Poisson d'Averell
Chapitre 1 : Poisson d'Averell
1209 mots, Catégorie: K+
Dernière mise à jour 02/04/2023 15:05
Il avait fait demi-tour. Assis sur une pierre plate, sous un soleil de plomb, Joe n'en revenait pas : Averell avait fait demi-tour. Le nabot patibulaire battait des pieds dans le vide de colère. Son large menton posait sur ses bras croisés, Joe boudait. Il en voulait à cet imbécile d'Indien d'avoir monté le bourrichon de son idiot de frangin. Il en voulait à ces crétins de William et Jack de l'avoir convaincu d'attendre que cette grande andouille finisse sa partie de pêche. Il en voulait à Lucky Luke. Tous des imbéciles, des idiots, des crétins, des...
-Andooouilles! Explosa le chef des Dalton.
Le bandit sauta à terre pour rejoindre le bord du cours d'eau et donner des coups de santiags colériques dans les flots tranquilles, éclaboussant sa chemise verte. À quelques mètres, à l'ombre d'un chêne, assis sur l'herbe fine, Jack et William patientaient en jouant aux cartes. Lassé, Jack lança à Joe:
-Du calme, Joe.
-Ouais Joe, renchérit William, du calme.
Trépignant, sautant sur place, Joe invectiva le quatrième frère Dalton dans un flot d'insulte incompréhensible. Au milieu de la large rivière, Averell se mit debout dans son fin bull-boat. Le plus grand des Dalton interpella son nabot de grand frère :
-Jooooe!
-Quoi??
-Jooooe!
-Kwoaaa??!
-Est-ce que tu pourrais arrêter de crier, s'il te plaît ? Hurla-t-il gentiment. Tu vas faire peur au poisson !!
L'aîné des bandits retirera son chapeau, puis commença à en mâchouiller nerveusement les rebords. Entre ses dents, il feula :
-Mais c'est lui qui cri…
Il hurla ensuite à son cadet, en lançant son galurin dans l'eau :
-Mais c'est toi qui cri ! Espèce d'andouille !!
Joe ramassa son chapeau, se le posa violemment sur le crâne, s'offrant une douche froide dans la manœuvre.
Le cours d'eau était large d'une cinquantaine de mètres, et à moitié aussi profond. L'eau limpide dévoilait quelques fins poissons. À l'ombre de son chapeau marron, Averell passait un agréable moment, assis dans son embarcation en peau de bête. À l'aide de son vieux boulet de prisonniers et d'une bonne corde, le fugitif s'était bricolé une ancre afin que le bateau reste en place. Il avait la réputation, plutôt méritée, d'être un grand benêt. Mais lorsque de la nourriture était en jeu, Averell savait faire preuve d'ingéniosité. Un ver de terre embroché sur une aiguille de bois attaché à une ficelle descendait dans l'eau depuis une canne a pêche de fortune. Depuis quelques heures maintenant, Averell patientait :
-Peeetit petit ...
De l'autre côté de la rive, à la lisière du campement provisoire des Indiens Chinook, deux silhouettes observaient le pêcheur. Langue-agile et les siens étaient arrivé depuis quelques semaines afin de faire du commerce avec l'Homme blanc. Même si cela lui avait coûté un bateau, le fier commerçant était satisfait de s'être débarrassé de ces quatre bandits tout en leur jouant un tour. Lucky Luke, lui, venait d'arriver. Une tasse de café a la main, le cowboy s'amusait de cette situation ubuesque :
-Tu es sûr qu'ils savent que je suis à leurs trousses ?
-Ugh, confirma Langue-agile.
-Et pourtant Averell reste là à pêcher tranquillement ? Demanda Luke après avoir but une gorgée de café de sa tasse métallique cabossée.
-Ugh.
