Jabberwocky

Chapitre 1 : Jabberwocky

Chapitre final

12082 mots, Catégorie: T

Dernière mise à jour 26/04/2021 15:54

Histoire réalisée dans le contexte du défi " Le Coup du Lapin," d'avril et mai 2021. Les contraintes impliquaient d'y intégrer un lapin et quelques lignes d'une langue étrangère.


https://forum.fanfictions.fr/t/defi-le-coup-du-lapin-avril-mai-2021/2986/20







— Liara… je dois vous avouer quelque chose. Quelque chose qui trotte depuis un moment au fond de mon esprit : Voilà, depuis notre rencontre sur Therum et les… connexions que vous avez établies entre nous pour m’aider à interpréter les signaux de la balise d’Eden Prime, je n’ai cessé de penser à vous. De penser à nous deux, en fait. Je sais que le moment n’est peut être pas idéal : après tout, Saren est encore en liberté et les Geths menacent la galaxie. Mais je tenais quand même à vous faire part de mes sentiments.

Nous avons beaucoup discuté ensemble, j’ai appris à vous connaître. J’ai vu votre timidité se changer en assurance, en confiance au fil de nos dialogues. Ça a été une grande joie pour moi d'écouter vos confidences ; Et réciproquement, je me sens plus léger lorsque je me livre à vous. J’ignore ce que l’avenir nous réserve. S’il existe un futur dans lequel il est possible de vivre unis. Je ne sais pas si vous ressentez vous aussi ce que j’éprouve au fond de mon cœur. C’est un saut dans l’inconnu, une aventure que je ne m’attendais pas à vivre lorsque l’on m’a nommé SPECTRE. Mais, docteur Liara T’soni, je serais prêt à affronter tout ce que l’univers pourrait dresser contre nous, si c’est avec vous à mes côtés… 


La voix de Joker résonna dans l’intercom. Le commandant Shepard sursauta, interrompu dans la répétition de sa déclaration.


— Commandant, j’ai l’amiral Hackett en communication. Il souhaiterait vous parler.


Shepard poussa une série de jurons. Il stoppa sa marche ferme et décidée vers l’infirmerie où Liara se reposait et fit demi-tour vers l’escalier menant au pont du Normandy.


— Désolé, commandant… ajouta, navré, le timonier lorsqu’il fut à mi-chemin.


Shepard s’arrêta d’un coup, vexé :


— Hein ? 


— Rien, rien…  


Arrivé sur le pont, le SPECTRE humain s‘installa devant la grande carte galactique située au bout de la passerelle et appuya sur le bouton qui activait les communications à longue distance. Un hologramme de l’amiral Hackett surgit aussitôt devant ses yeux.


— Ah, commandant ! Je suis désolé de vous déranger, mais vous êtes le seul à pouvoir nous aider, s’excusa le vieil homme en uniforme. Le QG de l’Alliance vient d’intercepter un signal de détresse dans votre secteur. Il est émis par un cargo humain en difficulté, l’AMS Yavin IV. Un croiseur de l’Alliance, le SSV Dunkirk est en route pour prendre en charge les éventuels survivants. Mais le Normandy est plus proche et plus rapide, chaque seconde compte si nous voulons sauver l’équipage tant qu’il est encore tant. Sécurisez le Yavin IV, commandant. Trouvez les survivants et enquêtez sur les raisons de sa défaillance. 


— Très bien, amiral. Transmettez-moi les coordonnées de ce transporteur, nous nous mettons en route immédiatement. 


— Votre timonier vient de les recevoir, je vous remercie. J'attendrai votre rapport quand tout sera fini. Hackett, terminé. 


— Joker, mettez le cap sur ce vaisseau, ordonna Shepard après que l’image de l’amiral se fut effacée. Je vais préparer une équipe d’intervention. 


— ‘ Vos ordres, commandant ! 


Quelques minutes plus tard, le Normandy entamait la phase de décélération de son vol supra-luminique et se mettait à flotter mollement à proximité de l’énorme vaisseau de transport en perdition. L’appareil sans élégance aucune se composait d’une succession de soutes sous forme de gros cubes de métaux alignés les uns derrière les autres. Quelques passerelles saillaient çà et là pour communiquer entre les différentes cales, toutes surmontées d’une forêt d’antennes et de paraboles. Le poste de pilotage et les quartiers dédiés à l’équipage semblaient ridiculement petits à l’avant de ce vaisseau tout en soutes. On aurait dit la tête minuscule d’une blatte rattachée à son corps boursouflé.


Les lettres AMS Yav... s’étalaient en bordeaux sur le flanc de la carlingue. Quant au pan de la coque qui aurait dû servir de support au reste du nom, il avait laissé la place à un trou béant qui laissait entrevoir un brasier de métal fondu à l’intérieur. Le cargo tanguait sur lui-même, emporté dans le vide spatial par sa propre inertie. A chaque instant, des morceaux entiers de sa structure se détachaient et semaient un champ de débris le long de son sillage. L’un de ses moteurs s’allumait et s’éteignait avec peine par intermittence, achevant d’imprimer au Yavin IV une trajectoire aléatoire à chaque coup de boost. Les deux autres tombaient en poussière et leur surchauffe menaçait à chaque instant de désintégrer ce qu’il restait du vaisseau.


— Les capsules de sauvetage n’ont pas été éjectées. Et nous avons analysé la structure, déclara le navigateur Pressly, l’œil rivé sur l’écran sur lequel défilaient le résultats des scanners à courte portée. Les dégâts sont d’origine interne. 


— Un accident moteur ? suggéra Joker.


— Possible. Shepard vissa son casque au col de sa combinaison. La suite de ses paroles se trouva déformée par leur passage via le transpondeur. Joker, approchez-nous de la passerelle et amarrez le Normandy au sas. On en saura plus quand on aura jeté un œil à l’intérieur. 


— C’est parti ! Mais dépêchez-vous, commandant. Ce truc peut tomber en poussière d’un moment à l’autre. 


Le pilote virtuose réussit par de savantes manœuvres à synchroniser la position du Normandy aux mouvements erratiques du cargo en perdition. Tout doucement, profitant du calme entre deux secousses des moteurs, il acheva l’arrimage jusqu’à ce que les deux vaisseaux ne fassent plus qu’un, reliés par le tunnel de leurs sas respectifs.


Shepard franchit la dernière cloison étanche qui se referma derrière lui, encadré par ses acolytes Tali Zorah et Urdnot Wrex. Armé d’un fusil à pompe et coiffé de son lourd casque hermétique, Shepard trouvait plus que jamais un air de ressemblance entre le krogan et le tank Mako entreposé dans la soute du Normandy.


Le gros des dégâts avait épargné la zone du Yavin IV dédiée à la vie de l’équipage. Le groupe de secouristes n’y trouva que quelques foyers d’incendies de câbles électriques. Tout le secteur était encore pressurisé mais cela pouvait changer à tout moment. Les trois compagnons n’ôtèrent pas leur casque. Des vibrations de mauvais augure secouaient de plus la coque, parfois si fortes que Shepard se mit à penser que c’était un miracle qu’elle ne se soit pas encore disloquée. Il accéléra sensiblement le pas, se hâta d’ouvrir les portes des locaux techniques, salles de bains, cuisines, de l’infirmerie du vaisseau. Sans trouver le moindre signe de vie.


Bosh’tet ! s’écria Tali après avoir balayé du regard un énième dortoir vide de tout occupant. Où sont -ils donc tous passés ? 


Wrex grogna :


— Par ici ! 


Shepard et la quarienne allèrent le rejoindre sur la passerelle de pilotage. Déserte également, mais le krogan y avait trouvé les dernières entrées du journal de bord. Du doigt, il tenta d’en parcourir le contenu, mais une secousse soudaine le déstabilisa. Le choc manqua de faire tomber Tali. Shepard la rattrapa à temps par le bras. Derrière eux, un panneau électrique projeta une longue gerbe d’étincelles et une épaisse fumée envahit l’habitacle.


— Commandant, ça commence à chauffer ! grésilla la voix de Joker dans le transpondeur.


— Attendez, je télécharge les données ! assura Tali qui pianotait à toute vitesse sur son omnitech.


— On arrive, Joker ! Préparez le Normandy au départ ! 


Wrex, nerveux, se mit à faire les cent pas en attendant que la quarienne ne termine. A vrai dire, Shepard n’était pas plus enchanté que lui à l’idée de finir en barbecue dans l’explosion d’un vaisseau spatial.


— Voilà ! s’écria Tali qui n’attendit pas d’avoir éteint son omnitech pour courir vers la sortie. Leurs combinaisons leur indiquait une atmosphère de plus en plus ténue à mesure que la fumée se répandait. Le commando ne voyait guère plus qu’à quelques mètres devant lui. Wrex posa sa grosse patte sur l’épaule de Shepard pour ne pas perdre le chemin.


