Le début du jeu

Chapitre 5 : Avance d'une case

9248 mots, Catégorie: T

Dernière mise à jour 09/05/2020 20:38

Avance d’une case


En soi, le plan finalement établi par le petit groupe se révélait des plus simples. Pourtant, Steve ne l’aimait guère, et ce pour deux raisons. La première étant qu’il ne parvint pas à aimer l’idée d’utiliser un adolescent tout juste sorti du collège et de le mêler à ce qui s’apparentait fortement à un confit extra-planétaire (et terriblement casse-tête, histoire d’arranger les choses). Ensuite, se défaire du mauvais pressentiment chevillé étroitement à son corps fut rapidement une mission impossible. Hélas, aucune autre solution miracle ne daigna se présenter à son esprit, aussi dut-il se contenter de se promettre de tenir le gamin à l’écart des possibles futures échauffourées… dans la mesure du possible. Bien évidemment, si celui-ci revenait avec une blessure plus sérieuse qu’une égratignure, Tony lui en voudrait probablement jusqu’à la fin de sa vie.

Pour ne rien arranger, ce Peter Parker se montrait inexplicablement enthousiaste, trépignant sans arrêt dans la cabine en se retenant à grand-peine de demander toutes les cinq minutes quand l’appareil atterrirait. Heureux de se voir confier tant de responsabilités par l’homme qu’il considérait visiblement comme son mentor, supposait le super soldat. Tout en tombant dans un état anxieux proche de l’angoisse quand il prenait pleinement conscience que la majeure partie de leur plan reposait sur ses jeunes épaules. Et cela sans compter sur son admiration d’être entouré par les super-héros les plus célèbres de son époque, paraissant ne pouvoir réellement croire qu’il discutait sérieusement avec les compagnons de Steve, et lui-même quand l’occasion se présentait. L’entièreté de son comportement respirait le noviciat, ainsi qu’une autre chose que Steve ne parvenait à identifier entre le manque de confiance en soi et l’incertitude. Son tableau de chasse devait probablement se résumer à cette détestable confrontation à l’aéroport, trois ans auparavant.

Enfin, Tony savait ce qu’il faisait ; l’ingénieur ne laisserait jamais un jeune homme risquer sa vie sans s’être un minimum assuré de ses compétences. Il le fallait. Et surtout, Steve devait mettre de côté les quelques défiances conservées à l’égard du directeur du SHIELD. Recommencer à lui faire totalement confiance. Cependant, le soldat se sentit légèrement plus à l’aise quand il fut décidé que Natasha accompagnerait Parker, afin de renforcer sa crédibilité dixit Tony en personne.

Un seul laboratoire se chargea de la création des Bosons, expliqua Tony. Aussi avaient-ils de grandes chances de trouver quelques indices sur place, tellement cruciaux pour eux. En toute discrétion, exigea l’ingénieur ; ses employés eurent beau avoir la réputation d’être des plus sérieux, et sélectionnés en grande partie par ses propres soins, les capacités métamorphes des Skrulls rendaient tout un chacun espion potentiel. Envoyer l’ensemble des Avengers renégats étant des plus suicidaires, ce fut pour cela que Tony fit appel à Spiderman, super-héros proche du soi-disant décédé directeur, et ce de notoriété publique. Natasha serait présentée comme un agent infiltré, envoyée dès l’époque de la Civil War dans le but de garder les renégats à l’œil – les voies du SHIELD étaient impénétrables, après tout. Sortie de son infiltration par les récents évènements, la Veuve Noire se décida à rejoindre ses véritables allégeances afin de ne pas laisser l’attaque contre le Tour impunie.

Tony avait pris ses précautions en cas de sa disparition dès sa nomination, reléguant la totalité de ses pouvoirs et fonctions à Nick Fury, si jamais malheur il lui arrivait. Aussi ce dernier serait-il à l’origine de la visite surprise des deux agents, sur son ordre d’accélérer la création des Bosons en vue d’une très prochaine utilisation. Natasha ne réapparaissant que depuis très récemment, Peter mènerait les discussions, seulement appuyé par la rousse en cas de besoin. Il leur faudrait déterminer où en étaient les recherches véritables du laboratoire en récupérant autant de données que possible, tout en récupérant les plans des Intelligences Artificielles. Les quelques aptitudes de l’espionne en informatique se révéleraient sans nul doute très utiles, ajouta Tony, lançant un regard explicite à Steve l’avertissant de ne pas trahir sa confiance.

Le reste de l’équipe se tiendrait à distance, à l’intérieur du Quinjet fourni par le SHIELD, communiquant et écoutant toutes les conversations de leurs compagnons par le biais d’oreillettes et autres appareils espions fournis gracieusement par l’ingénieur. Recevant l’ordre de n’intervenir qu’en cas d’extrême urgence. Urgence qui, l’espérait Steve, n’arrivera jamais. Non pas qu’il ne faisait pas confiance aux déguisements estampillés SHIELD fournis avec l’appareil pour ôter tout soupçons sur leurs véritables identités, mais il se serait senti plus à l’aise encore si Clint et lui avaient pu obtenir un chaperon hors de tous soupçons, juste au cas où. Comme Fury en personne, par exemple, parti en toute discrétion pour accueillir la femme blonde qu’aperçut le super soldat, quand il se rendit à la Tour, Carole Danvers.

Une fois qu’ils arrivèrent à destination, après à peine un peu plus d’une heure de voyage en direction du Brésil, Clint posa l’appareil un peu plus à l’écart du laboratoire, séparant les deux entités par une forêt à la densité trompeuse. L’édifice, moins grand que ne l’eût cru Steve étant donné l’importance des recherches menées en son sein, se situait sur un plateau isolé du Cerrado, en pleine savane brésilienne. Le terrain, acheté depuis tant d’années par Stark Industries que peu de personnes s’en rappelait encore, se trouvait épargné par l’agriculture intensive caractérisant pourtant la région centre-ouest du Brésil. Au-delà de l’espace clos délimité par le laboratoire et ses cours intérieures, les buissons épais desséchés étalaient leurs couleurs fanées de vert et d’or le long de la pente menant au bâtiment, jalonnés par moment d’arbres à l’écorce burinée par l’impitoyable soleil brûlant. En voyant l’aspect douloureux du paysage, Steve fut réellement surpris quand Parker lui expliqua pourtant que les précipitations, dans cette zone du Brésil, étaient considérées comme d’une fréquence moyenne. Cependant, même si la végétation d’une densité presque infranchissable dépassait rarement la taille des visiteurs, il ne fut guère nécessaire de faire preuve d’une prudence exagéré, Tony leur ayant affirmé que les radars du laboratoire les détecteraient bien avant leur atterrissage.