Langue-agile n'était vêtu que d'une robe en peau de bête. Torse nu, avec sa longue tresse retombant sur son épaule, le commerçant avait fière allure. Il était trop prévenant pour dire à son ami qu'il le trouvait un peu ridicule avec sa chemise jaune et son large chapeau blanc. Le Chinook se pencha et se servit également un café au pichet que gardait au chaud les braises mourantes du petit feu de camp.
-Que lui as-tu raconter, mon frère?
Langue-agile eu un sourire en coin :
-Que dans ces eaux réside le mythique poisson épée. Capable de nourrir une famille pendant des lunes.
Il pointa Averell du doigt.
-L'estomac de cet homme blanc est aussi vide que sa caboche.
-Un puits sans fond, confirma le cow-boy.
-Ugh.
-Il n'y a que des poissons rachitiques dans ces eaux, constata le voyageur, avec un léger ricanement. Aucune chance de pêcher un espadon…
-Moi, je m'y connais en bison, mon frère, pas en poisson.
-Tu t'y connais aussi en mensonge, mon frère, s'amusa le cow-boy.
-Ugh, confirma Langue-agile avec un large sourire.
Un coup sourd contre l'embarcation attira l'attention d'Averell. Il se pencha, et dans la surprise, laissa tomber sa canne à pêche dans l'eau.
-Ho bah ça alors !
Après avoir remonté l'ancre et sa prise dans le frêle esquif, le bandit saisi les rames puis, avec de grands mouvements, rejoins la rive à toute vitesse. Il mit rapidement pied à terre, et tendit sa lourde prise argentée au soleil :
-Regarde Joe ! Tu imagines les litres de soupe de poisson que je vais pouvoir en tirer !
-Joe, Jack et William sont de l'autre côté Averell, annonça calmement Lucky Luke.
Averell manqua de se tordre le cou pour constater que son minuscule grand frère sautait sur place de l'autre côté du cours d'eau, un faible écho propageant son langage fleurie. Langue-agile n'en revenait pas :
-Mais qu'est-ce que c'est que ça ?
À bout de bras, le desperado d'eau douce leur présentait un gros poisson argenté au nez allongé.
-Ça, mon frère, c'est un espadon, s'amusa Luke.
Le cow-boy avait remarqué un point noir, loin en amont de la rivière. Il s'agissait d'un bateau restaurant. Ça, Luke l'avait deviné. Tout comme il devinait le savon que le capitaine allait passer au pauvre mousse qui avait laissé tomber le repas de ce soir par-dessus le bord. Luke toucha du doigt la prise, qui devait faire pas loin d'une quarantaine de kilos.
-Conservé dans la glace avant de réussir à éviter les fourneaux.
Il éclata de rire :
-Il n'y a pas qu'Averell qui a eu de la chance !
Le grand Dalton posa son espadon derrière lui, et souleva son boulet :
-Je remet ça alors ?
Le cow-boy solitaire eu un sourire compatissant :
-Vas rejoindre tes frangins. Dis à Joe que je vous aurai rattrapé avant Painfull Gulch.
Langue-agile regardait pour la deuxième fois le bull-boat s'éloigner. Luke siffla. Sur le bord de la rive, son cheval blanc dégustait la douce verdure de l'Oregon. Il se dit à lui-même :
-C'est pas trop tôt.
À petit trot, Jolly Jumper rejoignit son cow-boy, qui d'un mouvement souple l'enfourchât.
-Tu les as encore laissé filer, Cowboy… Constata Jolly d'un ton réprobateur.
-Il y a un pont, a vingt kilomètres d'ici. Assura Luke. On les aura.
La monture soupira :
-En attendant, c'est moi qui galope.
Langue-agile interpella Luke avant qu'il ne disparaisse dans le soleil couchant :
-Soit frère blanc à choucroute sous le scalp, soit il aime chasser ces quatre bandits.
-C'est comme la pêche, mon frère : il faut de la patience pour faire une belle prise.
Luke salua le Chinook d'un mouvement de chapeau. D'un galot léger Jolly se mit à suivre le cours d'eau, en direction du soleil couchant.
Luke se mit à chanter.