Les enfants grandissent si vite

Chapitre 1 : Les enfants grandissent si vite

Chapitre final

2428 mots, Catégorie: G

Dernière mise à jour 07/03/2023 21:49

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Dansons sous la pluie -

(mars avril 2023).



Balade sous les diamants du ciel


La petite fille avait le nez collé au carreau. Ses grands yeux chocolat regardaient, mélancoliques, les gouttes qui ruisselaient sur la vitre. Dehors, la brise secouait les arbres couverts de bourgeons. Les oiseaux, ravis par cette ondée, chantaient fort. Elle voyait des mésanges chasser des pucerons dans le rosier en boutons et deux moineaux se baigner dans une flaque. Elle avait tellement envie de sortir, d’aller danser sous la pluie, elle aussi mais elle était enfermée là, à attendre la nouvelle nounou, une de plus, puisque papa et maman partaient encore travailler loin de la maison. 

Son petit cœur se serra. Encore une inconnue qui allait lui dire ce qu’elle avait à faire, qui allait la nourrir, l’aider à se laver, lui demander d’être sage et de ranger. Encore une qui resterait juste de passage, professionnelle voire stricte, probablement insensible à sa tristesse et à ses aspirations d’enfant. Pourquoi ses parents ne comprenaient-ils pas que c’était d’eux dont elle avait besoin ?

La sonnette retentit et sa mère cria à travers la maison :

– Samantha,viens vite ma chérie, la nouvelle nounou est arrivée !

Le menton tremblant, la fillette alla s’enfouir dans la jupe de sa mère. Son père la gronda doucement :

– Allons, Samantha, ce n’est pas le moment de te cacher ni de t’accrocher à ta mère. Sois polie et salue donc Mademoiselle Mary. C’est elle qui va s’occuper de toi jusqu’à notre retour dans six jours.

À contre-cœur, la fillette, le visage caché dans sa longue chevelure brune en bataille, se détacha de sa mère pour saluer d’un signe de tête et d’une petite voix la nouvelle venue.

– Bonsoir, Mademoiselle Mary.

– Bonsoir jeune fille, Madame, Monsieur, soyez assurés que je prendrai grand soin de votre enfant. Il me semble que votre taxi vous attend.

– Effectivement. Les instructions sont sur la table de la cuisine, vous avez notre numéro de téléphone en cas de besoin et vous pouvez solliciter les voisins, ils ont l’habitude. Chérie, il est temps de partir où nous allons manquer notre vol. Passe une bonne semaine, Samantha.

La fillette eut à peine le temps d’étreindre ses parents et de leur voler un baiser qu’ils avaient déjà claqué la porte dans une agitation de valises et de parapluies doublés de récriminations contre les larmes du ciel. Le silence se fit. L’enfant resta dans l’entrée, bras ballants. Elle fixait la porte close, luttant contre ses propres larmes.

Mary Poppins lui laissa le temps d’accuser le choc. Elle-même était touchée par le manque de préoccupation de Monsieur et Madame Catillon quant aux états d’âme de leur petite fille de six ans. Elle était d’ailleurs étonnée du stoïcisme de l’enfant. 

– Samantha, l’interpella-t-elle d’une voix douce, tu veux bien me faire visiter la maison et me montrer ma chambre ?

La fillette se tourna lentement vers l’étrangère qu’elle regarda pour la première fois, repoussant ses cheveux mal peignés pour les coincer derrière ses oreilles. Elle avait un petit nez joliment retroussé et un sourire tremblant auquel il manquait une incisive, découvrit Mary avec un sourire attendri.

Ce sourire sembla rassurer Samantha qui étira plus franchement la commissure de ses lèvres vers le haut. Contrairement aux nounous précédentes, celle-ci avait l’air jeune et douce. Maquillée d’une touche de rose sur les joues et d’un peu de noir sur les yeux, elle embaumait un délicat parfum fleuri, peut-être de la rose et du lilas. Ses cheveux noirs étaient parfaitement coiffés dans un chignon lisse agrémenté d’une épingle en fleur de cerisier. Sa tenue entière était noire et élégante et elle avait un grand sac au textile orné de fleurs roses et un curieux parapluie à tête d’oiseau.    

Oui, cette nounou lui plaisait plutôt. Elle lui inspirait même confiance. 

Comme demandé, elle lui fit visiter la maison et l’accompagna dans la chambre réservée aux nounous. Cétait une pièce lumineuse aux murs clairs et à la fenêtre donnant sur le jardin où les perce-neiges terminaient de fleurir, accompagnés par des crocus de toutes les couleurs. Les jacinthes, les jonquilles et les narcisses commençaient à pointer le bout de leur nez, signe que le printemps n’allait plus tarder. 