Ils parvinrent à rejoindre le sas, que Joker avait ouvert d’avance pour ne pas gâcher la moindre précieuse seconde. Shepard s’arrêta devant pour s’assurer que ses compagnons passent d’abord. Il poussa, tira, encouragea, jusqu’à ce qu’ils soient tous deux en sécurité et qu’il n’entre à son tour. Wrex lui tendit le bras, que le commandant agrippa pour s’aider à monter alors que la pesanteur le faisait léviter un instant. La cloison étanche se referma derrière lui. Le Normandy décolla avant que la procédure de décontamination ne se déclenche.


Ce ne fut qu’une fois à bord et remis de leurs émotions que Pressly leur indiqua que l’AMS Yavin IV avait bel et bien explosé quelques secondes à peine après l’exfiltration du commando. Par réflexe, Shepard alla jeter un œil à travers le hublot, mais il ne put contempler que la noire infinité du vide inter-sidéral. Joker avait par mesure de sécurité éloigné le Normandy du lieu de l’explosion.


— Prévenez le Dunkirk qu’il n’y aura rien ni personne à récupérer, soupira le commandant quelque peu déçu de l’issue de cette affaire. Est-ce que Tali a réussi à tirer quelque chose du journal de bord ?


— Oui, elle vous attend dans la salle de transmission.


Shepard hocha la tête et alla la rejoindre. Si au moins ils arrivaient à découvrir ce qui était arrivé au Yavin IV dans ses dernières heures, tout ne serait pas perdu.


Visiblement, ce mystère avait intrigué l’équipage. Outre Tali, le commandant trouva Ashley, Kaidan, Wrex, Garrus. Pressly les rejoignit quelques instants plus tard. Et Liara. Liara était venue. Shepard réprima le vol furieux de papillons qui, à sa vue, s’agita dans son estomac. Ça n’était pas le moment.


Tali s’efforçait de restaurer les fichiers partiellement endommagés dans l’incident. On devinait sous son masque son visage froncé par la concentration. Un murmure de soulagement parcourut l’assistance lorsque la quarienne parvint à rendre audible l’enregistrement. La voix du capitaine s’éleva dans les airs tandis que le silence retombait.


— Aldo DaForza, capitaine de l’AMS Yavin IV. Cycle 2183, 17ème jour de vol.

 Faute de temps pour tout télécharger, Tali n’avait embarqué que l’essentiel, les dernières entrées du journal. Elle s’en excusa pendant que le capitaine DaForza commençait son compte-rendu : 

— Pour le déjeuner, soupe aux lentilles, oignons et carottes. Kramer a passé toute la matinée à la cuisiner. On a bien fait de se ravitailler en produits frais à notre escale sur Horizon. Les rations déshydratées commençaient vraiment à nous peser. Je devrais sans doute justifier devant la Compagnie de l’augmentation soudaine du budget bouffe, mais bah ! Ils nous doivent bien ça.


15H17 : Une des barres d’attache d’un rouleau d’aluminium s’est détachée dans la soute B, et en a écrasé un autre dans sa chute. Les deux sont endommagés. Nissani pourra peut-être les redresser à la torche. Je lui demanderais demain, régler une bonne fois pour toute le problème d’alimentation en liquide de refroidissement du mécha de transport a déjà occupé tout son après-midi.

Restes de soupe pour le dîner, et jambon en conserve. Kramer a préparé des crèmes, mais c’est pour demain.


Aldo DaForza, capitaine de l’AMS Yavin IV. Cycle 2183, 18ème jour de vol.

Le Jabberwocky n’a cessé de martyriser mes pauvres oreilles pendant toute la nuit. Je savais bien que nous aurions dû le déplacer dans la soute, mais Angelica a insisté pour le garder à portée de vue. Quand il est réveillé, j’ai sans cesse l’impression qu’il m’observe à travers les barreaux de sa cage. Kramer a proposé de balancer la créature dans le vide spatial. J’avoue que ça me tenterait bien, mais sans surprise, Angelica a catégoriquement refusé. Qu’elle n’oublie pas qui commande ici. Elle n’est à bord qu’officier scientifique. Et moi le capitaine. On ne me paye pas assez pour transporter ce monstre.


Omelette aux patates et salade de mâche. Crème-vanille pour le dessert. Kramer s’est surpassé.

Nissani a réparé les rouleaux d’aluminium abîmés hier. Tant mieux, on n'aura pas à les refourguer au rabais à un ferrailleur.


Kramer nous a servi une salade composée de mâche, de patates et d’œufs durs avec les restes d’ingrédients de ce midi. Gâteau de riz industriel pour le dessert. 


Aldo DaForza, capitaine de l’AMS Yavin IV. Cycle 2183, 19ème jour de vol.

Alerte générale ! Le Jabberwocky s’est échappé ! Angelica est furieuse et m’accuse de ne pas avoir pris cette chose suffisamment au sérieux. Comme si ça me plaisait qu’elle se balade en liberté dans les couloirs de mon vaisseau ! J’ai mis tout l’équipage sur le pied de guerre, il faut le retrouver à tout prix. Le pire qu’il pourrait arriver, c’est qu’il soit allé se cacher dans les soutes. On pourrait mettre des jours à les fouiller…


Kramer n’a rien cuisiné, nous avons déjeuné de sandwichs au thon. Personne n’est d’humeur, personne n’a le temps.


19H02 : Alerte ! Brèche des systèmes de sécurité ! C’est… 


 Un violent bruit vient soudain parasiter l’enregistrement, si fort qu’il couvre un instant la voix du capitaine DaForza.  


— ANGELICA ! hurla-t-il avant que le journal ne se coupe brutalement. »


— C’est tout… conclut Tali d’une voix morbide. D’un geste de son omnitech, elle relança pour une seconde analyse la lecture jusqu’au message d’alerte paniqué du capitaine. Tous écoutèrent à nouveau l’extrait en silence. A la fin, la quarienne le mit en pause.


— Vous en pensez quoi ? 


— Je pense qu’on devrait s’inspirer des menus de ce Kramer pour la cuisine du Normandy... intervint Kaidan d’un ton laconique.


— Je parlais de l’incident ! se vexa Tali.


— Moi, c’est ce Jabberwocky qui m’intrigue, dit Liara plus sérieusement. Je n’ai jamais entendu parler de créatures qui portent ce nom. D’où peut-il bien venir ? 


Ashley se leva de sa chaise, le dos droit, le menton bien haut. Et elle remua la tête au rythme des paroles qu’elle se mit à déclamer :


— ’Twas brillig, and the slithy toves

Did gyre and gimble in the wabe;

All mimsy were the borogoves,

And the mome raths outgrabe.


“Beware the Jabberwock, my son!

The jaws that bite, the claws that catch!

Beware the Jubjub bird, and shun

The frumious Bandersnatch!”


He took his vorpal sword in hand:

Long time the manxome foe he sought—

So rested he by the Tumtum tree,

And stood awhile in thought.


And as in uffish thought he stood,

The Jabberwock, with eyes of flame,

Came whiffling through the tulgey wood,

And burbled as it came!


One, two! One, two! And through and through

The vorpal blade went snicker-snack!

He left it dead, and with its head

He went galumphing back.


“And hast thou slain the Jabberwock?

Come to my arms, my beamish boy!

O frabjous day! Callooh! Callay!”

He chortled in his joy.


— Qu’est ce que c’était ? demanda Shepard lorsque la voix de l’artilleur Williams se fut tue, mi-intrigué, mi-amusé.


— Oh, allez ! s’exclama l’intéressée devant le parterre d’yeux ronds qui s’étalait devant elle.

 Elle y était allée à fond, jusqu’à mettre l’accent sur les bons mots et mimer les gestes de la main.  

— Vous devez bien connaître, non ? Il est connu! Jabberwocky ! Le poème de Lewis Caroll ! Alice au Pays des Merveilles, De l’Autre Côté du Miroir ! Personne ? 


Garrus se tapota l’oreille, agacé :


— Mon traducteur doit buguer… je n’ai pas compris la moitié des mots. 


— Moi non plus... » avoua Liara.


— C’est normal, expliqua Ashley. C’est absurde : une bonne moitié des mots sont des inventions de l’auteur. Bandersnatch, galumphing, frabjous… Et Jabberwock, bien sûr. Un monstre horrible dont le poème raconte la mise à mort. »


Wrex s’étira les muscles et grommela :


— Un monstre horrible, hein ? Bah ! Je suis bien content que ce truc ait été désintégré dans l’explosion du cargo. Quoi qu’un peu de sport m’aurait défoulé… 



— Cette histoire est en effet pour le moins troublante, concéda l’amiral Hackett quelques minutes plus tard quand Shepard l’appela pour lui faire son rapport.

