Père Bongo, raconte-nous une histoire (nous, on t'écoutera bien)

Chapitre 1 : Père Bongo, raconte-nous une histoire (nous, on t'écoutera bien)

Chapitre final

4077 mots, Catégorie: G

Dernière mise à jour 30/12/2022 11:49

Père Bongo, raconte-nous une histoire (nous, on t’écoutera bien)


Cette fanfiction participe au Défi d’écriture du forum Fanfictions .fr : A table ! - (novembre décembre 2022).


Je ne suis pas du genre à souvent raconter des histoires, vous savez.

Principalement parce que je suis mort.

« Comment ? » me demanderez-vous. Je répondrai que je suis mort d’une mort assez normale, pour un chat : écrasé par une voiture.

Oh, rassurez-vous, ça a été rapide et sans douleur, merci bien. Je préfère ça plutôt que d’avoir souffert encore et encore durant mes vieilles dernières années. Au moins, mon décès aura été bref, contrairement à mes semblables. Et j’ai pu vivre une vie heureuse. Surtout depuis que William est là, avec moi.

Hmm ? Qui est William ? Ah, mes excuses. J’aurais dû commencer par le début. Voyez-vous, William Price est mon propriétaire. Et aujourd’hui, j’oublie que ce n’est pas moi la star du récit, mais plutôt lui et sa famille.

Laissez-moi vous narrer comment tout s’est déroulé.


*


Deux-mille-huit. Septembre soufflait ses derniers jours à Arcadia Bay.

Trop imprudent ma foi, je n’existais donc déjà plus depuis qu’une vieille Peugeot m’avait roulé dessus, mais pourtant, en cette belle matinée du vingt-sixième jour de ce mois, la vie continuait sans moi. Voyez-vous, il s’agissait d’un dimanche, et la fille de William, Chloé, avait invité sa meilleure amie à dormir chez elle pour l’occasion. Quant à moi, ne vous inquiétez pas, j’avais passé comme chaque soir la nuit dans le canapé du salon, et quel grand salon ! À l’époque, cela énervait Joyce – oh, il faut absolument que je vous parle de Joyce, mais chaque chose en son temps – car de mon vivant je laissais toujours des poils sur le tissu. Entre nous, je trouve qu’elle exagérait beaucoup.

Mais reprenons, si vous le voulez bien.

Ce matin-là, un bruit très particulier me réveilla, celui de ce que je crois que vous autres les humains appelez « appareil photo », mais celui-là différait beaucoup des autres, car le cliché sortait directement de la machine, et à ce propos, chers bipèdes, sachez que vous ne cesserez jamais de me surprendre par votre inventivité.

–       Un jour, papa va acheter l’un de ces ordis dernier cri.

Je m’étirai en bâillant, et descendis du canapé avec une habilité que les homos sapiens ne posséderont jamais et dont nous les félins nous vantons très souvent.

Chloé, la fille d’environ treize ans de William, avec de longs cheveux blond caramel et son sweat-shirt gris favori avec marqué en rose « Arcadia Bay, Oregon » dessus, tannait son père pour pouvoir voir la photo en premier, tandis que sa copine, Max – mais je soupçonne qu’il s’agisse du diminutif d’un prénom plus long – se tenait en retrait, timide.

Il faut que vous sachiez que ces deux gamines m’en ont beaucoup fait baver durant ma vie chez les Price, mais contrairement à vous, nous les félidés ne sommes pas rancuniers, et j’ai toujours eu beaucoup d’affection pour ces deux chipies. Elles m’ont secouru, vous savez, même si Chloé pense que personne n’est jamais vraiment sauvé. Sans elle et sa famille, je croupirais encore dans un refuge, à attendre un foyer aimant qui finalement ne viendra pas. « Oui, mais tu serais encore en vie », m’affirmerez-vous. Et je vous répondrai que parfois, mourir vaut mieux que de vivre.

Voilà que je m’égare dans des considérations d’un autre ordre. Où en étions-nous, déjà… ?

Ah oui, cela me revient, à présent.

Quand j’arrivai dans la cuisine, les deux Price discutaient avec enthousiasme, et Max, avec son serre-tête jaune surplombant sa queue-de-cheval basse brune, et son tee-shirt bleu à manches longues, s’occupait de terminer de dresser la table.

–       Qui veut m’aider à faire des crêpes ?