Ressemblant davantage à un manoir à trois étages, qu’à un centre de recherches scientifiques avancées, le bâtiment se camouflait étonnamment bien dans la nature environnante. Le plateau l’entourant étant cerclé d’autres buttes recouvertes de buissons aussi coupants que leurs confrères descendants, les murs arrière s’accolaient parfaitement avec la terre battue. Entièrement peints en couleur pâles rappelant celles de la flore avoisinante, les autres côtés de la bâtisse auraient parfaitement pu, de loin, ressembler à un autre des innombrables ensembles compacts de la savane… si ce n’était le logo, de taille fort raisonnable, de Stark Industries apposé sur sa façade, attirant immanquablement le regard, de par le reflet métallisé jaillissant des lettres soigneusement sculptées.

Même dans cet environnement peu propice à la survie, Tony Stark trouva le moyen de marquer les lieux de son empreinte, songea pensivement Steve, tandis que l’appareil amorçait la procédure d’atterrissage.

L'engin ayant terminé sa descente vers le sol, ses occupants à l’affût d’une attaque sournoise qui, heureusement, ne vint pas, l’archer et le super soldat durent laisser Parker et l’espionne russe s’avancer vers le laboratoire, discutant brièvement avec les gardes venus les accueillir. Steve se tint debout derrière la vitre, légèrement en arrière au cas où l’un des membre de la sécurité aurait l’idée de braquer une paire de jumelles sur l’appareil. Même s’il savait se trouver trop loin, il tenta d’écouter ce qui se disait, soupirant lourdement devant son échec. Clint, quant à lui, se contenta de regards furtifs, réajustant la paire de lunettes de soleil pinçant ses narines, repoussant ensuite pour la énième fois les mèches folles de ses longs cheveux ébènes derrière ses oreilles. Nouer la perruque en queue-de-cheval ne se révélait pas suffisamment efficace pour l’archer, se plaignant régulièrement de l’inconfort d’un tel accessoire.

Peter et Natasha revinrent, leur faisant un bref signe signifiant que tout allait bien.

– Il ont cru à notre histoire, fit immédiatement le jeune garçon. Et ils vont nous conduire au chef du complexe, un type nommé Brett Hilson.

Le pauvre était tellement absorbé par son désir de paraître assuré, qu’il se tenait aussi droit que si sa colonne vertébrale fut en fer, visiblement mal à l’aise dans son costume trois pièces créé pour l’occasion.

– Ça correspond à ce que nous a dit Tony, confirma Natasha.

Froide et imperturbable en dépit de la chaleur ambiante, elle portait sa propre combinaison, pourtant serrée près du corps, avec un naturel que ne démentait aucun de ses gestes. Elle prit une petite mallette placée sous le siège du copilote, si promptement que Parker parut surprit de la voir déjà prête à repartir.

– Bonne nouvelle, approuva Steve. Mais restez sur vos gardes, on ne sait pas si tout le laboratoire est infesté, ou seulement une petite partie de ses membres.

– Je préférerais vous accompagner, argua Clint, bras croisés.

Il se leva à son tour, se tenant aux côtés de Steve comme pour demander sa propre approbation.

– Hors de question de laisser le Quinjet sans surveillance, répondit à contrecœur le super soldat, approuvé muettement par Natasha. Sans compter que cela paraîtrait suspect.

– De toute façon, intervint Peter, c’était le plan, de se séparer.

Il tenta de parler d’un ton ferme, son effet gâché par l’hésitation palpable derrière chacune de ses paroles.

– Ce n’est pas le moment de tergiverser, reprit la rousse. Nous y allons, accédons à la salle de contrôle, et repartons tout aussi rapidement après un petit tour des locaux. Peter a les codes, ce ne sera pas particulièrement long. Et vous pourrez toujours nous suivre via les oreillettes.

Un bref silence s’ensuivit, durant lequel Clint ne baissa le regard, guère décidé à céder si facilement. Enfin, il soupira lourdement, levant à demi les bras au ciel.

– Puisqu’il n’y a pas le choix, déclara-t-il, fataliste.

– Ne vous inquiétez pas, si besoin on vous fera signe, ajouta Peter avant de sortir de l’appareil.

Quelques minutes, durant lesquelles ils furent observés de loin par le duo restant à l’intérieur, leur suffirent pour rejoindre le groupe de trois gardes censé les mener à ce Brett.

– Je n’arrive pas à croire que nous sommes en train de faire ça, marmonna Clint.

Suivant jusque-là la conversation engagée par Peter avec leur escorte, Steve ne lui accorda qu’une oreille distraite. Avant qu’un juron châtié, venu de l’archer, ne fisse écho à celui qu’il retint intérieurement.

– On a perdu le contact, pesta l’ancien agent du SHIELD. Dès qu’ils sont entrés dans le labo. Je suis prêt à parier ma chemise préférée que ces fichus scientifiques ont un brouilleur !

Sur le point de répondre positivement aux imprécations de son ami, un détail revint à la mémoire de Steve, le poussant à faire une déclaration totalement différente de celle qu’il voulut dans un premier temps.

– Stark ne nous a pas averti de ce genre d’installations, commença-t-il, fronçant les sourcils.

– Ouais, ben ce serait bien qu’il nous fasse un peu plus confiance, rétorqua Clint.

– Sauf qu’il nous aurait prévenu, parce qu’il n’a pas le choix, termina son vis-à-vis en se retournant vers lui.

L’archer prit le temps de réfléchir un instant, serrant les poings d’impuissance.

– Et qu’est-ce qu’on peut faire, dans ce cas précis ? finit-il par dire.

– Rien, justement, lâcha rageusement Steve. À part attendre, et prier que tout aille bien.

De nouveau, il tourna son regard vers l’étrange manoir scientifique, imité par Clint.

– Je n’aime pas ça, déclara ce dernier, caressant distraitement son arme sortie dès que les gardes ne purent plus les voir. Tu vas peut-être avoir besoin de ça finalement.

D’un mouvement du menton, il désigna le bouclier offert à Steve par les indigènes, secourus par l’association humanitaire dans laquelle il se fut engagé. Certes, ce serait bien moins solide que son ancien bouclier en vibranium, mais cela lui offrirait un minimum de protection si les choses en venaient à se dégrader. Définitivement, Clint n’était pas le seul à ne pas apprécier la situation…


µµµ


Les heures de l’après-midi passèrent terriblement lentement, comme si plus d’une journée entière s’était écoulée depuis le départ de leurs deux amis. Clint faisait les cent pas à l’arrière de l’appareil, de plus en plus rapidement à mesure que les heures s’égrenaient sur l’horloge murale estampillée SHIELD, ne s’arrêtant que pour vérifier la bonne mise en ordre de son arc, ou se poster près d’un hublot en surveillant les alentours.

