Trois quart de menace

Chapitre 1 : Trois quart de menace

Chapitre final

2141 mots, Catégorie: G

Dernière mise à jour il y a environ 1 mois


Cette fanfiction participe au Défi d’écriture du forum de fanfictions.fr de mars-avril 2025 : L’omnibus des frangibus




Trois quart de menace




Seul résonnait dans la nuit le tintement des clés qui se balançaient à la ceinture du gardien.

Cheminant à la lueur de la lampe à pétrole qu'il tendait devant lui à bout de bras, Johnson avançait du pas assuré de celui qui connaissait les lieux, la bandoulière de sa carabine passée sur son épaule.

Vingt années qu'il arpentait ces corridors, il aurait pu s'y promener les yeux fermés. La lampe à pétrole, dont la lumière glissait sur les lourdes portes d'aciers, n'avait d'utilité que de servir à indiquer la présence des gardiens aux détenus insomniaques.

Arrivé au bout du couloir, Johnson déposa la lampe sur un coin de son vieux bureau de bois. Il passa une main sur ses épaisses bacchantes, leva sa casquette puis frotta son crâne dégarni.

La fatigue se faisait sentir.

Il appuya sa carabine contre le bureau. Le bois de l'antique chaise grinça lorsqu'il se laissa tomber dessus. Il étendit les jambes et croisa les doigts sur sa bedaine.

Il n'avait aucune raison de s'inquiéter.

Tôt dans la journée, un Dalton avait été reconduit en cellule. Seul.

C'était pour ainsi dire inédit.

Transférés par train, les quatre criminels n'avaient réussi que les trois quarts de leur évasion.

Bilan: trois frères en cavale, le dernier en cellule.

Il n'y avait donc qu'un seul Dalton. Emprisonné au premier étage qui plus est. Cela excluait de ce fait toute tentative d'évasion par un éventuel tunnel. Et si, par un coup de folie, ses frangins projetaient de le faire sortir, il leur faudrait apprendre à voler.

Non, vraiment, Johnson pouvait bien prendre le temps de fermer un peu les yeux.


La lune ronde projetait l'ombre d'ailes déployées au-dessus du désert. La nuit était fraîche.

L'aigle plongea en piqué, referma les serres sur un mulot et remonta aussi prestement, emportant proie et poussières dans le ciel dégagé du mojave.

Trois ombres, élancées, de tailles différentes, avançaient, se faufilant entre les cactus, se dissimulant derrière les roches, rampants derrière les buttes de sables. Les silhouettes étaient toutes affublées du même nez pour renifler les sales coups, du même menton patibulaire ainsi du même large Stetson.

Le restant de fratrie Dalton manœuvrait sous les étoiles.

-Il est p'tet pas si mal que ça en cellule, avança William.

-C'est ce qu'avait l'air de dire le juge, ajouta Jack.

-Le juge est un coyote ! Et vous êtes deux foies jaunes ! Un Dalton est un Dalton, et un Dalton n'abandonne pas un Dalton.

Joe avait tranché

Il venait d'arriver au pied du mur. Le plus petit des frangins, à la fois l'aîné et le chef, commença à tâter les larges pierres grises de la façade.

-Rattle Snake Mike m'a dit qu'il était sorti en déchaussant une de ces briques.

-Tu sais Joe, repris William, d'habitude, on entre par la grande porte.

-C'est vrai ça, renchérit Jack. Sortir en douce, on sait faire, mais rentrer en douce, je trouve ça plutôt malsain.

Joe n'écoutait plus. Il venait de pousser l'une de pierre qui était tombée dans la cour, à l'intérieur du pénitencier. Après un "ha!" victorieux, il disparut dans l'ouverture.

Les deux autres Dalton échangèrent un regard où se mêlait l'angoisse et l'appréhension.

D'un geste lent de la main, William invita Jack à entrer :

-Après toi.

-Non, non, je n'en ferais rien, après toi.

-La jeunesse avant les années.

-Mais c'est toi le plus vieux !

-Tu en es sûr?

La tête de Joe apparue dans le passage pour les menacer d'une voix douce :

-Je vous colle un marron chacun si vous ramenez pas vos miches.



La clarté de la nuit ne laissait pas beaucoup d'ombres aux infiltrés. Les trois frères longeaient le mur d'enceinte, espérant ne pas réveiller les quelques gardes endormis sur le chemin de ronde, au-dessus d'eux.

