Beyond the Stars
Chapitre vingt
Parce que Kaidan était à bord, le Normandy n’eut pas à se résoudre à devoir s’arrimer à l’un des quais de Zackera. Non, elle put disposer d’un quai officiel de l’Alliance. Ce même quai d’où elle avait fui, des semaines auparavant. Des semaines qui paraissaient à présent être une éternité aux yeux de Shepard. Elle n’arrivait pas à croire qu’il n’y avait pas si longtemps que ça, finalement, elle croupissait dans une cellule du C-Sec, attendant son procès pour terrorisme. La liste de ses délits s’était un peu allongée depuis. Ce n’était pas pour rien que Kaidan la surveillait alors qu’ils remontaient en direction de l’élévateur principal.
Ils avaient rendez-vous avec Orinia dans le Présidium. Le Primarch était accompagné d’une simple escorte. Elle serait la première à parler. Tout Major qu’il était, Kaidan était bien moins influent qu’elle. De plus, elle maîtrisait bien mieux les subtilités politiques qu’eux tous.
Shepard savait qu’avoir un allié de cette puissance ne pouvait qu’être bénéfique. Au moins, leur parole aurait plus de poids. Toutefois, le Primarch prenait des risques en se mettant porte-parole de l’équipage du Normandy. Orinia disait vouloir combattre la corruption qui gangrénait la Hiérarchie Turienne. Que deviendrait son combat si elle se montrait au grand jour ainsi ?
Le Commander en avait déjà touché un mot au Primarch. Celle-ci avait balayé ses remarques d’un geste, argumentant que les temps qui courraient n’étaient plus au questionnement et aux doutes. Certes, l’idéal qu’elle cherchait à atteindre était important mais si les Reapers gagnaient, il n’y aurait plus rien à combattre, ni rien à défendre.
Que Shepard se concentre sur son combat avait finit par ajouter le Primarch d’un ton un peu rude. Jeff lui avait déjà fait la remarque, elle ne pouvait être partout, elle ne pouvait pas sauver tout le monde et parfois son idéalisme frisait la candeur. Mais il aimait ça chez elle, finissait-il toujours par dire avec un rire et un baiser sur la tempe.
Kaidan vissé à ses côtés, calquant son pas sur le sien, elle suivit Orinia vers le bureau d’Udina. Le Major entra le premier, plus par volonté de montrer qu’il était de retour de mission que par principe. Après tout, il n’était pas le valet de pied du Primarch.
Udina était assis à son bureau, l’air préoccupé et ce fut à peine s’il se leva pour saluer les nouveaux arrivants. Il n’était pas du genre à sauter au plafond, mais Shepard pensa qu’il aurait pu montrer un peu plus de… elle ne savait pas comment le décrire mais il aurait pu être un peu moins froid. Anderson aurait déjà demandé un débriefing immédiat juste après avoir salué les soldats. Mais Udina n’était pas rompu aux us et coutumes militaires. Voilà une des raisons pour lesquelles Shepard n’appréciait pas les politiciens. Aucun protocole d’usage et de relation entre les personnes.
Kaidan tapota son Omnitool, rappelant à Udina qu’il lui avait envoyé son rapport. Le Conseiller lui coupa la parole, arguant qu’il n’avait pas le temps de lire entièrement les palabres militaires et qu’il fallait aller droit au but. Le temps était compté. Là-dessus, Shepard était plutôt d’accord. Après, la manière de le dire manquait un peu de subtilités. Kaidan ne se laissa pas abattre et voulut répliquer mais ce fut au tour d’Orinia de prendre la parole.
« Conseiller Udina, avez-vous pris contact avec le reste du Conseil ? »
Le ton employé ne parut pas plaire au Conseiller terrien qui se renfrogna encore plus. Là, son antipathie envers les autres races était on ne pouvait plus visible. Shepard se demanda comment il parvenait à travailler avec des êtres qu’il ne pouvait pas sentir. Ce devait être difficile pour lui. En tout cas, le Commander n’avait aucune compassion pour lui.
« Les différents fronts contre les Reapers font qu’ils sont assez difficile à joindre. Ils n’ont pas attendu tranquillement le retour de votre petite escapade. Je pense que vous pouvez facilement deviner qu’il y a fort à faire ces temps-ci. »
Orinia ne se laissa pas démonter pour autant.
« Alors, joignez-les de nouveaux et demander leur un peu de temps de présence par visioconférence. Je ne pense pas que leur présence physique change quelque chose. »
Là encore, Udina ne sembla pas apprécier le ton. Shepard pu sentir à quel point la tension était palpable.
« Déjà essayé, juste avant que vous arriviez. Les communications sont mauvaises. Les Reapers rendent les connexions instables et nous souffrons d’un problème de réseau dans la Citadelle. Une histoire de piratage dont le C-SEC cherche l’auteur. Il est malheureux de constater à quel point certains déchets de la société cherchent à tirer profit d’une situation déjà bien difficile. »
Le soupir du Conseiller ébranla sa silhouette. Il paraissait vraiment lassé. Cela ne l’empêchait pas d’être toujours aussi arrogant.
« Bien, finit par abandonner le Primarch. Puisque nous n’avons pas d’autre alternative, je propose que le docteur Presalia explique rapidement ce que son prototype a permis d’apprendre. » Orinia pianota sur son Omnitool et fit apparaître Presalia qui avait prit le temps d’enregistrer un message. Le docteur avait les traits tirés. La fatigue se voyait de manière flagrante sur son visage. Mais son enthousiasme ne diminuait pas.
Udina s’appuya sur son bureau, croisant les bras. Rapidement, l’Asari se mit à faire le compte-rendu de ses observations et des analyses des résultats.
« Le mécanisme mit en place permet de court-circuiter les ondes émises par le Reaper. Ainsi, les créatures contrôlées retrouvent leurs capacités à penser par elles-mêmes. En gros, grâce à ce prototype, nous stoppons un temps certain, l’endoctrinement. Il semblerait que l’éloignement du Reaper et donc de l’engin ne change pas la situation. Nous pouvons ainsi faire en sorte que les Reapers perdent leurs troupes à terre. Quand à la destruction du Reaper, nous ne sommes pas encore en mesure de s’assurer de la réussite totale de l’entreprise. La structure d’un Reaper est telle qu’il faut la concentration d’un tir nourri de plusieurs flottes de vaisseaux.
— Le tir commun de plusieurs de mes vaisseaux n’est pas parvenu à venir à bout d’un type Harbinger, intervint Orinia. Il nous faudrait encore faire des recherches à ce sujet. »
Udina ne dit rien. Il passait sa main sous son menton, perdu dans ses pensées.
« Vous dites que cela influence les ondes émises par un Reaper ? Est-ce que cela a un impact sur ses pensées, ses agissements ?
— Le Reaper cible, après avoir stoppé ses tirs, a pris la fuite. Nous n’avons pas obtenu suffisamment de données pour savoir jusqu’où le prototype peut l’affecter lui-même.
— Hum… »
Shepard intervint à son tour. Il lui fallait exposer l’idée dont elle avait débattu avec Garrus.
