Un combat de tous les instants

Chapitre 70 : Nouvelle donne

3133 mots, Catégorie: K+

Dernière mise à jour 07/09/2020 21:48

- Allez, on se déploie ! ordonna Léo à la vingtaine d’androïdes qui l’escortaient. Vous, de ce côté ! Les autres, par là ! Encerclez-les, et quand vous entendrez le signal, enfoncez-vous le plus profondément possible dans leurs rangs. Donnie ?

- Prêt à survoler la zone. J’attends tes instructions.

Léonardo suivit des yeux les Foot-bots qui étaient en train de se déplacer autour de l’armada kraang. Deux furent fauchés par des pistolets laser avant d’avoir pu approcher l’ennemi, mais les autres l’atteignirent en un seul morceau.

Le ninja bleu observa ses troupes qui réussirent à causer de nombreux dégâts et à franchir plusieurs lignes de défense kraang. Leur succès fut bref, cependant. Il n’en resta bientôt plus qu’une poignée debout, qui ne tarda pas à succomber à son tour.

- Donnie, maintenant !

Léonardo pencha la tête vers l’arrière pour voir apparaître la soucoupe furtive avec laquelle son frère avait d’abord surveillé les environs du laboratoire, avant de se tenir prêt à rejoindre le champ de bataille au moment opportun. Son vaisseau émit un bruit strident, et une série d’explosions retentit.

Des dizaines de robots extraterrestres furent détruits par les cristaux explosifs que Marion avait confiés aux Foot-bots en leur ordonnant de les disperser parmi leurs adversaires. Les Kraangs, focalisés sur les androïdes, n’avaient pas prêté attention à ce qu’ils semaient derrière eux. Une erreur qu’ils payaient à présent très cher.

Le prix était également élevé du côté des Terriens, puisque cela avait impliqué le sacrifice de presque toute leur armée, ce qui plongerait probablement Marianne dans une colère noire lorsqu’elle découvrirait ce que sa cadette avait fait. C’était cependant la seule stratégie qui s’était imposée à Marion, et pour l’heure, elle portait ses fruits.

- Vous allez vous en sortir ? demanda Donnie en effectuant un demi-tour avec la navette, tout en grillant quelques Kraangs supplémentaires à l’aide de son laser.

- Repars protéger le laboratoire, et on en parle à notre retour, d’accord ? lança Marion dans son oreillette.

Elle avait observé toute la scène depuis une plateforme surélevée, attendant que son tour soit venu de passer à l’action. Il s’agissait sans doute de l’idée la plus insensée – et la plus digne de Mikey – qu’elle aurait de toute sa vie. Elle prit une profonde inspiration, serra les jambes, dégaina son épée et la pointa vers le ciel en s’époumonant :

- Kraath ! À l’assaut !

La kraathatrogon qu’elle chevauchait se mit aussitôt en mouvement et se jeta dans le vide pour rejoindre la zone en contrebas, les ultimes Foot-bots dans leur sillage. Les Kraangs se figèrent en voyant cette créature, censée être l’une des leurs, fondre sur eux en poussant des cris de fureur.

Marion chargea sans pitié, à l’instar de sa monture. Kraath écrasait les androïdes sous son ventre, les balayait violemment avec son corps agile ou les croquait dans sa gueule pourvue de dents acérées, pendant que l’épée de sa cavalière fendait l’air et le métal.

- Marion, attrape !

Léonardo s’était frayé un chemin jusqu’à elle et lui lança un pistolet kraang, qu’elle saisit au vol tandis que le ninja bleu commençait déjà à tirer dans le tas. Une quantité considérable d’ennemis tombèrent encore, mais alors que Kraath poursuivait son carnage, elle fut touchée trois fois de suite au flanc droit. Elle se cabra, et Marion dut lâcher son arme pour s’agripper à l’une de ses antennes.

- Doucement, ma jolie, ne t’affole pas. Ce ne sont que des petites blessures, tu es trop résistante pour être affaiblie par ça. Et eux sont fous de s’en prendre à toi. Montre-leur ce que tu as dans le ventre !

Sur ces mots, Marion se laissa glisser le long de la kraathatrogon et poursuivit le combat au sol, pendant que la créature se déchaînait. Mikey l’avait initialement capturée pour cela, mais jusqu’à présent, il n’avait pas été nécessaire de l’utiliser au cours d’une bataille, puisqu’elles s’étaient presque toutes déroulées dans les airs, et personne n’aurait de toute façon apprécié la présence du ver géant.

