lire. Elle eut une exclamation dégoûtée avant de confirmer ce dont Shepard se doutait : ils se trouvaient dans un laboratoire.
« Qu’est-ce qu’ils pouvaient bien étudier ici, murmura Garrus en promenant sa torche dans toute la pièce.
— Rien de bien joli, commenta Jack en ramassant un nouveau datapad. Et vu qu’il y a une des ces horreurs que vous avez vues sur Menae ici, je serais pas étonnée qu’ils les étudiaient. »
Rien de bien surprenant, à vrai dire. Si L’Homme Trouble cherchait à comprendre l’endoctrinement, il avait sans doute collecté les spécimens que les Reapers avaient transformés en monstres. Il fallait donc s’attendre à trouver des Maraudeurs ou des Brutes. Sans parler des Husks.
« La question est: où sont-ils, leurs cobayes ? » demanda le Commander. Elle cherchait une sortie, une évacuation par laquelle les monstres auraient pu sortir. Ce fut Garrus qui trouva. Un trou béant avait été fait dans l’un des murs du laboratoire. Les fils avaient été arrachés, ce qui expliquait le manque d’électricité dans cette zone. Il suffirait de suivre les dégâts pour trouver leurs ennemis. A bien avoir écouté le cri de la Banshee, ils n’en étaient pas loin. Il fallait donc rester sur ses gardes.
« Continuons à avancer. Nous n’avons pas le choix de toute façon. » Affronter les abominations que l’Homme Trouble avait collectionné était désormais un incontournable. Shepard se demanda comment l’Homme Trouble pouvait faire pour ne pas avoir semblé être affecté par une faille si grande dans la sécurité de sa Station.
Leurs pas résonnaient lugubrement à travers les salles qu’ils traversaient. Le grattement reprit. Il y avait quelque chose près d’eux. Soudain, avec un cri lugubre, une Brute se jeta sur eux. Ils eurent à peine le temps de s’écarter pour éviter un choc fatal avec la bête. Les brutes étaient redoutables quand elles chargeait et tout comme les Banshee, un contact trop rapproché était synonyme de mort certaine. Shepard préféra miser sur ses pouvoirs comme l’incinération plutôt que sur ses armes. Garrus commença à arroser le monstre de tirs répétés de son fusil d’assaut. Jack enchaîna les poussées biotiques et les ondes de chocs. Folle de rage, la Brute se mit à charger sans distinction aucune. Shepard et son groupe avait l’avantage du nombre et il ne fallut pas beaucoup de temps avant qu’ils ne s’en sortent victorieux. Ce combat avait été facile. Quand elles étaient plusieurs, la tâche était beaucoup plus ardue.
Toutefois, ils n’eurent pas le loisir de profiter de leur victoire. Attirés par le bruit et sans doute par le sang de la brute qui s’écoulait par terre, une dizaine de Husks débarqua, accompagnés de Maraudeurs et de Carnages. Shepard appliqua la stratégie désormais habituelle : descendre les Maraudeurs en premier. Ces derniers, emprunts d’elle ne savait quelle solidarité avec les Carnages, rechargeaient les boucliers de ces derniers en permanence, ce qui était fortement dérangeant. Comme tout bon stratège le dirait, il fallait donc d’abord abattre les soutiens avant de s’attaquer au gros des troupes. La bataille n’était pourtant pas si simple, au vu du peu de luminosité dont l’équipe jouissait.
Cependant, avec une bonne résistance et par la force de l’habitude, Shepard et ses deux compères vinrent à bout assez rapidement de leurs adversaires.
« Combien il y en a comme ça, à votre avis ? »
Jack essuya la substance bleue qui avait giclé sur son visage alors qu’elle venait de faire exploser un Husk.
« Aucune idée, répondit Garrus, et je n’ai pas trop envie d’y réfléchir. Je suis persuadé que je sous-estimerais le nombre. »
Il y avait une pointe d’amertume et de dégoût dans son propos. Shepard la partageait également. Elle avait toujours pensé qu’un bon Husk était un Husk mort. Déjà que les pauvres êtres n’avaient pas pu jouir d’une mort digne et avait dû subir cette transformation ignoble, en faire des sujets d’expérience n’était pas acceptable non plus. Les tuer leur rendait service. Mais question éthique, Cerberus n’était pas très au fait de ces choses-là.