« Il nous faudrait l’appui d’experts en technologies. La Flotille a-t-elle été localisée ? Avec votre petite mascarade sur Rannoch, avez-vous établi un contact avec les Quarians ? »
Udina ne répondit pas tout de suite.
« J’ai bien peur que vos amis Quarians ne se soient tout simplement retranchés dans les confins de la Galaxie. La Citadelle ne contrôle pas hélas toute la Voie Lactée. Les zones où ils peuvent se terrer sont nombreuses. Au moins, n’avons-nous pas le souci des Geths. Ils doivent sûrement être en train de régler leurs vieux comptes. »
Le Commander serra les poings à la tirade du Conseiller. L’entendre parler avec une telle indifférence et un tel mépris de la disparition d’une espèce entière était insupportable. Shepard savait que les Quarians avaient mauvaise presse. Responsable de la création des Geths, nomades, recycleurs, parfois accusés d’être de simples voleurs… C’était ne pas voir l’ingéniosité dont avait fait preuve tout un peuple chassé de sa planète natale. Lucy savait que son sentimentalisme était dû à son amitié avec Tali. Elle-même, des années plus tôt, était bien ignorante de la vie de la Flotille et ne basait son opinion que sur ce qu’elle avait entendu d’elle.
Udina ignora Shepard pour se tourner à nouveau vers Presalia. Il regarda l’Asari avec intensité. Sur ses traits, on pouvait deviner qu’il réfléchissait à quelque chose. Le frémissement de sa bouche indiquait qu’il cherchait ses mots. Comme tout bon politicien, il savait que ce qu’il disait avait un impact un poids et de son discours dépendait la réaction de ses interlocuteurs.
« Y aurait-il moyen de… je sais que c’est complètement fou mais… de faire en sorte que la modification des ondes du Reaper ait un impact sur le Reaper lui-même ? »
Il eut un froncement à peine perceptible sur le front d’Orinia. Elle demanda au Conseiller d’expliciter son propos. Il marqua une pause. Shepard savait que la suite ne lui plairait pas. Elle avait une certaine appréhension. Voir Udina peser ses mots de cette manière ne présageait rien de bon.
« Admettons que l’on puisse… modifier le signal des ondes cérébrales d’un Reaper… Ne pourrait-on pas retourner l’endoctrination contre lui ? »
Kaidan intervint, prudent dans ses choix de mots comme s’il redoutait de dire quelque chose. Cette même chose qui commençait à émerger dans le cerveau de Shepard. Cette réponse taboue… Cet interdit qu’Udina franchissait. Cette idée dangereuse…
« Vous voulez dire… contrôler les Reapers ? »
Ce fut Orinia qui n’eut pas peur des mots. C’était bien là un Turian. Et la phrase redoutée était tombée. Contrôler les Reapers… Cela sonnait comme… comme…
« Oui. » Udina se leva de son bureau, comme enfiévré. Il se mit à marcher en long et en large. « Si on arrive à cela… Contrôler les Reapers… les forcer à quitter la Galaxie… »
Les forcer à quitter la Galaxie… Shepard ne put s’empêcher de rire. Comme si celui qui parviendrait à contrôler cette force inébranlable allait se contenter de cela. Udina les prenait vraiment pour des cons.
« Vous pensez franchement que nous allons croire que votre idée est aussi désintéressée ? » l’apostropha-t-elle, ce qui le fit stopper net et se tourner vers elle.
« Voyons, Conseiller… Prendre le contrôle des Reapers, si on considère que c’est possible, c’est devenir quasiment invincible. Qui ne serait pas tenter d’en faire une armée personnelle ? »
Sa tirade fit monter la tension d’un coup et Shepard pu voit le frisson qui parcouru ses compagnons. Même Kaidan avait changé de posture. Il s’était redressé, sur le qui-vive. La conversation devenait délicate. Un faux pas et tout pouvait déraper. Orinia était aussi sur ses gardes. Elle connaissait sans doute la réputation d’Udina. Et son discours était tout à fait raccord avec ce que l’on racontait sur lui. En fait, cela n’étonnait qu’à moitié Shepard qu’il émette l’hypothèse de pouvoir contrôler les Reapers. Mais cette idée était complètement dingue. Contrôler les Reapers ? Quelle blague. Rien que de s’imaginer que cela soit possible, cela fichait la chair de poule.
« Hum… Je vous reconnais bien là, Shepard. Toujours à faire des raccourcis simplistes. » Le Commander ne détourna pas le regard quand les yeux froids du Conseiller se rivèrent sur les siens.
« Toujours à voir les choses du mauvais côté… »
L’homme soupira profondément, théâtralement, comme pour souligner la simplicité d’esprit de celle qui avait osé dire qu’il avait eu là une idée dangereuse.
« Imaginez… Une telle puissance aux mains du Conseil. Une force de dissuasion efficace. Que de conflits étouffés dans l’œuf, les populations rassurées de savoir que rien ne peut troubler leur quiétude… »
Un tel discours… Un tel discours… Elle l’avait déjà entendu dans la bouche de quelqu’un d’autre. Dans la bouche d’un être dangereux. Même prononcées par un Conseiller, cela restait dangereux.
Ce discours, cette « utopie »… C’était le fameux discours de l’Homme Trouble. Elle se souvint combien il avait émis le souhait de posséder la base des Collecteurs. Il avait eu aussi l’arrogance de penser pouvoir comprendre la technologie de l’ennemi pour mieux la contrôler. Mais Shepard avait refusé de laisser une telle arme aux mains d’un seul être.
Tout comme elle se refuserait à laisser entendre que quelques individus, tout légitimes qu’ils puissent être, avoir le pouvoir de contrôler la puissance la plus absolue de la Galaxie.
« Vous n’y pensez pas. » continua-t-elle calmement. « Vous avez bien conscience des dérives que cela pourrait engendrer. Vous parlez comme Cerberus. »
La tension monta encore d’un cran. Shepard vit Orinia esquisser un geste dans sa direction, comme pour lui dire de se taire, mais elle n’en avait rien à faire. Elle n’aimait pas le discours d’Udina. Comme s’il cachait quelque chose. Mais il en avait désormais trop dit pour qu’elle lui foute la paix. Elle avait senti quelque chose et ses tripes se trompaient rarement.
Le rire d’Udina ne dit rien qui ne vaille. Il fit le tour de son bureau à pas mesurés.
« Shepard… Vous autres militaires pensez de façon si simple… Comment pouvez-vous me comparer, comparer le Conseil, à ce ramassis de terroristes ? »
Il eut encore un rire un peu fou. « Ah… Bien sûr qu’une telle arme entre les mains de n’importe qui serait une réelle menace. Mais pas si on l’utilise à bon escient… »
Non, Shepard n’aimait pas ces paroles. Elles étaient trop radicales… Trop dangereuses. Elle pouvait imaginer les pires scénarii. Udina avait beau dire qu’elle était simple d’esprit, elle connaissait les grandes lignes de l’Histoire humaine. Et nombres de situations similaires de par le passé prouvaient bien qu’une arme aussi puissante, aux mains de n’importe qui, même le plus honnête des Hommes, était une menace, une source de conflits qui avaient parfois amené l’humanité au bord de l’autodestruction.
