Nouvelle mission pour Mary Poppins
Chapitre 1 : Nouvelle mission pour Mary Poppins
2757 mots, Catégorie: T
Dernière mise à jour 14/05/2020 17:28
Cette fanfiction participe aux Défis d’écriture du forum Fanfictions . fr : Il était une fois dans l’Ouest (avril-mai 2020).
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Nouvelle mission pour Mary Poppins
Un soleil de plomb écrase tout sous la chaleur de ses rayons, la ville est petite, composée de baraquements en bois peints : quelques maisons, le maréchal ferrant, la banque, le bureau du Chérif avec sa prison, qui fait aussi pompes funèbres, le magasin et bien-sûr le saloon avec ses chambres à l'étage.
La terre ocre reflète la lumière de l’astre solaire. De la poussière est soulevée par le vent qui fait tourbillonner des virevoltants dans les rues. Des chevaux renâclent à l’attache, grattant le sol de leurs sabots devant des abreuvoirs à l’eau trouble et écumeuse. Le silence épais n’est troublé que par la joyeuse musique et le brouhaha qui sort du saloon.
Dans le ciel immensément bleu, un point noir grossit à vue d’œil. Que dis-je ? Un point noir, non, une silhouette. Vous la voyez n’est-ce pas ? Peut-être même que vous reconnaissez cette silhouette résolument féminine suspendue à un parapluie noir. Elle descend lentement du ciel, robe longue vert sombre, jupons blancs, bottines lacées, chignon parfait, petit chapeau ornementé de quelques fleurs blanches. Tout en elle est précisément impeccable.
La jolie brune atterrit, dépose son sac, ferme son parapluie à la poignée en tête d’oiseau puis lève ses yeux pétillants de malice vers vous. Elle vous demande :
-Bonjour ! Pouvez-vous m’indiquer où je suis et en quelle année ?
Elle patiente poliment mais comme vous ne lui répondez pas elle insiste :
-Oui, oui, c’est bien à vous que je pose la question ! Vous êtes bien en train de lire cette histoire, non ?
Comment-ça vous n’en savez fichtrement rien et c’est mon travail de répondre à ces questions ?!
-Vraiment ? Vous n’avez donc pas la réponse ? Semblerait-il qu'il faille que je questionne le narrateur ? Soit. Monsieur le narrateur, auriez-vous s’il vous plaît l’obligeance de m’indiquer le contexte où vous m’avez fait atterrir ? En passant, merci d’indiquer à la personne qui nous lit qu’il n’est pas correct de jurer.
Je m’éclaircis la voix :
-Oui bien-sûr Mary Poppins, excusez-moi, j’étais distrait. Vous êtes donc présentement dans la province de Middletown, en Amérique du Nord, été 1887. Quant à la personne qui lit, je la vois confuse de sa grossièreté.
-1887? Vraiment ? Comme c'est curieux ! Hier je quittai la famille Banks en 1910! C'est bien première fois que je pars dans le passé. Mary hausse les épaules, rajuste son chapeau sur son chignon tiré à quatre épingles, lisse sa robe, rassemble ses effets et levant fièrement le menton pousse la porte battante du Saloon :
-Quand il le faut, il le faut ! Youpla! Allons voir de quoi il retourne.
Le joyeux brouhaha et les odeurs d’alcool forts et autres relents de tabac enveloppent la jeune femme. Le silence se fait subitement à son entrée, il faut dire qu’on n’en voit pas beaucoup des Dames de sa qualité par ici. Seul le pianiste égraine encore quelques notes sautillantes et joyeuses avant de se rendre compte de l’immobilité ambiante. Il s’interrompt au beau milieu d’une phrase musicale.
Mary soutient sans sourciller la vingtaine de paires d’yeux qui la fixent bouches bées. Les tenues sont faites d’étoffes rudes aux couleurs ternes et poussiéreuses, les visages grossiers et mal rasés, clope au bec, verre d’alcool fort ou cartes de jeu à la main, chapeaux de toutes sortes sur la tête. Quelques femmes font parties du lot, chevelures libres, maquillage ostentatoire, tenues indécentes, aucun doute sur la profession de ses dames, si vous voulez mon avis. Non, non, n’insistez pas, je n’entrerai pas davantage dans les détails.