Une situation désespérée suffisait parfois à renverser totalement certains états d’esprit, car même Léo, en cet instant, se réjouissait que Michelangelo ait commis la folie d’adopter ce monstre.

***

- Que... Qu’est-ce qui s’est passé ? Aïe, ma tête !

La lumière du laboratoire éblouit April lorsqu’elle battit doucement des paupières, et une douleur lancinante lui vrilla le crâne. Elle avait l’impression qu’une main invisible s’amusait à tordre son cerveau comme on essorerait une éponge.

- Tu as fait exploser les deux soucoupes qui nous menaçaient en provoquant une collision à l’aide de tes pouvoirs psychiques, lui répondit posément la voix de Marianne, qui se trouvait hors de son champ de vision. L’effort a dû être trop important pour toi, parce que tu as perdu connaissance tout de suite après. Botticelli t’a récupérée et Lorenzo t’a ramenée ici.

- Ils sont où, maintenant ?

- Aucune idée. Marion avait un plan, mais elle n’a pas pris la peine de m’en dire plus.

April cligna plusieurs fois des yeux pour les réhabituer à la clarté ambiante, puis se redressa sur un coude. Elle crut y être parvenue quand son bras lâcha sous son poids. Elle retomba mollement sur la table de travail sur laquelle elle était allongée. Une cascade de cheveux roux se matérialisa au-dessus de sa tête.

- Ton pouls est plutôt lent, et tu es livide. À mon avis, tu t’es complètement vidée de tes forces. Le mieux serait que tu manges un morceau, mais tu n’es pas en état d’aller jusqu’à la cuisine, et je n’ai pas le temps de m’en charger non plus. Tu n’es pas une urgence.

L’adolescente fronça les sourcils, une fois de plus blessée par le cruel manque de tact de Marianne, avant de se souvenir de Raph et de Casey. Elle tenta une nouvelle fois de se relever, mais son interlocutrice l’en empêcha en plaquant une main sur sa poitrine.

- Je m’occuperai de toi tout à l’heure, mais tout ce dont tu as besoin, c’est de repos, alors commence par te tenir tranquille et tu verras que ton état s’améliorera progressivement.

- Comment... Comment vont Raph et Casey ?

- Ton copain a été vraiment abîmé par le crash et il conservera les traces de ses brûlures, mais il va s’en tirer, à condition de lui épargner une infection.

- Tu parles de Casey, c’est ça ?

- De l’humain, oui.

- Et la tortue ?

Marianne détourna le regard et ne répondit pas. April pensa dans un premier temps que quelque chose avait attiré son attention, avant d’interpréter avec effroi ce silence qui commençait à devenir pesant.

- Marianne ? Marianne, ne me dis pas que... Raph... Il est...

- Vivant, lâcha la jeune femme, sans toutefois ramener ses prunelles sur April. Pour le moment. Son pronostic vital est engagé. Il a le plus souffert de l’explosion, il a perdu un œil, et j’ai peur qu’il ait de graves lésions internes, or je n’ai aucun moyen de m’assurer qu’il ne fait pas une hémorragie, et encore moins de l’arrêter dans l’éventualité où ce serait le cas.

- Alors tu... ne vas rien faire, c’est ça ?

- Je ne peux rien faire. Nuance. Enfin, rien de plus que ce que je fais déjà, c’est-à-dire réfléchir. J’ai fouillé cet endroit de fond en comble, à la recherche d’appareils ou de n’importe quoi qui aurait pu m’être utile, mais je n’ai rien trouvé. J’ai juste réussi à préparer des cataplasmes avec quelques-uns des ingrédients que je gardais en stock pour mes essais sur le perfectionnement du rétromutagène. S’il est assez tenace, il a une chance de s’en sortir, mais...

Marianne ne jugea pas utile de terminer sa phrase, et ce fut au tour d’April de sombrer dans le mutisme. Elle passa plusieurs secondes à fixer le plafond sans ciller, afin d’assimiler cette sombre nouvelle, puis murmura, si bas qu’elle songea dans un premier temps que son interlocutrice ne pourrait pas l’entendre :

- Ne le dis pas à Marion.

- Pourquoi ?

- Elle est... très proche de Raph, malgré leurs incessantes querelles. Si elle devait s’attendre à le perdre après ce qui est arrivé à Michelangelo, ça la briserait, alors qu’elle commence tout juste à se remettre.

- Les prochains jours seront décisifs, à mon avis. Même si je garde le secret, ça n’exclut pas qu’un malheur se produise.