– Maintenant, j’en suis sûr, ce n’était pas une bonne idée, déclara-t-il pour la énième fois.

Reposant la carte du laboratoire, qu’il étudiait sous toutes ses coutures afin d’être certain de la connaître par cœur, Steve releva ses yeux céruléens sur l’homme lui faisant face. Par réflexe, il passa sa main sur son front, essuyant la sueur amplifiée par sa propre perruque, une espèce de coupe aux mèches de différentes longueurs, et teintes dans diverses nuances allant du violet au carmin, en passant par le céladon. Il ne tenta même pas de se persuader que Tony n’en avait pas fait exprès.

– Je sais bien, et moi non plus ça ne me plaît pas, répondit-il, aussi posé que possible.

S’apercevant que le battement résonnant dans l’habitacle provenait de sa jambe battant nerveusement contre le sol, il se força à arrêter, plaçant les avant-bras sur ses cuisses. Pourtant, il partageait la méfiance de son compagnon, son instinct lui soufflant de prétexter quelconque problème interne dans le but de ramener Natasha et le jeune Parker en sécurité, près d’eux.

Oui, mais d’un autre côté, s’il revenait sans autre excuse qu’une impression que quelque chose n’allait pas, il pourrait probablement faire une croix sur ses espoirs de réhabilitation. Tony ne le lui pardonnerait pas un coup pareil, pas après lui avoir confié tant d’informations sur ses activités, et la crise traversée. Autant il pouvait personnellement s’en accommoder en dépit de son désir de se réconcilier avec Tony, autant il était responsable de tous ceux l’ayant suivi dans sa quête pour sauver Bucky. Y compris Clint devant lui, l’archer sacrifiant ses chances de passer ces dernières années aux côtés de sa famille juste pour suivre ce que lui dictait son devoir. Sacrifier la chance offerte par Tony était impensable.

– Ils devraient déjà être revenus, non ? continua l’archer, faisant écho à ses propres inquiétudes.

– Donnons-leur encore un quart d’heure, et on ira les chercher.

Clint opina du chef, soulagé d’avoir une perspective d’action contrecarrant leur impuissance actuelle. Se redressant, Steve jeta à son tour un coup d’œil à l’extérieur. Les lueurs du crépuscule commençaient à obombrer les collines environnantes, leur conférant une apparence presque fantasmagorique, si le super soldat laissait dériver son imagination. D’ailleurs, les faibles lueurs, à l’est, correspondaient autant à un feu… qu’à deux yeux prêts à leur faire passer un moment des plus désagréable.

Secouant la tête pour en chasser ces délires, il se concentra sur son compagnon. Tendu à craquer, Clint ne cessait de compter les secondes s’égrenant sur la pendule, observant cette dernière comme si elle détenait le pouvoir de faire cesser une souffrance indicible.

– Si nous devons aller les chercher, évitons au maximum le grabuge, conclut-il.

Clint plissa curieusement les yeux, concentrant son attention sur lui.

– Donc, tu laisseras ton totem dans le Quinjet, c’est ça ?

– Je te l’ai déjà dit, c’est un cadeau très précieux. Et ce n’est pas parce que ses matériaux ne sont pas absolument modernes, qu’il s’agit d’une antiquité.

– Ça, c’est sûr que tu ne diras pas que le vieux est dépassé, ricana Clint.

Une petite moue désabusée venue de Steve vint ponctuer cette plaisanterie peu subtile. Néanmoins il ne releva pas, son vis-à-vis se désintéressant de toute façon déjà de la conversation.

Le quart d’heure décidé par Steve s’écoula presque totalement, et l’homme sentit l’impatience monter en lui. Tout ce qu’il souhaitait, fut que le mauvais sentiment chevillant leurs corps n’était qu’une sensation vide de tous sens, que le duo envoyé à l’intérieur du laboratoire reviendrait d’ici quelques secondes, victorieux et souriant, ou au contraire dépité voir agacé de n’avoir rien trouvé. Il faudrait sûrement à l’équipe restée dans l’appareil faire preuve de discrétion … ou au contraire s’arranger pour occuper les habitants de la bâtisse pendant qu’ils rechercheront leurs amis. Et c’était pile cela qu’il craignait.

– C’est l’heure, déclara sentencieusement Clint, arc au poing.

– Encore quelques minutes, corrigea Steve sans avoir besoin de consulter l’horloge.

Cela ne faisait que quelques secondes depuis qu’il vérifia de lui-même.

Natasha pouvait très bien se débrouiller seule en cas de besoin. De plus, dans son costume de super-héros, Peter n’était pas non plus dépourvu d’armes. Pourtant, il ne pouvait s’empêcher d’imaginer des dizaine de scénarios expliquant ce retard inquiétant, souvent corroborés sans le savoir par Clint qui les exprimait à son tour de vive voix, dans le but de précipiter leur sortie de plus en plus évidente.

– Nous n’aurons peut-être pas besoin de venir à leur rencontre, souffla l’archer. Nous avons de la visite.

Plissant le front, Steve suivit la direction indiquée par l’homme. Une seconde avant qu’une série de coups brutaux ne viennent heurter la porte hermétique de l’appareil. Ils se retournèrent en même temps, le blond enclenchant l’ouverture après une brève concertation visuelle.

Quatre hommes entrèrent sans attendre l’autorisation, tous dotés d’un physique impressionnant assorti d’un pistolet ceignant leur taille. Steve ne s’en sentit pas même surpris, s’avançant vers celui semblant conduire le petit groupe d’impolis, se tenant devant eux en leur barrant le passage. Clint savait également retenir plusieurs lascars oubliant soudainement les règles les plus élémentaires de politesse. Cependant, face à de tels gaillards, mieux valait s’imposer sur-le-champ, la haute stature de Steve étant plus propice à ce genre de manœuvre.

– Vos employeurs demandent à vous parler, déclara l’homme le plus proche du blond, suffisamment grand pour le toiser directement dans les yeux. Ils auraient oublié un détail dont ils ont refusé de nous parler. En attendant, nous veillerons sur votre appareil, au cas où il déciderait de s’envoler tout seul.

