Un combat de tous les instants

Chapitre 23 : Recadrage

3468 mots, Catégorie: K+

Dernière mise à jour 10/11/2016 03:25

 

April était en train de déposer son sac sur le sol, chargé de tout le matériel dont elle aurait besoin en prévision de leur expédition dans la dimension X, lorsque Donatello pénétra dans le laboratoire. Mikey, qui relatait pour la énième fois à Marion ses exploits dans le monde des Krangs, fut interrompu par un geste de son amie.

- Tu... Tu as décidé si tu allais venir avec nous ? s'enquit la rouquine avec une légère hésitation.

- Je crois que c'est préférable. Vous... Nous ne serons pas trop de six une fois dans la dimension X, surtout en l'absence de Léo.

- Nous n'avons pas besoin de lui, répliqua Raph.

- Il me semblait que vos querelles pour savoir qui méritait d'être le chef étaient terminées ? rappela le scientifique.

- C'est vrai, j'ai fini par admettre que Léo était un bon leader, même si je n'étais pas toujours d'accord avec sa façon d'agir. Le problème, c'est que maintenant, si on ne le pousse pas un peu, il n'agit plus du tout.

- Il a sûrement ses raisons. Il s'inquiète pour nous et...

- Il s'inquiète pour nous ? répéta Casey dans un éclat de rire. Il ferait mieux de s'inquiéter de ce qu'il adviendra de la Terre lorsque les Kraangs achèveront de la terraformer. À ce moment-là, tchao les tortues mutantes et tchao les humains. Remarque, il n'aura plus de mouron à se faire pour quiconque.

- Un point pour Casey, approuva Marion. D'autant que je reste persuadée que, si Marianne a effectivement un plan comme elle me l'a indiqué dans son message, c'est le moment ou jamais pour agir. Ma sœur a toujours des bonnes idées.

- Rassure-moi, elle ne te ressemble pas ? lança Raphaël. Parce que si c'est pour en gagner une deuxième comme toi...

- Ça te fera deux fois plus de filles à repêcher dans les égouts quand elles manqueront de se noyer. Ou deux fois plus pour te sauver en cas de danger.

- Snif... sanglota Mikey. Ça veut surtout dire une part de pizza en moins.

- Marianne déteste la pizza.

- Hum... D'un côté, je me demande comment on peut être normalement constitué et tenir de tels propos. De l'autre... Ça en fera plus pour moi !

Marion éclata de rire, rapidement imitée par le reste du groupe, et une fois leur hilarité passée, ils se mirent en devoir de passer en revue le contenu des paquetages qui les suivraient dans la dimension X. Ce ne serait pas une fois sur place qu'ils devraient remarquer qu'il leur manque quelque chose.

***

- Léo, arrête de faire les cent pas, tu me donnes le tournis ! protesta Karai. Encore des problèmes avec tes frères ?

- Ce sont eux, les problèmes. De véritables calamités ambulantes !

La tortue poussa un soupir avant de se laisser tomber sur le sol, où il s'assit en tailleur, face à la kunoichi. Elle l'observa avec une expression bienveillante, qu'il n'avait eu que trop rarement l'occasion de voir sur son beau visage maquillé.

- Qu'est-ce qui se passe, exactement ? Je peux peut-être t'aider. Après tout, je te dois bien ça.

- Tu saurais greffer un cerveau à Mikey, apprendre les bonnes manières à Raph et chasser April du cœur de Donnie ?

- Hum... Non. Par contre, si tu me parlais de ce qui te tracasse, ça pourrait peut-être te soulager.

- Si seulement ça suffisait... Ils se sont mis en tête d'aller dans la dimension X.

Karai cligna des paupières à deux reprises, perdant soudain son air amical. Ses sourcils s'arquèrent, sa bouche se tordit et un voile de mécontentement s'abattit sur ses prunelles sombres.

- Dans la dimension X ? Quand partez-vous ?

- Eux partent. Pas moi. Je ne cautionne pas...

- Quoi ? s'exclama la jeune fille en sautant sur ses pieds. J'espère que j'ai mal entendu. Toi, Léonardo, tu ne cautionnes pas ? Pourrais-je savoir pourquoi ?

- Une telle expédition serait de la folie. C'est beaucoup trop dangereux et...

- Et quoi ? Tu as l'intention de rester cacher dans les égouts alors que les Kraangs sont en train d'envahir la planète et de la muter au fur et à mesure ? Réfléchis deux secondes ! À part nous, qui va les arrêter ?

- Tu veux dire que tu es d'accord avec mes frères ?

- Bien sûr que oui ! C'est la faute de Shredder, et donc en grande partie la mienne aussi, puisque je l'ai aidé, si les Kraangs sont parvenus à détruire New-York et à enlever ses habitants. Il faut faire quelque chose !

- Quelque chose comme se jeter dans la gueule du loup, courir des risques inconsidérés et potentiellement ne jamais revenir ?

- Et alors ? répliqua Karai avec un haussement d'épaules. C'est toujours mieux que d'attendre les bras croisés, non ?

- Je ne comprends pas que tu ne t'entendes pas davantage avec Raphaël, toi... marmonna Léo dans sa barbe.