–       Des pancakes, tu veux dire ? corrigea sa fille en haussant un sourcil.

–       En France, on appelle ça des crêpes. Et un bon chef cuistot a besoin d’assistants. Si tu veux manger un petit-déjeuner.

–       Oui. Je me porte volontaire pour casser les œufs !

D’un bond souple, je grimpai sur le plan de travail crème, slalomant entre une simple assiette blanche, de la brioche tranchée et un couteau sur une planche en bois, une boîte de céréales jaune pas encore entamée, et un grille-pain rouge foncé duquel sortaient partiellement des toasts fumants qui m’ouvrirent considérablement l’appétit – si seulement j’avais pu croquer dedans ! Et enfin, j’arrivai jusqu’aux deux apprentis cordons bleus, qui travaillaient côte à côte, perdus dans leur préparation culinaire.

–       Tu te souviens de combien d’œufs on a besoin ?

–       Maman m’a dit que ça dépend des fois.

–       C’est vrai.

Après un très léger silence, elle se tourna vers lui, un sourire audacieux aux lèvres, et une lueur presque de défi dans le regard.

–       Alors, combien ?

–       Hé, s’exclama son père, faussement outré, en la regardant à son tour, on ne remet pas le chef cuistot en question.

–       C’est ça, comme si tu étais le chef cuistot de la maison, se moqua-t-elle, tandis qu’elle cassait un œuf sur le rebord du bol pour le mélanger à la pate déjà existante.

–       C’est moi le chef tant que ta mère n’est pas là, plaisanta-t-il.

La façon dont il utilisait ce drôle d’objet tout plat – une patule ? Non, une spatule plutôt – pour étaler correctement les pancakes dans la poêle m’intriguait beaucoup. Par curiosité, j’approchai ma patte rousse pour essayer de toucher, mais à ma grande déception, elle passa simplement à travers. Je ne pus retenir un miaulement, frustré, même si personne ne m’entendait. Vous savez combien c’est pénible d’être mort, dans ces moments-là ?

–       Je vais lui dire, le menaça-t-elle par jeu, essayant d’être aussi convaincante que possible.

Ils partirent dans un grand éclat de rire, tandis la jeune fille brisait à nouveau la coquille des œufs pour les ajouter dans le saladier rouge contenant déjà la levure, le sucre et la farine que son père s’affairait à mélanger à l’aide d’un fouet en plastique noir. Je réalisai qu’aucun n’avait répondu à la question, finalement. Combien d’œufs ? Moi, à l’époque, j’étais bien content, parce que j’avais ma nourriture matin, midi et soir, et je n’avais pas à me soucier des quantités.

Quelques minutes plus tard, le téléphone fixe blanc situé sur une console en bois dans l’entrée sonna ; Will – je l’appelle Will parce que c’est bien ce que vous faites quand vous appréciez quelqu’un de lui donner un surnom, n’est-ce pas ? – s’empressa de laisser tomber sa préparation culinaire, et Max accourut pour le remplacer et mélanger la mixture. Je me rappelle qu’à l’époque elle avait l’air appétissante, mais croyez-moi, rien ne vaut une bonne grosse gamelle de pâtée. Toujours est-il que de là où je me trouvais, je pus apercevoir le patriarche brièvement passer après avoir raccroché. Je dois aussi vous préciser que je me souviens qu’il avait fait une chose que les humains font assez souvent et qui s’appelle « chercher les clés ». Il paraît que vous en avez besoin quotidiennement dans votre vie, notamment pour conduire une voiture, en tout cas c’était pour cette raison que William cherchait à les récupérer et y parvint finalement après de longues secondes de recherches. Je me rappelle encore ses derniers mots.

–       Et pas de dégustation de vins, les filles…

Il s’arrêta dans le couloir, et observa sa fille avec insistance.

–       Papa ! s’indigna cette dernière en se penchant en arrière pour mieux le voir et lui lancer un regard faussement outré.

–       Pas de bêtises, parce que ta mère a promis de nous faire sa célèbre surprise au saumon, avec du gâteau au chocolat en dessert. Max, tu seras là, non ?

–       Elle ne me quittera jamais !

–       Comme nous tous, alors, conclut-il avec douceur en se dirigeant vers la sortie.

La porte sitôt refermée derrière lui, ma jeune maîtresse Chloé et son amie reprirent la confection des pancakes en attendant le retour de William. La première continuait de touiller la mixture avec le fouet, et la seconde vérifiait la bonne cuisson de leurs pâtisseries.

