Un combat de tous les instants

Chapitre 40 : Le glas de la discorde

3141 mots, Catégorie: K+

Dernière mise à jour 11/10/2018 21:31

- Je te connaissais beaucoup de défauts, Raphaël, mais certainement pas l'hypocrisie, siffla Léonardo, les dents si serrées qu'elles grinçaient à chaque mot qu'il prononçait.

- Ce n'est pas parce que nous sommes frères que je suis obligé de tout partager. J'ai le droit d'avoir des secrets, non ?

- Oui, et aussi le droit de faire passer ton bonheur personnel avant celui des autres ? J'ai passé ces quinze derniers jours à m'en vouloir de songer que je préfèrerais que Marion soit encore aux mains de Shredder plutôt que Karai, et toi... Toi, tu as osé me faire la morale ! Tu as osé m'empêcher de partir à sa recherche, alors que les risques encourus ne t'ont pas dérangé un seul instant quand c'était ta petite amie qu'il s'agissait de sauver.

- Ça n'a rien à voir ! À ce moment-là, nous savions où trouver Marion, et surtout que Shredder n'hésiterait pas à la tuer, ce qu'il n’infligera pas à Karai. Aussi étrange que ça puisse paraître, il tient trop à elle pour ça.

- Moi aussi, je tiens à elle ! riposta Léonardo. Tout ça, c'est à cause de vous ! Si, pour commencer, vous n'aviez pas laissé Fishface vous capturer, vous...

- Ah, parce que tu crois que nous l'avons voulu ? coupa Raph en criant plus fort que lui. Je n'ai jamais souhaité ce qui s'est passé, et certainement pas l'enlèvement de Karai. C'est vrai, je ne la porte pas dans mon cœur et je ne l'ai jamais caché, mais je hais Shredder et chacune de ses victoires me colle la nausée.

- Dans ce cas, il ne fallait pas le laisser gagner. Je me souviens très bien de ce qui s'est passé, ce jour-là. Tu n'avais pas la tête au combat, trop occupé que tu étais à penser à Marion, probablement.

- Ne joue pas à ce jeu avec moi. Tu veux que je te rappelle le nombre de fois où tu nous as exposés au danger à cause de Karai ? À votre rencontre, tu n'as pas hésité à nous mentir par sa faute. Moi, aux dernières nouvelles, je n'ai pas été jusque-là.

- Non. Toi, c'est pire, tu nous as manipulés.

- Marion a failli se noyer en traquant Karai dans les égouts pour lui rendre sa forme humaine. Elle aurait pu y rester, mais ce n'est pas grave, puisque tout s'est bien terminé. Qu'importe que ça ait pu ne pas être le cas. À moins que tu n'aies la mémoire courte à ce point, Léo ?

- Raph n'a pas tort, intervint pour la première fois l'adolescente. Je suis désolée pour ce qui est arrivé à Karai et je m'en veux, mais nous connaissons tous les risques que nous encourons à chacune de nos missions. Raph vous a entraînés dans le QG de Shredder pour me sauver, je vous ai poussés à me suivre dans la dimension X pour aller chercher Marianne et j'ai risqué ma vie pour attraper Karai... C'est un cercle sans fin, car toutes nos vies ont la même valeur, et aucun de nous ne...

- T'apprêterais-tu à dire que nous ne nous abandonnerions jamais les uns les autres ? répliqua Léo. Alors pourquoi êtes-vous ici à fricoter, tous les deux, au lieu d'être dehors à sa recherche ? Pourquoi aucun de nous n'est sur la piste de Karai, puisque entre amis, on se serre les coudes ?

- Tu sais très bien pourquoi, lâcha sèchement Raphaël. Parce que Shredder n'attend que ça. Nous n'avons même pas réussi à empêcher l'invasion kraang, et tu voudrais que l'on vainque le plus redoutable ninja de cette ville ?

- Le plus redoutable ninja de cette ville, nous l'avons pour professeur. Il s'agit de maître Splinter, non de Shredder.

- Très bien, alors pourquoi Splinter ne la sauve-t-il pas lui-même ? Il s'agit de sa fille, après tout !

À peine ces mots prononcés, Raphaël se mordit la lèvre. Comme souvent lorsqu'il était en colère, ses paroles avaient dépassé sa pensée. Il s'en voulait d'avoir pu sous-entendre que le rat mutant était un lâche, car il savait que ce n'était pas le cas, même s'il s'était souvent interrogé sur les raisons qui le poussaient à rester la plupart du temps en dehors de tout.

- Si tu n'avais pas un bras dans le plâtre, je te ferais ravaler ce que tu viens de dire, gronda Léonardo.