Revenons à celle qui nous intéresse et qui n’a rien d’une fille de joie bien qu’elle soit la beauté et la gaieté incarnée. Notre chère Mary Poppins donc, les salue d’un mouvement de tête un peu sec, un léger sourire aux lèvres :
-Bien le bonjour Messieurs, Mesdames, je vous en prie, reprenez là où vous en étiez !
Quelques levés de chapeau polis plus tard, l’animation reprend de plus belle. Le pianiste s’en donne à cœur joie, ça trinque, les verres heurtent la table, une fille improvise une danse sous les sifflements de ces messieurs, accaparant l'attention.
Mary s’approche du comptoir. Le tenancier la salue distraitement tout en essuyant machinalement des verres. Elle accroche son parapluie sur le bord, pose son sac, l’ouvre en grand et commence à fouiller dedans. Elle en sort d’abord une théière et une tasse en porcelaine agrémentés de motifs floraux délicats. Elle déguste son thé avec satisfaction, puis fouille encore son sac en grommelant :
-Où diable se cache-t-il?!
Elle sort alors tout un porte-manteau, pas une patère, entendons-nous bien, un vrai porte-manteau sur pied mesurant bien un mètre soixante de haut! Des regards surpris embrumés par l'alcool, accompagnent le phénomène, vous ça ne vous surprend guère, à ce que je constate. Mary ne prête aucune attention à la surprise générée. Elle s'exclame :
-Ah, le voilà, brandissant victorieuse un magnifique Stetson noir.
Elle accroche au porte-manteau son chapeau fleuri, chausse le Stetson et jette un œil au miroir qu'elle vient de sortir de son sac. Elle en profite alors pour se repoudrer le nez puis, affichant un sourire satisfait, range toutes ses affaires dans le sac comme si de rien n'était.
Mary interpelle le tenancier, sollicitant une chambre pour la nuit et questionnant sur d'éventuels enfants qui auraient besoin d'être gardés. Elle écope d'un regard interloqué.
L'ambiance change soudainement. Des éclats de voix, une bagarre éclate, des bouteilles sont brisées, le mobilier renversé, une femme crie, deux hommes tournent lentement sans se quitter des yeux, la main posée sur le colt, prêts à dégainer. Seul résonne le bruit de leurs bottes de cow-boy et le tintement de leurs éperons.
Le tenancier essaie de les arrêter d'une voix tremblante :
-S'il vous plaît Messieurs, pas de bagarre chez moi… Vous allez encore tout me casser... faites ça dehors…
Un coup de feu dans sa direction le fait plonger derrière son comptoir. La balle a fait exploser une bouteille sur le présentoir quelques centimètres à sa droite. Tout le monde se tait. L'espace vers la sortie se dégage de façon à permettre aux deux belligérants de quitter l'établissement pour un duel en bonne et due forme. Leur public les suit se répartissant de part et d'autre de la rue. Mary suit le mouvement, restant juste devant les portes battantes.
Un silence pesant s'abat. Quelqu'un joue de l'harmonica, ajoutant une touche supplémentaire de dramatique à la situation.
Je me permets de suspendre le temps pour vous présenter, et à vous aussi, Mary, nos deux duellistes : John Arsilei est le plus jeune des deux. Il vient d'avoir vingt-six ans et est père d'un jeune Peter de 5 ans. Sa femme, l'amour de sa vie, est morte en lui donnant la vie. Il ne l'a jamais remplacée. Il élève donc Peter seul, en cultivant sa terre et en élevant quelques animaux. C'est un père aimant, qui donnerait tout pour son fils. Physiquement, il apparaît fluet malgré des épaules solides. Son visage est presque imberbe et il a une chevelure claire et un regard franc. C'est un homme bon malgré la dureté de sa vie. Il est toujours prêt à œuvrer pour le bien. Il n'hésite jamais à tendre la main à ceux dans le besoin. Sa seule erreur ? Avoir fait confiance à Bill Erirk en lui louant un terrain et en lui empruntant de l’argent.
