La petite famille dans la Prairie

Chapitre 2 : Une vieille connaissance

1693 mots, Catégorie: K+

Dernière mise à jour 02/05/2023 09:33

Chapitre 2: Une vieille connaissance


Repoussant un peu de terre avec sa botte, Luke étouffa les flammes du petit feu et vida le contenu de sa casserole dans un seau. Il versa quelques gouttes de la bouteille marron dans l'eau chaude et retraversa l'enclos avec son mélange, en direction de la grange. Le ciel était orange et son estomac se rappelait à lui, mais il devait d'abord s'occuper de Jolly Jumper.

Dans la grange, quelques lampes à pétrole assuraient l'éclairage. Couché non loin de l'appaloosa blanc, Rantanplan mâchouillait toujours son mégot :

-C'est mangeable, mais c'est pas bon. Mais c'est mangeable.

-Fais le taire Cow-boy, gémit Jolly.

Luke saisi une sangle afin d'allonger l'anse de son seau tout en la passant autour de la tête de son équestre ami. Il se voulut rassurant :

-Dans quelques jours, il sera de retour à son poste, dans son pénitencier du Texas.

Il glissa le museau du destrier dans le seau, ce qui ne lui plu que moyennement :

-Je développe une véritable allergie pour cette erreur de la nature : il me provoque d'horribles maux de tête.

-Allez, ne fais pas le poulain, respire-moi ça et détends-toi.

Du fond du seau, Jolly Jumper se plaignait encore à grand renfort d'ironie :

-Quel noble quête pour un héros de ta stature : escorter le chien le plus bête de l'ouest.

D'une tape amicale à l'encolure, Luke coupa court :

-Je vais manger, Old-boy, j'emmène Rantanplan avec moi.

Luke siffla le chien qui se leva et remarqua le seau dans lequel l'appaloosa avait le museau :

-Ç'a l'air bon. Qu'est-ce qu'elle mange la vache ?

-Hors de ma vue, s'énerva Jolly dont les yeux dépassaient du contenant.


...


Luke avait réussi à trouver l'hospitalité dans une grange pour la nuit, à la sortie de la ville, à la lisière des étendues de maïs La seule autre habitation était une petite maison de brique rouge. La lune était ronde et claire, le cow-boy retrouva son chemin jusqu'au petit centre-ville sans difficulté, son chien à ses côtés.

Rantanplan n'était pas le couteau le plus fin du tiroir, mais au fil des aller-retour en prison des frères Dalton, il était devenu leur chien de garde attitré. Ce qui faisait du canidé, par la force des choses, le collègue de Lucky Luke.


La fumée de cigarette s'échappait par la porte battante du saloon en un gros nuage continue accompagnée de la musique répétitive d'un piano mécanique. Luke posa sa main sur la tête de Rantanplan :

-Reste ici mon vieux, je te ramènerai un petit quelque chose.

Après avoir reniflé le bâtiment, le chien se roula non loin de l'abreuvoir, un peu vexé :

-Une salle de spectacles, hein ? Il a peur que je lui vole la vedette, c'est évident.

Laissant les portes à battant se refermer derrière lui, Luke traversa la salle comble. Des joueurs de poker et des badauds fatigués occupaient les lieux. Sur une scène, quelques danseuses fatiguées levaient leurs robes à jupons et remuaient les mollets avec autant d'enthousiasme que le vieux piano sans pianiste. Il était rassuré : en dépit des grands airs que se donnait Burr Oak, un saloon restait un saloon. Le héros solitaire reconnu la silhouette accoudée au comptoir. Le gabarit fin et élancé, revêtu d'un long cache-poussière beige, était celui d'Elliot Belt, et le large chapeau noir posé sur le comptoir également. Face a sa chope, le chasseur de prime semblait morose. D'humeur joueuse, Luke poussa le chapeau et s'installa à sa droite :

-Lucky Luke ! S'écria ce dernier, de la mousse dans la moustache, à la vue du cow-boy qui avait fait de lui un fugitif.

-La cavale te réussi Belt, tu me sembles encore plus maigre.

Le visage taillé au couteau lui donnait une allure féline, mais ses yeux fins était ceux d'un serpent.

-Je ne cavale plus. J'ai fini par atterrir dans un état dans lequel les juges respectent les chasseurs de primes.

Le barman, un robuste moustachu aux cheveux gominés, qui, par déformation professionnelle, avait les oreilles baladeuses, se rapprocha de Belt, l'œil inquisiteur :

-Z'etes chasseur de prime, m'sieur ?

Belt ne répondit pas, mais Luke confirma :

-Ouep, il l'est.

Les doigts boudinés du serveur saisirent la chope que Belt avait en face de lui et en vida le contenu sur le comptoir.

-Voilà, c'est comme ça qu'on sert les rapaces. Maintenant, vous me lapez ça et vous filez.

Elliot se passa la main sur le visage :

-Ça ne m'avait pas manqué, ça...

Rouage essentiel au maintiens de l'ordre dans l'ouest sauvage, la profession de chasseur de prime inspirait cependant le mépris. On leur jettait les primes aux sols, leur claquait les portes aux nez et leur servait repas et boissons directement sur le comptoir.

D'un index accusateur, le barman s'en prit à Luke:

-Z'etes collègue avec cette canaille ?