 Le vieil homme se gratta la cicatrice qui lui barrait le visage d’un air absent. 


— J’ai cherché sur Extranet, sans trouver la moindre espèce à porter ce nom. Exception faite d’un monstre de littérature. 


— Ça ne serait pas la première espèce inconnue à se voir attribuer le nom d’une créature légendaire. Je pense par exemple à ce fameux Léviathan découvert à Dis et dont le gouvernement butarien dissimulerait l’existence. Que ce Jabberwocky soit une espèce nouvelle ou non, je l’ignore. Nous allons tâcher de découvrir le fin mot de cette affaire, je vous l’assure, commandant. Cette enquête ne fait que débuter, j’ai d’ores et déjà confié le dossier à l’une de mes équipes. La compagnie aux couleurs de laquelle volait le Yavin IV sera dûment interrogée et toutes les escales du vaisseau au cours de son voyage seront soigneusement étudiées. Hélas, qui sait si ce soi-disant Jabberwocky n’est pas l’un des derniers représentants de son espèce, peut être arraché de force à son environnement ? Sa disparition est une tragédie pour l’écologie galactique. Je ne peux me réjouir de sa mort. Ceci dit, elle a eu le mérite d’éviter que cet alien, si c’en est bien un, ne s’échappe sur une planète habitée et ne la contamine. Loin de moi l’idée de tirer de conclusion hâtive, ni d’accuser les morts du Yavin IV. Mais l’irresponsabilité de cet équipage à de quoi faire frémir s’il s’avère qu’ils ont comme nous le soupçonnons découvert et déplacé sans en avertir nulle autorité compétente une espèce alien inédite. En tout cas, merci commandant d’avoir accepté de vérifier cet appel de détresse. Il est regrettable de n’avoir trouvé aucun membre de l’équipage, mort ou vivant. Je sais que vous n’avez guère eu le temps de fouiller le vaisseau de fond en comble. Officiellement, l’équipage du Yavin IV est porté disparu, mais nous savons vous et moi qu’il est très improbable qu’il s’en soit sorti. Les familles seront averties, nous ferons de notre mieux pour apaiser leur deuil. Et je l’espère, répondre à leurs questions sur les derniers instants de leurs proches.



— Tenez-moi au courant des nouvelles, amiral. Je suis curieux de savoir de quoi il retourne. Et s’il est possible de nous rendre utile de quelque manière que ce soit, le Normandy est à votre disposition. 



— Merci, merci commandant. Nous nous occupons de tout à présent. Le croiseur Dunkirk va prendre le relais, il est en route vers la localisation de l’épave. Il va tâcher de l’analyser pour trouver dans les débris des explications sur les raisons de l'explosion des moteurs. Vous pouvez de nouveau vous concentrer sur votre mission. Hackett, terminé. 


L’image holographique du vieil amiral disparu de la console intégrée au poste de commande de Shepard quand il mit un terme à la communication. Le silence retomba sur la passerelle, seulement troublé par les le bruit des pas et les chuchotements des membres d’équipage qui discutaient tout bas à leur poste de travail. Le commandant resta encore un instant sur le pont, pour vérifier que tout se passait bien.


En même temps, les questions soulevées par cette étrange dernière mission envahissaient ses pensées, il n’arrivait guère à s’en débarrasser. Il avait été témoin ces dernières semaines de bien des choses étranges, mais cette histoire de Jabberwocky se plaçait sans peine au sommet du palmarès. Lui qui en répondant à l’appel de détresse du Yavin IV s’imaginait accepter une nouvelle mission de routine, le voilà qui refermait le dossier avec un mystère non-résolu d’alien inconnu, d’équipage disparu et d’explosion inexpliquée. Hélas, Hackett avait raison. Il n’y avait rien de plus à faire que d’attendre les conclusions des experts mandatés sur l’affaire.


Deux sujets en réalité occupaient l’esprit de Shepard, se disputant mutuellement le palmarès de la plus encombrante. Le Yavin IV d’un côté, les beaux yeux bleus de Liara de l’autre. Quand il fermait les yeux, le commandant voyait soit les coursives enfumées apparaître gravées sur la parois de ses paupières, soit le sourire timide de l’asari et la chaleur de ses mains quand il les prenait dans les siennes.


La première de ses pensées s’évanouit peu à peu jusqu’à laisser entièrement place à la seconde lorsque Shepard décida de redescendre à l’infirmerie tenter à nouveau sa chance avec Liara. A chaque marche menant au pont de l’équipage, les battements de son cœur s’accéléraient, s’intensifiaient un peu plus. Bientôt, le pas de charge d’un krogan ne tarda pas à résonner dans sa poitrine sans qu’il ne puisse le contrôler.


— Allez, nom de dieu… cracha-t-il à mi-chemin entre ses dents pour s’encourager. Tu es un agent N7. Le premier SPECTRE humain. Tu as sauvé une colonie entière à toi tout seul d’un raid d’esclavagistes butariens… Ce n’est pas une petite archéologue asari qui pourra t’impressionner... 


Et pourtant elle le pouvait… Shepard tremblait presque quand la porte automatique de l’infirmerie s’ouvrit devant lui. Il chercha Liara du regard, mais c’est le docteur Chakwas qui lui tomba dessus la première.


— Commandant ! C’est toujours un plaisir de vous voir ici ! 


— Le plaisir est partagé, docteur. Tout va bien ? s’enquit Shepard par politesse.


Le docteur Chakwas soupira et se laissa tomber sur une chaise.


— Pas vraiment, à vrai dire. J’ai reçu des nouvelles d’une vieille amie. Lara Spielberg. Nous étions à l’académie ensemble, sur Terre. Nous nous sommes perdues de vue depuis, c’était il y a de longues années. C’est que je commence à me faire vieille. 


— Eh bien, mieux vaut reprendre contact tard que jamais, répondit Shepard désireux de mettre un terme au plus vite à la conversation.


— Elle est morte, en vérité. Ce sont les anciens camarades de notre promotion qui m’ont appris la nouvelle.


— Je suis désolé. Toute mes condoléances... 


— Ça me touche beaucoup, commandant, assura le docteur. Oh, nous n’étions plus proches depuis longtemps. Mais je ne peux m’empêcher de me remémorer mes jeunes années et le temps que nous avions passé ensemble. Nous étions inséparables et insupportables ! De vraies pestes !


Shepard rit et orienta légèrement son corps vers le paravent à l’autre bout de l’infirmerie, derrière lequel se reposait sans doute Liara à cet instant. Le docteur Chakwas enchaîna sans remarquer son discret mouvement de recul.


— Il y avait en réalité un troisième larron à la bande. Elle s’appelait Emelyn Phillips. Elle portait sans cesse des lunettes sur le nez, je me rappelle. Elle aurait sans peine pu se faire corriger la vue par une simple opération, mais elle avait une peur bleue que cela rate. Elle qui se destinait à devenir chirurgienne refusait catégoriquement qu’on touche à ses yeux. Je n’ai jamais réussi à la convaincre que les erreurs médicales étaient très rares pour ce type d’opérations. Elle a fini par trouver un poste sur un porte-chasseur après l’obtention de son diplôme. Elle est morte deux ans plus tard, dans un accident de navette. Mais qu’est-ce que je raconte, commandant ! Vous avez autre chose à faire que d’entendre une vieille folle ressasser le passé. Vous êtes là pour le travail, je me trompe ? Qu’est ce qui vous amène ici ? 


— Non, pas vraiment. Ma venue n’a rien d’officiel, je venais juste…. commença Shepard avant de se rendre compte de son erreur. Trop tard. Chakwas s’engouffra dans la brèche :


— Ah ? Eh bien si ce n’est pas officiel... Vous avez bien deux minutes pour honorer comme il se doit cette bouteille de pinot gris de Bekenstein ? Je l’avais achetée sur la Citadelle en me disant bien que je trouverais une occasion pour la déboucher, mais je pense que le moment est venu. Attrapez le tire-bouchon, dans ce tiroir, et trinquons aux vieux amis qui ont un jour compté dans notre vie avant d’en disparaître ! 


— Le geste me touche beaucoup, docteur, dit Shepard qui réfléchissait à toute vitesse à un moyen de se tirer de ce mauvais pas. 

D’une pierre deux coups, il trouva soudain comment y parvenir en plus de faire sortir le docteur Chakwas de l’infirmerie de manière à se retrouver en tête à tête avec Liara. 