Marianne n’était pas une dissimulatrice, or elle portait déjà le poids du sort de Karai, que Donatello avait décidé de taire à Léonardo. Elle soupira. Si seulement sa sœur était un peu plus comme elle, si elle faisait passer sa raison avant ses émotions, la question ne se poserait pas. Marion était Marion, cependant. Elle était le feu, là où son aînée était la glace.

***

Un tir de laser faucha un cerveau à tentacules qui venait de s’extraire de sa carcasse endommagée, pas suffisamment vite pour lui permettre d’avoir la vie sauve. Marion visait de mieux en mieux avec un pistolet kraang. Elle avait réussi à atteindre directement plusieurs extraterrestres sans toucher à leur enveloppe artificielle. De quoi satisfaire Marianne.

Contre toute attente, et malgré la tragédie initiale, ils avaient remporté la bataille. Tout autour d’eux gisaient des centaines de robots détruits, en miettes pour la plupart. Kraath s’en était donné à cœur joie, et Marion avait elle aussi passé ses nerfs sur ses adversaires avec un plaisir sadique.

À présent que les rares Kraangs indemnes avaient battu en retraite, elle déambulait avec Léonardo sur le champ de bataille, à la recherche de tous les androïdes que Marianne pourrait reprogrammer. Ils en avaient déjà rassemblé une trentaine. C’était moins que ceux qu’ils avaient perdus, mais toujours mieux que rien.

- Ils ne tiendront jamais sur le dos de Kraath, commenta Léo en lançant un robot supplémentaire sur la pyramide qu’ils constituaient au fur et à mesure.

- Le bouclier a dû avoir le temps de se recharger un peu. Je vais appeler Donnie pour qu’il vienne les récupérer.

Marion ne se souvint qu’après avoir prononcé ces mots qu’elle n’adressait plus la parole au ninja mauve. Les évènements qui s’étaient succédés au cours de la journée avaient balayé les sentiments qu’il lui inspirait par rapport à l’accident de Michelangelo, mais ils lui revinrent brusquement en mémoire, à présent que tout était terminé.

- En fait, je préfèrerais que ce soit toi qui le contactes, se reprit-elle.

- Comme tu voudras.

Marion parcourut la plateforme des yeux pendant que Léo activait son communicateur. Dire qu’ils leur avaient suffi de Kraath et de robots kamikazes pour remporter la victoire... Raph et Casey seraient-ils encore indemnes s’ils avaient mis au point un tel plan avant ? Si Mikey avait été là pour le leur suggérer ?

L’adolescente secoua la tête. En vérité, elle n’en savait rien. Kraath avait été efficace, mais le problème initial, c’étaient les canons. S’ils avaient envoyé la créature les détruire, elle aurait peut-être été tuée dans l’offensive. Face à ces machines, une attaque aérienne demeurait la meilleure stratégie.

Marion n’avait aucune nouvelle de ses amis et elle avait préféré ne pas en demander au QG, afin de ne pas se déconcentrer. Casey, Raph, April, Mikey... Elle avait réussi à les tenir tous à l’écart de son esprit pendant qu’elle chargeait sur le dos de Kraath, nourrie par sa fureur et sa soif de destruction de l’ennemi.

Donatello ne tarda pas à les rejoindre. Il apporta des câbles métalliques, dont ils se servirent pour relier une partie des robots à Kraath afin qu’elle les traîne jusqu’au laboratoire, ce qui leur éviterait d’avoir à effectuer un aller-retour. Une fois que les droïdes eurent tous été chargés, ils mirent le cap sur la base.

Marion et Léo étaient éreintés par leur combat, mais plus que de se reposer, ils étaient pressés de retourner auprès des leurs, car la véritable lutte ne faisait que commencer.

***

- Tu vas devoir te battre pour rester en vie. Et si j’en crois mes observations, tu es doué pour ça, non ? Pour te battre. C’est même un jeu pour toi. Comme pour ma sœur.

Marianne avait réussi à fabriquer une sorte de civière, sur laquelle elle avait transporté Raph jusqu’à la salle informatique. Donatello venait de la prévenir qu’il devait rejoindre brièvement les autres, en conséquence de quoi il ne restait plus qu’elle pour garder un œil sur le système de surveillance.

Elle en profita pour relier Raph à l’un des moniteurs, qui enregistrerait ses constances. Il ne lui fallut que quelques minutes pour mettre en place un programme qui lancerait un avertissement au cas où elles tomberaient en dessous d’un certain seuil. Précaution pour le moins inutile, car si cela devait se produire, Marianne ne pourrait inverser la tendance.