Elle ne se gêna pas pour le faire remarquer à voix haute. Et tandis qu’elle parlait, elle sentit Kaidan s’approcher doucement d’elle. Qu’est-ce qu’il foutait celui là ?
Orinia tenta d’apaiser la discussion.
« Ne prenons pas de décisions hâtives. Nous ne sommes qu’à faire des suppositions. Il est fort à penser que le Conseil, réuni de façon plénière – à ces mots, la Turianne regarda intensément Udina – saura prendre la bonne décision quand le moment sera venu. »
Personne ne répondit. Le Commander savait que le Primarch avait raison. Ce n’était pas la peine d’envenimer les choses. Elle avait toutefois été soulagée de dire sa façon de penser. Au moins, Udina était prévenu. Conseil ou pas, si la décision d’orienter les recherches de Presalia vers un contrôle des Reapers se faisait, elle ne laisserait pas faire. Son but était de détruire la menace. L’éradiquer. Elle ne voulait pas savoir ces monstres encore là. De plus, personne ne pouvait prédire si un jour, ils ne seraient pas capable d’échapper au contrôle exercé sur eux.
C’était jouer avec le feu. Un bon ennemi était un ennemi mort. Surtout celui-là. Ah, pourquoi fallait-il que certains cherchent à s’approprier quelque chose qui les dépassaient ? C’était à se demander s’ils voyaient plus loin que le bout de leur nez et de leurs intérêts personnels.
« Soyez assuré, Primarch, que le Conseil saura prendre la bonne décision. Je pense que nous n’avons plus qu’à attendre que mes collègues nous contactent. Maintenant, si vous le permettez, j’aimerais m’entretenir avec le Commander Shepard et le Major Alenko. »
Orinia n’eut pas d’autre choix que d’acquiescer. Elle prit congé,non sans un dernier regard méfiant.
La porte se referma derrière elles. Le Commander croisa les bras. Coincée entre Udina et Kaidan… Cela n’était pas du tout de son goût.
« Je préfère quand même que les choses soient claires » attaqua la jeune femme qui n’avait pas pu s’en empêcher.
« Comme si vous étiez en position d’exiger quelque chose », ricana Udina.
Il fallait le concéder, ce dernier n’avait pas tord. Il fallait vraiment espérer que le Conseil se range à un avis plus sage et pour une fois, elle avait confiance en eux. Et surtout, elle savait que les trois autres étaient beaucoup plus timorés que leur homologue humain. Il fallait qu’elle s’en assure.
« Je ne pense pas que les autres vous suivent sur ce coup-là, Conseiller. En tout cas, je pense que nous aurons les arguments pour les convaincre que seule la destruction des Reapers est la meilleure solution pour la stabilité de la Galaxie.
— Comme si vous en saviez quelque chose.
— Moi, peut-être pas. Mais le Primarch Orinia possède un certain poids politique, non ? » riposta le Commander en croisant les bras.
« Et si cela ne suffit pas, j’ai quelques contact chez les Salarians qui peuvent aussi jouer. » Même si Kirrahe n’était sans doute pas le mieux placé, elle voulait simplement faire peur à Udina. Elle était en position délicate, seule entre deux personnes qui ne la portaient pas dans leur cœur.
Le Conseiller secoua à nouveau la tête.
« Ah… Shepard… »
Le ton employé n’était pas très rassurant.
« Je savais bien qu’il aurait fallu me débarrasser de vous, il y a un moment. »
La phrase résonna de manière grotesque dans la pièce. Mais personne n’eut le cœur à rire d’un tel usage de clichés. L’arme pointée vers Shepard réduisait à néant toute tentative de plaisanterie. De dialogue tout court, d’ailleurs. A vrai dire, le Commander ne parut pas surpris. Toutefois, cela ressemblait vraiment à une farce. Ou un mauvais film.
« Conseiller… »
Ce fut Kaidan qui se risqua à briser le silence.
« Je crois que votre geste n’est pas du tout approprié. »
Sans rire.
Le Major essayait visiblement de calmer la situation en mettant en évidence que cela ne devait pas du tout se passer ainsi. Qu’est-ce qui pouvait bien passer dans la tête d’Udina ? Il avait perdu l’esprit ?
Apparemment pas, au vu de la grimace qui déformait son visage. Une haine froide mais visible sur ses traits.
« Vous êtes un sacré petite fouilleuse de merde, Shepard. Combien de fois ai-je souhaité que Sanders vous réduise en bouillie… »
Sanders ? Alan Sanders ? Le fou-furieux que Cerberus avait lancé sur les traces de Shepard ? Comment se pouvait-il qu’Udina sache qu… Non… C’était trop énorme pour être vrai.
« Malgré votre appartenance à l’Alliance, vous n’agissez pas franchement par loyauté envers l’Humanité. Trop conciliante, trop gentillette… Trop dangereuse… » continua Udina sans tenir compte de la surprise qui se lisait sur le visage du Commander.
« Vous mettre à l’écart n’a pas suffit. Il a fallu que vous continuiez à vous mêler de quelque chose qui vous dépasse totalement. Je sais bien que l’Amiral Hackett vous couvre, mais malheureusement je n’ai aucun pouvoir sur l’Alliance. Ces foutus militaires savent très bien se méfier des politiques. Heureusement, – Udina désigna du menton le Major – certains savent où se situent la loyauté et en sont largement récompensés. »
Maintenant, Shepard attendait. Elle ne voulait pas parler, très attentive à ce qui sortait de la bouche du Conseiller. Le cheminement de ses pensées avait fini par se faire et elle voulait qu’Udina confirme ce qu’elle commençait à comprendre. Elle attendait le faux pas. Derrière elle, presque collé à son dos, elle entendait la respiration de Kaidan ralentir. Il ne voulait rien rater non plus. Sans doute prêt à la mettre au sol si elle venait à attaquer Udina de front.
« Mais comme vous pouvez être obtus, vous la piétaille. Vous ne pensez qu’à détruire tout ce que l’on vous désigne pour cible sans penser aux conséquences. Imaginez, pouvoir contrôler l’ennemi… Mais quelle puissance s’offrant à nous !
Je vous suis bien évidemment reconnaissant pour avoir permis à l’Humanité de se doter d’un Conseiller. Il est vrai que sans votre petite croisade contre Saren, nous n’en serions pas là… Malgré cela, malgré tout, les Humains ne sont pas encore assez considérés ! Nous n’effrayons pas ! Nous n’inspirons pas le respect ! Nous ne sommes considérés que comme insignifiants. Malgré tout ce que nous avons accompli depuis que nous avons rejoint la Citadelle ! »
Son arme toujours pointée vers la jeune femme, Udina se laissait emporter par son discours. Un discours déjà entendu, celui de Terra Firma, celui de Cerberus. Est-ce que Kaidan cautionnait un tel propos ?