« Continuons. »
Les pièces s’enchaînaient, assez similaires. Toujours des tubes brisés, des datapads partout. Cela commençait à faire beaucoup et Shepard se demanda si la Station n’était tout simplement pas envahie. L’Homme Trouble perdant le contrôle de ses expériences était une vision ironique et plaisante. L’étage devait sans doute être confiné. Elle n’imaginait franchement pas le leader de Cerberus laisser sciemment un tel chaos régner dans son repaire. Tout ceci commençait franchement à être curieux. Elle avait un mauvais pressentiment. Mais à part avancer, elle ne pouvait pas faire grand-chose. Mettre la main sur le bureau de l’Homme Trouble lui apporterait sans doute les réponses à ses questions.
De plus, la présence de la Banshee en liberté ne la mettait pas à l’aise. Elle se sentirait mieux une fois qu’elle l’aurait trouée avec ses pistolets. L’idée de devoir encore affronter une de ces créatures lui nouait quelque peu l’estomac.
« Là ! »
Jack montra du doigt une pièce éclairée. Enfin ! Déambuler dans le noir était vraiment handicapant. Au moins, avec le retour de l’électricité, ils allaient mieux comprendre ce qu’il s’était passé. Une sorte de lit médical trônait au milieu de la pièce. Des consoles de contrôle étaient apparemment encore en service sur les murs. Shepard avança prudemment vers l’une d’entre elle et pianota sur le clavier. Si c’était simple d’utilisation, il serait facile de retrouver des données.
Et elle trouva des vidéos. Très bien, il s’agissait donc d’un terminal d’enregistrement. Le Commander ouvrit le premier fichier.
« Oh nom de Dieu… » jura Jack en s’approchant de l’écran.
Les images étaient sans équivoque. Les tubes étaient alignés, plein de liquide. Remplis d’Humains… d’Asaris et de Turians. Ces derniers étaient moins nombreux mais ils étaient bien là. Shepard reconnut le dispositif. C’était très semblable à celui de la base des Collecteurs. Trop semblable même.
« Je pensais qu’on avait détruit la base, remarqua Garrus qui avait aussi reconnu ce qu’ils voyaient.
— C’est bien ce qu’il me semblait. »
Il n’y avait pas trente mille explications possibles. L’Homme Trouble avait tout simplement ramassé les morceaux et avait consacré une bonne partie de ses ressources pour remettre en fonction ce qui allait servir à ses fins. Alors c’était ça… C’était ça qu’il avait eu dans la tête dès le début ? Dès qu’il avait su ce qu’étaient les Collecteurs ? Il avait donc compris ce que les Husks étaient et quel intérêt ils avaient. Et donc, il avait eu dans l’idée de vraiment reproduire ça ?
Qu’est-ce que cachait encore cette station ? Et… Et si Cerberus avait récupéré les restes du Reaper humain ? Cette idée lui fit froid dans le dos. Elle eut du mal à garder son regard sur l’écran. Comment pouvait-on infliger sciemment un tel traitement à un autre être vivant ?
La seconde vidéo était tout aussi insoutenable. Les hurlements qui émanaient des personnes enfermées dans les tubes étaient horribles. C’était de la souffrance, du désespoir… Et les voir se tortiller dans leurs conteneurs, leur visage déformés par la douleur lui tordait les entrailles. Elle frappa le clavier. Elle ne voulait pas continuer à s’infliger ça. Surtout que Jack avait une telle expression sur le visage… Elle serrait le poing de fureur.
« Allez, on y va. Ça ne sert à rien. Ce qui est fait est fait. » dit doucement Shepard en éteignant la console. Il n’y avait rien d’autre à faire que de mettre fin à la souffrance de ces pauvres hères.
