No regrets

Chapitre 1 : Prologue

3111 mots, Catégorie: G

Dernière mise à jour 29/04/2021 18:51

New-York 1975…

 

Cela faisait des heures que nous parcourions les rues de New-York. Comme de véritables touristes nous avions fait le tour de tous les endroits populaires, Central Park, Times Square, l’Empire State Building… On connaissait tout ça par cœur bien sûr, après tout nous vivions ici depuis toujours, mais c’était un moyen comme un autre de retarder le moment que nous redoutions tant tous les trois. Mon père s’était dit qu’une dernière journée ensemble dans notre bulle, notre ville, serait un bon moyen de se dire au revoir.

Plus les heures passaient et plus cette boule au fond de mon estomac grossissait, on ne pouvait plus reculer. Mais au final nous ne serions jamais vraiment prêts et pourtant le moment était venu.

- Papa ?

Il fit semblant de ne pas m’entendre. Je répétais :

- Papa ?

Il stoppa sa marche, se retourna et me fixa. Mal à l’aise je lui dis d’une petite voix :

- Il commence à se faire tard et je pense qu’il est temps de rentrer.

Le soupir qu’il poussa et le regard qu’il me porta me brisèrent un peu plus le cœur. Lorsqu’elle ouvrit la bouche, je me rendis compte que maman n’avait pas dit un mot depuis au moins 45 minutes.

- Elle a raison chéri.

- Je sais, je crois que nous n’avons plus d’excuse, plus de lieux à visiter… A moins qu’un dernier tour au MET ne te tente Len?

- Ce n’est vraiment pas fair-play d’essayer de me détourner avec mon musée préféré papa !


Il rit et ce son me fit un bien fou. Il me regarda un moment comme s’il essayait d’enregistrer un maximum mes traits, hocha la tête puis nous prîmes le chemin de la maison. Sans se concerter, on passa tout le trajet à discuter et à rigoler, comme si de rien n’était, comme si d’ici quelques heures nos vies n’allaient pas être bouleversées. Mais lorsqu’on arriva à proximité de l’endroit où j’avais grandi, les larmes commencèrent à monter.


J’adorais cet endroit, cette maison jaune pâle avec sa terrasse et balustrade blanche et ses marches en pierre devant, renfermait tous mes souvenirs. Les bons comme les mauvais, tous mes secrets, mes joies et mes peines de cœur, mes coups de gueule, les rires, tous ces moments que je chéris encore plus en cet instant, me reviennent en rafale au fur et à mesure que l’on s’approche. Malgré toutes les difficultés auxquelles nous avons dû faire face et ce en grande partie à cause moi, j’ai eu une enfance heureuse, avec des parents présents et aimant et qui 30 ans plus tard, sont toujours aussi fous l’un de l’autre, à tel point que ça en est même parfois gênant. Je sais que du haut de mes 25 ans j’aurais déjà dû quitter le cocon familial depuis longtemps, mais nous sommes tous les trois bien trop fusionnels pour que cela ne nous dérange vraiment.


Une fois arrivée on s’installa dans le salon, pour se remettre un instant de cette journée marathon. Chacun prend la même place, comme toujours, maman et papa sur le canapé noir et moi dans mon gros fauteuil molletonné gris juste en face, la table basse noire également entre nous. J’aimais cette pièce chaleureuse, aux meubles de couleurs sombres mais aux murs blancs. Un fait qui est tellement rare dans les années 70 qu’il fallait le relever ! Je regardais partout, comme pour ne rien oublier, ce qui était ridicule en soi je n’allais pas oublier 25 années en un claquement de doigts.

- Comment tu te sens ?

Je relevai la tête et croisai le regard de mon père qui me disait clairement, pas la peine de mentir je te connais par cœur. Résignée je lui répondis :

- Nerveuse, angoissée, terrifiée.

- Tout ira bien, je te prépare à ça depuis des semaines. Je ne t’ai jamais rien caché, tu sais déjà tout ce qu’il t’attend.

- Je sais papa, mais j’ai tellement peur d’être transparente, que les gens comprennent de suite qu’il y a un problème avec moi ou que je me ridiculise.