« Alors que si nous possédons la puissance infinie des Reapers, jamais l’humanité ne sera mise au rebut des espèces galactiques. Nous seront enfin pris au sérieux ! »
Là, le Conseiller avait perdu toute réserve et prudence. Il dévoilait son jeu. Son réel but. Comment croire qu’il voulait doter le Conseil de l’arme absolue ? Non, il voulait la posséder pour lui seul. Même revendiquer le fait de porter l’humanité aux nues n’était qu’un prétexte.
Ah qu’elle détestait les politiciens.
Udina bien plus que les autres. Elle la voyait se dévoiler devant ses yeux, la folie, la soif de pouvoir qui corrompait ceux qui tenaient les ficelles, grisés par leur position de domination.
« Mais vous ! » repartit Udina en pointant son arme sur Shepard. « Vous et vos petits amis, vos idéalistes aveugles, vous ne faites qu’empêcher notre ascension. »
Le Commander humidifia ses lèvres et déglutit. Elle finit par couper court à la tirade insensée d’Udina.
« Vous avez perdu l’esprit, Conseiller. Si vous croyez que vous avez toute latitude pour…
— Fermez-là, Shepard ou je vous descends pour de bon. Je n’ai pas spécialement envie de vous tuer mais si vous ne la bouclez pas, je peux tout aussi bien changer d’avis. »
Eliminer un soldat de l’Alliance n’allait pas avoir de lourdes conséquences pour Udina, mais elle vit là qu’il était prudent… Toutefois, il fallait bien qu’il élimine les témoins. Elle comprit ce qui allait suivre. Elle allait se faire descendre malgré tout et le Conseiller trouverait bien un moyen pour que Kaidan ferme sa gueule. Sans doute le propulser encore plus haut dans l’Alliance à coup de dessous de table.
« Major Kaidan… Vous allez pouvoir enfin mettre en cellule le Commander Shepard. Nous n’avons plus besoin d’elle. Je vous nomme responsable du Normandy. Continuez à tout mettre en œuvre pour que l’on puisse trouver un moyen de contrôler l’ennemi.»
Allons bon, Udina n’était pas aussi inconscient.
Toutefois, elle n’avait pas eu la confirmation de ce qu’elle voulait entendre. Maintenant qu’il avait lâché le nom de Sanders, elle était décidée à tirer cela au clair. Tant pis, elle n’allait pas le laisser s’en sortir comme ça. C’était trop énorme.
« Vous êtes bien conscient que vos paroles vous mettent dans une position délicate, Conseiller. »
Ce dernier eut un rire guttural.
« Et comment, je vous prie ? Vous croyez quoi ? Que le Major Alenko va se ranger à vos côtés pour vos beaux yeux ? Non, lui sait où se trouve l’intérêt de l’Humanité. Il n’est pas à frayer avec des pseudo-alliés qui n’hésiteront pas à nous poignarder dans le dos dès qu’ils en auront l’occasion. »
Shepard tenta sa chance.
« Qu’est-ce qui vous dit que vos alliés à vous ne vont pas chercher à se débarrasser de vous quand vous leur deviendrez inutile ? »
Le Conseiller prit un air offusqué.
« Shepard, ne compliquez pas la situation. »
Tiens, Kaidan s’était réveillé. Il avait pris son bras pour appuyer son propos. La jeune femme le repoussa. « Attendez, Kaidan. J’ai bien le droit de me défendre, non ? Je pense que le Conseiller Udina ne dit pas tout. »
Elle s’avança vers l’homme, faisant abstraction de l’arme qui était toujours pointée vers elle.
« Combien avez-vous payé Cerberus pour m’éliminer ?
— Shepard ! s’offusqua Kaidan. C’est de la diffamation ! Vous ne pouvez pas… »
Elle leva le bras pour le faire taire. Au point où elle était. La demi-seconde de trouble dans le regard d’Udina lui indiqua qu’elle avait touché un point sensible. Il ne lui fallait qu’encore un peu d’audace pour le faire tomber. Mais se risquerait-il à tout dévoiler devant Kaidan ?
« Quand on ne peut réussir à faire tomber quelqu’un par les circuits officiels, on est bien réduit à frayer avec les gens peu recommandables. Je sais que c’est vous qui avez propulsé Kaidan au rang de Spectre pour tenter de me trouver, profitant de son ressenti envers moi. Mais cela n’a pas suffit. Il vous fallait trouver quelqu’un qui ait des moyens que vous n’avez pas. L’Alliance me protégeait et vous ne pouviez rien y faire. Alors vous avez demandé à quelqu’un qui avait les moyens et qui avait une féroce envie de m’éliminer de faire le sale boulot pour vous. Un petit paquet de crédits, la discrétion assurée et aucun soupçon à votre égard. »
Udina ricana grotesquement.
« Si ce n’était qu’une question d’argent… »
Le rictus devint une grimace affreuse, défigurant le visage du Conseiller. Allons bon, le désir de prouver à Shepard qu’elle n’était qu’une petite mouche insignifiante était plus fort que tout. Heureusement pour le Commander, le Conseiller avait un égo surdimensionné.
« Mais vous êtes si difficile à éliminer, vous savez ? Vous vous raccrochez tellement à votre petite vie de soldat, si simple… Je ne pouvais pas faire appel à de simples mercenaires… Vous êtes malheureusement très efficace dans votre domaine.
— Je suis le premier Spectre humain, au cas où vous ne vous en rappelez pas…
— Je le sais que trop bien. Si seulement, vous étiez plus coopérative, moins tête brûlée. Juste plus obéissante… Vous ne seriez pas dans cette situation. »
Shepard croisa les bras et inclina la tête. Son manque de discipline avait permis de mettre en lumière le rôle des Collecteurs dans les enlèvements d’Humains, de dévoiler l’ennemi véritable : les Reapers. Même si elle avait dû passer pour une illuminée, cela avait fini par payer. Même si les politiques ne voulaient pas l’écouter, elle continuait de se battre à sa manière. Et maintenant, elle mettait en évidence la corruption d’Udina et le fait qu’un Conseiller fraye avec une bande de terroristes dangereux avait de quoi ébranler l’équilibre de la Citadelle. Sans parler de la réputation des Humains. Cela n’allait franchement pas jouer en sa faveur.
Kaidan ne disait rien depuis le début de l’échange et Shepard commençait à trouver cela vraiment étrange. Il était impossible qu’il puisse adhérer à la stratégie d’Udina. En tant que Spectre, il pouvait intervenir. Mais le voulait-il vraiment ? Jouait-il le jeu d’Udina pour la mettre hors course, quitte à se corrompre ? Non, Kaidan ne pouvait pas être comme cela. Elle se rappelait de leur dispute sur Horizon quand il lui reprochait d’avoir travaillé pour Cerberus. Qu’attendait-il donc ?
« Je n’ose croire que vous avez vendu votre âme pour m’avoir. »
Udina se mit à rire. Un rire de dément.
« Oh… Vous n’avez pas idée. Que vous êtes naïve… A se demander comment vous êtes parvenue à vous hisser dans la hiérarchie militaire.