— Je ne suis pas sûr d’avoir le temps pour ça, hélas… Mais vous savez quoi ? Prenez le reste de la journée. Vous l’avez mérité, docteur. Je vous donne quartier-libre ! Allez vous reposer… 


— Ah ? Eh bien, c’est très gentil… je vous remercie... 


Shepard aida le docteur à se relever et l’air de rien, la guida vers la sortie. Elle fit demi-tour le temps d’attraper sa bouteille de vin puis franchit le pas de la porte automatique, qui se referma derrière elle dans un frottement métallique.


Enfin seul… Shepard étira ses doigts jusqu’à faire craquer les jointures, fit de même avec l’articulation de sa nuque, de son épaule. D’un pas décidé, il s’avança vers le lit de Liara T’soni.


— Commandant, on a un problème. Vous devriez venir. 



...



Quand Shepard débarqua sur le pont derrière Joker, le timonier eut un mouvement de recul. Il se cacha le visage avec ses bras, comme s’il craignait de se faire frapper. Son supérieur fit mine de n’avoir rien vu, mais fusilla l’impertinent du regard dès l’instant où il regarda ailleurs.


— Qu’est ce qu’il y a cette fois ? 


— Une alerte des systèmes internes du Normandy. Regardez ça : 


Joker attira son attention sur une console présentant un schéma détaillé de l’ingénierie du vaisseau. Les moteurs et autres systèmes actifs y apparaissaient en surbrillance, affichant leur efficacité en temps réel. Tout avait l’air, de prime abord, de fonctionner parfaitement. A l’exception d’une vague tache rouge localisée entre la soute et la machinerie.


— Qu’est ce que c’est ? demanda Shepard, qui zooma pour inspecter la chose de plus près.


— Un corps étranger. Et d’après l’ordinateur de bord, c’est une forme de vie organique. J’ai prévenu Adams, il va faire une analyse plus poussée. Le temps de programmer l’I.V pour un scan personnalisé. 


— Une forme de vie organique ? Dans le moteur ? Vous êtes sûr ? Comment c’est possible ? 


— Vous ne comprenez pas commandant ? s’exclama Joker d’une voix dramatique. On a un huitième passager !


— Hein ? 


— Alien ! Vous avez répondu à un appel de détresse et ramené à bord une chose qui va tous nous tuer ! C’est le Jabberwocky ! Il est sur le Normandy, et il va tous nous transformer en couveuse à xénomorphes ! 


Le visage de Shepard alla s’enfouir dans la paume de sa main avec un claquement sonore. Il y resta les yeux clos de longues secondes avant qu’il ne parvienne à réunir assez de courage pour retrouver la parole, non sans prendre une grande inspiration au préalable.


— Ou alors, c’est juste un ingénieur qui a fait tomber son sandwich dans une trappe d’accès... 


— Ça s’est déplacé, commandant, je vous jure. Ça n’est pas seulement organique : c’est VIVANT ! 


— Dites à Adams de me tenir au courant. Mais je vous assure, Joker. Ce n’est sans doute rien... 


Le timonier grommela quelque chose dans sa barbe. Sa main alla masser le centre de sa poitrine, par anticipation de la douleur causée par le chestbuster qu’il s’imaginait sans doute en voir jaillir sous peu.


Shepard l’abandonna à ses divagations et quitta d’un pas vif le poste de pilotage. Il aurait aimé retourner voir Liara et rattraper le temps perdu, mais sa conscience professionnelle lui dictait d’aller recueillir l’avis du chef ingénieur Adams sur cette anomalie.


Il allait atteindre la salle des machines lorsque la lumière s’éteint brutalement. L’éclairage rouge criard du système de secours prit le relais et s’alluma aussitôt, accompagné d’une alarme stridente qui vrilla les oreilles de l’équipage. A force de vivre sur un vaisseau spatial, Shepard en était venu à s’habituer au ronronnement caractéristique et aux perpétuelles vibrations qui accompagnaient le fonctionnement des processus indispensables à la bonne marche du vaisseau. Elles étaient encore plus fortes ici, à deux pas du moteur. Le vide soudain produit par leur arrêt lui laissa donc une étrange sensation de malaise.


Le commandant se précipita dans la salle des machines et y trouva les ingénieurs en pleine panique. Il n’y connaissait pas grand-chose en mécanique, mais il n'avait guère besoin d’être un génie pour comprendre que le réacteur qu’il voyait devant lui était à l’arrêt. Et qu’en plein vol dans le vide spatial, il n’aurait pas dû.


— Commandant ! Vous avez fait vite ! grogna le chef Adams, si surmené qu’on l’eut cru avoir six bras. Ses doigts jonglaient d’un panneau de contrôle à l’autre, et ses yeux parcouraient tout à la fois des lignes et des lignes de données qui défilaient à toute vitesse sur son omnitech.


— Qu’est-ce qu’il se passe ? s’inquiéta Shepard.


— Une panne électrique, sans doute due à la rupture de câbles d’alimentation. Le moteur s’est verrouillé par sécurité. 


— Un lien avec le corps étranger dont m’a parlé Joker ? 


Il devait presque hurler pour couvrir le bruit de l’alarme qui se répétait en boucle. Adams répondit sur le même ton :


— Quoi d’autre, sinon ? Une simple coïncidence serait extraordinaire. J’allais lancer une analyse plus précise quand la panne s’est déclenchée. Mais maintenant, les systèmes secondaires manquent de tension, il faudrait dériver un peu d’énergie pour faire fonctionner ce processeur. L’I.V s’est mise en veille en attendant. On pourrait sinon scanner la zone à l’aide de nos omnitechs, mais pour le temps qu’on prendrait.... Et j’imagine que les réparations des câblages du vaisseau passent en priorité. Quant à ce corps étranger, il semblerait que ça soit… une sorte d’animal. Plus petit qu’un humain, difficile d’évaluer sa taille pour le moment. Et puis… 


— Et puis quoi ? 


— Et puis… c’est difficile de ne pas penser à ce qui est arrivé à ce cargo, le Yavin IV. Réfléchissez, commandant : un alien inconnu s’échappe de sa cage et quelques heures plus tard, les moteurs surchauffent et le vaisseau explose. Et après que nous l’ayons abordé, nous détectons un organisme inconnu à bord du Normandy, puis une panne du moteur se déclenche. Joker en fait des caisses, je sais bien, mais il n’a pas tort : Rien ne garantit que le Jabberwocky ne soit pas une espèce intelligente. Une espèce suffisamment intelligente pour savoir où se glisser pour saboter un vaisseau. Car je pense que le Jabberwocky du Yavin IV et notre organisme inconnu ne sont en fait qu’un seul et même individu. 


— Il aurait pu se glisser dans le sas pendant que vous évacuions. Caché dedans, il aurait ensuite trouvé un moyen de s’aventurer plus loin dans le Normandy… murmura Shepard qui commençait sérieusement à envisager cette hypothèse également. L’inquiétude d’Adams était quelque peu communicatrice. Et ses arguments plus sérieux que ceux de Joker.


— Que fait-on, commandant ? demanda le chef Adams.


— L’alien est la priorité. Si la situation est stable, la réparation du circuit électrique peut attendre. Concentrez-vous sur les recherches, quitte à dériver une partie de l’énergie des générateurs de secours pour alimenter l’IV. Et si vous ou vos gars tombez sur cette chose, tâchez de la prendre vivante. Je vais réunir l’équipe, on part en guerre. Et éteignez-moi cette alarme, je pense qu’on a compris !




— Un mystérieux alien qui chercherait à faire notre peau, hein… grogna Wrex, satisfait dans la demi-pénombre écarlate de la salle de réunion, après que Shepard ait résumé la situation aux membres de son équipage. Ne vous inquiétez pas, je vais vous protéger… Génocider ce genre de choses, c’est quelque chose de culturel.


— On ne cherche pas à le tuer, rappela Shepard. Juste à l’empêcher de nuire. Le mieux serait de le capturer, les blouses blanches de l’Alliance voudront sans doute l’étudier. 


— Bah ! Il sera toujours moins nuisible le cul fourré de bastos ...


— Tali. Le SPECTRE se tourna vers la quarienne. Le chef Adams aura besoin de votre aide, vous devriez le rejoindre en salle des machines. Il vous expliquera tout, mais il y a du boulot. On compte sur vous. 


— Oui, j’y vais tout de suite, acquiesça-t-elle.

 Elle y alla sans perdre une seconde. Shepard s’adressa au reste de son équipe :


— Vous autres, allez vous préparer : dès que le scanner l’aura repéré, on s’en ira le déloger.


Une exclamation guerrière jaillit des gorges des membres de l’assistance. Tous se levèrent, motivés et bien décidés à en découdre. Leur enthousiasme emplissait leur commandant de fierté. Vraiment, cela signifiait énormément pour lui de pouvoir compter sur eux en toutes circonstances.