- Je ne sais pas pourquoi elle t’apprécie, mais je n’ai jamais compris non plus comment elle pouvait apprécier ton frère, celui avec les taches de verdure. Enfin, toujours est-il qu’à en croire June, c’est le cas. Je ne sais pas si tu peux m’entendre, c’est un concept qui n’a jamais été scientifiquement prouvé, mais si tu y parviens, alors enregistre bien ceci : tâche de te rétablir, d’accord ? Après tout ce que j’ai fait pour vous, tu me dois au moins ça. Pour ma sœur.

Marianne acheva de fixer le dernier câble au corps de Raph, recouvert par une mixture gluante et légèrement phosphorescente de sa composition. Un rapide coup d’œil en direction de l’écran holographique ne lui révéla aucune menace, aussi ne s’attarda-t-elle pas dessus. Après avoir longuement observé le ninja rouge, elle considéra Mikey, qui s’était paisiblement endormi sur le tableau de commandes.

Marianne soupira. Elle n’avait pas prévu de s’immiscer dans cette histoire qui opposait Donatello à Marion, d’autant qu’elle avait perdu assez de temps ainsi en devant reconstituer ses alambics, mais elle commençait à songer qu’elle allait devoir s’y résoudre. Mettre au point une formule de mutagène stabilisé qui rendrait à Michelangelo son apparence de tortue anthropomorphe serait peut-être plus simple que de perfectionner le rétromutagène. Lui de retour à la tête des opérations, elle pourrait se recentrer sur son travail sans avoir à se soucier des questions de sécurité.

La jeune femme poussa Mikey à l’écart du tableau de commandes et ouvrit le dossier dans lequel Donnie et elle amassaient toutes leurs recherches concernant le mutagène. Marianne préférait le travail manuel, mais le processeur leur permettait de faire des sauvegardes régulières sur des sortes de clés USB kraang, que la rousse portait sur elle en permanence. Ainsi, même si le laboratoire devait être détruit ou ses habitants contraints de fuir en catastrophe, elle ne perdrait pas l’avancée de ses travaux.

Elle fronça les sourcils en découvrant, à l’intérieur, que l’un de ses fichiers avait été ouvert récemment. Trop récemment. À en croire l’unité de temps kraang affichée, cela s’était produit alors qu’elle s’affairait à soigner les autres dans le laboratoire. Comment était-ce possible ? Leur système avait-il été piraté par les extraterrestres ? À moins que...

- Bon sang, je n’aurais pas dû te laisser sans surveillance ! s’emporta Marianne en abattant son poing à ras de Michelangelo. C’était ma dernière base de calcul en date !

Évidemment, la tortue ne s’était pas contentée d’ouvrir et de refermer le document. Elle avait aussi apporté des modifications accidentelles en déambulant sur le plateau de commandes. Des séries de chiffres et des symboles divers avaient été ajoutés à des endroits où ils n’auraient jamais dû se trouver.

À mesure que Marianne passait en revue son fichier pour repérer tout ce qu’elle allait devoir corriger, son agacement fit place à de l’étonnement. Les modifications, loin d’être aléatoires, avaient donné naissance à une nouvelle formule. Dans la forme, elle était correcte, mais qu’en était-il du fond ?

Marianne allait vite le savoir. Elle lança un test rapide tout en se mordant la lèvre, ses jambes remuant avec impatience. Elle avait fait beaucoup d’efforts pour accepter le génie inexpliqué de Mikey dans cette dimension, mais cette fois, c’était trop gros pour qu’elle consente à le croire.

Il ne pouvait tout de même pas avoir réussi là où elle-même accumulait les échecs ! Il ne pouvait pas avoir trouvé, sous sa forme primaire de surcroît, la formule qu’elle cherchait désespérément à mettre au point rien qu’en se promenant de façon erratique sur le tableau de commandes ?

Un bip sonore signala à Marianne le retour de la navette furtive de Donatello. Un second, un instant plus tard, lui indiqua que le test était terminé. Le résultat fut sans appel. Avec les données entrées par Mikey, elle allait pouvoir fabriquer du rétromutagène trente deux fois plus concentré.

Marianne resta bouche bée, incapable de réagir. Elle, la scientifique, avait été dépassée par... Par quoi, au juste ? Elle n’en avait aucune idée, et c’était bien le pire.

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