- C’est pour ça que ton premier arrêt est essentiel, il t’aidera pour tout ça.

- Encore faut-il qu’il me croit…

- Crois-moi il en a vu d’autres !


Sans un mot, maman se leva et se dirigea vers la cuisine pour préparer le dîner. En mon honneur et pour notre dernier repas ensemble, elle avait décidé de cuisiner mon plat préféré, des lasagnes mais je craignais que tout appétit ne se fasse la malle ce soir. Je me décidai à aller l’aider, un dernier moment mère-fille, ce que mon père comprit et il nous laissa seules.

Une fois à table, on essaya malgré tout de passer un moment agréable et même de rire. Les heures se sont écoulées sans que l’on s’en aperçoive, il était temps. Je montais dans ma chambre et passais la tenue que maman avait préparé sur le lit, enlevais la perruque qui couvrait ma tête depuis quelques jours et me regardais dans le miroir. Ce look m’était étranger, sans parler de cette coupe de cheveux. Adieu mes longues boucles blondes jusqu’aux reins, d’après papa ce n’était plus du tout à la mode. Lorsque j’ai demandé à la coiffeuse de me les couper aux épaules et de m’appliquer une teinture châtain clair uniquement sur les racines jusqu’à mi-longueur, tout en laissant mes pointes blondes, elle m’avait regardé comme une extra-terrestre. Au final je dois dire que le résultat est très joli. Pour le reste c’était moi, mes yeux bleus, mes lèvres un peu trop pulpeuses, mon mètre 70, ma peau laiteuse. Je ne me sens pas plus jolie qu’une autre malgré ce que peuvent me répéter mes parents, mais sont-ils vraiment partiaux ?


Encore une fois je me dis qu’il devait y avoir un autre moyen, c’était de la pure folie. Si on réfléchissait fort tous les trois, on trouverait une solution j’en étais certaine. J’entendis la porte grincer dans mon dos et reconnus le parfum de mon père.

- Tout va bien, tu es prête ?

- Papa j’ai bien réfléchi et…

- Len, non me coupa-t-il avec douceur.

Il ne rajouta rien d’autre, on avait déjà eu cette conversation des dizaines et des dizaines de fois mais on en arrivait toujours à la même conclusion.

- Peux-tu m’accorder 5 petites minutes de plus je te prie ?

- Bien sûr, on t’attend en bas.


Avant de fermer la porte de ma chambre, je jetais un dernier coup d’œil circulaire pour m’en imprégner une dernière fois. Arrivée en bas des marches, maman me dit :

- Ton père avait raison, tu es magnifique avec cette coupe ma chérie.

- J’ai toujours raison.

On rit, d’un rire un peu forcé mais tout de même cela apaisa un peu les battements frénétiques de mon cœur. Il était tard à présent, une heure avancée de la nuit et c’est main dans la main que l’on prit la direction du jardin derrière la maison.


- Bon tu as bien tout ce qu’il faut, les lettres, les vêtements confectionnés par ta mère, ton carnet de notes ?

- Oui papa, je te rappelle que l’on a fait mon sac ensemble et que tu l’as toi-même vérifié 3 fois par jour depuis !

Il me sourit tendrement. Mes yeux commençaient à s’embuer, tout comme ceux de maman. Elle me tourna vers elle et mit ses mains sur mes joues, son regard au fond du mien :

- Ma petite louve me dit-elle avec un doux sourire.

- Je suis désolée pour tout maman.

- Oh non, ne t’excuse pas, jamais. Tu es notre plus beau cadeau, notre plus belle aventure et notre plus belle réussite. Nous ne pourrions pas être plus fiers de toi ! Souviens-toi « no regrets[i] ».

Je lui souris face à ce rappel du mantra de notre famille. Elle continua :

- Et c’est juste pour un court moment, on se retrouvera tous très bientôt. Et tout ce qui compte pour nous c’est de savoir que tu seras en sécurité, ils prendront soin de toi.

- Mais vous qui vous protègera ?

- Hey, tu oublies qui est ton père ?

Il me fit rire malgré moi une fois de plus, mon père ce héros.

- Ne t’inquiète pas plus qu’il ne faut maman. Je suis forte et je vais y arriver !