Cela n'empêchait cependant pas Jack et William de continuer leur débat, à voix basse :

-Je ne pense pas qu'Averell se donnerait autant de mal pour nous.

-Averell ferait tout pour se faire enfermer si les rôles étaient inversés. Il est perdu sans nous.

Ils s'attendrirent :

-Ouais. C'est un grand benêt.

-Le benêt de 'Ma.

Joe intervint, de l'amertume entre ses dents serrées :

-C'est le p'tit préféré de 'Ma.


'Ma Dalton avait élevé seule ses quatre fils, non sans cultiver une certaine rivalité au sein de la fratrie. C'était aujourd'hui une vieille femme revêche, mais un soir que ses fils étaient présents, elle avait fait une confidence à Joe, son aîné. Installée dans son rocking-chair, son chat sur les genoux, les mains autour d'une tasse de thé aromatisé au rhum, 'Ma Dalton lui avait avoué, le regard fuyant :

-Averell c'est mon chouchou.

-Tu ne t'en es jamais caché, 'Ma, lui avait-il rétorqué.

-Laisse-moi finir, tête de mule. Averell est mon tout p'tit. Mais il est bête à manger du foin. Jack et William ne sont guère mieux. Je n'ai confiance qu'en toi, Joe. Tu dois prendre soin de tes frères.


Joe n'était pas un tendre, cependant il prenait soin de ses frères. Il le faisait déjà avant d'avoir eu cette conversation. Il le faisait en dépit de la bêtise d'Averell. Il le faisait malgré lui.


Et il en était là, sous la lune, à faire de son mieux.


Une forme sombre se leva au centre de la cour. Cheminant doucement vers le trio, remuant la queue, la langue pendante.

-Fout le camp Rantanplan ! Souffla Joe.

Mais le chien le plus bête de l'ouest était aussi têtu. Ravi de revoir ses prisonniers favoris, il entreprit de les saluer.

On ne l'y tromperait pas, il y avait quelque chose d'intéressant dans la poche de William.

-Qu'est-ce qu'il a ? S'inquiéta Jack en voyant le bâtard renifler le pantalon de son frère.

Celui-ci sorti un morceau de saucisson, le leva hors de portée du limier.

-Je le gardais pour Averell.

-William ! Donne ce saucisson à Rantanplan ! Ordonna Joe.


Rantanplan ainsi occupé, le trio reprit sa route.

La lueur d'une bougie vacillait derrière les barreaux d'une fenêtre du premier étage. Les Daltons se postèrent juste en dessous, puis Joe jeta un petit caillou dans cette direction.

Un léger cri indiqua que le caillou avait bien atteint sa cible. Un visage fin et délicat apparu entre les barreaux.

-C'est pour quoi ?

-La cellule d'Averell Dalton?

-Troisième sur la droite, indiqua l'individu, pointant la direction du doigt.

Les trois hors la loi se placèrent finalement sous la bonne fenêtre, puis Joe lança un nouveau caillou. Enfin, le visage d'Averell apparut. Il eut bien du mal, à chuchoter.

-Joe! Jack! William! C'que j'suis content de vous voir! Mais qu'est-ce que vous faites là ? Il est bien trop tard pour le parloir.

-On n'est pas v'nu faire la causette !

-C'est dommage, Joe. Si tu savais c'qui m'est arrivé après que vous ayez sauté du train.

-Ferme-là, imbécile ou on te laisse dans ta cellule !

L'aîné ne pouvait s'empêcher de lever la voix.

-Du calme, Joe.

-Mais oui, enfin, Joe. Du calme.

Celui-ci fusilla Jack et William du regard, puis leva de nouveau la tête.

-Ne bouge pas, imbécile. On arrive.


Averell tenta d'objecter, mais ses trois grands frères venaient de disparaitre derrière une porte entrouverte.


Arrivés au premier étage, Joe, Jack et William avançaient au pas de course dans les corridors endormis, accompagnés du tiède courant d'air de cette nuit Californienne.

-C'est quand même plus facile d'entrer que de sortir, vous ne trouvez pas ?

-Jack a raison Joe, c'est trop simple, tu ne trouves pas ?

-Naaan, ils nous sous-estiment, tout simplement. Ils se disent qu'on n'oserait pas venir chercher Averell.

Balayant cette considération, le nabot se mit a compter les portes à mesure qu'ils avançaient. Alerté par les ronflements du gardien endormi au bout du couloir, il avait ralenti le pas, par prudence, puis de l'index, il ordonna :

-Jack : la carabine. William : les clés.

