Fraternité

Chapitre 2 : Chap. 2

2285 mots, Catégorie: G

Dernière mise à jour 21/11/2020 10:00

Septembre 2003 — Malibu — Villa du domaine Stark

Une tornade brune souffla dans le couloir de l’étage. Rien ne semblait pouvoir la stopper dans son élan ravageur, ni les murs antisismiques, ni les vitres pare-balles. La chambre qu’elle venait de fuir était dans un état de catastrophe naturelle déclaré. Les draps traînaient avec négligence sur le lit, des livres formaient un petit chemin entre la bibliothèque en chêne massif et le divan, tandis que des vêtements et des serviettes de toilette agonisaient au sol. Qui pouvait prédire que ce désastre était le fruit d’une adolescente de quinze ans ? Celle-ci dévala le bel escalier en marbre qui menait dans l’immense double salon, annexé par une magnifique terrasse dont la baie vitrée était ouverte sur la mer. Le chant et la vue ralentirent un instant la furie avant qu’elle ne reprît sa course jusqu’à la cuisine en compagnie de Kassandra, sa golden retriever.

Là, elle embrassa avec tendresse son frère aîné qui était en plein combat culinaire. D’un regard suspect, elle observa la poêle et s’interrogea sur l’identité de la future victime, de même que sur le crime qu’elle avait bien pu commettre pour mériter une mort par intoxication. Tony Stark n’était pas un fin cuisinier. Des plats simples restaient dans son domaine, mais au-delà, c’était le grand néant. Il préférait commander des pizzas ou bien du fast food chez Big Billy Burger. Sa motivation à tenter d’envahir la cuisine venait de sa jeune sœur, Charline. Cette dernière était végétalienne et cela l’avait amenée à beaucoup cuisiner. Tony s’intéressait à son régime alimentaire et il s’employait donc à faire des efforts, d’autant qu’il appréciait certains de ces petits plats.

Sa tête vira vers l’adolescente après avoir câliné celle de Kassandra.

— Quoi ? Et… tu n’es pas à la bourre ce matin ? remarqua-t-il.

— Si. Un peu. Si tu veux mon avis, ne laisse personne avaler ce truc. En tout cas, personne à qui tu tiens.

Tony retint un soupir tandis que sa sœur se moquait ouvertement de lui.

— Fais gaffe ou c’est toi que va goûter ce « truc », menaça-t-il avec la cuillère en bois.

L’adolescente tira la langue et ouvrit la porte du réfrigérateur. Elle en sortit deux sandwichs, ainsi qu’une petite boîte de mélanges de légumes et de légumineux, qu’elle rangea dans son sac. Selon ses habitudes, elle déjeunerait avec sa meilleure amie Michaëla et le repas avait été préparé pour deux. Aujourd’hui était la rentrée scolaire et, même si elles s’étaient croisées la veille au matin, elles avaient l’impression qu’elles s’étaient quittées depuis des jours.

— Au fait, choupette, je décolle demain de bonne heure pour New York avec Obadiah et Ezekiel. Happy reste ici pour ta sécurité, ainsi que Pepper.

Rien d’étonnant en somme. Happy Hogan était le garde du corps officiel de Tony, mais en son absence, il restait auprès de Charline. Le milliardaire n’avait confiance en personne d’autre en ce qui concernait la protection de sa sœur. Tony avait conscience du danger qui pesait sur sa famille en raison de qui il était.

Tony Stark était président et chef exécutif de l’entreprise familiale Stark Industries — fondée par leur père — et le fils aîné avait pris la succession à sa mort douze ans plus tôt. Cette société était leader sur le marché des armes et elle fournissait principalement l’armée des États-Unis. Tony avait su redorer son nom en innovant toujours plus loin. Des armes plus intelligentes, plus autonomes, plus mortelles et personne n’était, pour le moment, en mesure de le battre sur son propre terrain. Il agissait pour la paix bien que sa façon de procéder s’opposât aux opinions de Charline. Le frère et la sœur se frittaient à ce sujet.