Steve échangea un regard avec son collègue. Si seul Parker était parti pour le laboratoire, et si le ton de l’individu ne se révélait pas si ironique, peut-être croiraient-ils à cette fable. Mais Natasha, oublier quelque chose directement en rapport avec sa mission actuelle ?

Derrière lui, l’archer confirma ce qu’il pensait déjà.

– Deux d’entre nous vont vous escorter, reprit le pseudo garde.

– Non, répondit immédiatement Steve, croisant les bras sur sa poitrine.

– Allons, soyez raisonnables, vous allez vous perdre dans le dédale qu’est le manoir, sinon, reprit l’homme directement derrière celui toisant le super soldat.

– Disons plutôt que vous allez tous nous accompagner, répliqua Clint. Au cas où le moteur disparaîtrait mystérieusement durant notre absence.

Une fraction de seconde incrédule, les quatre hommes éclatèrent d’un rire de gorge moqueur. Accompagné d’un étrange sifflement des plus inhabituels chez un humain.

– Faites ce que l’on vous dit, reprit le meneur quand il se fut légèrement calmé. C’est le plus prudent, vraiment. Un accident est terriblement vite arrivé dans cette savane… inhabitée.

L’ourlet des lèvres de Steve se releva moqueusement. Sans répondre, il se tourna à demi vers l’archer, tout aussi peu impressionné que lui.

– Si je ne me trompe pas, fit-il, ils viennent de nous lancer des menaces.

– Je le crois aussi, répondit Clint. C’est vraiment dommage, ajouta-t-il, faussement désolé.

– Oui. Maintenant, nous sommes obligés de vous les faire ravaler, confirma Steve.

Croisant le regard virant à l’écarlate du pseudo garde lui faisant face, Steve sut qu’ils ne seraient pas les seuls à se battre. Le bras du meneur ondula, commençant à se transformer, s’allongeant de manière bien trop démesurée pour que ce soit honnête. Bondissant sur le côté au moment où une lame de hache à double tranchant s’abattait là où il se tenait auparavant, le super soldat se propulsa jusqu’au meuble supportant le poids de son bouclier.

Glissant promptement son bras dans les sangles, il releva sa protection juste quand l’arme s’abattit de nouveau, visant cette fois la tête. Tournant sur lui-même, il frappa avec force la glotte du Skrull, forcé de reculer dans la seconde pour éviter une pointe d’un vert écailleux transperçant l’air juste à côté de ses côtes.

D’un bref regard, il évalua la situation. Deux extraterrestres sur lui, deux autres tentant d’embrocher Clint comme une vulgaire volaille. Au moins le combat restait-il à peu près équilibré. Il plongea au sol, évitant une attaque purement frontale, se relevant souplement en assénant un revers de bouclier à son assaillant. Les jambes fauchées par le second, son dos heurta sans douceur le plancher, heureusement recouvert de moquette. Il roula sur le côté, tenta de se relever. Dut se rabaisser en catastrophe, tandis que de son côté, Clint bondissait derrière une table renversée, utilisant l’une de ses flèches explosives pour repousser ses adversaires.

Reprenant son souffle dans le mouvement, Steve dressa son bouclier entre ses adversaires et lui, les empêchant de l’atteindre tout en encaissant les coups en serrant les dents. S’il avait eu l’autre en vibranium, il lui suffirait de le faire rebondir sur le mur, puis sur la console de commandes, et son bord frapperait les Skrulls assez fort pour les sonner le reste de la journée !

Poussant sur la protection, il ne rencontra qu’une brève résistance surprise, heurtant le corps de l’extraterrestre le plus proche avec violence. Entraîné avec lui dans la chute, Steve vit l’intérieur de l’appareil défiler en accéléré sous ses yeux, terminant sa course contre un siège boulonné au sol. Pas le temps de souffler ; enfin capable de se tenir debout sur ses jambes, il esquiva la charge du Skrull à la hache qui avait repris son apparence d’origine, frappant le creux de ses reins sans pitié.

Sa cible poussa un cri de douleur très convaincant, tombant à genoux, s’appuyant sur son bras transformé en arme. Heureusement, Steve s’était suffisamment renseigné sur les capacités métamorphes des Skrulls pour ne pas avoir été surprit outre mesure par l’assaut. L’extraterrestre tituba, frappé à la tempe par le super soldat, gémissant de douleur.

Puis, un poing vengeur s’abattit sur la mâchoire du super soldat, faisant tourner le monde autour de lui. Par réflexe, il ferma un instant les paupières, les rouvrant presque immédiatement. Il voulut se dégager, empêché par le Skrull assis sur sa poitrine, une lame soudainement bien plus petite sous la gorge.

– On dirait bien que l’enfant chéri des Amériques n’est plus ce qu’il était, ricana l’extraterrestre qu’il avait précédemment mis à terre. Alors, tu as perdu ta langue ? Qu’en est-il de ton envie de nous faire ravaler nos menaces ?

Resserrant son emprise sur son bouclier, Steve frappa aussi fort qu’il le put. Abandonnant sa proie, le Skrull recula, la lame de son bras dansant devant les yeux de sa cible. Donc, ils savaient bien qui ils étaient. Et, quelque chose se passait avec Peter et Natasha. Il leur fallait se débarrasser de ces gêneurs le plus vite possible.

Parant encore avec son bouclier la lame du second extraterrestre, celle du second siffla à ses oreilles. Armant son poing, il le fit rentrer dans l’estomac du premier, enchaînant en frappant sa colonne vertébrale. Concentré sur son combat, il n’eut aucun mal, cette fois, à parer la riposte de son comparse. Lançant son pied en hauteur, il heurta le nez de l’extraterrestre, le faisant exploser.

Le Skrull s’effondra sans un bruit, immobile sur le sol.

Cherchant son coéquipier du regard, Steve vit l’un des Skrulls à demi éjecté du Quinjet, ses jambes pendant dans le vide tandis que ses yeux vides semblaient fixer les pennes sortant de ses côtes. Un râle plaintif l’informa que Clint venait d’abattre son second adversaire, celui-ci atterrissant aux pieds du super-soldat.

À peine remis du coup asséné par le super soldat, l’ancien meneur observait ses compagnons, éperdu, son regard passant de l’homme au bouclier, à l’archer.

– Pas trop fatigué, papy ? fit Clint, goguenard.

– Penses-tu, répondit pensivement Steve. Je ferais ça toute la journée.