— Au fait, où est Ashley ? s’étonna Shepard. 

Il venait de remarquer qu’il manquait quelqu’un quand ils défilèrent devant lui. Et le sergent-artilleur Williams brillait effectivement par son absence.


Garrus réfléchit un instant :


— Je l’ai croisée dans la soute, juste avant que l’alarme ne sonne. Ensuite, je suis monté voir ce qu’il se passait et Shepard nous a appelé pour le briefing. Je n’en sais pas plus.


Personne d’autre ne semblait avoir la moindre idée d’où leur camarade pouvait bien être.





Le monte-charge qui descendait à la soute s’ouvrit sur le commando de Shepard, armé jusqu’aux dents, fusils et pistolets pointés vers la pénombre qui s’étalait devant eux. L’ascenseur s’immobilisa dans un grincement métallique. Un silence angoissant les engloutit.


Les lampes fixées sous les canons jetaient des rais de lumière blafards qui se mêlaient en kaléidoscope psychédélique à l’éclairage d’urgence du Normandy. D’un geste de la main, le commandant Shepard fit signe à ses compagnons d’avancer. La zone semblait dégagée. Kaidan se déploya sur la droite, Wrex sur la gauche. Garrus resta dans l’ascenseur couvrir leur progression, l’œil rivé sur l’optique infrarouge de son fusil de précision.


Pas à pas, Shepard s’aventura entre les caisses qui encombraient la soute. La silhouette massive du tank Mako au repos se détachait devant lui. Son regard balaya de droite à gauche et lentement, il entreprit d’en contourner la carcasse. Wrex et Kaidan imitèrent son mouvement de part et d’autre.


— R.A.S ! signala le krogan après qu’il eut disparu de son champ de vision.


Surgi de derrière l’angle d’un casier, une silhouette à la démarche titubant leur tomba dessus. Le commando garda son sang-froid. Trois faisceaux de lampes pointèrent dans sa direction. Shepard reconnut aussitôt Ashley Williams. Passée la joie initiale de revoir son équipière, il apparut évident que quelque chose ne tournait pas rond. Ses gestes maladroits peinaient à se coordonner. Une sorte de gémissement guttural jaillit de sa bouche.


— Ashley ? Vous allez bien ? 


— Shepard, mon dieu… regardez son visage… dit Kaidan d’une voix atone.


A la lumière de la lampe du lieutenant, le commandant comprit avec effroi de quoi il parlait. Le visage d’Ashley… n’avait plus rien à voir avec le visage d’Ashley.


La chair n’était qu’une masse informe et boursouflée, d’un rouge violent qui tirait sur le mauve. On eût dit un ballon surgonflé au point d’éclater, percé de deux fentes minuscules où s’enfonçaient des yeux à peine visibles sous les paupières bouffies et larmoyantes.


— Qu’est ce qu’il s’est passé ? s’alarma Shepard qui délaissa son fusil pour aller la prendre par l’ épaule et soutenir sa démarche vacillante. 

Quelques syllabes incohérentes s’échappèrent de la bouche d’Ashley. Elle faisait de grands efforts pour prononcer quelques mots que sa gorge enflée refusait de laisser passer. Elle pointa, en désespoir de cause, le doigt vers une trappe d’accès technique. Elle était ouverte.


Kaidan pointa avec mille précautions dans l’orifice le canon de son pistolet. La lampe n’éclaira qu’un fourbis de tuyaux et de câbles électriques.


— Il faut… commença Shepard au même moment où, sans tambour ni trompette, l’éclairage d’urgence du Normandy lâchait à son tour. La soute se retrouva plongée dans une obscurité épaisse que seul le faisceau des lampes du commando parvenait à percer.


— Merde ! L’ascenseur marche ? 


Garrus vérifia, martela les boutons qui lui passèrent à portée.


— Non. Il va falloir utiliser la remontée manuelle. 


Wrex et Garrus se chargèrent tous deux de tourner la manivelle d’urgence. Laborieusement, le monte-charge commença sa lente ascension. Shepard et Kaidan devaient eux s’occuper d’Ashley en état de choc, qui remuait sans cesse dans un concert de borborygmes. Elle se débattit quand ils atteignirent finalement l’étage où se trouvait le pont de l’équipage et son infirmerie, refusa d’avancer.


— Ashley, tout va bien ! Il faut vous guérir ! 


Liara arriva en courant, armée d’une seringue de sédatif et de son omnitech en mode lampe torche.


— Gniaaa… pooohinn ….mmmmhrrg...nieeeeeh !! protesta Ashley vigoureusement, jusqu’à ce que l’asari ne lui enfonce la seringue dans l’épaule. Après quoi elle tomba, inerte, dans les bras de Kaidan. Garrus la prit sous l’autre aisselle et l’aida à aller l’installer sur l’un des lits de l’infirmerie.


— Par la Déesse ! Que s’est-il passé ? 


Les lèvres de Liara tremblotaient légèrement. Shepard sentait en elle la peur qu’elle s’efforçait de contrôler. Elle restait droite et fière malgré la terreur, seule de subtiles expressions de son visage laissaient présager de son trouble intérieur. Il voulait la serrer dans ses bras, mais se retint.


— Je pense qu’elle a été attaquée dans la soute… L’alien a dû lui injecter une sorte de toxine. Où est le docteur Chakwas ? Et que se passe-t-il avec la lumière ? 


— Le docteur Chakwas a disparu ! Personne ne sait où elle est ! Je vais m’occuper d’Ashley en attendant. Quant à la lumière, je ne sais pas. Elle s’est éteinte d’un coup dans tout le vaisseau.


Une tâche de lumière apparut depuis le sol, accompagnée de bruits de pas sur une échelle métallique. La tête furieuse de l’ingénieur Adams émergea d’un puits d’accès localisé le long du monte-charge.


— Ce salopard est en train de bousiller toute l’électricité du Normandy ! Il a coupé la connexion au générateur de secours. On ne sait plus où se donner de la tête ! Tali est descendue dans le système pour tenter de remettre le contact avant qu’on ne tombe à court d’oxygène, mais il est toujours là, je-ne-sais-où ! Et il n’y a plus d’énergie pour le scanner à l’aide de l’ordinateur...


— On va s’en occuper, répondit Shepard d’une voix blanche. 

Il se rendait compte à présent qu’il faisait face à une crise plus directe encore que la menace que faisait planer Saren sur la galaxie. Il ne pouvait se permettre d’entrer dans l’histoire comme le premier SPECTRE humain, et comme le premier commandant de l’Alliance à perdre une frégate furtive expérimentale aux mains d’un alien inconnu. Non, il comptait bien se battre. Et chasser cette abomination hors de son vaisseau. 

— On va se servir des omnitechs. Et sonder chaque centimètre carré de plancher, de mur, de plafond derrière lequel le Jabberwocky pourrait s’être retranché. Retournez au travail, Adams. Chargez-vous des réparations... 


— Commandant, dit Joker dans son dos. On devrait envoyer un message de détresse à l’Alliance. Le Dunkirk est toujours dans le secteur, il pourrait être là en quelques heures.


Shepard se retourna vers lui :


— Qu’est ce que vous faites là, Joker ? Retournez à votre poste ! 


— J’étais allé me chercher une arme !  

Le pilote leva le fusil Avenger qu’il tenait maladroitement entre ses mains .  

— J’allais pas rester tout seul et sans défense à l’avant alors qu’une alien tueur mangeur de cervelle se balade dans le vaisseau ! Et puis il y a plus de courant : je fais quoi, à part admirer un tableau de bord éteint ?


Le commandant roula des yeux exaspérés :


— Ce n’est pas une raison pour abandonner votre poste !  

Joker marmonna dans sa barbe et tourna les talons. Shepard ajouta :  

— Et prévenez le Dunkirk qu’on a un problème !


Sa silhouette gauche ne tarda pas à disparaître dans l’obscurité de la coursive. Pensif, Shepard se demanda s’il n’avait pas raison, après tout. Peut-être était-ce bien la dernière fois qu’il voyait le timonier. Peut-être aurait-il dû lui fournir une escorte ? Et si le Jabberwocky lui faisait subir le même sort qu’à Ashley ? Ou pire. Ashley avait survécu. Elle pouvait s’estimer chanceuse. Et le docteur Chakwas ? Elle ne pouvait pas avoir disparu comme ça. Elle devait être quelque part. Elle arriverait bientôt prendre son poste. Il avait beau tenter de se rassurer, la même sourde menace transparaissait derrière chacune des hypothèses qu’il pouvait formuler. Mais il fallait aussi songer aux vivants. Et s’efforcer de les protéger.