Il précisa :

-C'est cette porte.

Tandis que Joe faisait le guet, Jack se saisit délicatement du fusil. L'espace d'un instant, William fut comme hypnotisé par le mouvement de va-et-vient de la lourde moustache qui dansait mollement au rythme de la respiration de Johnson, le gardien.

Un léger coup de cross dans les côtes le ramena à la réalité. Il fit doucement sortir l'anneau hors du passant de cuir de la ceinture de l'endormi, puis rebroussa chemin.

De son côté, Joe n'arrivait pas à faire taire Averell :

-C'est vraiment gentil de votre part, soufflait celui-ci par le trou de la serrure. Mais ...

-Mais rien du tout, tais-toi !

-Ha non, mais si Joe, parce qu'après que vous ayez sauté du train...

-Mais ferme là imbécile, où on te laisse ici !

William déposa la clé dans la paume de son nabot de grand frère.


Le cliquetis de la serrure raisonna faiblement lorsque la clé déverrouilla la porte. Celle-ci grinça, puis les trois Daltons rejoignirent leur benjamin. Si Joe, Jack et William avaient revêtu leurs habits civils, Averell lui portait, en plus de son éternel sourire niais, son costume de bagnard jaune à rayures noires. Joe se figea en le voyant lever les mains, puis se rappela que William était armé :

-Mais qu'est-ce que tu fais, Averell ? Baisse les mains ! C'est pas pour toi la carabine !

Un autre cliquetis, comme un écho tardif à celui de la serrure se fit entendre derrière eux.

-Pose ton arme, William.

Avant de reconnaître la voix calme et imperturbable du nouveau protagoniste, Joe avait identifié le cliquetis caractéristique, celui d'un revolver que l'on arme : le revolver de Lucky Luke. Le silence pesant fut rompu par Averell:

-C'est ça que je voulais te dire, Joe !

William posa la carabine au sol, puis tous firent face, les mains levées, au cowboy solitaire.


La lueur mouvante d'une bougie détaillait l'étrange mélange affable et sévère du visage de Luke. Sous son large chapeau blanc, sa cigarette brûlait et dans ses mains son colt brillait.

Jack constata :

-Je trouvais ça étrange aussi, qu'il y ait quatre lits.

Joe repensa à sa mère, ce fameux soir, qui lui disait :

-Tes frères sont bêtes à manger du foin, Joe, mais pense à les écouter de temps à autre.

La présence de son ennemi juré, la réminiscence de sa mère, la stupidité de ses frères, tout s'accumulait en un bouillon de colère dans le crâne de Joe Dalton. De la fumée aurait presque pu lui sortir des oreilles.

Tel un moteur démarrant au quart de tour, il pétarada :

-Luckylukeluckylukeluckyluke!

Les deux mains en avant, il se lança sur la carabine abandonnée.

Le coup de feu raisonna jusque dans le couloir, faisant tomber Johnson dans un sursaut.

Le tir de Luke fut bien évidemment précis : l'unique balle déchaussa le canon du fusil.


Le gardien apparut prudemment dans l'encadrement de la porte, derrière Luke.

À genoux, les morceaux de carabine dans les mains, Joe fusillait du regard Jack, William, Averell, Lucky Luke ainsi que Johnson, a tour de rôle, comme si tous s'étaient ligué pour provoquer sa perte.

-J'dois constater que vous aviez raison M'sieur Luke, déclara Johnson tout en se grattant le crâne au travers sa casquette, ils sont effectivement venus chercher leur frangin.

Luke ne dégaina qu'un "ouep" alors qu'il glissait son arme fumante dans son holster.

Il quitta les lieux sans cérémonie tout en se roulant sa prochaine cigarette. Sa voix se fit tout de même entendre depuis le couloir :

-Bonne nuit les petits.


Jack et William s'interposèrent tant bien que mal entre Joe et Averell afin d'éviter que le premier n'étrangle le second.

Johnson ramassa les morceaux de carabine, souhaita à ses prisonniers "Faites de beaux rêves les Daltons" avant de refermer derrière lui la porte de la cellule.


Mais Joe ne fut calmé qu'au petit matin. Posant son menton entre les barreaux, il observa le soleil se lever. Il imagina ce coyote de Lucky Luke chevaucher son crétin de cheval dans les lueurs de l'aube, pour changer.

Sûr qu'il entonnerait sa vieille rengaine ridicule.


À bien y réfléchir, non, Joe n'était pas calmé.

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