Un filet de sang coulait du front du plus petit des deux, un bleu promettant d’être des plus convenable prenant place sous son œil gauche. Quoique, songea Steve en faisant jouer sa mâchoire, peut-être ne donnait-il pas meilleure impression. Ces reptiles tapaient diablement fort. Par chance, grâce au super-sérum, quelques minutes seraient nécessaires à la disparition des traces de son récent combat.

– On en a seulement besoin d’un, reprit Clint, désignant le Skrull ayant renoncé à toute velléité de combat, et son congénère encore dans les vapes.

– Suffit. Nous avons gagné, et c’est suffisant, rétorqua Steve. Nous les ramènerons au directeur du SHIELD, pour qu’il soit interrogé.

Le Skrull se leva en titubant, aussitôt tenu en joue par l’archer. Il cracha un jet de salive dédaigneux aux pieds des deux hommes, sa posture trahissant pourtant la peur nouant ses entrailles.

– Allez crever ! Jamais je ne parlerai !

– Ouais, on verra ça, coupa Clint.

Le super-soldat repartit un instant à l’arrière du vaisseau, revenant avec deux solides paires de menottes.

– Normalement, ils ne pourront pas trancher ça, expliqua-t-il faussement professoral. (Il emprisonna les poignets des Skrulls encore vivants sous le regard implacable de l’archer, ne cachant pas son envie de cribler de flèches les extraterrestres.) Attachons-les solidement, et enfermons-les dans la soute. Il n’y a pas de temps à perdre !


µµµ


– Je continue à penser que c’est une très mauvaise idée, marmonna Talos, réajustant le cuir de sa veste longue d’un vert profond. Il n’y a vraiment aucun moyen de te convaincre que tu fais une grave erreur ?

Il ne procéda pas à de grands changements physiques, en dépit des capacités de métamorphose propres à son espèce. Augmentant sa taille de quelques centimètres, il garda son crâne chauve, allongeant un peu plus ses oreilles, sa peau se parant d’une teinte foncée proche de l’émeraude. Empruntant des vêtements à l’un des extraterrestres sous son commandement radicalement différents de ce qu’il portait en temps normal, il paraissait bien plus jeune qu’en réalité, peut-être suffisamment âgé pour se faire passer pour un soldat. Un e transformation qui amusait énormément Carol, habituée au côté à la fois strict et fantasque de son ami, capable de donner un ordre et une mission précise aux personnes sous ses ordres afin de se sortir d’une situation dramatique, tout en plaisantant sur leurs chances d’y arriver. Une des raisons pour lesquelles elle le respectait, sa capacité à garder la tête froide en toutes circonstances. Et pour lesquelles elle le trouvait par moment franchement ennuyeux.

– Nous ne sommes pas les bienvenus ici. Si quelqu’un découvrait ton identité, quelle serait la réaction des gardes impériaux à ton avis ? reprit Talos, braquant ses prunelles dans celle de l’héroïne.

Son acolyte poussa un profond soupir, se contentant de montrer explicitement son poing. La seule réponse que le Skrull aura jamais, ce dernier le savait très bien. Depuis le temps qu’il connaissait Carol Danvers, il apprit que la jeune femme n’était guère prolixe en justification. Et que si par malheur elle se trouvait convaincu de quelque chose contre l’avis général, la blonde terrienne, actuellement brune par souci de discrétion (une proposition de l’épouse de Talos, Carol ne voyant pas particulièrement l’intérêt d’une infiltration discrète si elle pouvait obtenir les réponses souhaitées grâce à une démonstration de force), n’y renonçait pour rien au monde.

– Raconte-moi encore tout ce que tu sais à propos de cette Veranke, rétorqua Carol à la place.

Le Skrull et la Terrienne se turent, se dissimulant précipitamment derrière un barrage de rochers d’ébène effilés, leurs pointes acuminées et parsemées d’éclats dressées en une vaine supplique vers le ciel d’encre. Tandis que Talos palpait son visage afin de vérifier la bonne mise en place de sa métamorphose physique, Carol serra les poings, prête à riposter dans l’instant si leur position se trouvait découverte. Accroupis, ils écoutèrent les pas du groupe de Skrulls s’éloigner peu à peu, marmonnant à voix basse des propos que ne pouvaient comprendre la jeune femme, trop loin pour entendre plus que de vagues murmures.

Par chance, aucun ne se retourna, et personne ne fit mine de s’approcher de leur précaire cachette. D’un regard qui se voulait autoritaire, Talos fit signe à la jeune femme de baisser ses poings. Fort peu impressionnée, sa vis-à-vis attendit que le silence règne de nouveau sur les lieux, avant d’obtempérer. Décidant avoir fait montre d’assez de prudence pour cette fois, elle se redressa, le Skrull faisant de même quoique surveillant plus attentivement les environs.

– Crois-tu qu’ils nous aient entendu ? chuchota-t-il, fixant un point dans le lointain.

– Pense pas, répondit Carol, imitant l’extraterrestre, main en visière. Sinon, ils ne nous auraient pas laissé continuer sans se battre. Enfin, sauf si je suis bien mieux vue ici que tu ne le penses.

Sur cette planète isolée, majoritairement détruite et à la surface couverte de cratère de plusieurs centaines de kilomètres de diamètre, seule la haute structure qu’ils distinguaient dans le lointain pouvait être désignée sous le nom d’habitation. Et pour cause, d’après les dires de Talos, il ne s’agissait ni plus ni moins du palais impérial. Mais au sein d’un paysage isolé, la roche sombre soulevée en vagues compactes figées en pleine élan, cette vision se révélait presque incongrue.

Aussi fanatiques puissent être décrits par Talos les Skrulls habitant encore sur leur planète d’origine, Carol se sentit désolée de découvrir qu’ils étaient forcés de vivre dans cet environnement peu propice à la vie.

– Cela m’étonnerait beaucoup. Mieux vaut redoubler de vigilance à partir de maintenant, reprit Talos.

L’héroïne ne prit pas ombrage de son regard soutenu, se retenant de gratter le maquillage couleur crapaud la faisant ressembler à l’un des extraterrestres se dirigeant d’un pas pressé vers le palais. Plus prompt à rendre une petite visite « privée » dans les appartements privés de Veranke afin de l’interroger, il fallut déployer trésors d’arguments pour la convaincre de se déguiser, et d’assister furtivement au grand discours dont l’annonce fut transmise à tous les Skrulls de la galaxie, qu’ils aient fui leur planète ou non, par le biais des fréquences radio spécifiques de leur peuple. Pour autant, jamais elle n’aurait pensé devoir porter un jour des prothèses… pour ressembler à un Skrull. Oh, elle n’avait pas eu, de base, l’intention d’attaquer le palais en détruisant les murs et la garde à coups de poings ; la jeune blonde se savait suffisamment puissante pour le faire, mais elle ne voulait pas et détruire un lieu de vie Skrull, et n’était pas entièrement certaine de pouvoir triompher de l’entièreté de l’armée de Veranke. Pas sans avoir une estimation de leur nombre, en tout cas.