— Garrus , Wrex. Allez scanner la soute. Et pas de pitié. Kaidan, avec moi : on va s’occuper du quartier de l’équipage. Pressly supervisera la fouille de la passerelle principale. N’oubliez pas de prendre un transpondeur pour rester en contact.


— Ouais, ouais... 


Les lèvres de Wrex se retroussèrent dans un ricanement sinistre. Il avait fixé sous le canon de son fusil à pompe une torche de soudeur à laquelle il avait ôté la virole de sûreté. Une flamme gigantesque s’en échappait à présent, que le krogan s’amusait à éteindre et rallumer successivement pendant le discours de Shepard. Elle jetait des ombres lugubres sur son visage. Garrus et lui jetèrent un dernier regard à leurs compagnons et entrèrent à nouveau dans le monte-charge.


— Et pour le docteur Chakwas ? finit immanquablement par questionner Liara.


Shepard garda le silence un bref instant qui se figea comme s’il durait une éternité. Le fardeau du commandement lui pesait le plus dans ces cas là.


— On la retrouvera, promit-il. Mais la priorité, c’est d’éliminer cette chose. Occupez-vous d’Ashley en attendant. 


L’asari hocha froidement la tête et obéit, sans un mot de plus. Shepard se remémora sa dernière rencontre avec le docteur Chakwas. Il avait été dur avec elle, et il le regrettait. Il frissonna à l’idée de ce qui lui serait arrivé si elle avait croisé la route du Jabberwocky. En réalité, il préférait ne pas l’imaginer. L’image du visage mutilé d’Ashley ne suggérait que trop bien ce dont l’alien était capable.


Liara s’éloignait. La rage, la peur se mêlait aux pensées de Shepard. Le sens des responsabilités, du devoir à accomplir dominait en lui ses sentiments confus. Mais c’était le besoin de protéger ceux qu’il aimait qui éclipsait de loin tout le reste. Il ne pourrait supporter qu’on leur fasse du mal. Il fallait que Liara comprenne qu’il ferait tout pour eux. Pour elle. Kaidan s’éloignait, il ne prêtait plus attention à eux. C’était le moment :


— Liara ! lui cria-t-il dans son dos.


La jeune asari se retourna. Shepard prit une grande inspiration.


Quelqu’un hurla. Shepard reconnut la voix de Tali. Kaidan se précipita vers l’échelle du puits d’accès et glissa d’une traite vers l’étage de la salle des machines. Le commandant lui emboîta le pas et, du coin de l’œil, repéra Liara qui faisait de même.


— Occupez vous d’Ashley ! Je reviens ! lui intima-t-il d’une voix forte. Il tourna la tête vers elle, et l'aperçut un bref instant avant disparaître d’un saut à travers la trappe, sans même se servir de l’échelle.


Quand ils arrivèrent dans la salle des machines, Adams et deux autres mécaniciens s’efforçaient de tirer Tali hors de l’espace qui s’étendait sous le plancher du Normandy, où circulaient câbles et tuyaux. La pauvre quarienne était en état de choc. Elle tremblait de tous ses membres et se frottait sans cesse le corps de manière frénétique comme pour en chasser une crasse invisible. Elle avait l’air d’avoir croisé un fantôme. Ou un alien. Les pires craintes du commandant se confirmèrent quand elle reprit assez ses esprits pour décrire ce qu’elle avait vu :


— Il était là dedans, Shepard ! Oh, keelah… je l’ai vu ! J’avais localisé la rupture des câbles du générateur de secours, je n’avais qu’à me faufiler dans les conduites pour la réparer. C’est là qu’il m’est tombé dessus, il… il m’a attaqué au visage. Shepard, j’ai eu si peur ! C’est une bête horrible et cruelle. Ses dents sont longues comme des couteaux, elle est couverte de poils hirsutes ! Et son visage ! Il y a des… des tentacules dessus, recouverts de poils… Je n’ai jamais rien vu de tel ! Et puis il a disparu.


Instinctivement, Tali alla se blottir dans les bras de Shepard qui la serra contre sa poitrine pour la réconforter. Le regard du commandant croisa celui de Kaidan, qui pu lire dans ses yeux que le lieutenant avait compris ce qu’il s’était passé : le Jabberwocky avait destiné Tali Zorah à subir le même sort qu’Ashley Williams. Par miracle, le masque que portait la quarienne en permanence l’avait protégé des toxines inoculées par l’alien.


— Il faut enfiler les combinaisons hermétiques et surtout, porter un masque. Il ne nous contaminera pas si nous le faisons, déclara Shepard à la ronde. Faites passer le message. Tali, ça ira ? Vous voulez rejoindre Ashley à l’infirmerie ? 


Tali se détacha de Shepard, ramassa quelques-uns des outils qui jonchaient le sol près de la conduite ouverte.


— Non, ça ira. Merci. Il faut reprendre le travail. J’y retourne. Je serais plus prudente, cette fois-ci. 


Le commandant lui tapota l’épaule avec fierté. L’espace d’un instant, Tali posa pensivement ses doigts sur les siens. Puis elle plongea dans la conduite et s’enfonça dans les entrailles du vaisseau.


— Shepard, ici Garrus, grésilla une voix étouffée dans le haut-parleur de son transpondeur.


— Je vous reçoit. Qu’est ce qu’il se passe ?


— On a un problème. On a trouvé… des œufs. Dans la soute. Plein de petits œufs ronds et brunâtres.


Les entrailles du SPECTRE firent un bond spectaculaire dans sa poitrine. Les choses se présentaient donc comme pires que ce qu’il avait pu imaginer. Il aurait dû s'en douter, réalisa-t-il à mesure qu’il prenait du recul sur le choc produit par l'annonce : aucune bonne nouvelle n’avait atteint ses oreilles depuis le début de la crise.


— Où sont-ils ? Qu’est ce que vous en avez fait ?


La voix de Wrex intervint dans le transpondeur :


— J’les ai cramés, Shepard… Z’en faites pas.


Le commandant fronça les sourcils. Il aurait préféré les contrôler des ses propres yeux, où au moins garder un échantillon à analyser. Mais au fond, peut-être avaient-ils raison. La situation s’annonçait trop grave pour compromettre davantage la sécurité du Normandy, de son équipage et de la galaxie par de la prudence déplacée. Une menace radicale exigeait des mesures radicales.


— Bien. Cherchez encore, il y en a peut-être d'autres.


Un silence mortel régna lorsque Shepard raccrocha. Jamais il n’avait connu le vaisseau si calme depuis qu’il en assumait le commandement. Les silhouettes spectrales des membres d’équipage se détachaient çà et là, à genoux sur le plancher ou bien courbées devant les cloisons. Certains achevaient de visser leur casque et d’ajuster leur combinaison. Leurs visières anonymes reflétaient la lueur des omnitechs grâce auxquels ils sondaient chaque cavité capable d’abriter un alien tueur.


Un vaisseau fantôme peuplé d’étrangers, voilà l’allure qu’avait pris le Normandy. Shepard marcha d’un pas vif et hardi, comme résolu à briser ce mutisme sépulcral. Il retourna au pont de l’équipage se vêtir à son tour. Son armure l’attendait dans son casier. Les gestes lui vinrent machinalement. Il trouvait quelque chose de familier, de réconfortant, dans le fait de s’enfermer dans cette carapace de fibres et de métal comme il l’avait déjà fait pour d’innombrables combats auparavant. Celui-ci n’en était qu’un de plus. Même s’il prenait place dans un endroit qu’il ne s’attendait pas à devoir défendre d’un ennemi intérieur.


Le casque enfilé coupa hermétiquement le SPECTRE de son environnement extérieur. L’armure sur mesure épousait ses mouvements à la perfection, sans jamais les gêner. Dedans, il se sentait plus fort, plus agile. Il était le commandant Shepard, mais dans une armure high-tech à l’épreuve des balles. Il n’oubliait pas la première leçon qu’il avait apprise en suivant le programme N7 : ne jamais surestimer son propre blindage et boucliers, ni sous-estimer ceux de l’adversaire.


Omnitech dans une main, le doigt de l’autre posé près de la gâchette de son fusil d’assaut, le commandant entama lentement son parcours le long de la cloison tribord. Il en balaya la surface méthodiquement, sans laisser le moindre centimètre carré inexploré. L’interface de l’outil restait désespérément muette, sans jamais laisser échapper le moindre bip annonciateur des signes vitaux d’une créature organique. Le Jabberwocky se déplaçait dans les conduites et la machinerie du Normandy. Il pouvait être n’importe où.