–       Bon, dernière fournée ! Je laisse la pâte reposer une vingtaine de minutes, et après je pourrai ajouter les blancs battus en neige et tu pourras cuire les « crêpes » ! Mais avant ça…

Elle lécha le fouet avec gourmandise, avant d’en poser le bout sur la poitrine de sa meilleure amie.

–       Max, tu dois savoir que tu es ma principale suspecte.

–       Moi ? s’étonna celle-ci en la regardant avec des yeux ronds. Suspecte de quoi ?

Ses iris bleus se posèrent sur l’assiette pleine de pancakes à sa droite, et elle en attrapa un à la volée, croquant avec appétit dedans, face à sa meilleure amie qui poussa un cri d’indignation.

–       Si tu veux dire « coupable de savourer ces délicieuses pâtisseries », alors oui, je reconnais ma culpabilité.

–       Mais non, je ne parle pas de ça. Je suis sûre que c’est toi qui m’as piqué mon numéro collector de ma BD Calvin & Hobbes, exprès pour le ramener chez toi et le garder !

Je m’allongeai complètement sur le plan de travail. La plaque chauffante se trouvait juste à côté de moi et m’arracha un ronronnement de plaisir, tandis que je regardai les deux adolescentes se crêper gentiment le chignon – c’était le cas de le dire.

–       Chloé, je suis ta meilleure amie ! Jamais je ne pourrais te faire ça, voyons ! répliqua son interlocutrice en posant une main sur son front dans un geste théâtral. À moins que…

–       À moins que quoi ? demanda ma propriétaire en posant ses doigts tachés de farine, de levure et de blanc d’œuf liquide sur ses hanches.

–       Hmm non, je ne parlerai pas, décida finalement sa copine, en lui adressant un sourire malicieux.

L’autre se retourna, visiblement contrariée. Inquiet, ma queue fouettant l’air, je me redressai d’un bond pour me rendre jusqu’au bout du plan de travail, et m’assurer qu’elle allait bien. Rapidement, je me retrouvai près d’un verre doseur contenant quelques centilitres de lait, et d’une cafetière encore brûlante.

À ma grande surprise, cependant, la blonde ne paraissait pas réellement irritée. Elle passa une main sous son menton, une certaine espièglerie brillant dans son regard. Je clignai des yeux en la voyant inspirer profondément.

–       Dans ce cas…

Elle s’approcha du saladier, qu’elle attrapa dans ses bras, avant d’y plonger le fouet.

–       … tu ne me laisses pas le choix. Je vais devoir utiliser ma méthode de torture la plus efficace pour te faire avouer !

–       Oh mon Dieu, s’exclama son interlocutrice en plaquant ses deux mains sur ses joues pâles, faussement choquée. Qu’est-ce que tu vas me faire ?

Pour toute réponse, la jeune Price s’avança avec un sourire machiavélique vers Max, avant de soudain s’arrêter.

–       Prépare-toi à subir la plus terrible attaque de pâte à pancakes de ta vie ! Tu me supplieras à genoux de t’épargner ! s’exclama-t-elle.

Je feulai, énervé par ces chamailleries, tandis que le bourreau se ruait vers sa victime et qu’elles commençaient à courir en hurlant dans toute la maison. Vous, les humains, même à l’adolescence, vous agissez toujours comme de grands enfants, contrairement à nous félins, les animaux les mieux éduqués sur cette planète.

–       Au secours ! Pitié, madame la policière, ne me faites pas de mal, je vous en supplie ! gémit la brune.

–       Alors passe aux aveux, scélérate ! s’écria sa poursuivante, en agitant son semblant d’arme noire d’une main, tandis que de l’autre elle tenait le bol.

Dans leur course effrénée, elles renversèrent un paquet de céréales dont certaines se répandirent par terre, mais ne le réalisèrent même pas, et continuèrent leur pseudo bagarre. Tout en m’étirant paresseusement, je descendis mollement du plan de travail pour pouvoir continuer à les surveiller. Heureusement que le père de famille leur avait demandé de ne pas complètement détruire l’appartement en son absence, qu’est-ce que ça aurait été, sinon…

Lorsque j’arrivai au salon, qui jouxtait la cuisine, Max était allongée dans le canapé blanc décoré de marrons, ma jeune maîtresse penchée au-dessus d’elle, et qui la menaçait toujours.