Forte, ça oui je le suis. Peut-être même un peu trop, enfin pour certaines personnes en tout cas et c’est justement ce qui nous a mené à ce jour maudit.


Mon père se rapprocha de nous.

- Si tu as la moindre question, tout est inscrit dans le carnet. Mais tu es prête, je suis sûre que tu n’en auras pas besoin.

- Allez un dernier câlin !

On se serra fort, unis comme un seul homme.

- Je vous aime !

- Nous t’aimons aussi, dès que nous serons sûr des intentions d’HYDRA et que nous aurons réglé le problème, nous reviendrons te chercher.

Je ne croyais pas en beaucoup de personnes, mais une promesse de mon père avait plus de valeur que toute autre.


Je me reculais doucement, serrant mon sac contre moi, ne les quittant pas des yeux puis prenant une longue inspiration je me concentrais. Après un dernier regard à mes parents, un dernier je vous aime murmurer, tout devint flou autour de moi et ils commencèrent à disparaitre.

Je fermais les yeux et les fils apparurent, brillants, fins, de toutes les couleurs, entremêlés… Il me fallait à présent trouver le bon lien, celui qui me conduirait vers ma nouvelle vie. Me concentrant un maximum je me focalisais sur ces néons arc en ciel quand d’un seul coup, le violet s’illumina et se dégagea des autres. Je le saisis entre mes doigts et cette sensation désormais familière me traversa, comme si un léger courant électrique me traversait des pieds à la tête. Ce n’était pas vraiment douloureux mais pas vraiment agréable non plus. Lorsque le picotement quitta mon corps, j’ouvris les yeux.


Avais-je réussi ? Le jardin ne ressemblait plus à celui de mes parents, mais me paraissait malgré tout familier, ce qui fût ma maison elle ne semblait pas avoir trop subi de changements, ce qui m’inquiéta un peu. Je me retournai et vis que mes parents n’étaient plus là. Refoulant les larmes qui menaçaient de s’échapper, je quittais le jardin par le portail donnant directement sur l’extérieur, je me retrouvais dans la rue et observais attentivement tout en restant un peu caché derrière un arbre. Tout était différent de ce que je connaissais, les voitures, les maisons et même les éclairages j’avais un bon pressentiment mais aucune certitude. Il fallait que je me bouge, c’était bien trop suspect une fille seule au milieu de la nuit, qui regarde les maisons avec des yeux écarquillés. Si la police passe par là j’aurais bien des difficultés à leur expliquer la raison de ma présence ici.


Je pris mon sac et me mis en route, la première étape était de vérifier si j’étais arrivée au bon endroit. Je marchais un moment, pas vraiment à l’aise. Je croisais plusieurs personnes mais mise à part des sifflements et des remarques stupides je ne tirerais rien d’eux. Une fille, seule dans la rue au milieu de la nuit, ils devaient se dire que j’étais une proie facile. S’ils savaient qu’à cet instant, le plus grand des dangers pour eux c’était moi… Lorsque je finis par croiser un groupe de filles, passablement éméchées, je les arrêtais pour leur demander l’heure. L’une d’entre elle, qui me paraissait un peu plus éveillée que les autres, fouilla la poche arrière de son jean et en sortit un objet que je reconnus et qui me rassura en même temps sur ma destination.

- Un smartphone je chuchotais avec un sourire.

Je devais avoir un air passablement ébahi car la fille me regarda bizarrement. Je me ressaisis et la regardai en attente de sa réponse.

- 3h28

- Merci.

Commençant à partir de mon côté j’entendis :

- C’est moi où on aurait dit que cette fille voyait un smartphone pour la première fois de sa vie ?


Elles partirent toutes d’un grand éclat de rire. Et voilà, premier contact, première erreur. Bon sang il fallait que je me rende à Manhattan le plus rapidement possible. Je marchais une bonne heure de plus avant de croiser un taxi dans lequel je m’engouffrais sans réfléchir. J’étais fatiguée, j’avais déjà mal aux pieds de notre après-midi tourisme mais là je n’en pouvais plus. En montant j’indiquais ma destination, Greenwich Village, au chauffeur.