Ils se détournèrent et continuèrent leur exploration. Il fallait mettre la main sur ce malade. Elle commençait à perdre patience. Garrus en tête, ils débouchèrent dans un couloir désert. Le sol était cependant maculé de sang. Un sang bleuâtre qui dégageait une odeur âcre. Elle portait au cœur. Le commander fit signe d’accélérer, elle en avait la nausée. Et ce n’était franchement pas le moment. Vite, elle devait continuer. Elle poussa Garrus et le devança. Son pouls s’était accélérer. Non… Elle devait lutter. Elle se jeta dans la première pièce qui se trouvait là. Pliée en deux, elle rendit le contenu de son estomac.
Garrus, qui l’avait suivie, fit une grimace inquiète.
« Qu’est-ce qu’il vous arrive ? » demanda-t-il alors qu’elle essuyait sa bouche d’un revers de main. Elle lui fit signe que ce n’était rien. Maintenant qu’elle avait évacué ce qui lui soulevait l’estomac, elle allait mieux. Ce n’était pas la peine de s’attarder dessus.
Jack explorait la pièce où Shepard avait vomi.
« Hé, par là ! » dit-elle. Elle avait trouvé un élévateur.
« Voilà ce qui va nous faire changer d’air », continua le Sujet Zero. Très bien. Shepard se doutait que l’Homme Trouble devait se trouver ailleurs qu’à cet étage.
« Attention ! » Garrus sortit son fusil et arrosa l’entrée de la pièce. Le visage hideux de la Banshee se tordit dans un rictus de rage.
« A couvert ! » Il fallait rester en mouvement. Elle était seule. C’était donc une situation idéale. Mais la pièce exiguë ne permettait pas une grande liberté de mouvement. Shepard sortit une grenade de son arsenal. Jetant un regard par-dessus ce qui lui servait de protection, elle vit la Banshee avancer vers Jack. Elle jeta la grenade qui se fixa sur la cible. Elle compta mentalement et l’explosion retentit. Mais elle savait que ce n’était pas suffisant. Jack fit une poussée biotique et repoussa la bête. Garrus sortit de son recoin et l’arrosa de tirs continus. Le bouclier de la Banshee céda. Maintenant qu’elle était acculée, c’était là qu’elle était la plus dangereuse. Et qu’il fallait être le plus efficace.
Le mieux était de garder la distance. Le visage de la Banshee se tourna vers Jack. Shepard comprit qu’elle avait pris la jeune femme pour cible. Elle se détournerait donc de Garrus et elle. Il fallait donc en profiter.
D’un bond, la Banshee se jeta sur Jack. Le Sujet Zéro lui lança encore une décharge. Ce coup-ci, cela ne lui fit rien. « Merde ! » Jack se jeta sur le côté et roula sur elle-même. Garrus visa la tête de la créature qui explosa sous l’impact des balles.
Jack laissa échapper une expression dégoûtée. « Qu’est-ce que c’est dégueu ! »
Elle se releva et essuya le liquide visqueux qui lui recouvrait le visage.
« J’ai jamais vu une chose pareille. Elles fichent le bourdon ! »
Shepard ne put qu’être d’accord avec cette remarque. Les Banshees avaient quelque chose de fascinant dans leur horrifiante apparence. Et ce cri… A glacer le sang.
« Continuons. » dit-elle après que Jack se soit suffisamment débarbouillée.
Ils atteignirent donc l’élévateur. C’était un risque à prendre que de monter dedans. Rien ne disait que l’Homme Trouble ne le contrôlait pas à distance pour mieux les mener là où il désirait. Qu’est-ce que c’était pénible de ne pas être vraiment maître de la situation. D’après la logique d’EDI, la pièce où le leader de Cerberus aimait à passer ses journées se situait au cœur de la station. Ce qui paraissait être le lieu le plus stratégique. Bien protégé, l’Homme Trouble pouvait voir les ennemis arriver de loin.
Finalement, l’élévateur les mena sans encombre à l’étage demandé. Très bien. Peut-être que leur hôte se lassait-il de ce jeu. Ou que Kaidan était déjà arrivé. Ça, non. Même si elle avait de sérieux doutes sur la véracité des propos de leur ennemi sur le sort qu’il réservait au gagnant de sa petite mascarade, elle ne pouvait pas laisser le Major se faire descendre. L’Homme Trouble l’avait bien cernée, elle avait un sens de l’honneur un peu trop développé et laisser un coéquipier se jeter dans la gueule du loup n’était pas dans sa conception du travail d’équipe. Il fallait donc jouer contre le temps. Kaidan n’était quand même pas si manche que ça et elle était persuadée qu’il n’était pas tombé sur le laboratoire des horreurs de l’Homme Trouble.