- Essaye un peu, pour voir. Même blessé, je n'en demeure pas moins meilleur combattant que toi.

- Ça suffit, vous deux ! s'écria Marion. Léo, ce qui arrive à Karai est regrettable, mais soyons lucides. À part nous faire tuer, nous...

- Garde tes remarques et tes conseils pour toi, tu veux ? Je n'ai aucune envie de les entendre, pas après que vous vous êtes bien joués de nous, tous les deux.

Comme l'adolescente s'était interposée entre les deux frères, Léonardo la repoussa vers l'arrière sans ménagement. Raphaël poussa un mugissement furieux, mais son amie le retint par son bras valide pendant que le ninja bleu tournait les talons, non sans leur jeter un dernier regard empreint de fureur et de mépris.

- Il ne manque pas de toupet, celui-là, persifla Raph.

- Il n'a pas complètement tort non plus. C'est à cause de moi que Karai est aux mains de Shredder, et c'est injuste que nous ne puissions rien faire pour elle.

- Non, ce n'est pas ta faute. C'est moins pour te secourir que pour affronter son père adoptif qu'elle a accepté mon plan sans hésiter. Cette fille est encore plus obsédée par sa vengeance que Léo par elle, c'est dire.

Marion ne releva pas. Ce qui venait de se passer la mettait mal à l'aise et elle aurait souhaité pouvoir remonter le temps afin d'effacer cette querelle. À défaut, sa main se referma sur celle de Raphaël et elle poussa un soupir dépité.

***

La patte de Splinter était appuyée contre le panneau coulissant séparant ses appartements du dojo, et son front l'y rejoignit. Il avait été tiré du sommeil par des sons étouffés, qui avaient ensuite gagné en intensité. Lorsqu'il avait réalisé qu'il s'agissait d'une dispute, il s'était levé pour intervenir, mais ce qu'il avait entendu l'en avait dissuadé.

Il avait beau se douter que Raphaël s'était exprimé sous le coup de la colère, ses paroles ne cessaient de tourner et retourner en boucle dans son esprit. Ce qu'il avait dit à propos de Karai et de Shredder était la vérité. Non seulement il était le seul à pouvoir l'aider, mais surtout, c'était son devoir, car il était l'unique responsable de la haine que le Destructeur leur vouait à tous, ainsi que de sa possessivité à l'égard de Miwa.

Splinter resta silencieux. Il entendait toujours Marion et Raphaël parler, désormais à voix basse. Il allait guetter l'instant où ils quitteraient le dojo et, à ce moment-là, il sortirait. Il irait sauver sa fille des griffes de son ennemi juré.

***

- April ! April, réveille-toi !

La jeune fille ne réagit pas. Elle était profondément endormie et sa seule réponse fut de pousser un gémissement en se tournant de l'autre côté, enroulée dans sa couverture miteuse.

- April, j'ai besoin de toi. Tu...

Cette fois, elle se réveilla en sursaut. Prise d’un élan de panique, elle se servit inconsciemment de ses pouvoirs et usa d’une puissante onde télékinétique pour repousser la personne qui se trouvait dans la chambre. Le bruit d’un corps qui percute un mur se fit entendre.

- Oh, pardon Marion, je suis désolée ! s’exclama April en tâtonnant l’obscurité à la recherche de sa lampe torche. Je ne voulais pas. Je... Léo ?

Le faisceau éclaira non pas sa camarade de chambre, comme elle s’y attendait, mais la tortue au bandeau bleu qui se redressait en frottant sa carapace, à l’endroit où il s’était cogné. April fut aussitôt sur le qui-vive.

- Que se passe-t-il ? Un problème ? Les Kraangs attaquent ? Les Foots ? Les...

- Non, rien de tout ça. Il faut que tu m’aides.

- D’accord, mais ça doit quand même être grave pour que tu me réveilles en pleine nuit.

- Disons que j’aurais dû le faire il y a des jours de ça. Je dois retrouver Karai, mais seul, je n’ai aucune chance de la localiser. Avec tes dons, tu penses que tu y parviendrais ?

- Léo... soupira April. Même en admettant que j’y arrive, qu’est-ce que tu comptes faire ? Débarquer dans la tanière de Shredder en criant « coucou, c’est moi » ?

- Je ne peux pas la laisser là-bas. C’est... au-dessus de mes forces.

- Tout comme affronter le clan des Foots au grand complet. Léo, tu sais combien je t’apprécie et je te respecte, mais quand il est question de Karai, tu ne réfléchis pas davantage que Mikey. Tu...