–       Si tu continues à nier, tu vas finir le visage complètement barbouillé ! prévint-elle en passant le fouet sur son nez et ses joues.

La crème coulait lentement. La pauvre jeune fille secoua la tête, en riant aux éclats.

–       Arrête, arrête ! D’accord, j’avoue tout. J’avais fait un pari avec ton père ; il pensait que tu ne remarquerais pas l’absence de ta BD, je lui ai dit que si. Le gagnant empochait dix dollars.

Chloé se redressa, et lentement, elle s’écarta de sa camarade de jeu ; un livre tomba par terre. Je me léchai la patte, fatigué. Les bipèdes s’amusent tellement bruyamment…

–       Papa, hein ? Il va tellement payer pour ça. Je vais lui préparer un plat horrible et le forcer à le manger, il ne s’en remettra pas.

–       En tout cas, comme j’ai gagné, ça me fait de l’argent en plus ! gloussa son interlocutrice. Bon, le temps que la préparation repose, qu’est-ce que tu dirais qu’on range un peu ? Tout ce bazar sur la table ne va pas disparaître tout seul.

D’un mouvement de tête, elle désigna ledit meuble, sur lequel s’étendait quantité d’affaires, notamment papiers et crayons. Les chats ne dorment que d’un œil, vous le savez, et effectivement, tôt ce matin, elles étaient descendues quatre à quatre des escaliers en s’excitant, rejointes peu après par la mère, Joyce qui partait courageusement travailler comme chaque jour ou presque – encore autre chose, que vous, les humains, vous faites souvent, et vraiment, même dans l’autre monde, je peine à comprendre le concept. Je suis bien content d’être un félin et de passer mes journées comme je l’entends.

Je m’éparpille encore. Pour en revenir aux deux demoiselles de treize ans, elles s’affairaient donc à nettoyer les affaires laissées en plan, afin de pouvoir déguster leur petit-déjeuner tranquillement. Cela les accapara un petit moment, et pour ma part, je préférai retourner m’allonger près des plaques de cuisson, en attendant qu’elles terminassent leur remue-ménage.

Environ quinze minutes plus tard, elles revenaient, me tirant brutalement de mon sommeil ; je restai étalé bien tranquillement, cependant, regardant ma propriétaire verser la pâte enfin prête dans la poêle et Max l’étaler pour assurer une bonne cuisson. Les pancakes commencèrent rapidement à adopter une belle couleur, et je ne pus retenir une langue gourmande de passer sur mes babines. Cela s’annonçait tellement plus savoureux que des croquettes…

Ma queue fouetta joyeusement l’air tandis que je me redressai pour admirer le résultat sous un meilleur angle.

–       C’est bientôt prêt ! annonça la brune, qui en salivait presque.

–       Super ! Qu’est-ce que tu préfères ? J’ai du Nutella, du sirop d’érable, du sucre, de la confiture–

La sonnerie du téléphone fixe dans l’entrée, à nouveau, l’interrompit. Chloé laissa ouvert le placard dans lequel elle farfouillait, et, curieuse, se dirigea vers la commode pour pouvoir répondre. Encore aujourd’hui, les paroles entendues à ce moment-là me hérissent le poil.

–       Allô ? Ah maman, c’est toi ! Justement, papa est parti te chercher. Vous arrivez bientôt ? Les pancakes vont être tout froids, s’esclaffa-t-elle.

Un silence. Un silence trop long. Mes oreilles frémirent. Je n’aimais pas ça.

–        … Quoi ? Comment ça, il ne reviendra pas… ?

Interpellée, Max tourna la tête. Et pas besoin d’avoir des super sens de félin pour remarquer qu’elle transpirait l’inquiétude.

–       … Un accident… ? Mais il conduit toujours prudemment, pourquoi…

Un bruit sourd. Je devinai qu’il s’agissait du son du téléphone fixe échappant des mains de la fille de Joyce et qui avait heurté la console avant de tomber par terre.

Et puis un hurlement. Un hurlement déchirant. Mes moustaches en vibrèrent d’effroi, et il résonna jusqu’au plus profond de mon être. Je regardai l’adolescente, près de moi, pétrifiée. D’emblée, je sus qu’elle avait compris. Nous avions tous les deux compris, que cette journée marquerait un tournant désastreux dans de nombreuses vies.