« Vous ne trouvez pas ça étrange quand même ? » demanda soudain Garrus en rompant le silence. « On n’a croisé aucun membre de Cerberus depuis tout à l’heure. »
Ce que disait le Turian était vrai. Mis à part les cobayes, pas une âme qui vive. Shepard sentait vraiment que quelque chose clochait.
« Je me demande… Si cette base n’est pas tout simplement vide. » se hasarda-t-elle à dire. Ce qui expliquerait pas mal de choses. Mais le seul moyen de vraiment le savoir, c’était d’accéder à la salle qui se trouvait au cœur de Chronos. Ils n’avaient pas le choix.
Cela faisait rager Shepard. Ils s’étaient conduits comme des débutants. Si l’Homme Trouble avait bel et bien quitté les lieux, ils perdaient leur temps ici. Mais il fallait s’en assurer. Et donc avancer.
L’étage dans lequel ils se trouvaient à présent ressemblait plus à une de ces stations de Cerberus que Shepard et ses camarades avaient eu à visiter par le passé. Plus convivial, moins claustrophobique. Les machines à boissons côtoyaient les terminaux de sécurité, il y avait des baies vitrées qui donnaient sur des espaces verts luxurieux. L’étage du patron, sans aucun doute. Cela rendait Cerberus un peu plus humain que ces pièces qu’ils avaient dû traverser où transpirait la malignité avec ses tubes, ses câbles et cette odeur affreuse. C’était d’ailleurs assez saisissant, ce contraste. A la limite, cet environnement serein ne cadrait pas trop avec l’idée que l’on pouvait se faire du maître des lieux. Toutefois, Shepard savait combien l’Homme Trouble était attaché à l’humanité et à son symbole le plus évident : la Terre. Les jardins lui rappelait sans doute ce pourquoi il se battait même si, du point de vue du Commander, les actions de Cerberus laissaient penser qu’ils avaient perdu l’objectif visé depuis un moment.
« Essayez de voir si on ne peut pas accéder à un terminal qui nous dise un peu la situation des occupants de cette station » Chacun s’attela donc à trouver des indices et quoi que ce soit qui puisse être utile pour arrêter d’avancer à l’aveuglette. Il fallait déterminer comment aborder le chemin en direction de la pièce de l’Homme Trouble. Et surtout comment la trouver. Elle ne devait pas être si simple d’accès. Même pour les membres de Cerberus. Shepard avait suffisamment étudié le personnage pour affirmer qu’il était particulièrement méfiant, voire paranoïaque. Elle était persuadée que même Miranda ne l’avait jamais vraiment vu en chair et en os. Lui qui ne conversait que par projection hologrammique n’aimait pas la compagnie des autres. Il craignait sans doute pour sa propre existence. C’était une attitude quelque peu lâche aux yeux d’une militaire comme Shepard.
Garrus la tira de ses pensées en l’appelant. Il avait trouvé quelque chose.
« Regardez. Ce sont les logs des Shuttles d’évacuation, expliqua-t-il alors qu’elle s’approchait pour voir. Il semblerait que tout le monde ait bien quitté Chronos. »
Jack pesta entre ses dents. « On n’est venu pour rien… » Elle shoota dans un datapad qui traînait au sol. Shepard comprenait son dépit. Elle partageait un peu cette déception. Elle avait espéré en finir ici mais il s’avérait que l’Homme Trouble s’était bien foutu de sa gueule. Ça ne faisait qu’augmenter son désir de lui faire exploser la tête. Toutefois, elle voulait quand même aller jusqu’au bout. Même si l’ennemi avait sans doute emporté tout ce qui aurait pu être utile, elle voulait voir de ses propres yeux la pièce où il avait mené son plan. Qui savait…
Jack était en train de s’énerver sur un autre terminal. Shepard n’osa pas la déranger, mais la jeune femme l’appela. Elle pianota sur son Omnitool. « J’ai trouvé un plan de la station, ça peut quand même servir. » Et elle le partagea avec les deux autres. Shepard la remercia et pianota sur son Omnitool pour afficher le plan.