En levant une main droite apaisante, le héros confirma calmement :

-Je ne mange pas de ce pain-là. Par contre, si vous aviez un petit quelque chose à me proposer : je meurs de faim.

Après un court moment de réflexion, le barman proposa :

-Haricot ?

Luke, qui en mangeait depuis deux jours à même la boîte, fit contre mauvaise fortune bon cœur, et se contenta d'un :

-Ouep.

Faisant du bout des doigts des aller-retour entre la flaque de bière et ses lèvres, Belt annonça :

-Dans cette ville de fou, je serais presque content de te voir Cow-boy, mais si tu te mets une fois de plus entre moi et mon business, je te descends.

-C'est vrai que ça t'a vraiment réussi d'essayer la dernière fois.

Le barman revint avec une petite assiette de terre cuite garnie de haricots en sauce qu'il déposa devant Luke. Puis, fouettant l'air avec son torchon, chassa Belt de son comptoir :

-Allez, oust! Oust!

Belt feula, attrapa son chapeau et disparu.

La bouche remplie d'une cuillerée, Luke demanda :

-Vous auriez la même chose pour mon chien qui attend dehors ?

Le visage du barman s'illumina :

-Ho, mais ne le laissez pas dehors le pauvre toutou!


...



Rantanplan n'était pas un très bon chien de garde. Au pénitencier, les gardiens le considéraient davantage comme une mascotte. Ce n'est donc pas étonnant, que ce soit Luke qui ait été réveillé au milieu de la nuit. Couché dans la paille, le cow-boy n'avait ôté que ses bottes et posé son chapeau sur son visage. On s'agitait et chuchotait à l'extérieur. Il enfila ses santiags, réajusta son large stetson blanc et traversa l'obscurité de la grange. Jolly Jumper et Rantanplan dormaient paisiblement, Luke entrebâilla l'un des battants de la large porte et s'aventura sur la route de poussière. Face à la petite maison de brique rouge, sous la clarté de la nuit, un homme attelait trois chevaux faméliques à un vieux chariot bâché. Notre héros s'annonça en se raclant la gorge. Les rayons de la lune se reflétèrent aussitôt sur le canon d'un vieux fusil. L'homme qui tenait Luke en joue était visiblement nerveux :

-Qui va là ?

De derrière le chariot, une silhouette féminine aux cheveux légèrement indisciplinés apparue :

-M'sieur Luke ?

Les mains en l'air sous la lune, Luke gardait son calme :

-Bonsoir, Caroline. Pourriez-vous demander à votre ami de baisser son canon ?

L'homme sorti de l'ombre de la maison. Il était grand, fort et vêtu de noir. Son visage avait les traits fin et agréable, se terminant en une longue barbe hirsute. Son abondante chevelure, en revanche, était impeccablement coiffée en arrière. Caroline avança à son tour sous la lumière blafarde. Elle semblait garder un petit paquet serré contre sa poitrine. Le barbu, lui, gardait les doigts serrés sur son canon. Madame Ingalls voulu rassurer son époux :

-Ho, Charles, c'est le jeune homme qui s'est interposé entre Laura et Miss Starr.

Luke précisa sur le ton de la conversation :

-"Jeune homme", vous savez j'ai parfois l'impression d'avoir presque 80 ans.

Agacée, Caroline insista :

-Allons Charles, Monsieur est un ami, range ton fusil.

D'une voix froide et calme, Charles Ingalls se contenta d'un :

-Non. J'ai pas confiance.

Un coin de la bâche du chariot se souleva discrètement, laissant apparaitre le nez retroussé de Laura. Remuant le bout des doigts de ses mains levées, Luke la salua amicalement. Le petit paquet que berçait Caroline se mit à babiller. Mentalement, Luke avait relié les points : un départ précipité dans la nuit, les dettes dont avait parlé la perruquée et la tension générale…

Toujours les mains levées, il tenta :

-Si vous comptez prendre la poudre d'escampette pour éviter de payer vos dettes, vous allez avoir besoin d'une escorte.

-Le shérif ne nous suivra pas, affirma Charles.

-Le shérif peut-être pas, mais il y a un chasseur de prime qui s'en fera une joie contre quelques billets.

Le patriarche Ingalls sembla jauger la proposition, cherchant des yeux le soutien silencieux de Caroline. Luke ne voulu pas être insistant :

-Je commence à avoir des crampes, Charles.

Le barbu baissa son arme. Le cow-boy baissa les bras, et les étira.

-Vous feriez ça ? Demanda Caroline, reconnaissante.

-Ouep.

Charles reposa sa carabine sur l'assise du chariot, puis s'approcha de Lucky Luke et résuma :

-Mr Bisbee, mon bailleur, menace de saisir mes cheveaux pour les mensualités de retard. Nous avons des dettes auprès de l'épicier et du Dr Starr. Nous n'avons rien pour vous payer.

-Je fais ça parce que vous m'êtes sympathique, Charles.

-J'ai un emploi qui m'attend à Walnut Grove. Je paierai mes dettes auprès de Bisbee et de Starr.

Luke sembla jauger à son tour :

-Quatre jours de voyage, avec femme et enfants ? Vous accepteriez prendre mon chien dans votre chariot ?

Charles souri enfin, puis les deux hommes échangèrent une franche poignée de main.

-Le chien ira à l'arrière avec mes filles.

-Vous avez combien de filles ?

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