- Raph et Marion sont ensemble, coupa le ninja. Tu le savais, ça ?

- Ensemble ? Tu veux dire... Ensemble ?

- Oui, exactement. Quand il s’agit de sauver sa jouvencelle en détresse, mon frère n’hésite pas à remuer ciel et terre, mais dès lors qu’il est question de Karai, j’ai l’impression qu’il n’y a plus personne.

April se mordit la lèvre. Il y avait tant à répondre à cela. Que Marion n’était pas une jouvencelle en détresse. Qu’elle n’avait pas la même valeur que Karai aux yeux de Shredder. Aucune de ces réflexions ne lui traversa l’esprit, cependant. La seule chose qu’elle parvenait à se dire, c’était que son amie sortait avec une tortue mutante.

Elle songea à Donnie. Était-il au courant ? Sans doute pas. Puisque Léo et elle l’ignoraient, cela devait également être le cas des autres, d’autant que Mikey, s’il avait eu vent de quoi que ce soit, n’aurait jamais réussi à tenir sa langue.

Que penserait le ninja mauve lorsqu’il l’apprendrait ? Lorsqu’il découvrirait que la barrière tacite entre mutants et humains pouvait être franchie ? Ses tentatives à son égard s’étaient raréfiées, depuis quelque temps, mais cela ne risquait-il pas de l’inciter à recommencer ?

Le visage d’April se renfrogna quand elle se rappela que ce n’était pas par pudeur ou par respect que Donatello se montrait désormais moins entreprenant, mais parce qu’il n’avait surtout d’yeux que pour Marianne. Tous les autres mettaient cela sur le compte de la fascination scientifique qu’elle lui inspirait, mais l’instinct d’April ne la trompait pas. Derrière cette prétendue admiration, il y avait autre chose.

- Avec toutes les confidences que j’ai faites à Marion, je n’arrive pas à croire qu’elle m’ait caché un truc pareil, fulmina-t-elle.

- Ce n’est pas le sujet, coupa Léo. Est-ce que tu vas m’aider, oui ou non ?

L’adolescente s’accorda un instant de réflexion. C’était une folie de se lancer à la recherche de Karai, et par conséquent de Shredder, mais elle avait la brutale impression que le monde avait cessé de tourner rond après ce qu’elle venait d’entendre.

- C’est d’accord. Allons-y.

***

Donatello pénétra dans son laboratoire avec un plateau, sur lequel étaient posés deux petits-déjeuners. Bien que Marianne lui ait affirmé qu’elle pouvait parfaitement se rendre à la cuisine elle-même pour se servir, il lui apportait une collation tous les matins. Elle était si obnubilée par ses recherches qu’il craignait toujours qu’elle oublie de s’alimenter s’il n’était pas là pour y veiller.

C’était un véritable plaisir de travailler avec elle, bien que son caractère ne soit pas toujours facile. En plus d’être autoritaire, Marianne était intransigeante et aimait que les choses soient faites à sa manière. Parfois, Donnie n’avait pas l’impression d’être dans son propre laboratoire, mais sous les ordres de quelqu’un d’autre.

Il ne se plaignait jamais, pourtant, car aussi rigide que soit l’attitude de Marianne, ses compétences étaient admirables. La tortue ne cessait de s’émerveiller devant son savoir et son intelligence, bien supérieurs aux siens. Il était si heureux de pouvoir œuvrer à ses côtés qu’il avait même renoncé à la corriger lorsqu’elle l’appelait Botticelli.

Parfois, cet attrait qu’elle exerçait sur lui et dont elle n’avait pas conscience le mettait mal à l’aise. Il se savait amoureux d’April, pourtant il aurait été vain de nier qu’il éprouvait également une certaine inclination à l’égard de Marianne. Ce qu’il ressentait pour elles deux n’avait cependant rien à voir.

April était la première humaine qu’il avait vue. Il aimait son sourire, sa gentillesse, mais aussi sa détermination et l’impossible qu’elle serait prête à accomplir pour protéger ses amis. Marianne n’était pas amicale, elle n’avait aucune joie de vivre, mais elle était scientifiquement parlant sur la même longueur d’onde que lui, comme si leurs cerveaux entraient en résonance lorsqu’ils réfléchissaient ensemble à un problème.

Les deux filles n’avaient aucun point commun, à l’exception de leur couleur de cheveux. Elles étaient aussi différentes que les sentiments qu’elles inspiraient à Donatello, et pourtant il avait la désagréable impression que Marianne était en train de bouter April hors de son cœur.