La concentration de Shepard ne fléchit pas au fil du temps même face à ce développement décourageant. Parti de l’arrière, la moitié du vaisseau restait encore à parcourir jusqu’aux mécanismes des canons situés à l’avant.


Les sas circulaires qui donnaient accès à la série de capsules de sauvetages se détachaient de la paroi à cet endroit. Shepard ouvrit la première et l’analysa aussi sérieusement que le reste de la cloison qu’il s’était assignée. Une fois rassuré quant à l’absence d’alien tueur à l’intérieur, il la referma et passa à la suivante.


Le système de climatisation de son armure ne suffit pas à empêcher une sueur glacée de couler le long de son échine. Son index se crispa sur la détente de son arme, son pouce releva le cran de sûreté d’un geste machinal. Le cœur du commandant s’emballa. Le temps d’un battement, pas plus. Puis son sang-froid reprit le contrôle de son être. Seuls restèrent une peine contenue, une fureur sourde et le jugement de son analyse.


Dans le compartiment de la capsule éclairée par la lampe du fusil de Shepard, gisait le docteur Chakwas étalée toute droite sur le ventre en travers du sol, les bras repliés sous le torse. Sa tête se tournait sur le côté, les yeux clos et le visage inexpressif. Un sang rouge sombre, presque noir dans la lumière mesquine tâchait ses vêtements et recouvrait le sol d’une série de flaques irrégulières.


— Docteur ! Karin ! Vous m’entendez ? 


Shepard résista à la tentation d’aller prendre son pouls immédiatement. L’alien pouvait être encore là, à attendre le moment où il s’approcherait d’elle pour se jeter sur lui. Le commandant poussa un juron entre ses dents serrées par la rage et balaya l’espace de la capsule du canon de son fusil. Il chercha dans les angles, dans les recoins, dans les compartiments, éclaira les grilles d’aération. Rien. Shepard était seul avec le corps inconscient et ensanglanté du médecin de bord.


Les pas précipités de l’équipage alerté par son cri résonnèrent derrière lui tandis qu’ils accouraient découvrir la raison du tumulte. Un bras agrippa le linteau du sas pour se glisser dans la capsule. Des visages casqués et bras armés de fusils l’entourèrent, comblèrent l’espace restreint autour du seuil. Un murmure choqué, angoissé se propagea. Shepard n’eut nul besoin de fournir d’explications pour qu’ils comprennent ce qui se tenait sous leurs yeux.


Le commandant posa son fusil sur le sol et s’agenouilla devant le docteur Chakwas.


— Par la Déesse ! s’étouffa dans son dos Liara qui venait de les rejoindre. Est-ce qu’elle est… ?


Shepard approcha sa main du cou de la victime pour le vérifier.


Des coups de feu étouffés éclatèrent sous leurs pieds. Ça venait de la soute. Shepard ramassa son arme, se releva d’un bond, empoigna son transpondeur.


— Que quelqu’un s’occupe d’elle ! hurla-t-il à la cantonade. Les autres, avec moi !


Le haut-parleur du transpondeur grésilla quand il l’alluma. Un vacarme assourdissant s’en échappait, mélange de cris, de friture et de coups de feu qui tonnaient avec ceux qui résonnaient dans les coursives du Normandy.


— Garrus, vous m’entendez Garrus ? Que se passe-t-il ? 


— Ici Wrex, il…. AAAAH ! Reviens-ici, espèce de sale petit pyjak ! Merde ! Vakarian, attention il s’échappe ! »


Une série de détonations succéda au silence radio.


D’un geste de la main, Shepard ordonna à ceux qui le suivaient de l’accompagner vers l’ascenseur. Kaidan, Liara et quelques autres le talonnèrent, toutes armes prêtes à tirer.


— Commandant ! Le docteur Chakwas ! Elle… ! commença quelqu’un resté près des capsules de sauvetage juste avant que la porte métallique du monte-charge ne se referme lourdement.


Les quelques dizaines de secondes que dura la descente, bercée par le grincement de la manivelle, comptèrent parmi les plus longues de la vie du commandant Shepard. Malgré ses appels répétés, aucun son ne sortait plus du transpondeur. Juste un bruit parasite blanc et continu.


Le maonte-charge s’immobilisa. Kaidan et Silas unirent leurs forces pour ouvrir la porte de l’appareil. Tout ses occupants pointèrent leurs armes vers l’ouverture.


La soute était vide. Dans l’ombre, quelque chose bougea. La lampe d’un fusil balaya la zone, sans rien révéler. Une fraction de seconde plus tard, une masse sombre déboula sur leur droite. Il n’eut que le temps de reconnaître Urdnot Wrex que dans un mouvement presque imperceptible, une chose jaillit du sol d’un bond fulgurant et heurta Liara de plein fouet. La gorge de l’asari poussa un cri inhumain. Une boule informe s’accrochait à elle, elle trébucha et roula à terre dans ses efforts pour s’en débarrasser.


— Il est là ! Il est là ! rugit Wrex. Vakarian, ici ! 


Le krogan pointa son fusil à pompe sur l’agresseur et d’un geste rageur, le baissa en réalisant qu’il ne pourrait pas l’abattre sans blesser Liara. Shepard aussi suivait les mouvements de la chose du canon de son fusil, mais n’osait tirer pour les mêmes raisons. Son bras restait paralysé.


— Décalez-vous ! avertit Garrus qui surgit de derrière le Mako, l’œil vissé dans la lunette de son fusil de précision.


Shepard réalisa le choix auquel il devait faire face. Devait-il donner l’ordre de tirer pour éliminer la menace ? Allait-il risquer la vie de celle qu’il aimait pour mettre une bonne fois pour toute un terme à cette infestation ? Liara était-elle condamnée quelque soit sa décision ? Le choix se bornait-il à décider si elle devait mourir transpercée d’une balle, ou bien dévorée par le Jabberwocky ? Toutes ces pensées se succédaient en lui à une vitesse folle, se mélangeaient en un amalgame complexe dans lequel elles étaient toutes superposées. Si seulement il avait eu le temps de lui avouer ses sentiments, songeait-il par-dessus tout...


Un éclair bleuté illumina la soute l’espace d’un instant. Liara recula sur le dos jusqu’à l’ascenseur, toute auréolée d’une énergie scintillante. Elle tremblait encore d’avoir échappé de si peu à la mort. La barrière biotique qu’elle avait eu le réflexe d’activer venait de lui sauver à la vie. L’alien éjecté par le choc gisait un peu plus loin et peinait à reprendre ses esprits sans trop comprendre ce qu’il venait de lui arriver.


A le voir sans défense, tous comprirent aussitôt que c’était là l’occasion de régler le problème définitivement. Une demi-douzaine de fusils et pistolets pointèrent dans sa direction.


Kaidan fut le plus rapide. D’une lévitation biotique, il souleva la créature dans les airs, qui se retrouva inoffensivement suspendue au-dessus du sol.


— Commandant… dit le lieutenant, constatant l’évidence. C’est un lapin. 


Le feu croisé des projecteurs éclairait une petite boule de poils fauve et ébouriffée qui agitait ses pattes dans le vide. Son museau humide remuait d’incompréhension face à cette apesanteur soudaine. Ses longues oreilles ballottaient autour de lui au gré des ondes gravitationnelles.



...



— Je suis sincèrement désolée, commandant. Je vous présente mes plus plates excuses. J’assume entièrement la responsabilité de mes actes, je serais prête à en subir les conséquences. 


C’était une docteur Chakwas contrite et dégrisée qui se tenait devant Shepard. Son uniforme nettoyé ne portait plus nulle trace du pinot gris qui l’avait maculé. 


— J’ai souvent pour habitude, il est vrai, d’aller m’isoler dans une des capsules de sauvetage quand je souhaite passer un peu de temps avec moi-même, loin de l’agitation du mess, expliqua-t-elle. J’avais oublié mon tire-bouchon dans le tiroir de l’infirmerie. Vous aviez l’air si comblé de pouvoir passer un peu de temps en tête à tête avec le docteur T’soni que je n’ai pas souhaité vous déranger en allant le rechercher. C’est ma tentative maladroite d’ouvrir sans la bouteille de vin qui en a répandu une bonne partie. Et puis je me suis endormie pour une petite sieste. Je n’avais pas pensé que les concepteurs du Normandy n’installeraient pas d’alarme dans les capsules, alors je ne l’ai pas entendue quand elle a sonné. Je suis désolée de vous avoir effrayé.


— Ne vous en faites pas, docteur, assura Shepard. Il n’y aura pas de conséquence. 


Tout ce qu’il souhaitait en réalité, c’était de tourner au plus vite la page de ce fâcheux incident. Moins de pages de rapports officiels seraient produites à son sujet, le mieux il se porterait.