–       Chloé… ? appela-t-elle néanmoins avec hésitation, sa main lâchant la poignée de la poêle.

 En entendant son nom, cette dernière apparut sur le seuil de la cuisine, comme un spectre. Le teint pâle, les yeux larmoyants, les traits creusés… Elle ne ressemblait plus du tout à l’intrépide enfant qui passait son temps à me courir après et à me transformer en pirate juste pour s’amuser, elle ne respirait plus du tout la joie de vivre, comme autrefois, et je ne pus qu’émettre un miaulement rauque en songeant, le cœur serré, qu’elle ne la ressentirait plus jamais.

En traînant des pieds, elle s’avança vers son amie, la tête baissée. Malgré l’ouïe très fine que les chats possèdent, c’est à peine si je pus entendre la phrase étouffée qu’elle prononça.

–       Papa est mort…

Et elle se jeta dans les bras de Max en poussant un cri à transpercer le cœur. La brune répondit immédiatement à son étreinte en la serrant doucement dans ses bras.

–       Je suis désolée, Chloé… Je suis tellement, tellement désolée…

Elle ne prononça plus le moindre mot ensuite, se contentant simplement d’être là, car parfois, les actes valent tellement plus que les mots, et les animaux le montrent parfaitement bien tous les jours d’ailleurs. Elle lui caressa longuement le dos, et elles restèrent là, debout, dans le salon, l’une pleurant sur l’épaule de l’autre, qui la réconfortait silencieusement, peut-être un peu maladroitement, mais auriez-vous fait mieux, à sa place ?

–       Ah, mon vieux Bongo. Je suis content de te voir. Même si je ne m’attendais pas à te retrouver si vite.

Impossible de m’empêcher de ronronner lorsque j’aperçus Will, accoudé contre le plan de travail de la cuisine, dans sa chemise rouge à carreaux d’un goût très douteux, selon moi, mais puisqu’à part les déguisements imposés par les deux meilleures amies, je n’avais jamais porté de vêtements, je vous concéderai le fait que ma position ne me permettait pas de juger ce qui touchait à la mode. Enfin bon… si le père de famille se trouvait là, et que, comme moi, personne le voyait, alors cela ne pouvait signifier qu’une seule chose… et pas des plus gaies. Mes yeux brillèrent, et je poussai un miaulement, comme pour obtenir une confirmation.

–       Eh oui, on dirait bien que toi et moi, on est de l’autre côté, maintenant… déclara-t-il en me caressant affectueusement la tête. C’est un peu ironique, que ce soit un quatre-quatre qui nous ait envoyés ici tout les deux, tu ne trouves pas ?

Sur ce point-là, je ne pouvais pas le contredire. Les conducteurs de voitures sont parfois vraiment négligents.

–       Ma fille… Je ne sais pas ce qu’elle va devenir sans moi, soupira-t-il en portant son attention sur elle, inquiet.

Je laissai échapper un grognement de mécontentement. Il retint un petit sourire, et glissa à nouveau sa main dans ma fourrure.

–       Désolé, mon pépère. Sans nous, je voulais dire. J’espère que Joyce s’en sortira. Et qu’elle trouvera quelqu’un de bien. Je leur souhaite vraiment à toutes les deux de vivre heureuses.

Chloé sanglotait toujours dans les bras de Max, et je devinais que cela durerait pendant encore un long moment, jusqu’au retour de Jo’, cette brave femme. Quelques-uns de ses pleurs glissèrent sur ses joues déjà humides au possible et tombèrent sur les crêpes qui reposaient empilées sur une assiette posée à côté d’elle, sur le plan de travail. Et moi, j’observai ce phénomène, avec en tête, cette question lancinante qui ne me lâchait plus.

À votre avis, quel goût ça a, les pancakes assaisonnés aux larmes ?


*


Ici s’achève donc mon histoire. Ce jour-là, j’ai été témoin du dernier petit-déjeuner partagé entre deux copines d’enfance, et qui ont fini par se séparer peu de temps après.

Mais la fin d’une histoire marque seulement le début d’une autre, et les péripéties des deux adolescentes ne s’arrêtent pas là, et ont connu leur apogée quelques années après, lorsque Max a essayé de sauver Chloé et même son père du destin funeste qui les attendait.

Mais cela est un récit que je vous réserve pour une autre fois.


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