Ils étaient bel et bien au bon étage. C’était déjà ça. Il ne manquait plus qu’une chose pour être vraiment au mieux : que le brouillage des radars soit levé. Mais ça, Shepard s’en doutait fortement, ils ne pourraient avoir accès aux commandes que dans la pièce qu’occupait l’Homme Trouble. Autant continuer à avancer, ils n’obtiendraient rien de plus en restant ici.
Suivant le plan sur son Omnitool, Shepard dirigea le groupe à travers les pièces. La nausée lui était passée, mais elle sentait encore un goût de bile dans la bouche et elle n’aimait pas ça. C’était vraiment désagréable. Alors qu’ils ne se tenaient plus qu’à une distance assez courte de l’emplacement de la cible, elle s’arrêta et fit un geste pour que les deux autres en fasse de même.
Du menton, elle leur désigna quelque chose droit devant. C’était ténu, presque invisible, mais c’était là. Le laser, une fois franchi, devait sans doute activer un dispositif explosif ou quelque chose de tout aussi mortel. Garrus s’avança et commença à localiser la balise. Shepard et Jack en profitèrent pour examiner l’intégralité de la pièce, ne savait-on jamais.
« Qu’est-ce que c’est que ça ? » demanda Jack en relevant la tête.
Shepard lui adressa un regard interrogateur, elle ne voyait rien de particulier. Jack mit un doigt ses lèvres. Ce n’était pas quelque chose de visible. Il fallait écouter. Le Commander alla jusqu’à retenir se respiration. Jack était à demi debout, les yeux fixés vers le plafond, la bouche ouverte. Tous sens en alerte. Shepard allait lui dire qu’elle n’entendait rien lorsque si, effectivement, un bruit sourd lui parvint jusqu’aux oreilles. C’était vraiment faible et Jack avait vraiment une bonne ouïe.
« C’est assez loin, non ? » remarqua Garrus qui s’était également arrêté pour écouter. En effet. C’était si étouffé que Shepard émit l’hypothèse que ce n’était pas à leur étage. Elle pensa alors à Kaidan, Jacob et James et espéra que tout allait bien pour eux. Du moins, pas trop mal. En espérant que le bruit sourd ne soit pas quelque chose qui leur ait explosé à la figure…
D’ici, elle ne pouvait rien faire. Rebrousser chemin et se diriger à l’aveugle dans la station n’était pas la stratégie à suivre. Le bruit n’était pas localisable et rien ne disait qu’il ne s’arrêterait pas pendant leurs recherches. Elle devait faire confiance à ses hommes et espérer.
Elle fit signe à Garrus de continuer à pirater le laser. Jack n’avait pas bougé. Elle s’était simplement redressée et parcourait du regard les murs, comme si elle cherchait à deviner la provenance de ce bruit sourd. Sa physionomie était assez étrange. Voir de l’inquiétude dans ses traits n’était pas habituel. Pourtant Shepard la connaissait assez bien pour voir que la jeune femme était un peu… anxieuse. Mais, ne voulait pas s’attirer les foudres du Sujet Zéro si jamais elle se hasardait à lui faire remarquer cet état de fait, elle garda ses pensées pour elle. Toutefois, elle se nota ça dans un coin de sa tête. Jack serait-elle en train de s’humaniser ? Le phénomène était vraiment fascinant.
Garrus leur signala qu’il avait terminé et que le laser était désormais hors service. Bon, cela semblait un peu trop facile, mais ils n’allaient pas s’en plaindre.
Un cliquetis suivi de plusieurs autres semblables attira leur attention. Shepard avait pensé trop vite. Des Mechs venait de sortir d’elle ne savait où et firent feu sur le trio.