Le Normandy avait repris un fonctionnement normal. Les machinistes s’activaient encore en bas à réparer les derniers câbles rongés et sectionnés à petits coups d’incisives, mais le plus gros du travail était déjà achevé. L’électricité circulait à nouveau, la lumière était revenue. Il ne restait plus qu’à ranger la soute, véritable champ de bataille saccagé par la traque de Garrus et de Wrex.


— Comment va Ashley ? demanda le commandant dans le but de changer le sujet de la conversation.


— Bien. L’artilleur Williams est totalement remise de sa crise d’allergie aux poils de lapin. D’ailleurs, la voici : 


Shepard tourna la tête vers la direction indiquée par le docteur. Ashley venait effectivement de faire son apparition sur le pont. Son visage dégonflé avait repris une taille et une couleur normale. Seuls des yeux un peu humides et un nez enrhumé laissaient encore apercevoir ce qu’elle avait vécu.


— Ravi de vous revoir en forme, Ash ! la salua le commandant, soulagé que cet embêtant chapitre soit également clos.


— Je vous aurais prévenu que c’est un lapin qui a déboulé dans mes bras d’une conduite électrique pour me faire des câlins et m’embrasser sur le nez, chef ! Vous ne m’avez pas laissé le temps de m’expliquer… Ni de faire comprendre que ça n’était qu’une bête réaction allergique, si impressionnante soit-elle.


Shepard se renfrogna, il n’avait guère besoin qu’elle n’enfonce ce clou douloureux. Tout ceci n’était qu’un vulgaire quiproquo. Le docteur Chakwas connaissait les dossiers médicaux des membres de l’équipage sur le bout des doigts, elle aurait su au premier coup d’œil de quoi il s’agissait… si elle n’était pas au même instant portée disparue et assoupie une bouteille de vin entre les mains dans un recoin du Normandy.


— Commandant, intervint Joker depuis son fauteuil aux commandes du vaisseau. Le Dunkirk est au rendez-vous. Le commandant MacArthur demande la permission de monter à bord. 


— Permission accordée. Excusez-moi, ajouta-t-il à l’intention d’Ashley et de Chakwas. Je dois aller me préparer. 


Une navette de l’Alliance s’amarra bientôt au Normandy. Revêtu de son plus bel uniforme, Shepard attendit à la sortie du sas que le petit groupe qui l’occupait n’en sorte. Un officier âgé quoiqu’athlétique accompagné de deux aides de camp fit son entrée, suivi d’un grand homme d’allure méditerranéenne et d’une jeune fille à la peau olivâtre.


— WOOKIE !!! s’écria cette dernière quand le lapin recueilli par Liara s’échappa des bras de l’asari pour aller se réfugier dans les siens. La petite peluche, à présent lavée et peignée, frétilla de joie et enfouit son museau humide contre le visage de sa maîtresse.


— Je vous remercie d’avoir pris soin de lui, commandant, dit le capitaine DaForza qui s’approcha pour serrer vigoureusement la main du SPECTRE. J’espère qu’il ne vous a pas trop causé d’ennuis ? Il adore se glisser partout et ronger ce qui passe à portée de ses dents.


Shepard força un sourire crispé sur son visage et mentit :


— Oh, non ! Pas du tout, c’était un vrai plaisir. L’équipage l’a immédiatement adopté, n’est ce pas ? 


Dans son dos, Ashley et Kaidan opinèrent du chef en marmonnant avec une conviction feinte. Le commandant MacArthur, du croiseur de l’Alliance SSV Dunkirk vint à son tour saluer son homologue :


— Commandant Shepard, toute cette affaire est finalement tirée au clair : alors que nous approchions du site de crash du Yavin IV, nos capteurs ont détecté la présence d’une frégate butarienne au comportement pour le moins suspect. Elle a donné lettre morte à nos sommations de s’arrêter pour y effectuer un contrôle. Les butariens, qui se sont révélés être des esclavagistes en maraude, ont capitulé après une brève canonnade. C’est en arraisonnant leur frégate, un vaisseau de guerre thurien sans doute acheté au marché noir que nous avons découvert, tenus en captivité, les membres d’équipage du Yavin IV. 


Le capitaine DaForza prit le relais pour raconter l’histoire dans les détails :


— Les pirates nous ont attaqués pendant que nous cherchions le lapin de ma fille, qui s’était échappé de sa cage. Nous avions à peine eu le temps de comprendre ce qu’il nous arrivait que nous étions embarqués à bord de leur vaisseau, parqués dans la soute. Ils ont installé une bombe dans la soute du Yavin IV et l’ont fait exploser pour effacer les preuves. Heureusement, il n’a pas fallu plus de quelques heures pour qu’ils ne tombent par hasard sur le croiseur du commandant MacArthur, Dieu soit loué. Nous pensions que la seule victime à déplorer, outre le vaisseau et sa cargaison, serait Wookie qui était resté à bord du Yavin IV. Mais nous avons appris qu’il était sain et sauf lui aussi quand le Dunkirk vous a contacté pour vous annoncer notre sauvetage. 


— Ce jabberwocky dont parlait votre journal de bord, c’était donc le lapin ? demanda Shepard innocemment.


— C’est papa qui le surnomme ainsi, intervint Angelica DaForza, qui foudroya son père du regard. Parce qu’il aime bien être méchant avec lui et qu’il trouve que c’est un monstre. Son vrai nom, c’est Wookie. Elle enfouit son visage dans la fourrure de l’animal pour le couvrir de baisers. Hein ? C’est qui le pitiwookie à sa maman ? 


— Elle est fan jusqu’à la moelle de ces vieux holo de Star Wars, glissa DaForza en aparté. C’est elle qui a trouvé le nom du vaisseau, le Yavin IV. 

Il poussa un long soupir mélancolique.  

— C’était un peu notre maison, Angelica a travaillé dur pour obtenir après ses études un poste d’officier scientifique sur le même cargo que moi. Enfin, l’essentiel reste que tout l’équipage… et Wookie… soient sain et sauf. Quant aux dégâts matériels, l’assurance de la Compagnie devrait couvrir les frais. J’espère qu’elle n’opposera pas trop de difficultés.


Quelques remerciements et poignées de mains plus tard, Aldo et Angelica DaForza remontèrent à bord de la navette qui allait les reconduire à bord du Dunkik. Le commandant MacArthur s’attarda un instant pour parler en privé avec Shepard :


— Les esclavagistes butariens sont aux fers, sous bonne garde. Nous allons les conduire à la station Arcturus, en attendant leur transfert vers une prison de haute sécurité et leur procès. J’imagine que l’Hégémonie niera toute implication dans l’affaire mais, bah… nous savons tous deux à quoi nous en tenir avec eux.  

MacArthur baissa encore la voix, se pencha vers Shepard : 

— Quand au… mmh… message de détresse que votre timonier nous a envoyé. Je vous assure que vous pouvez compter sur ma discrétion absolue. Je ne souhaiterais pas embarrasser un héros tel que vous... Je suis resté… évasif dans le rapport que j’ai transmis à l’amiral Hackett. Je vous laisse le soin de combler les vides comme vous l’entendrez. Ça restera entre nous.


Shepard hocha la tête avec reconnaissance et honora le commandant de son plus beau salut. MacArthur le lui rendit et, escorté de ses aides de camp, retourna à bord de la navette qui décolla quelques minutes plus tard.


Les visiteurs partis, Shepard déambula pensivement dans les coursives du Normandy. Il avait envie d’une bonne douche chaude. Comme si l’eau fumante et le détergent pouvaient ôter le sentiment d’humiliation qui lui collait à la peau.


Ses pas le conduisirent à la soute, qui reprenait peu à peu sa forme normale. Armé d’un omnitech, Tali s’affairait à reboucher les impacts des balles tirées par Wrex et Garrus. En attendant d’être compacté et balancé dans l’espace s’empilait dans un coin le contenu des caisses incinérées par le krogan pour y avoir découvert des crottes de lapin.

Shepard admira son équipage au travail comme Napoléon aurait contemplé le champ de bataille au soir de Waterloo. Toute trace du désastre aurait bientôt disparu, il y veillerait. 


Garrus vint se placer à ses côtés, resta un instant à observer le spectacle lui aussi.


— Shepard, finit-il par avouer au bout d’un moment. Vous savez que je vous suivrais jusqu’au bout de la galaxie et au-delà, quelle qu’en soit l’issue. Ordonnez-moi de me jeter d’une falaise et tout ce que j’en dirais, c’est de vous demander de quelle hauteur. Mais s’il vous plaît, j’ai des limites : promettez-moi que jamais plus on affrontera quelque chose d’aussi dangereux qu’un lapin adulte…

Laisser un commentaire ?