— Au moins, j’ai gardé mon intégrité. Je suis droite dans mes bottes. »
Le Conseiller soupira. « Tout blanc ou tout noir, hein ? C’est pourtant vous qui avez travaillé avec Cerberus, fut un temps. Et c’est cette même organisation qui vous a remise sur pied ? Hum… Et vous pensez que ce sont les méchants de l’histoire ? »
Bien sûr que non, tout n’était pas manichéen. Mais Cerberus… Shepard ne pouvait approuver leurs méthodes. Même si leurs intentions étaient fondées sur quelque chose de louable, ce n’était pas comme ça qu’il fallait faire.
« Depuis que je sais que leur leader est endoctriné, oui, ce sont aussi les méchants. »
La surprise qui se lut sur le visage d’Udina n’était pas feinte. Ainsi, il ne savait pas que les hommes de main qu’il avait engagés étaient sous l’influence des Reapers.
« Rien que ça… Je serais bien curieux de savoir comment vous en êtes venue à cette conclusion…
— Vous me croyez aussi stupide ?
— Allons, vous n’allez pas faire de la rétention d’informations dans votre position… C’est le Conseiller qui vous le demande…
— Je n’avais pas déjà confiance en vous, mais après tout ce que vous avez dit, c’est encore moins le cas.
— Vous ne connaissez pas l’expression « la fin justifie les moyens » ? C’est pourtant une de vos façons de faire, non ? »
Qu’est-ce qu’il pouvait l’énerver ! Mais à un point ! Malgré tout, elle ne pouvait pas nier qu’il y avait une part de vérité dans ce qu’il avait dit. Pourtant, Udina ne pouvait pas s’en sortir… Ce serait laisser cet être corrompu dans l’organe le plus important du Conseil.
« C’est quand même étrange que vous n’accordiez pas plus de crédit au Spectre que vous avez demandé à introniser, continua-t-elle d’attaquer. Le Major Alenko ne suffisait pas ? »
Elle put sentit Kaidan se raidir… Mais Udina n’allait pas se laisser avoir et perdre son seul allié dans cette pièce.
« J’ai beaucoup de moyens. Et mettre plusieurs limiers sur votre piste n’était pas cher payer. Et puis, il fallait bien agir de manière « officielle ». Vous discréditer. Mais finalement, leur échec s’est plutôt révélé payant. Grâce à vos et vos petits amis, je vais pouvoir réaliser l’impossible. Quelque chose que même Cerberus n’avait pas réussi à obtenir malgré tous les moyens qu’ils avaient à leur disposition. »
Le Conseiller regarda l’air stupéfait de Shepard qui fronça les sourcils, cherchant à comprendre ce qui se cachait dans ces paroles, à lire entre les lignes.
« Oui… C’est moi qui ai financé une partie des recherches de Cerberus sur les Reapers… »
Quoi ?
Udina continua son petit speech. Il garda cependant l’esprit de pointer son arme aussi bien sur elle que sur Kaidan.
« Qui d’autre que cette organisation agissait contre les Reapers ? Enfin, pour tenter de comprendre la nature de l’ennemi. C’était le seul moyen pour moi de pouvoir agir. Personne ne misait sur vos mots, Shepard, personne. Moi, j’y ai cru. Tout comme j’ai cru l’Homme Trouble quand j’ai pris contact avec lui. Il avait, disait-il, les moyens de percer les secrets de l’ennemi. Les moyens de pouvoir les contrôler. Travaillant avec eux, vous n’étiez plus une menace et j’ai pu ainsi alimenter leurs fonds de recherches pour qu’ils continuent leurs expérimentations. Peu m’importait les moyens employés, je voulais des résultats…Peu importait combien cela me coûterait, enfin combien d’argent il me faudrait détourner encore… »
Alors, voilà comment Cerberus parvenait à réunir autant de crédits. Udina détournait l’argent public pour approvisionner les terroristes. Voilà ce qui expliquait leur puissance armée. Shepard n’en croyait pas ses oreilles… Udina était donc allé jusque là pour poursuivre son but. Pour contrôler les Reapers ? Et tout ça, sans se préoccuper des conséquences ? C’était là le discours d’un fou.
« Vous avez perdu l’esprit…
— Non… j’ai toujours agi pour le bien de l’Humanité. Pour ne pas nous voir être à la botte de ces autres espèces qui nous méprisent et nous considèrent comme faibles et inutiles.
— Comment pouvez-vous justifier vos actes ? Vous avez permis à Cerberus de devenir une organisation si puissante qu’elle en est devenue incontrôlable ! Combien d’innocents massacrés à cause d’eux et de leurs méthodes ?
— Combien de vies sauvées grâce à ces sacrifices ! Vous ne voyez que par le petit bout de la lorgnette. Toujours obtuse…
— L’Homme Trouble est sous influence des Reapers, vous ne pensez pas que votre brillante idée va finir par se retourner contre vous ? Que vous n’êtes que le pantin de l’ennemi ? Qui sait à quel point l’endoctrinement est profond ?
— Maintenant, grâce au petit jouet du docteur Presalia, ce ne sera plus un problème, n’est-ce pas ? Alors, vous allez dire au-revoir maintenant que votre utilité inattendue a porté ses fruits. »
Il marqua une pause.
« Même vous garder en vie est inutile. »
Le fusil dévia sur Shepard qui retint son souffle. Le tir résonna dans ses oreilles mais aucune douleur ne vint. Pas de brûlure mordante. Rien. Juste le souffle erratique de Kaidan qui troublait le silence de la pièce.
Et sur le sol, Udina qui se tordait de douleur. Kaidan avait fini par sortir de sa léthargie et avait tiré avant que le Conseiller ne descende le Commander. Il lui aura fallu le temps. Chose que Shepard fit remarquer à voix haute.
« Il fallait qu’il sorte le grand jeu », expliqua le Major qui sortit une paire de menottes magnétiques qu’il utilisa sur Udina. « Des semaines que je cherche le moindre faux pas de sa part. Et voilà enfin ma patience récompensée. »
A ces mots, Shepard resta coite. Quand à Udina, son visage était déformé par la rage.
« Alenko… Salopard…»
Mais il ne put en dire plus, la douleur était trop forte.
« Je suis vraiment désolé pour tout ce qu’il s’est passé, Shepard. » enchaîna le Major avec un sourire contrit.
Pour tout ce qu’il s’était passé ?
Elle devait vraiment faire une tête surprise car Kaidan se permit de rire.
« Je vous expliquerai ça quand nous aurons mis celui-là au frais. » Il força Udina à se lever et le poussa devant lui. Ce dernier protesta. Dit que cela allait se payer.
«Bien sûr.» Répondit Kaidan avec ironie.
Il fallut un moment pour que Shepard arrive à les suivre. Kaidan pianota sur son Omnitool et il ne fallut que quelques instants pour que des soldats de l’Alliance arrivent, cachent la tête de l’ancien Conseiller et escortent Kaidan qui maintenait fermement le prisonnier devant lui.