« A couvert ! »
Shepard commençait à manquer de clips thermiques et cela n’augurait rien de bon. Elle dû miser sur ses capacités en Sabotage pour débouter l’ennemi électronique. Ce pouvoir était finalement assez utile et elle ne le gardait pas que pour les Geths même si c’était son utilité première. Ce qui était assez pratique avec les Mechs, c’était qu’ils avançaient sans réfléchir. Ils tiraient tout azimuts, certes, mais il suffisait d’avoir un peu de jugeote pour s’en débarrasser. Et eux, au moins, avaient des clips thermiques sur eux. Shepard s’appliqua donc à affaiblir l’ennemi pour que Jack et Garrus les achèvent. Une fois le ménage fait, ils se répartirent le butin de la bataille. Les clips se faisaient rares aussi pour les deux autres même si Jack n’était pas fan des pistolets. Face aux monstruosités engendrées par Cerberus, elle n’avait pas eu le choix. Il fallait aussi qu’elle s’économise.
Ils arrivèrent enfin à destination. Un long couloir sans fenêtre, avec une luminosité qui diminuait au fur et à mesure de l’avancée vers la porte qui se présentait face à eux. L’Homme Trouble avait le sens de la mise en scène. Et du mélodramatique. Cela lui allait bien, lui qui était plutôt bon acteur et manipulateur comme c’était pas permis.
Ils avancèrent avec prudence. C’était là où le piège pouvait être le plus gros, le plus énorme. Le leader de Cerberus avait plusieurs atouts dans sa manche. Et devait savoir exploiter les moments phares d’une bataille. Et ils se trouvaient à un de ces moments.
Et pourtant… Rien.
Ils scannèrent le couloir plusieurs fois, plissèrent les yeux, tendirent l’oreille, lancèrent un leurre. Rien.
Pas d’ennemi les surprenant par derrière, pas de bombe, pas de piège. Rien. Un tapis rouge vers le cœur de Chronos.
Malgré la méfiance évidente dont elle faisait preuve, Shepard dut se résoudre à avancer. Ce n’était pas en restant plantés là qu’ils arriveraient à quelque chose. Ils resserrèrent la formation et avancèrent, arme au poing, les traits tirés, crispés, prêts à bondir en cas de danger.
Le verrou de la porte se révéla être ardu. Une sécurité à multiniveaux et Shepard n’avait pas les capacités pour l’ouvrir seule. Si EDI était là… Mais même la liaison avec le Normandy avait été coupée depuis qu’ils avaient pénétré dans la station. Elle s’imagina Joker en train de se bouffer les doigts avec Liara. Mais pour une fois, elle n’était pas responsable de cette situation. Elle secoua la tête.
« Garrus, il va me falloir un coup de main. » Le Turian abaissa son arme et lui vint en aide. A deux, ils iraient plus vite pour parvenir à pirater la clé de sécurité. Jack faisait le guet. On ne savait jamais.
Shepard laissa la place à Garrus qui s’en sortait mieux. Elle se sentait plus à l’aise en soutien. Elle pianota sur son Omnitool pour dériver le système de la porte. Le Turian s’échinait sur le clavier.
« Coriace. » commenta-t-il. Il faudrait prendre un peu plus de temps.
Du coin de l’œil, Shepard vit que Jack redressait la tête.
« Putain, ça recommence. » dit-elle en levant son regard. Shepard attendit. Le Sujet Zéro cherchait à localiser la source.
Il se passa un autre moment d’attente où seul les bruits du clavier malmené par Garrus se faisaient entendre.
Puis… un grondement. Là, c’était vraiment plus distinct. Shepard put même ressentir quelques vibrations. Ténues mais sensibles.
« C’est au-dessus… » C’était à peine un murmure qui s’était échappé des lèvres de Jack. Elle était toute crispée et Shepard sentit son malaise. Elle-même le ressentait. C’était comme si… Non… Une pensée horrible se forma dans son esprit. Sa hantise revint… Et si…
Et si Chronos était en train de se disloquer ? Et si tout ceci n’était destiné qu’à les perdre, que la station serait leur tombeau ?
Mais le grondement et les vibrations cessèrent. Garrus émit une petite exclamation de victoire. Il avait vaincu le verrou.
« Allons-y. » se contenta de dire Shepard. Elle avait vraiment hâte de se tirer d’ici.
Elle reconnut immédiatement la pièce. C’était celle qu’elle avait vu lors de ses transmissions avec l’Homme Trouble. L’énorme étoile qui brûlait derrière les vitres, l’écran de contrôle géant. La chaise aussi était là. Celle où le leader de Cerberus se tenait à chaque fois.