À moins que l’adolescente ne se soit condamnée elle-même à en sortir. Donnie avait trop de tact pour le reconnaître ouvertement, mais son inconstance le lassait de plus en plus. Elle l’avait embrassé à North Hampton, puis le temps avait continué à s’écouler comme si rien ne s’était passé. Tantôt elle lui paraissait proche de lui, tantôt elle flirtait ostensiblement avec Casey. Il ne savait plus sur quel pied danser avec elle.

Non pas que ses chances de concrétiser une relation avec Marianne soient plus élevées. Si les mutants, ou plus exactement Splinter, Léo et lui, avaient réussi à gagner son respect, elle continuait à considérer leurs espèces comme bien distinctes et le simple fait de songer à tisser des liens plus épais que de l’amitié avec l’un d’eux la rebuterait certainement.

Donnie soupira. Il supposait que c’était à cause de cela qu’April continuait à le considérer comme un ami, un grand frère tout au plus, et Marianne ne verrait jamais rien d’autre en lui qu’un collègue ou un allié. S’il était humain, tout serait différent, mais le seul reflet que lui renvoyait le plateau en inox qu’il tenait était celui d’une tortue.

- Petit-déjeuner, annonça-t-il en déposant la nourriture sur la table où Marianne était installée.

Les pensées qu’il remâchait lui avaient fait perdre un peu d’entrain, mais il réussit à lui sourire lorsqu’elle se tourna vers lui pour le remercier. Tandis qu’elle avalait une barre de céréales, il lui demanda si la nuit avait été fructueuse.

Marianne compilait les études qu’elle avait menées sur le rétro-mutagène dans la dimension X avec celles de Donnie, sur Terre. Ce n’était pas la recette qui leur faisait défaut, puisqu’ils étaient tous deux parvenus à en mettre une au point, mais la rareté des ingrédients ou leur inexistence dans ce monde-ci qui empêchait sa fabrication à grande échelle.

- Non, je plafonne toujours, fulmina la jeune femme. J’ai fait trois tests différents, mais aucun n’a porté ses fruits.

- Nous allons trouver, assura Donatello. Puisque nous savons qu’il y a au moins deux façons de fabriquer du rétro-mutagène, je ne vois pas pourquoi il n’y en aurait pas d’autres. Il nous faut simplement plus de temps pour les découvrir.

- En fait, je commence à penser que...

Marianne n’acheva pas sa phrase, car elle fut interrompue par la porte du laboratoire qui s’ouvrit sur Marion et Casey. Au lieu de franchir le seuil, toutefois, ils s’immobilisèrent dans l’encadrement, les sourcils froncés.

- Un problème ? s’enquit Donnie.

- On cherche April, répondit Marion. Quand je me suis réveillée ce matin, elle n’était plus dans notre chambre. En fait, je ne suis même pas sûre qu’elle s’y trouvait cette nuit. Comme je n’arrivais pas à dormir, je suis sortie marcher dans le repaire, mais à cause de l’obscurité, je serais incapable de dire si elle était encore là à mon retour. Est-ce que vous l’auriez vue, par hasard ?

- Personne n’a mis les pieds dans le laboratoire avant Botticelli et vous deux. Je ne suis pas sortie d’ici et je n’ai pas fermé l’œil non plus. Si elle était passée, je n’aurais pas pu la manquer.

- On devrait refaire encore une fois le tour du propriétaire, suggéra Casey. Il suffit qu’elle ait été dans une pièce pendant que nous en fouillions une autre et qu’elle en soit sortie entre-temps pour que nous la manquions.

Marion haussa les épaules, peu convaincue, mais emboîta tout de même le pas à l’adolescent lorsqu’il tourna les talons. Alors qu’ils s’apprêtaient à quitter le laboratoire, ils se retrouvèrent presque nez à nez avec Raphaël, qui se tenait sur le seuil. Avant qu’ils aient pu ouvrir la bouche, la voix de Mikey s’éleva depuis le dojo.

- Non, ils ne sont pas ici non plus. Et de ton côté ?

- Que se passe-t-il ? interrogea précipitamment Marion.

- Léo s’est volatilisé, marmonna le ninja rouge. Et il n’est pas le seul. Splinter aussi a disparu. Et toi ? Pourquoi est-ce que tu fais cette tête ?

- Parce qu’April n’est nulle part non plus.

Les prunelles vertes de Raphaël plongèrent dans celles, brunes, de Marion, qui avait entrouvert les lèvres. Oubliant presque la présence de Casey à leurs côtés, ils continuèrent à se fixer avec insistance, jusqu’à ce que la jeune fille murmure :

- Est-ce que tu penses à ce que je pense ?

- Oui. Ils sont partis chercher Karai.

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