– Tu as raison, acquiesça-t-elle. Donc, ce résumé ?

Talos la scruta un instant, se demandant s’il s’agissait d’une plaisanterie malvenue. Poings plaqués sur les hanches, Carol attendit, jetant de fréquents coups d’œil au palais. La foule amassée au pied de l’édifice grossissait progressivement, les entrées n’étant guère assez importantes pour assurer un flot continu. Plus de monde qu’elle ne crut venait assister à l’allocution de la récente impératrice. À elle de déterminer s’il s’agissait d’une bonne, ou d’une mauvaise nouvelle.

– Puisque tu insistes, soupira Talos. Veranke fait partie du Dard’van, une secte religieuse qui prônait la fin de l’empire Skrull. Après une première attaque des Krees contre l’Empire qui a échoué, elle et sa secte ont tenté d’avertir le souverain de l’époque, Dorreck VII, de l’arrivée imminente de ce qu’ils appelaient un « mangeur de monde », et d’une « vague ». En plus de cela, elle a contesté la légitimité au trône du souverain, prétendant que si Dorreck décidait de rester ignorant, il ne méritait pas de s’y asseoir. Furieux de voir sa légitimité contestée, celui-ci décida de l’exiler pour l’éternité sur une planète déserte, puisqu’il ne pouvait pas l’exécuter sans en faire une martyr.

– Quelle charmant souverain, railla Carol. J’espère qu’après ça, il a bien profité de son règne !

– Hum, pas tellement, puisqu’il a été assassiné par sa femme peu de temps après. Enfin, officiellement, il est tombé malade, avant d’en périr, bien évidemment. Ne me regarde pas comme ça, je n’approuve pas du tout ces méthodes, et ma famille non plus. Mais il semble que certaines choses ne changent jamais dans les hautes sphères du pouvoir.

– Je comprends, le rassura la jeune femme, sincère. Continue, s’il-te-plaît.

L’air frémit au-dessus de leur tête, sur le passage d’un vaisseau capable de contenir deux ou trois personnes au maximum. Cependant, il fila à une telle vitesse vers le palais, qu’ils eurent du mal à le suivre des yeux. Fronçant les sourcils, Carol suivit un instant la traînée grisâtre laissée par l’appareil. Ce n’était pas le premier vaisseau aperçu depuis leur propre atterrissage, et certainement pas le plus gros, loin de là.

– Hélas, il s’avéra que Veranke n’était pas folle. La prophétie se réalisa, notre Monde-Trône, en plein déclin, détruit par une étrange entité qui se nommait elle-même Galactus, tuant également l’impératrice actuelle, R’Kll, et sa fille, Anelle. Notre peuple a connu des jours douloureux, continua-t-il, sombre. Nous avons dû émigrer sur Satriani, connu la guerre civile, notre pouvoir de métamorphose nous a été retiré jusqu’à ce qu’une Skrull du nom de S’Byll de Satriani trouve le moyen de restaurer nos capacités. C’est à cette époque que les Krees ont commencé leur répression des Skrulls isolés, et que nous avons décidé, avec tous ceux présents à mes côtés aujourd’hui, de chercher une terre d’accueil plus… favorable.

– Je vois ce que tu veux dire, fit la jeune femme, balayant du regard le sol tavelé de la planète.

– Grâce à sa découverte, S’Byll fut provisoirement nommée impératrice… jusqu’à ce que le chaos ne reprenne possession de notre peuple. Face à cette situation, d’anciens partisans de Veranke la ramenèrent d’exil, renversant S’Byll, qui disparut sans laisser de trace. Elle se proclama impératrice des Skrulls, il y a de cela quelques semaines.

– Pourquoi ne pas m’avoir dit tout cela quand je suis venue te voir la première fois ? Peut-être aurais-je pu empêcher la destruction de la Tour Stark.

– Parce que c’était avant l’appel de Veranke à se réunir sur Satriani ! Et tu sais bien que nous ne l’avons reçu que quelques heures après ton arrivée !

– Je sais, oui. À peu près en même temps que l’attaque contre Stark, si j’en crois Fury.

Et pourtant, aucune autre information, à l’exception d’une femme Skrull clamant que tous les membres de son peuple devaient mettre leurs dissensions de côté pour se réunir sur Satriani, ne filtra du message de l’impératrice. Ah si, l’extraterrestre souveraine avait une importante révélation à faire devant ses sujets. En temps normal, Carol se serait rendue sur la planète en question, afin de convaincre la souveraine de l’intérêt d’une alliance entre elles, afin d’assurer la protection définitive des Skrulls. Une telle occasion de voir ce peuple, qu’elle appréciait comme sa propre famille, ne se représenterait pas de sitôt ! Quoi de mieux, pour parer les menaces, qu’un peuple uni et soudé ?

Par contre, le timing impeccable entre l’attaque sur Terre, et l’annonce de Veranke, interloquait bien trop l’héroïne, pour qu’elle ne décide pas d’en savoir un peu plus sur cette impératrice avant de tenter quelconque négociation. Le plus désagréable, dans toute cette histoire, étant qu’il existait une chance de moins en moins infime que l’excentrique milliardaire ait raison, au sujet d’une possible invasion Skrull…

En son for intérieur, elle espérait de tout cœur trouver, ce soir, la preuve du contraire. Et plus encore, que toute cette histoire de coïncidence et de révélation ne soit qu’un immense malentendu. Si jamais il se révélait que les Skrulls tentaient effectivement quoi que ce soit sur Terre, la stigmatisation frapperait à la fois les coupables, et ceux n’y prenant pas part en cherchant seulement un lieu où vivre en paix.

– La suite, je la connais, coupa Carol, tâtant du bout des doigts les prothèses étalées sur son visage.

Parfait, cela semblait tenir à merveille.

Soulagé de ne pas avoir à continuer ses explications, alors que le duo se rapprochait dangereusement de la foule, Talos ne se fit pas prier.

Un grondement assourdissant retentit, poussant les Skrulls agglutinés devant le palais à lever le nez. Au-dessus du palais, un mince tourbillon nuageux commençait à se former, prenant peu à peu de l’ampleur de manière concentrique. Néanmoins, aucun éclair ne déchirait le ciel, en dépit du tonnerre continuant à résonner. Une faible clameur s’éleva, vite étouffée par l’ouverture d’une deuxième file d’entrée, permettant de rétablir un flot équilibré d’arrivées.