L’adolescente prônait la non-violence. Elle n’aimait pas les armes à feu et elle n’avait appris à s’en servir que sous la contrainte de Tony. En cas de nécessité absolue, il tenait à ce qu’elle pût se défendre. À sa majorité, il savait très bien qu’elle renierait l’entreprise. Les parts qui lui reviendraient de droit par succession seraient alors revendues à Tony. Ils en discuteraient à nouveau le moment venu, mais sa sœur ne voulait pas avoir le sang des innocents sur les mains. Elle ne cautionnait pas cette violence qu’elle jugeait inutile et elle agissait différemment.

— Je serai de retour pour le week-end. On pourrait aller faire une virée avec Mike.

Charline se tourna vers son frère le sourire aux lèvres.

— À San Francisco ? Ce serait génial. On longerait les côtes du Pacifique. Tu en penses quoi ?

— Euh… on aura près de 7 h de route. On ne pourra pas partir de bonne heure, si tu as ton rendez avec le docteur Brosman, nota Tony.

Charline secoua la tête.

— Il est vendredi après-midi. Du coup, debout à l’aube samedi matin.

Une fois le planning du week-end validé, l’adolescente prit son sac et se rua vers la porte d’entrée. Elle n’était définitivement pas en avance. Elle traversa la cour en graviers afin de rejoindre le portail de la propriété. Sa chienne la suivait en trottinant fièrement. Kassandra était harnachée d’un gilet bleu où il était inscrit : « chien d’assistance ». Cela faisait près de six mois qu’elle était auprès de Charline et son état de santé s’était considérablement amélioré, bien plus qu’en un an et demi de traitement médicamenteux. La zoothérapie avait fait des preuves à de nombreuses reprises. Tony et Charline n’avaient pas hésité à entamer cette procédure et aucun des deux ne regrettait ce choix. Pour la première fois en deux ans, la famille était enfin apaisée même si rien n’était gagné pour autant.

En chemin, elle salua de la main Pepper Potts, l’assistante personnelle de son frère. La belle rousse travaillait pour la famille Stark depuis des années. Elle avait été embauchée peu après le décès des parents par Tony en tant que baby-sitter. Il fallait avouer qu’il avait eu besoin d’un coup de main à l’époque. Pepper était restée auprès d’eux et elle avait évolué en grade. Elle revenait du pressing où elle avait récupéré des costumes pour son patron.

— Tu veux que je te dépose ? proposa-t-elle après avoir ouvert la fenêtre de la voiture.

La jeune fille accepta. Au bout du compte, elle admettait qu’elle arriverait au lycée avec un fort retard. Elle se dirigea sans hésitation vers l’allée centrale et enjamba les rangées de fleurs, ainsi que le muret. Puis, elle installa Kassandra sur la banquette arrière en attachant la laisse de sécurité et monta à l’avant à côté de Pepper. Celle-ci fit demi-tour pour déposer l’adolescente à son école.

Charline suivait son enseignement dans un établissement privé situé de l’autre côté de Malibu : le Silver School Malibu. Il assurait une éducation du plus jeune âge jusqu’à la préparation à l’université. Les cours étaient d’une haute qualité et la grande majorité des enfants de Malibu étudiaient là-bas. Les avantages étaient la diversité de l’enseignement et sa qualité ; l’inconvénient était que les héritiers pourris gâtés fréquentaient les lieux. Charline ne critiquait pas son frère de vouloir lui offrir ce qu’il y avait de mieux. Lui-même avait eu cette chance et il avait brillé dans ses études. La jeune fille n’oubliait pas qu’il avait été diplômé du M.I.T. à dix-sept ans et elle se demandait si elle serait à la hauteur du nom de leur famille. C’était ce qui l’effrayait le plus : être la honte et échouer là son père et son frère avaient si bien réussi.

Elle était loin d’être comme eux. Charline rêvait de travailler auprès des animaux. Son bénévolat au Refuge de la 2de Chance, par lequel elle avait pu adopter ses trois chevaux, lui avait fait comprendre que c’était ce qu’elle voulait. Soucieuse de l’environnement et des êtres qui l’entouraient, Charline souhaitait donner son temps et son argent dans la protection animale. Créer son propre refuge dans l’avenir ? Elle y songeait. Végan par choix, par conviction, elle désirait aller plus loin : lutter contre la maltraitance animale, aider les animaux et les propriétaires dans le besoin, sauver des vies et redonner confiance à ceux qui l’avaient perdu.