Il fallait faire vite. C’était ce que son instinct lui dictait. Elle se précipita vers le fauteuil et fit apparaître le clavier, rejetant toute prudence. Évidemment, tout n’était pas accessible. La priorité, pour le Commander, était de rétablir le contact avec le Normandy et surtout avec l’équipe Kaidan. Ce ne devait pas être impossible. La jeune femme se mit à pianoter avec frénésie. Elle n’était pas rompue aux techniques de piratage, mais elle maîtrisait certaines bases et avec chance, cela lui suffit. Le brouillage se leva.
« Kaidan ? »
Un grésillement se fit entendre. Elle réitéra l’appel. Rien, toujours un chuintement. « James ? » Jack s’approcha du fauteuil et échangea un regard avec elle. Inspirant profondément, Shepard reprit son calme et se mit sur la fréquence de Jacob. Merde.
« Putain ! L’boyscout ! » Le cri vindicatif de Jack fit sursauter les deux autres. Le Sujet Zéro fit les cent pas dans la pièce en maugréant. « T’es pas mort quand même ? »
Shepard en déglutit. Elle n’avait pas envie de penser à cette éventualité. Mais le silence…
« Normandy ? se hasarda-t-elle, vérifiant ainsi que ce n’était pas un problème du à son matériel.
— Shepard ? » Le soulagement était un bien piètre mot pour décrire ce qu’elle ressentit dans la voix de Joker.
« Vous allez bien ? » C’était Liara dont la voix tremblait légèrement.
« Peut aller, répondit le Commander abruptement. Est-ce que vous pouvez localiser Kaidan et son équipe ?
—Attendez… EDI met à jour les plans de la Station. » Shepard attendit. Les secondes semblèrent durer des minutes. Puis Liara confirma. Elle les avait trouvé.
« Il semblerait qu’ils soient en train de… Oh Déesse toute puisssante… »
Shepard déglutit. « Quoi ? » mais ce cri venait de Jack.
« L’Homme Trouble a réussi apparemment à reproduire la créature que vous avez combattu dans la base des Collecteurs, répondit EDI.
— Le… Le Reaper Humain ? »
Impossible. Il l’avait fait ! Le fou, l’irresponsable ! Il avait réussi à remettre sur pied ce qui leur avait donné tant de mal à abattre. Mais qu’est-ce qui lui avait pris ? A quoi cela lui servait-il, si on restait dans l’optique qu’il cherchait à contrôler les Reapers ?
Oh mais… L’idée la frappa. Il s’était servi de cet ersatz de Reaper pour tester le fruit de ses recherches sur l’endoctrinement ! Ce n’était qu’un de ses cobayes… Un cobaye de plus. Et maintenant qu’il avait sans doute réussi à mettre au point son système, il avait tout laissé en plan et s’était jeté dans la bataille.
« Comment peut-on les atteindre ? » demanda Shepard à EDI. L’intelligence artificielle lui envoya la mise à jour du plan et la localisation de Kaidan. Lui et son groupe se trouvaient donc à trois étages d’eux.
« Je n’arrive pas à les joindre, continua d’expliquer le Commander.
— Je vais tenter de mettre en connexion en manipulant votre signal », répondit EDI.
Shepard acquiesça puis se tourna vers les deux autres.
« Essayons de voir si nous ne pouvons pas récupérer des informations. Si l’Homme Trouble a laissé quelque chose derrière lui… »
Jakc haussa les épaules d’un air septique. Même Shepard n’y croyait pas trop.
« EDI, je vais te laisser pénétrer le système. Voit si tu peux en tirer quelque chose. »
L’Intelligence Artificielle l’informa qu’elle ne parvenait pas à joindre Kaidan ou les deux autres. Il y avait une anomalie sur leur fréquence.
Très bien. Le Commander se leva de la chaise. Il n’y avait pas grand-chose à faire qui était de son ressort. Elle fit signe à Garrus et Jack de la suivre. Il fallait à tout prix tirer Kaidan, James et Jacob des griffes de cette monstruosité. Ah… Qu’est-ce qu’elle avait horreur de devoir refaire les mêmes choses…