Plissant un peu plus les paupières, se laissant guider par un Talos s’évertuent à ne pas se faire bousculer, Carol crut voir quelque chose, au centre du tourbillon. L’apparition disparut si rapidement, qu’elle ne put déterminer si elle venait de rêver, ou de mettre le doigt sur un détail possiblement important.

– Ce serait une si bonne nouvelle, un peu de pluie, murmura Talos. Même si je ne fais plus partie de ce peuple Skrull en particulier, je ne peux m’empêcher de leur souhaiter une vie plus paisible.

– Dis-moi, est-ce que par hasard la pluie doit être recueillie avant de tomber au sol ? questionna Carol.

– Oui, la roche est imprégnée de substances nocives pour nous. Mais…comment l’as-tu deviné ? s’étonna l’ancien général. Te serais-tu renseigné sur Satriani sans m’en parler ?

– Pas du tout. Enfin, pas plus que ce que je sais déjà en tant qu’ex-membre de la Starforce. Mais je sais reconnaître un récupérateur d’eau.

D’un signe discret de la main, elle désigna un ample bac recouvert de dorures incongrues dans un décor aussi sinistre, posé sous ce qui pouvait bien être une gouttière… particulièrement bien dirigée. Toute la façade du palais aux couleurs nitescentes de l’argent et d’une impressionnante palette de rouge allant du carmin à l’écarlate, bâti comme une grande aiguille s’élevant vers le ciel, autour de laquelle se greffèrent des centaines d’autres petites aiguilles, était garnie à intervalles réguliers de récipients capable de recueillir une quantité du précieux liquide capable d’abreuver une famille un mois entier durant.

– Je te parie ce que tu veux, qu’à la fin de son allocution, cette chère Veranke va provoquer un « miracle », souffla la jeune femme, affichant son plus beau sourire devant le garde de la porte.

Imitant son exemple, Talos afficha son expression la plus charmeuse, allant jusqu’à incliner du chef pour saluer le militaire. Conformément au plan, décidé durant la traversée les conduisant à Satriani, Carol passa son bras autour de celui du Skrull, s’efforçant d’avoir l’air aussi impressionnée que possible. Une manière de justifier qu’elle évite de regarder trop longtemps les extraterrestres, au cas où l’un d’eux percerait sa couverture à jour. Une opération particulièrement difficile pour elle, bien loin d’être le genre de femme à baisser les yeux devant son supérieur. Supérieur, d’ailleurs, n’existant plus à ce jour.

– Vous avez votre invitation ? s’enquit le garde, balayant brièvement le duo du regard.

L’empressement des autres Skrulls attendant encore d’entrer jouait en leur faveur. Se contentant de poser la même question à chaque nouvel arrivant, les gardes envoyait rapidement la foule dans l’enceinte du palais, quitte à pousser un peu les lambins un peu trop à leur aise.

– Il a été écrit dans notre livre des mondes. Une vague allait venir, récita Talos.

Une phrase répétée sans arrêt dans le message envoyé par Veranke. Comme si elle craignait que les ressortissants Skrulls, trop abrutis par leur exil, ne pourraient retenir une simple phrase. Si Carol trouva la précaution un peu légère, comparé aux risques encourus par le peuple extraterrestre, le militaire ne s’en formalisa pas, s’écartant afin de les laisser passer.

– Mon frère, ma sœur, soyez les bienvenus.

Là encore, une simple oscillation du crâne suffit en guise de remerciement.

Alors que Carol s’attendait à se retrouver au beau milieu d’une salle bondée, entourée de toutes parts par une masse de Skrulls serrés comme des sardines, elle et son compagnon suivirent un long couloir aux murs entièrement recouverts de tapisseries représentant exclusivement des scènes de destruction du Trône-Monde par Galactus ou des prêtres en train de rédiger la fameuse prophétie, au point qu’il fut impossible de déterminer leur couleur d’origine.

Au bout de quelques minutes de marches, ils débouchèrent sur une large esplanade à ciel ouvert, plusieurs rangées de gradins disposées en cercle offrant une surface supplémentaire pour les nouveaux arrivants. Surplombant la foule, un balcon rectangulaire, sans rambarde ni fioritures autre que trois étages de frises aux scènes similaires à celles des tapisseries du couloir, semblait attendre quelqu’un, un système de micros, reliés à une série de haut-parleurs disséminés un peu partout dans les gradins, assurant une retransmission fidèle de tout ce qui pourrait se dire là-haut.

Et surtout, ce n’était pas une masse, mais une armada de Skrulls trépignant d’impatience, les yeux rivés sur la balustrade en attendant l’apparition de l’impératrice.

Par chance, l’attente ne fut pas longue pour le duo. Juste le temps de jouer des coudes afin de s’approcher un peu plus, Talos tentant en vain de murmurer à l’héroïne qu’il valait mieux rester à portée des sorties.

– Toutes les issues sont surveillées, de toute façon, rétorqua-t-elle.

Le Skrull n’eut pas le temps de répondre. Dans un claquement sec, une série de projecteurs, jusque-là dissimulés entre les corniches de l’esplanade, s’allumèrent en même temps, se braquant sur le balcon. Sur-le-champ, toute conversation cessa, l’attention générale absorbée par cette soudaine manifestation.

Ce fut un mâle, tout d’abord, qui s’avança sur la margelle de métal. Le type le plus sinistre que Carol eut jamais vu, conclut-elle intérieurement.

– Veuillez accueillir notre souveraine à tous, notre sauveuse : Veranke ! tonna le Sinistre.

Une salve d’applaudissements, majoritairement générée par les militaires, accompagna l’arrivée de l’intéressée. Grande, la peau d’un vert clair typique de son peuple, l’impératrice arborait une couronne d’or massif entourant ses tempes, son sommet divisé en trois parties distinctes et effilées, assortie à de longues boucles d’oreilles du même matériau, leur forme rappelant vaguement un accent circonflexe allongé. Son épaisse crinière d’un noir de jais lui arrivait aux épaules, tandis que ses iris, d’un vert étincelant, dérangeant, emplissaient presque la totalité de ses globes oculaires. Une cape sombre, au col relevé épousant la forme de son menton, reposait sur ses épaules, deux larges pièces d’or en spirale écrasant celles-ci. Elle portait également un bustier au décolleté en pointe atteignant son nombril d’un rouge paraissant presque noir, rehaussé aux bordures de doré, prolongé par un pantalon ample de même couleur. De là où elle se trouvait, Carol ne pouvait voir si elle portait des bottes, ou bien des talons, ou encore des savates d’intérieur.

