La première élève du Docteur Strange

C’était magique. Les livres qu’elle parcourait étaient tous plus passionnants les uns que les autres. Elle était absorbée dans ses lectures quand le Docteur Strange entra dans la bibliothèque. Cela faisait trois jours qu’elle y était et elle n’en avait presque pas bougé (sauf pour manger un petit peu et se laver). Elle avait très peu dormi, et le peu qu’elle s’était assoupie, c’était sur les fauteuils en velours, un livre entre les mains.

Strange venait vérifier si elle avait fini de tout lire. Il s’approcha d’elle (elle ne l’entendit pas du tout). A ce moment, il put lire la couverture du livre qu’elle tenait entre ses mains : c’était le deuxième de la liste qu’il lui avait donnée. Il savait en lui donnant cette charge de travail qu’elle ne pourrait jamais réaliser ce qu’il lui demandait. Il était déçu.

- « Je vois que vous n’avez pas beaucoup avancé, dit-il d’une voix ferme et intransigeante.

C’est à ce moment qu’elle releva les yeux de son livre et qu’elle s’aperçut de sa présence. Elle semblait épuisée. Elle esquissa un sourire et dit :

- Comment le savez-vous ?

- Eh bien vous lisez le deuxième livre de la liste actuellement et un seul autre est mis de côté en dehors de la pile. J’en conclus que vous avez lu celui-là et que vous avez commencé le deuxième il y a peu de temps au vue du nombre de pages que vous avez…, il s’interrompit quand il vit que la jeune femme sourit plus explicitement avec un petit air mystérieux.

- Eh bien, cher Sherlock vous me décevez !  Je vous pensais plus perspicace ! dit-elle un peu provocatrice.

- Que… ?

- Vous croyez vraiment qu’en trois jours, je n’ai lu qu’un livre ? J’ai effectivement posé ce livre, sur les arts martiaux anciens, sur le côté après l’avoir lu, bien déduit Docteur ! Cependant, ce que vous ne savez pas, c’est que j’ai lu l’entièreté de la pile deux fois !

- C’est une blague ? dit-il dans une exclamation. Puis il se reprit : Je veux dire, très bien, bon travail. La vitesse à laquelle vous lisez est impressionnante. Reste à voir si vous avez assimilé les notions abordées dans ces livres.

- Vous allez me faire une sorte d’interrogation orale sur ce que j’ai lu ? demanda la jeune femme amusée.

- Oui exactement. Et je vous demande de vous concentrer pour répondre juste à toutes les questions.

Elle reprit sa mine sérieuse et commença à se remémorer tout ce qu’elle avait appris ces trois derniers jours. Ces livres étaient des mines d’informations. De plus ils abordaient des sujets qu’elle ne connaissait pas du tout. Mais cela ne lui avait pas fait peur. Elle avait mobilisé tout son potentiel afin de réussir la tâche qui lui avait été confiée. Elle s’était concentrée et coupée du monde au point d’en oublier tous ces nouveaux sentiments à propos de Strange. Il ne fallait pas le décevoir ! Et maintenant, voilà le moment fatidique. Elle allait lui montrer le fruit de son travail.

- Bon, très bien, commençons, dit-il d’un ton très sérieux.

L’interrogatoire dura plus d’une heure. Il posait des questions très pointues sur tous les domaines qu’évoquaient les livres. Cependant, elle avait toujours la réponse. Elle répondait avec précision et exactitude, ce qui impressionna encore plus Strange. Comment avait-elle retenu autant d’informations en si peu de temps ?

- C’est terminé, déclara-t-il d’un ton assez monotone.

Intérieurement il était très fier d’elle. Mais il n’allait pas le montrer. De plus il n’avait pas réussi à produire une question à laquelle elle ne savait répondre. Alors il posa une ultime question en bonus :

- Finalement, j’aurais une dernière question. Question simple et rapide : Combien y a-t-il de livres dans la bibliothèque ? Je vous laisse cinq minutes.

Elle le regarda avec des yeux ronds. Pensait-il vraiment qu’elle avait eu le temps de compter les livres de la bibliothèque avec tout le travail qu’il lui avait donné ? Non, elle savait que cette question était là pour lui poser une colle. Elle savait qu’il se fichait bien de la réponse (surtout qu’il devait déjà la connaître). Il voulait juste voir comment elle s’en sortait dans une situation où elle ignorait quoi répondre.

- Bien, puisque j’ai cinq minutes, je vais d’abord vérifier qu’il n’y a pas de récapitulatif de ce que contient la bibliothèque à l’entrée.

Non, bien sûr il n’y avait rien. Elle se dit alors que si elle lui présentait un nombre avec un pourcentage d’erreur, il accepterait peut-être la réponse. Il n’avait pas demandé un nombre exact. Après tout, à question imprécise, réponse imprécise. Alors elle fit un rapide calcul à partir de la première étagère, qu’elle multiplia par le nombre de rangées. Bref, elle annonça :

- Je pense qu’il y a 5 362 livres plus ou moins 123.

Il était choqué. Elle n’avait pas bronché devant la question. Elle n’avait pas paniqué, et avait eu un raisonnement logique et scientifique. Il y avait exactement 5 478 livres dans la bibliothèque. Ce qui fait que son estimation était tout à fait correcte en incluant la marge d’erreur. Elle l’impressionnait vraiment.

- Bien, je ne vous donnerai pas la réponse, vous chercherez vous-même. Cependant, je me rends bien compte que vous avez mérité un temps de repos. Je vous laisse 6 heures avant le prochain travail. Profitez-en pour faire ce que vous voulez.

Puis il sortit de la pièce dans un mouvement de cape et retourna dans son bureau.