Shepard suivait le petit groupe sans mot dire. Tout ce qu’elle avait pensé être quelque chose de fondé, de certain venait de s’effondrer. Comment avait-elle pu ne rien voir venir ? Elle avait été tant aveuglement pour son ressentiment qu’elle n’avait pas compris que Kaidan était de son côté, enfin, pas contre elle ? Elle ne savait même pas si elle était soulagée de voir finalement la vérité éclater ou si elle était en colère contre sa stupidité.
Ils atteignirent les quartiers de l’Alliance. Mais Kaidan ne fit pas arrêter le convoi ici, il prit la direction du C-Sec. C’était plus prudent. Shepard pouvait comprendre qu’au vu de l’influence politique d’Udina, le mettre aux mains d’un groupe entièrement humain n’était pas très sécurisant. Le C-Sec était au service de la Citadelle, ce qui lui conférait une certaine neutralité.
Kaidan lui fit signe d’attendre et elle était bien trop éberluée pour riposter. Elle s’assit sur un banc et patienta. Penser à ce qui venait de se produire lui fila la migraine et elle porta la main à sa tête. Cette dernière commença à tourner et elle sentit la bile lui remonter dans la gorge. Ce n’était pas bon. Elle était à peine remise sur pieds et cela était sans doute le contrecoup des derniers événements. Tant pis. Elle s’étendit sur le banc. Et perdit connaissance.
Quand elle se réveilla, elle était de nouveau dans l’infirmerie du Normandy. Son estomac se révoltait. Elle pencha la tête et vomit sans réserve.
« Hé bien, Commander ! » s’exclama le Docteur Chakwas avant de soupirer et de nettoyer le désordre.
« Désolée, murmura pitoyablement Shepard.
— Ce n’est rien. Voilà ce qui arrive quand on file sans prendre le temps de se reposer raisonnablement. Vous avez affronté un Reaper et vous avez été menacée par un ancien Conseiller qui vous aurait tuée si Kaidan n’avait pas tiré avant. Je pense qu’il y a de quoi être un peu secouée. »
Le Commander ne répondit pas. De quoi être secouée ? Elle ne s’était pas sentie aussi faible depuis longtemps. Là, elle avait la nausée et sa tête la lançait. Elle aurait dû se douter que le combat contre le Reaper ne la laisserait pas indemne. Elle espérait que cela ne durerait pas longtemps. Avec les derniers événements, il y avait beaucoup de choses à accomplir. Ainsi qu’à mettre au clair.
« Kaidan est dans le coin ? »
Le docteur hocha la tête. Première chose entre toute, Shepard voulait le fin mot de l’histoire. Qu’est-ce Kaidan avait fait, pourquoi ? Elle avait compris que son but avait été de coincer Udina. Mais depuis quand le soupçonnait-il ?
Il ne fallut que quelques minutes pour que le Major fasse son entrée et étrangement, la jeune femme n’était pas mécontente de le voir. Elle n’avait rien non plus contre le fait de lui parler. Bien au contraire.
« Avant que vous ne m’assailliez de questions, je tiens juste à renouveler mes excuses. Je sais que vous avez beaucoup souffert de la situation dans laquelle j’ai dû vous mettre. Mais sachez que cela était nécessaire. »
Avoir été manipulée, utilisée n’était pas du tout au goût de Shepard et elle aurait bien quelques mots à lui dire, mais elle se contenta de hausser les épaules en attendant la suite.
« Cela fait un moment que je soupçonne Udina d’avoir des contacts amicaux avec Cerberus », commença le Major, en s’asseyant sur un siège qui trainait là.
« Cela a commencé lorsque je suis tombé sur une base de Cerberus lors d’une de mes missions officielles pour l’Alliance. Je trouvais que pour une organisation de marginaux terroristes, ils étaient sacrément avancés technologiquement et possédaient beaucoup d’unités de combat. J’ai commencé à fureter de manière officieuse et suis remonté sur la piste d’Udina. Mais je n’avais pas de preuve, juste quelques soupçons. Il me fallait me rapprocher d’Udina, adhérer à ses propos, me faire remarquer par lui.
— Et tenter de devenir Spectre ?
— Oui. En fait, je n’en espérais pas tant, mais être Spectre donne pas mal de pouvoir, vous en savez quelque chose. Ainsi, j’ai pu élargir mon champ d’informateurs ainsi que me faire quelques alliés. Si Udina était corrompu, alors il y avait de fortes chances qu’une partie de l’Ambassade humaine le soit aussi. J’ai placé petit à petit des hommes de confiance. Quand vous êtes revenue, je me suis mis à enquêter sur les mouvements financiers de Cerberus. Ca n’a pas été facile… J’ai failli me faire prendre. Alors j’ai continué à enquêter sur ceux d’Udina qui, ma foi, est tellement imbu de lui-même qu’il ne se protégeait pas assez bien pour moi. Tout en continuant à me rapprocher de lui, je pénétrais de plus en plus dans son jardin secret.
— Mais pas assez pour le faire tomber.
— Hélas, non. Anderson a fini par être mis de côté et je sentais que les choses n’allaient pas se dérouler de la meilleure des façons. Je… J’ai joué le jeu d’Udina… »
Kaidan marqua une pause. Son regard était fuyant. Ce qui fit instinctivement raidir les muscles de Shepard. Elle se doutait bien qu’il allait se confondre en excuses. De là à ce qu’elle les accepte… Tout dépendrait de ce qu’il dirait.
« Je sais que je n’ai pas été très juste avec vous quand nous nous sommes revus sur Horizon… Je… Je me suis laissé emporté par mes sentiments… je vous en voulais… Je sais que je n’aurais pas du… J’ai beaucoup réfléchi… Je… Je sais que cela n’a pas dû être facile pour vous… Revenir… Quand j’ai commencé à creuser autour de Cerberus, j’ai commencé à comprendre… Que vous n’aviez rien demandé. »
Shepard l’interrompit. Il n’allait pas lui ressasser les mêmes choses. Elle n’était pas là pour entendre ses simagrées. Elle voulait savoir l’histoire. Encore un peu et il allait lui dire qu’il l’aimait encore ! Et ça, elle n’avait vraiment pas envie de l’entendre.
« On ne va pas revenir là-dessus. Ce qui est dit est dit. Ensuite ? »
Kaidan leva la tête, surpris. Elle vit de la déception dans son regard, mais elle ne voulut pas s’apitoyer sur lui. Qu’il crache le morceau, bon sang ! Elle retrouva Kaidan tel qu’elle l’avait connu. Finalement, elle ne savait pas si elle préférait quand il se comportait en véritable salaud.