L’air grave, comme préoccupée, elle ne releva la tête qu’une fois devant le micro.

D’un geste, elle réclama un silence, qui se fit presque instantanément. Les soldats étaient drôlement bien formés ici, songea ironiquement Carol, retenant un sourire railleur de fleurir sur ses lèvres.

– Il a été écrit dans notre livre des mondes. Une vague allait venir. Et c'est devenu réalité. Cela a été écrit et c'est devenu réalité. Un milliard de Skrulls sont morts pour prouver la véracité des mots. Un milliard de Skrulls de plus sont morts pour nous dire que nous sommes ici avec un but. Il a été écrit qu'une vague allait arriver. Et il a été écrit qu'un monde de bleu serait la maison de tous ceux qui croient. Nous avons raison. Il nous aime !

– Qui ça, « Il » ? souffla la jeune femme.

– Notre Dieu, répondit Talos sur le même ton.

– Il est dit, reprit l’impératrice Skrull, sa voix gagnant en intensité au fur et à mesure de son discours, qu’une planète bleue sera notre nouveau lieu de vie. Quelle autre planète, que la planète bleue, la Terre, cela puisse-t-il être ? Une vague de destruction, le Vide. Et du Vide, tu pourras étendre ton bras et obtenir ce qui a besoin de toi. Ainsi uniquement s'ouvriront pour toi et tes frères les portes du Paradis, dit la Prophétie. Il ne s’agit pas, pour nous, Skrulls, de conquérir la Terre : par la volonté de nos Dieux, ceux-là mêmes qui prévinrent notre peuple de la destruction du Trône-Monde, cette Terre fait déjà partie de notre Empire. Autrefois, je ne fus pas assez forte pour permettre à mon peuple de préserver son monde d’origine, muselée par l’obscurantisme d’un empereur aliéné, tout juste bon à nous freiner. Mais aujourd’hui, personne ne m’empêchera de mener les Skrulls là où ils doivent être ! Là où, légitimement, ils ont le droit d’être !

De nouveaux vivats s’élevèrent, quelques membres de la foule se joignant timidement aux applaudissements. Intriguée, Carol se tourna vers Talos. Mal à l’aise, celui-ci haussa les épaules, l’inquiétude lisible sur son visage.

– Pendant des siècles, les humains ont cru que la Terre leur appartenait (le dégoût s’afficha sur les traits de Veranke, ainsi que ce qui ressemblait à de la pitié), créant même une organisation, le SHIELD (l’impératrice cracha, plus qu’elle ne les prononça, ces mots), pour la défendre contre les attaques extraterrestres. Ce ne sont que des voleurs avides de protéger le fruit de leurs rapines ! La seule chose que le SHIELD a apportée à notre peuple, c’est la souffrance ! À nous, les Skrulls ! Eux, et leur équipe nommée les Avengers ! Pourtant, ils sont à l’origine de tous les conflits, de toutes les guerres ! Mais bientôt, tout ceci ne sera qu’un mauvais souvenir. Tout cela va changer, je vous le promets !

Solennellement, Veranke ferma brièvement les paupières, une main sur le cœur, comme en proie à une émotion intense.

– Vous vous demandez quel est cette révélation dont je vous au tant parlé ? Je vais vous donner la réponse à cette question. Les Avengers sont divisés. Tony Stark, leader des super-héros restants, et directeur actuel du SHIELD, n’est plus de ce monde, grâce à la courageuse intervention de nos agents déjà infiltrés sur Terre, depuis bien longtemps maintenant. Mais avant cela, il nous a livré, à nous, héritiers légitimes de la Planète Bleue, le secret de sa technologie. Une technologie qui assurera au peuple Skrull la pérennité de sa race !

Les grondements se firent plus fort encore, l’air électrique se chargeant d’humidité. Interrogé du regard par l’héroïne, Talos fit signe qu’il n’avait aucune idée de ce qui pouvait bien être à l’origine de cette manifestation climatique… inattendue.

– Cette première phase fut un véritable succès, clama l’impératrice, la voix vibrante de ferveur. Les Dieux sont avec nous, et nous soutiennent ! Et nous pouvons désormais passer à la phase suivante. Je viens juste de recevoir, en provenance d’un de nos laboratoires, les données de l’un des Avengers les plus proche du défunt Stark m’ont été transmises. Cela signifie qu’il est à présent entre les mains de nos scientifiques, et que nous pouvons désormais copier ses pouvoirs. Et moi, Veranke, impératrice de la nation Skrull, je vais prendre la place de ce garçon, et détruirais tous nos opposants de l’intérieur !

Le sang de Carol se glaça dans ses veines. Et pas uniquement parce que cette Skrull, visiblement, avait pris trop de coups sur la tête étant enfant.

L’impératrice rejeta la tête en arrière, bras en croix, alors que le vacarme du tonnerre atteignit son apogée. Une goutte, puis deux, puis un véritable déferlement d’eau pure creva le ciel, se déversant sur une foule de Skrull en liesse, tendant les bras, les mains, toutes les parties de leur corps possibles, afin de recueillir autant que possible du précieux liquide. Des cris d’allégresse retentirent, les soldats postés tout autour du périmètre veillant à juguler tout débordement.

– Nous maîtrisons le pouvoir du ciel, hurla Veranke, couvrant le vacarme ambiant. Nous contrôlons le SHIELD ! Nous contrôlons les pouvoirs des super-héros ! Nous partons en croisade pour récupérer ce qui nous appartiens !

Et cette fois, la totalité de la foule, encouragée par les militaires, applaudit la souveraine de bon cœur. À l’exception de l’un des Skrull, morose, et de sa compagne. Tête baissée, afin d’empêcher la pluie diluvienne de diluer le maquillage soigneusement appliqué sur ses prothèses.


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Bonjour, ou bonsoir !


J’espère que tout le monde va bien en dépit du confinement (heureusement, c’est bientôt fini normalement !) Comme promis, ce chapitre ne sort pas des mois après le précédent :D


Sur ce, je croise les doigts pour que ce chapitre vous ait plu, bien qu’il soit un peu plus long que d’habitude ! N’hésitez pas à laisser un commentaire, que ce soit le cas – ou non, pourquoi pas ?


Encore une fois, je remercie BakApple d’avoir accepté de corriger ce chapitre !


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