Mary surprit le regard rêveur de l’enfant qui regardait dehors.

– Est-ce que tu veux aller te promener quand j’aurais fini de déballer mes affaires ?

– Nous promener alors qu’il pleut ?! Ce serait d’accord ?!

La jeune femme fut ravie de l’éclat d’étonnement et de joie dans les yeux de l’enfant.

– Bien-sûr, sourit-elle, avec un peu d’équipement on peut se promener par tous les temps. Tu as certainement un ciré et des bottes de pluie, non ?

– Ouiiiii !

– Alors va les mettre et rejoignons-nous dans l’entrée.

Samantha fila dans sa chambre et fouilla dans son armoire. Elle dénicha ses bottes jaunes et son ciré assorti et les enfila avec hâte, sans prêter attention à l’étiquette qui était toujours accrochée au col. La fillette se promis de téléphoner bientôt à sa Mamie Chérie pour lui dire que son cadeau d’anniversaire avait enfin servi. Par chance, la brave femme avait prévu des bottes un peu grandes, elle se doutait, connaissant sa fille et son beau-fils, qu’elles risquaient de ne pas servir souvent.

Mary Poppins avait sorti de son côté un superbe ciré rouge et des bottes de la même couleur. Son fidèle parapluie venait de lui faire une remarque désobligeante à ce propos, et concernant son habituel chapeau qu’elle abandonnait pour l’occasion, mais elle l’invita à fermer son bec. Le sourire réjoui de la fillette lui mit du baume au cœur. Elle lui ouvrit la porte et déploya son parapluie tandis que l’enfant s’élançait sur le trottoir. 

Les gouttes d’eau tombant du ciel faisaient un son charmant sur la toile noire et sur la capuche ensoleillée. Elles résonnaient sur les bâtiments, ricochaient dans les gouttières, s’accumulaient dans les caniveaux, ruisselant joyeusement vers les égouts. 

L’enfant et Mary se trouvaient sous une de ces ondées printanières aux gouttes généreuses mais espacées. De jolies flaques s’étaient formées sur l’asphalte et Samantha interrogea sa nouvelle nounou du regard.

– Eh bien, tu attends quoi ? 

Splatch ! La jeune femme parfaite sous tout rapport prit son élan et sauta dans la première flaque, provoquant un magnifique raz-de-marée qui aspergea largement le trottoir. Le rire grelot de Samantha la ravit. Quittant sa réserve, l’enfant choisit la plus grande étendue d’eau à proximité et la traversa en mode kangourou en poussant des cris de joie.

– Bravo ! Tu fais ça comme une spécialiste ! Allez, direction le parc au bout de la rue, je suis sûre que nous aurons plein de merveilles à y découvrir.

Fidèle à elle-même, Mary se mit à chanter de sa voix douce et joyeuse, entraînant l’enfant qui sautait de flaque en flaque dans son sillage.


 La pluie, j’aime la pluie

La pluie qui chante, la pluie qui mouille

La pluie, j’aime la pluie

Qui ravit crapauds et grenouilles


Grâce à ce limpide cadeau du ciel

J’verrais peut-être un arc-en-ciel

En attendant j’peux profiter

De toutes les fleurs en train d’pousser


La pluie, j’aime la pluie

La pluie qui chante, la pluie qui mouille

La pluie, j’aime la pluie

Qui ravit crapauds et grenouilles


Précieuse eau gonfle les ruisseaux

J’vais pouvoir faire voguer un bateau

En attendant je fais flic-flac

En bondissant dans toutes les flaques


La pluie, j’aime la pluie

La pluie qui chante, la pluie qui mouille

La pluie, j’aime la pluie

Qui ravit crapauds et grenouilles


Elles arrivèrent à l’entrée du parc et poussèrent la grille. Un rayon de soleil perça les nuages au moment-même où elles entonnaient de nouveau le couplet sur l’arc-en-ciel. Le miracle se produisit : sous les yeux émerveillés de Samantha, le ciel noir se para des couleurs étincelantes qui formèrent une arche parfaite au-dessus de l’étang qui retrouvait son calme à mesure que s’espaçaient et s’affinaient encore les gouttes de pluie.

Deux cygnes quittèrent les roseaux pour se rejoindre au centre de l’étendue d’eau. Ils tendirent le cou pour se câliner. Les couleurs se reflétèrent sur leurs plumages immaculés. 

– Tu as vu comme c’est beau, on dirait de la magie, souffla Samantha.

Elle souriait de (presque) toutes ses dents, rayonnante. Une bourrasque fit s’envoler sa capuche et s’engouffra dans ses cheveux, les faisant boucler. L’enfant se mit à tourner sur elle-même, bras ouverts, tête renversée vers l’arrière, et son rire s’envola avec les petits oiseaux surpris par sa soudaineté.