« J’ai utilisé ma rancœur pour obéir à Udina. J’ai vraiment exagéré les choses, mais jamais il n’a soupçonné que ce n’était que pour mieux l’approcher. Udina vous désignait comme la cible à abattre, bien trop dangereuse. Vous avez quand même détruit un système planétaire ! Je sais que vous n’avez pas eu le choix, ajouta précipitamment le Major, sentant qu’elle allait l’interrompre encore une fois. Finalement, cela a été simple. Je voulais vraiment vous dire que cela n’a pas été de gaieté de cœur que de vous trainer dans la boue ainsi. Vous devez m’en vouloir et vous ne pouvez qu’en avoir le droit. Sachez tout de même que je démentirais moi-même tout ce qui a été dit contre vous, que j’expliquerais, une fois le sort d’Udina réglé par le Conseil, ce pourquoi j’ai agi ainsi. Je sais que c’est difficile à accepter, mais c’était vraiment pour la bonne cause. »
Bien sûr qu’elle avait compris que c’était pour la bonne cause, comme il le disait si bien. Mais elle avait évidemment du mal à le digérer. Toutes ces semaines à se terrer, à entendre les pires horreurs sur elle et son équipe, à se faire traiter de lâche… Elle avait envie de lui envoyer son poing dans la figure.
Maintenant qu’elle avait compris combien elle s’était faite berné par Kaidan, elle ne tenait plus tellement à rester dans la même pièce que lui. Elle avait besoin d’air. Elle resta un moment silencieuse, espérant que son vis-à-vis comprendrait que la conversation était terminée. Il finit par comprendre et se leva.
« Je vous en prie, acceptez mes excuses… » souffla-t-il avant de quitter l’infirmerie. Elle ne répondit pas.
Elle attendit qu’il s’éloigne, suivant sa silhouette du regard. Elle n’arrivait pas à se débarrasser de la boule de rage qui lui étreignait la gorge. L’infirmerie lui parut hostile.
« EDI. Je monte dans mes quartiers. Je ne veux pas être dérangée… Je vais… me reposer un peu.
— Bien, Shepard. Le Major Alenko prend-il le commandement ?
— Qu’il fasse ce qu’il veut, je m’en fous. »
Elle n’avait pas dit cela pour être désagréable avec l’IA. Sincèrement, elle se fichait bien de voir Kaidan jouer les petits chefs. Elle se leva péniblement et gagna l’élévateur. Se retrouver sur son lit allait peut-être lui permettre de voir les choses plus clairement. Pour l’instant, elle n’espérait qu’une chose. Dormir. Dormir et espérer que les choses se décantent à son réveil.
Elle dut dormir qu’une demi-heure à peine. Et encore, cela n’était pas vraiment un véritable sommeil. Elle avait gardé les yeux fermés mais tout tournait en boucle dans sa tête. Tout s’emmêlait. Et le repos n’était pas venu. Depuis Palaven, elle avait l’impression de ne rien contrôler. Que tout lui échappait. Elle n’avait rien compris. Comme si tout s’était passé sans qu’elle n’agisse. Et cela la faisait rager ! Elle avait envie de hurler, de tout fracasser. Comme… Comme quand elle avait perdu la tête. Elle se redressa, s’assit au bord de son lit. Elle passa sa main sur son visage, cherchant à retrouver ses esprits. La bataille contre le Reaper l’avait complètement bouleversée, en fait. C’était comme si son esprit avait subit un choc. Une sorte de viol mental.
Non…
Non… Elle ne devait pas y penser. Elle ne devait pas remettre cette hypothèse en avant. Le fait d’être… non… Et si le Reaper… Et si son esprit… Ces maux de tête… Ces nausées… Et si… son esprit était en train de devenir malade… ou pire… Endoctriné.
Elle se dirigea vers la salle de bain et s’aspergea le visage d’eau glacée. Elle savait ce qui allait se produire si elle continuait à délirer dans cette direction. Il ne fallait pas…
Elle eut un haut-le-cœur violent et vomit dans le lavabo. Elle devait se ressaisir. Ne pas céder à la folie.
Lucy voulait reprendre pied. Elle voulait… Elle voulait que Jeff soit là, qu’il lui dise que tout allait bien, qu’ils allaient y arriver, qu’il croyait en elle.
Mais il était en colère après elle. Elle le savait, il ne lui avait pas adressé la parole depuis la mission sur Menae. Depuis qu’elle avait arraché son oreillette pour ne pas entendre ses protestations. Elle avait bien fait, elle le savait mais… elle avait des remords.
Un ricanement monta dans sa gorge. Elle avait l’impression d’être dans la situation de Kaidan.
Elle essuya sa bouche, la rinça pour chasser le goût acide de la bile. Elle sortit, fit quelque pas en direction de son bureau avant de s’asseoir face à lui. Elle soupira. Elle leva la main en direction de l’interphone. Hésita. La reposa. Soupira de nouveau. Retenta une approche. Recula la main. Puis finit par se dire que merde, elle verrait bien s’il était décidé à lui faire la gueule pour le restant de leurs jours.
« EDI ? commença-t-elle dans un souffle.
— Oui, Shepard ? Que puis-je faire pour vous ?
— Est-ce que Joker est à bord ? demanda-t-elle timidement.
— Oui. Voulez vous qu’il monte dans vos quartiers ? »
Lucy hésita. Le faire venir, dit comme cela, ressemblait trop à… Elle ne savait pas comment le dire… Comme si elle faisait monter un gogo danseur. Cela la mettait mal à l’aise. Mais c’était hélas la seule solution pour le voir. Pour lui parler. S’excuser aussi. Beaucoup s’excuser.
« J’aimerais lui parler. »
D’abord lui demander de vive voix. Si EDI s’en chargeait, il allait se braquer. Elle avait fini par le connaître avec le temps.
Alors elle attendit. Patiemment. Elle n’avait pas le courage de l’affronter en face, peur de son refus. Alors elle se cachait derrière l’interphone, c’était beaucoup plus confortable. La poignée de secondes lui sembla être des heures. Et lorsqu’elle entendit sa voix, elle ne put s’empêcher d’être soulagée.
« Joker… Vous pourriez… monter me voir, s’il vous plaît ? »
Le silence qui suivit lui parut d’une longueur interminable.
« Je dois bien avoir cinq minutes à perdre. »
Ouch. Que cela s’annonçait mal. Mais c’était un mal nécessaire. Crever l’abcès. Elle ne supporterait pas cette situation bien longtemps. Elle avait besoin d’avoir l’esprit libre pour avancer. Elle avait su dès le départ qu’ils pouvaient se retrouver dans ce genre de situation. En désaccord. Qu’elle puisse être en danger et qu’il devait ne rien dire. Il fallait qu’il le comprenne, maintenant qu’ils avaient fait face à ce cas. Elle devait le lui rappeler.
Lucy ne savait même pas comment attendre. Fallait-il qu’elle reste à son bureau ? Trop formel. Elle se plaçait en situation de supérieur qui allait lui faire la leçon et là, ils étaient dans un cadre non-professionnel. Assise sur son lit ? Non. Trop provocateur. Mal interprétable. Elle venait juste de se décider à rester simplement debout devant l’immense aquarium qui prenait tout un mur de sa cabine quand le déverrouillage de la porte se fit entendre.
Bien sûr, son estomac se contracta et elle retint son souffle tandis qu’il fit un pas dans la pièce. Une scène qui lui parut dater de longtemps lui revint en mémoire, vivace. Quand il était venu la voir après la débâcle de Tuchanka. Quand il l’avait prise dans ses bras. Quand il l’avait embrassée.