En face de lui Bill Erirk, cinquante-deux ans est une armoire à glace, hirsute, aux yeux plus noirs que ses cheveux et sa barbe qui présentent de plus en plus de poils blancs. C'est un homme réputé pour sa violence, il est propriétaire de la plupart des terrains de Middletown et n'hésite pas à se débarrasser de ceux qui ne peuvent pas payer leur loyer, histoire de les remplacer. Inspirer l’effrois et faire du profit, voilà l’essentiel de sa vie.
Vous devez savoir que l'année en cours a été particulièrement mauvaise pour les récoltes et John Arsilei lui doit de l'argent, beaucoup d'argent. D’autant plus que Bill a sciemment augmenté sa dette, inventant de nouvelles taxes et sabotant les outils de l'homme pour l'obliger à en racheter, à emprunter plus encore et s'arranger ainsi qu'il ne puisse pas rembourser sa dette. Il faut dire que Bill voue une haine sans nom à John. En fait, il l'envie mais il ne peut l’avouer. Il s’est fixé un objectif : obtenir le gosse, en faire le fils qu'il n'a jamais eu. En effet, Bill Erirk n'a jamais su séduire une femme et pis, celles qu'il s'est arrogées de force, il n'a pas su les honorer. Son impuissance est sa plus grande honte. Il la cache derrière sa violence et sa haine mais n'a jamais fait le deuil du fils qu'il ne peut pas avoir. Il a bien proposé à John de lui racheter Peter et d'effacer ainsi son ardoise mais ce crétin a refusé. Il doit donc mourir aujourd'hui.
Je sais que le gamin va bientôt débouler comme un chien dans un jeu de quilles Ma douce Mary, je crois que c'est là que vous devez intervenir. Vous êtes prête ? Je remets en mouvement dans cinq, quatre, trois, deux, un… Action!
Bill Erirk crache au sol. Il veut lui faire faire dans son froc à ce petit con. John est droit dans ses bottes, impossible pour lui de mourir et de laisser son Peter aux mains de la brute. Ils s'affrontent du regard, les doigts frétillants à proximité de leur arme. Un duel à mort.
-Papa!!!
Le gamin, tout crotté d'avoir joué dans la terre, les cheveux blonds en bataille, court vers son père, déclenchant sans le vouloir l'action. Chaque homme saisit brusquement son arme, et appuie sur la gâchette en se jetant de côté dans la foulée.
Pour Mary Poppins, je fais dérouler l'action au ralenti : elle ouvre son parapluie, fait une volte, attrape l'enfant et dévie les balles qui rebondissent sur la toile magique avant qu'elles ne les atteignent. L'enfant lui échappe, il fonce vers son père tandis que Bill Erirk continue de vider son chargeur vers John Arsilei qui a lâché son arme en apercevant son fils. Mary dévie à nouveau les balles, elle semble danser à une vitesse incroyable pour ceux qui observent la scène à vitesse réelle. Une des balles rebondit et touche Bill Erirk à la poitrine. Il s'effondre. L'enfant arrive dans les bras de son père qu'il serre fortement en sanglotant. John le berce contre lui, le rassure.
Mary récupère l’arme de Bill, et la laisse tomber dans son sac. Elle s’agenouille devant lui et chante de sa voix claire cette chanson que vous connaissez bien : « C’est le morceau de sucre qui aide la méd’cine à couler, méd’cine à couler, méd’cine à couler… » et l’homme fasciné et charmé par le chant ne réalise même pas qu’elle extrait la balle puis en un claquement de doigts referme la plaie. La lumière jaillit dans la tête de Bill qui se croit face à un ange et peut-être en êtes-vous réellement un Mary ?
Mary relève la tête vers vous et vous fait un clin d’œil entendu.