Mary la regarda éclore comme une fleur printanière. Comme tous les enfants, la fillette savait s’émerveiller des petites choses et l’adulte savourait sa joie comme la douceur du miel. Elle gardait cependant la petite fille à l'œil, si elle la laissait trop rire, elle risquait de s’envoler et ici, pas de plafond pour la retenir. Remarque, elle avait son parapluie, au cas où.

– Youpla, Samantha, j’ai d’autres choses à te montrer, suis-moi.

La petite ne se fit pas prier. Elle repoussa ses cheveux derrière ses oreilles et suivit l’adulte en sautillant de flaque en flaque. Mary Poppins se dirigeait à présent vers un bosquet. Juste avant d’arriver sous le couvert des arbres en fleurs, elle fit signe à l’enfant de faire silence. Samantha écarquilla les yeux et sentit son cœur bondir de joie dans sa poitrine en apercevant un trio de petits écureuils roux en train de jouer dans les cimes. Ils se poursuivaient, bondissant de branche en branche, descendaient les un derrière les autres, la tête en bas pour contourner brusquement le tronc et repartir de plus belle. 

Mary Poppins fit un clin d'œil complice à Samantha et sortit de sa poche une poignée de noisettes qu’elle plaça dans la main de l’enfant. 

– Va t’asseoir sur le banc sous l’arbre et ne bouge plus.

La fillette obéit et observa la réaction des trois coquins qui avaient repéré les gourmandises. Ils se penchaient du haut d’une branche située juste au-dessus de sa tête, agitant nerveusement la queue tout en la fixant de leurs yeux noirs et brillants pareils à des billes. L’un d’eux s’enhardit à descendre d’un étage et, constatant que la petite humaine ne bougeait pas, dévala subitement le tronc pour bondir agilement sur le banc, à côté de l’enfant.

Elle retint son souffle, les yeux pétillants de le voir si proche. Elle se retint de pousser un petit cri quand elle sentit l’adorable petite bête poser les pattes sur sa cuisse pour s’emparer d’une noisette dans sa paume. Pfffuit ! L’écureuil repartit, laissant place aux deux autres gourmands qui vinrent se servir à leur tour puis remontèrent déguster leur butin.

– Dépose les autres au pied de l’arbre et reprenons notre promenade, veux-tu ?

Samantha acquiesça et suivit Mary qui lui montra alors les merveilles du printemps. Elles passèrent un long moment à humer des jacinthes bleues, à goûter des violettes sauvages, à contempler les derniers crocus et perce-neiges ainsi que les premiers narcisses en fleurs. La jeune femme montra à l’enfant comment créer une délicate couronne de fleurs de prunus dont la teinte rosée mettait en valeur la clarté de son teint et la teinte sombre de ses cheveux et de ses yeux. 

Enfin, l’heure de rentrer sonna et toutes deux repartirent vers la maison prendre un bain bien chaud et préparer le dîner. 

Quand Monsieur et Madame Catillon firent leur habituelle visio avec leur fille ce soir-là, ils eurent la surprise de la trouver rayonnante et souriante, coiffée, comme une petite fée des bois, d’une délicate couronne fleurie. Elle était intarissable sur tout ce qu’elle avait vécu ce jour-là et sa joie les toucha en plein cœur. 

Quand ils eurent raccroché, ils soupirèrent de concert. Madame Catillon effaça une larme et murmura d’une voix étranglée : 

– Je n’ai pas reconnu Samantha, ce soir. Je n’ai pas souvenir lui avoir vu un air aussi joyeux…

– C’est vrai… J’ai comme l’impression qu’on est en train de louper quelque chose avec elle.

– Elle grandit si vite. J’ai peine à croire que mon bébé a déjà six ans…

– Oui, elle pousse comme un champignon. Dire qu’il n’y a pas si longtemps je pouvais la faire tenir sur mon bras… On devrait peut-être moins travailler, toi et moi. 

– Ou au moins partir en déplacement moins souvent…

– Et peut-être pas en même temps. Ça nous permettrait de passer plus de temps avec elle.

– Et de la voir grandir, éclore, s’épanouir.

– Oui. C’est décidé, Chérie, j’appelle le client et dès demain, on rentre.

– Merveilleuse idée, mon amour. En plus il n’ont fait que de prévoir de la pluie ici, cette semaine. Je veux rentrer auprès de mon rayon de soleil.

Après avoir couché Samantha. Mary Poppins rangea ses affaires avant de se coucher, elle aussi. Elle savait que sa mission serait bientôt terminée. Elle serait une nouvelle fois oubliée mais peu lui importait. Tant que les enfants qu’on lui confiait étaient heureux, c’est tout ce qui comptait.



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