Lorsque le taxi s’arrêta, je lui demandais 3 fois s’il était certain que c’était la bonne adresse, ce grand manoir en plein Manhattan c’était complètement délirant.

- 88 dollars indiqua-t-il

La vache, mon père m’avait averti des prix mais c’était quand même hallucinant. Remerciant mes parents dans ma tête pour l’argent qu’ils m’avaient donné avant de partir, je réglais la note et descendis du taxi. Je relevais la tête et vis la fameuse vitre circulaire dont papa m’avait parlé ce qui me confirma que j’étais au bon endroit.

Je grimpais une petite flopée de marches, me retrouvant face à une immense porte de bois et après une dernière expiration je sonnais.


La porte s’ouvrit sur un homme asiatique qui n’avait franchement pas l’air ravi de se faire réveiller à 5h.

- Bonjour, excusez-moi de vous déranger à une heure pareille, mais j’ai impérativement besoin de parler au docteur Stephen Strange je vous prie.

- Il n’y a personne de ce nom-là ici me répondit-il tout en me claquant la porte au nez. Abasourdie par cet accueil, je réfléchis et pressais de nouveau la sonnette.

- Je vous ai dit…

- Oui, il n’y a pas de docteur Strange ici j’ai bien compris. Mais si par hasard, un homme portant ce nom se présentait à vous, pourriez-vous je vous en prie lui remettre ce courrier ?

J’ouvris mon sac à dos et en sortit la première lettre.

- C’est très important, une question de vie ou de mort j’insistais. Et si après avoir lu cette lettre il souhaitait entrer en contact avec moi, pourriez-vous lui dire que je serai au café Starbucks juste au bout de la rue pour toute la journée ? Dieu merci, j’avais aperçu ce fameux café dont mon père m’avait tant parlé en passant en taxi.

Un long moment passa pendant lequel l’homme me fixa d’un air au-delà de la méfiance. Malgré tout il prit ma lettre et au moment où l’air pénétra mes poumons, je me rendis compte que j’avais cessé de respirer tout le long de son observation.  Sans aucun commentaire supplémentaire il me claqua la porte au nez.


Un peu déconcertée, par cet échange à l’issu complètement incertaine, je me dirigeais vers le Starbucks. Il était tôt et l’endroit était encore assez peu fréquenté, mais d’après les dires de papa d’ici une petite heure il y aurait la queue jusqu’à la sortie.

Arrivée devant le barista, je restais un petit moment choquée devant la quantité de choix à disposition. Pour ne pas paraitre une fois de plus bizarre, je commandais un simple café. Une fois la somme faramineuse de 5$ réglée, breuvage en main je m’installais à la table la plus reculée possible et je m’aperçus que mes mains tremblaient. Je ne m’étais pas encore vraiment posée depuis mon arrivée et je sentais bien que ce n’était absolument pas le moment, car quand cela arriverait j’allais m’écrouler. Heureusement que j’avais pris un livre avec moi car je pressentais que l’attente serait longue.


Trois heures, 2 cappuccinos et 20$ plus tard, j’observais fascinée le flot continu de gens entrant et sortant du café, les yeux rivés pour la plupart sur ce petit appareil noir qui semblait régenter leurs vies, lorsque la lumière diminua dans le coin de mon regard. Je me retournai et vis assis en face de moi, un homme brun avec une petite mèche sur le front, un bouc sur le menton et un collier qui ferait pâlir d’envie Elton John et un regard intense. Il ne dit rien pendant 2 bonnes minutes, se contentant de m’observer. Mal à l’aise, je me tortillais sur la chaise.

- Sais-tu qui je suis ?

- Vous êtes le docteur Stephen Strange. Pour un homme qui n’existe pas, vous me paraissez bien réel pourtant.

Un petit sourire se dessina sur ses lèvres.

- J’ai lu la lettre de ton père, si ce qui est écrit est vrai…

- C’est vrai !

Le petit sourire revint et il reprit.

- Si ce qui se trouve sur cette lettre est vrai, alors je suis honoré de te rencontrer Elena James.


[i] Aucun regret en anglais

Laisser un commentaire ?