Mais ce n’était qu’un souvenir et l’ambiance n’était pas du tout propice.
Premièrement, Jeff s’obstinait à regarder ses pieds. Fichue tête de mule. Borné. Buté. Elle ne retint pas le soupir qui s’échappa de sa bouche. Elle fit quelques pas vers lui.
« Je sais que tu es fâché. » Autant en finir rapidement. Elle vit un frémissement dans sa barbe et il leva les yeux vers elle, le regard furieux.
« Fâché ? Fâché ? répéta-t-il d’un ton cinglant. Je suis hors de moi, oui ! Tu n’as pas idée de ce que j’ai pu ressentir quand tu m’as coupé le sifflet ! Merde, Lucy ! Tu te rends compte de ce que tu as fait ! Foncer comme ça, sans soutien, sans backup et je n’avais même pas le droit de protester, ni de t’épauler. Tu m’as demandé de rester en arrière ! En arrière, Lucy ! Alors que tu as failli y passer toutes les deux secondes. Heureusement que Garrus et cette andouille de Kaidan se sont décidés à te suivre ! »
Jeff ne s’arrêtait plus et Lucy laissa passer la tempête de ses mots. Elle l’avait bien mérité. Elle savait aussi qu’il se soulageait. Ils pourraient ainsi parler plus posément ensuite.
« Et ce… Pas de Shepard sans Vakarian ? C’était quoi ce délire ? Fallait le dire si Garrus te plaisait plus que moi. Lui, au moins, tu ne lui dis pas de rester spectateur à trembler à chaque seconde de te voir mourir ! Lui, au moins, il peut te protéger. Et moi ? A entendre les cris de ces monstres autour de toi, du sifflement des lasers, je n’avais pas le droit de m’inquiéter ? Pourtant, qui est venu te sortir de là dès que l’occasion s’est présentée ? Et tout ce dont à quoi j’ai le droit c’est une tape sur l’épaule et un « bon boulot » ? Tu te fous de moi ? »
Elle finit par lever les bras pour avoir la parole. Il s’apprêtait à en rajouter mais se ravisa, ravalant sa salive. Il avait hâte de savoir ce qu’elle allait lui servir comme excuse. Il avait failli mourir de peur à plusieurs reprises, pendant qu’elle fonçait tête baissée vers un ennemi qu’elle ne pouvait abattre et il avait dû rester à son poste alors qu’il aurait très bien pu aller en renfort. Au plus près d’elle. Au moins, il ne serait pas senti inutile et… un poids mort à protéger.
« Je sais ce que tu vas dire ! continua-t-il pourtant, sans tenir compte de son geste. Des excuses ? Qu’est-ce que tu veux que ça me foute ? Je savais que notre position n’allait pas être facile, que l’on ne peut pas être ensemble au grand jour, mais ce n’est pas une raison pour me traiter comme ça ! Je n’ai pas besoin que tu me protèges… »
Mais elle ne voulait pas le perdre. Qu’y aurait-il à sauver dans cette galaxie, pourquoi se battrait-elle alors ? Elle murmura doucement ce qu’elle pensait.
« Tu n’es pas obligée de le faire toute seule, Lucy ! Arrête de tout vouloir porter sur ton dos, tu n’es pas le Messie. On est avec toi… Je suis avec toi, toujours. Je te l’ai déjà dit non ? »
Jeff semblait s’être quelque peu calmé. Finalement, gueuler un bon coup lui avait permis de se libérer. Voir Lucy réagir à peine, être complètement sonnée… Elle acceptait ce qu’il lui disait, il savait qu’elle s’y était attendue.
« Mais c’est mon devoir… »
Non, il ne pouvait pas supporter l’entendre dire ça. Son devoir, ce n’était pas aller se suicider sans réfléchir.
« Arrête ! Je ne veux pas t’entendre dire que tu es la seule à le faire. Tu as pensé aux autres ? Regarde, Garrus te suivrait en enfer, s’il le fallait. Je te suivrais en enfer, moi, si tu voulais bien que je le fasse pour toi.
— Je ne t’ai jamais demandé ça !
— Tu n’en as pas besoin. C’est ça, jusqu’où je serais prêt à aller pour toi, tu veux bien le comprendre ? Je suis avec toi dans ce combat, depuis le début, tu as oublié ? »
Il la saisit par les épaules, pour la secouer, qu’elle se réveille. Où était passé son inébranlable caractère ? Mais c’était un poids mort qui se laissa entraîner par son geste. Et cela ne fit que l’agaçer davantage. Il ne savait pas pourquoi. Parce qu’il avait entendu Garrus limite déclarer son amour pour le Commander ? Parce qu’elle n’était pas venu le voir depuis la fin de la mission et avait passé son temps à parler avec Kaidan ? Et lui, juste une tape sur l’épaule et un merci à peine compréhensible. A quoi jouait-elle ?
Peur. Jalousie. Rancœur.
Il la poussa contre la cloison qui séparait son espace bureau du reste du loft et écrasa possessivement ses lèvres contre les siennes. Son corps vint la compresser contre le mur. Elle ouvrit les yeux en grand, surprise de son geste. Il recula le visage avant de recommencer, ne lui laissant aucun répit. Elle pouvait sentir sa colère et aussi une sorte de désespoir. Elle n’aurait jamais cru qu’il puisse être violent avec elle. Elle était suffoquée, ne trouvant pas la force de le repousser, figée, vidée de toute force. Il lui faisait mal, pressé contre elle, ne lui laissant que peu d’espace pour respirer. Elle aurait pu le mettre à terre en deux secondes, juste d’un geste. Mais, elle ne le fit pas.
Il s’arrêta de lui-même, posa son regard sur elle. Il vit la peur dans son regard. Un soupçon de déception aussi. Il ne put en supporter davantage. Il l’enlaça de toutes ses forces, le nez dans son cou, voulant la sentir contre lui, vivante, bel et bien là. Un sanglot remonta dans sa gorge et déchira l’air. Il avait eut peur. Si peur. Si peur de la perdre. Il avait toujours cette angoisse. De la perdre. Qu’elle réalise aussi, finalement, qu’il n’était pas assez bien pour elle. Qu’il ne pouvait pas lui apporter ce qu’elle recherchait. Qu’il ne pouvait pas la protéger. Et cela le tuait.
Lucy finit par reprendre conscience. Elle sentit les soubresauts qui agitaient le dos de Jeff. Il essayait de ne pas pleurer, elle apercevait à peine ses paupières dans le creux de son cou. Il fermait les yeux très fort.
« Je suis vraiment… vraiment désolée, Jeff. » murmura-t-elle en effleurant ses cheveux du bout des lèvres. « Je ne veux pas te perdre. »
Parce que c’était lui désormais sa raison de se battre. Lui qui lui donnait la force de ne pas succomber à la folie. C’était si ridicule à dire. Elle sentait qu’elle ne pouvait pas le dire, qu’il allait se mettre à rire même si visiblement, il n’était pas en état de plaisanter.
Ils restèrent là, collés l’un à l’autre. Agrippés comme pour ne pas couler.