Seulement, comment Tony réagirait-il face à ce choix ? L’accepterait-il ? Sans aucun doute qu’il la voyait dans l’une des plus prestigieuses universités du pays. La jeune fille était plongée dans le doute et cette année risquait d’être compliquée, car les dossiers pour les universités commenceraient à être montés. Comment pourrait-elle affronter Tony ? Comment pourrait-elle regarder son frère dans les yeux pour révéler qu’elle ne voulait pas d’études universitaires ? Que sa décision de ne pas s’investir dans la Stark Industries était définitive ?

Une truffe sur sa nuque la sortit de ses pensées. Kassandra avait senti son stress soudain et ses mains tremblantes n’avaient pas échappé à Pepper.

— Charly, tu vas bien ? s’inquiéta-t-elle.

— Oui, enfin… je pensais à plein de trucs. Rien d’important.

L’assistante voulut poser la question sensible, mais elle se retint au dernier moment. Elle jugeait que seul Tony avait ce droit. Charline semblait nerveuse depuis quelques jours et Pepper supposait que cela était dû aux commémorations des deux ans des attentats du 11 septembre 2001. Celles-ci auraient lieu la semaine suivante et, comme l’année dernière, Charline redoutait cette date, ce souvenir qui hantait ses jours et ses nuits.

La jeune fille suivait un traitement pour stress post-traumatique depuis cet événement, et le chemin était encore long pour une totale guérison, s’il était possible de guérir d’un tel traumatisme. Tony ne se faisait pas d’illusion. Il savait pertinemment que sa sœur resterait marquée à vie. Il remerciait le ciel chaque jour qu’elle fût encore en vie et que Kassandra fût entrée dans sa vie. La chienne, formée pour être chien d’assistance psychologique, permettait de prévenir les crises d’angoisse et calmait les cauchemars. En six mois, elle avait fait plus de résultats que les médicaments en un an et demi.

— Cette année va être bien chargée. Entre les différentes options, les spécialités pour prévoir les études supérieures et c’est l’année où on peut s’inscrire pour participer au concours du M.I.T. pour l’innovation technologique. C’est… beaucoup.

Outre le stress des enjeux pour son avenir, oui, l’approche des commémorations la rendait nerveuse. Son psychiatre assurait que cela était normal et il avait conseillé d’y participer. Depuis les attentats, Charline n’avait pas remis les pieds à New York. Elle refusait d’y retourner même si c’était une étape qu’elle devrait franchir un jour ou l’autre.

— Tu as déjà des idées sur les options que tu veux choisir ? interrogea Pepper dans le but de lui changer les idées.

— Oui, j’ai même pris de l’avance durant les vacances, mais j’attends confirmation avant d’en parler. Je dois voir l’équipe ce matin justement.

Charline était souriante et confiante. Cette année, elle désirait intégrer le journal de l’école, notamment en tant qu’illustratrice. Michaëla l’avait poussé à postuler, car elle avait un grand talent qui méritait d’être reconnu. Elle aimait dessiner chaque jour, de tout et de rien, et Tony adorait découvrir les illustrations de sa sœur. Seuls étaient cachés ceux qu’elle réalisait pour extérioriser ses angoisses. Elle les préservait précieusement dans un tiroir.

— Pepper, arrête-toi ! C’est Mike !

La voiture se stoppa sur le bord du trottoir, non loin d’une adolescente à la belle chevelure blonde. Cette dernière se retourna au moment où Charline sortit du véhicule. Les deux amies s’étreignirent chaleureusement.

— Prête pour une nouvelle année ? Je pensais que Tony t’aurait accompagné, taquina-t-elle.

— Après l’an passé ? Hors de question.

Personne ne pourrait oublier la honte que le milliardaire avait fait subir aux deux adolescentes. Tony s’était bien amusé de la plaisanterie. Quant à sa sœur, elle s’était promis de le tenir à l’écart de son école pendant un moment. Toutefois, c’était un souvenir pour lequel ils riaient quand ils l’évoquaient.

— Pepper, on continue à pied, informa Charline.

L’établissement se situait au bout de la rue. La jeune fille récupéra Kassandra et le trio se dirigea vers Silver School Malibu, tandis que Pepper retourna à la villa.


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