Elle aide l’homme à se relever et lui pose cette question :
-Pensiez-vous vraiment obtenir l’amour d’un enfant en tuant son père ?
Bill baisse les yeux. Il se tait. Il est en train de réaliser que depuis toujours il fait fausse route, déguisant sa déchirante solitude derrière une haine implacable. Haine qui l’a menée à quoi ? La richesse, certes, mais une solitude plus grande encore. Et c’est elle qui le ronge depuis toujours. Cette tristesse profonde de n’être aimé par personne. D’avoir été abandonné, maltraité, rejeté dès son premier souffle. Jusque-là, son seul moyen de trouver sa place était de la prendre de force. Il l’avait compris le jour où, âgé de six ans, agressé, humilié une fois de plus, il avait cogné de toutes ses forces sur son persécuteur, un gamin plus grand, plus âgé que lui. Le sang avait giclé de son nez, puis le gosse s’était plié en deux sous son coup de poing au foie, il avait glapi de douleur et s’était recroquevillé sur lui-même quand, au sol, il lui avait envoyé des coups de pieds dans les parties. A partir de ce moment-là, le petit Bill s’était senti puissant. Il avait vu la peur dans les yeux des autres. Il avait pris cela pour du respect. Bien peu d’entre eux osèrent se mesurer à lui après cet épisode-là. Aucun de ceux qui le firent n’en sortit indemne. Il avait bâti sa réputation année après année, gagnant en haine et en cruauté.
Pour la première fois de sa vie, un être humain, une femme de surcroit, porte sur Bill une attention bienveillante. Pour la première fois de sa vie il croise un regard souriant, sans peur ni haine. Il y lit, chose déstabilisante, de la tendresse et de la compassion. Elle lui tend la main, l’aide à se relever. L’homme, examine, hagard, le trou dans ses vêtements et la peau lisse, indemne en dessous. Il est vivant, il se sent vivant. Il serre la main de Mary Poppins. Il sent de la chaleur qui monte dans sa poitrine et sa gorge. Il y a quelque chose de noué là. Il n’arrive pas à déglutir correctement. Il a comme des papillons dans le cœur qui bat de manière anarchique. Ses yeux s’embuent. Quelque chose de chaud coule sur ses joues. Il ne l’a pas encore compris mais il pleure. Il n’a pas pleuré depuis… A-t-il jamais pleuré au juste ? Peter a vu la scène entre l'homme et son père mais n’a pas tout compris. Il perçoit seulement la détresse de Bill. Il se dirige vers lui, lui prend l’autre main et lui tend un mouchoir :
-Faut pas pleurer, Monsieur, ça va aller…
Et le bambin, en toute innocence, se met sur la pointe des pieds : comme son père l’a fait pour lui, il voudrait aider l’homme à sécher ses larmes et à se moucher. Bill se laisse tomber à genoux, il sanglote comme un enfant. C’est Peter qui lui caresse les cheveux sous le regard attendrit de son père. Il chuchote inlassablement à l’oreille de Bill :
-Là, là, c’est tout, ça va aller…
Mary Poppins s’éloigne discrètement de la scène, elle vous fait signe :
-Je crois que ma mission ici est terminée ! Au plaisir de vous revoir, ajoute-t-elle en vous lançant un baiser assorti d’un clin d’œil malicieux.
Elle ouvre son parapluie et saisit son sac. Vous la regardez s’envoler tandis que l’attention de la ville toute entière reste dirigée vers Bill, Peter et John.
Aujourd’hui, grâce à Mary, trois vies ont été sauvées et même certainement embellies. Je vous laisse imaginer la relation qui peut se construire à présent entre Bill, John et Peter. Quelque chose me dit que la réputation de Bill Erirk va changer du tout au tout et qu’il va savoir faire bon usage de sa deuxième chance. Il semblerait même qu’il se soit fait un jeune ami, à défaut d’avoir volé un fils.
Il est temps à mon tour de vous dire au-revoir puisque cette histoire est terminée. Nous nous reverrons peut-être dans de prochaines aventures !