- Et moi, je ne comprends pas que tu ne puisses pas soutenir tes frères dans un moment pareil. Tu t'es toujours battu contre les Kraangs, tu m'as même convaincue par le passé de m'allier à vous, alors que nous étions ennemis. Qu'est-ce qui a changé ? Où est passé le Léonardo que je connaissais ?

- Il... Je...

- Sais-tu quel est mon plus gros regret, en cet instant ? De ne pas pouvoir les accompagner, parce que je sais que je serais plus un fardeau pour eux qu'autre chose. Toi, tu es en pleine forme, et tu veux rester caché ici ? Tu n'es qu'un lâche, Léo. Voilà ce que tu es. Tu n'es pas digne d'être chef, pas digne d'être un ninja. Tu n'es même pas digne de ta propre famille.

Karai pointait désormais un doigt accusateur au niveau de son poitrail. Ses yeux s'étaient plissés de colère et elle le fusillait désormais du regard. Léonardo grinça des dents, repoussa sa main, puis se dirigea vers la porte qui reliait les appartements de Splinter au dojo.

- Tu vois ! insista la kunoichi dans son dos. Tu préfères fuir au lieu d'admettre que j'ai raison.

La tortue l'ignora et referma le panneau coulissant. S'il s'efforçait de garder une expression neutre, les paroles de Karai venaient de le blesser profondément, car il savait qu'effectivement, elle n'avait fait que dire la vérité.

- Elle a un fort tempérament. Et beaucoup de voix lorsqu'elle se met à crier.

Léo sursauta. Il ne s'attendait pas à voir Maître Splinter assis en tailleur sous l'arbre du dojo, en train de méditer, sa canne posée à côté de lui. Il avait les paupières closes, mais il en entrouvrit une lorsque son fils adoptif marcha dans sa direction.

- Vous avez tout entendu, sensei ? s'enquit-il en s'immobilisant face à lui.

- Seulement les intonations caractéristiques d'une querelle. Que s'est-il passé, Léonardo ? Karai m'a paru vraiment très remontée contre toi.

- C'est le cas. Elle... Les autres veulent partir dans la dimension X. J'ai tenté de les en empêcher, mais elle n'est pas d'accord. Elle pense qu'il faut à tout prix tenter quelque chose contre les Kraangs, même si c'est dangereux.

- Et toi ? Pourquoi n'es-tu pas de cet avis ?

- Justement parce que c'est dangereux ! Regardez tout ce qui s'est passé au cours de ces derniers mois. Shredder a failli vous tuer, Karai a été mutée, New-York est devenue une ville fantôme, ses habitants ont été enlevés par des extraterrestres et nous avons tous frôlé la mort au moins une fois.

- Le danger n'est pas chose nouvelle, argua Splinter. Pourquoi t'effraie-t-il plus maintenant qu'à l'accoutumée ? Aurais-tu peur pour ta vie ?

- Non... Non, pas pour la mienne. Pour celle de mes frères, ainsi que celle de mes amis. Avant, je... j'avais conscience des risques que nous encourrions, mais désormais, ils m'obsèdent. Je suis incapable de songer à autre chose qu'à la mort qui nous guette à chaque seconde.

Léonardo s'attendait à ce que le rat mutant formule une remarque pleine de bon sens ou lui donne un conseil avisé, cependant il n'en fit rien. Après être resté silencieux quelques secondes, il se leva et se mit à arpenter la pièce, ses pattes griffues jointes dans le creux de son dos.

- Quand j'ai perdu ma femme et que j'ai cru que Miwa l'était aussi, dit-il au bout d'un moment, je suis devenu fou de chagrin. La culpabilité m'a consumé de l'intérieur et, même encore aujourd'hui, je me sens responsable de ce qui s'est passé ce jour-là. Jamais je ne pourrais me pardonner la mort de Tang Shen, et même le retour de ma fille ne suffit pas à effacer ce que j'ai fait.

- C'est Shredder, le coupable. Pas vous, maître.

- J'ai laissé notre rivalité évoluer vers la discorde, et la discorde se transformer en véritable guerre, alors si, je suis autant responsable que lui.

- Moi aussi, je suis responsable de mes frères. S'ils décident de partir dans la dimension X et qu'ils n'en reviennent pas, croyez-vous que je pourrais survivre à ça ?

- Non, mais puisqu'ils semblent avoir pris leur décision, si tu les accompagnes, même si la situation tourne mal, tu pourras au moins puiser le réconfort de te dire que tu as fait tout ce qui était en ton pouvoir pour les protéger.

- C'est ce que je m'efforce à faire en tentant de les garder ici.

- Tu veux dire en les retenant contre leur gré et en les privant de leur libre arbitre ? Avant de se faire écouter, un bon chef doit d'abord se plier de lui-même à cet exercice, et surtout, il doit surmonter ses peurs. Tes frères ont fait leur choix, de même que tes amis. Pour une fois, c'est à toi d'être avec eux, parce qu'ils ont besoin de toi. Ils doivent savoir que tu les soutiens, et non que tu les brides.

- Comment pourrais-je...

- Affronte ce qui t'effraie. Confronte-toi au danger et combats-le, comme tu l'as toujours fait jusqu'à présent. Nous traversons sans doute les heures les plus sombres de notre existence. Ne laisse pas les ténèbres te gagner, repousse-les. C'est le seul moyen d'atteindre la lumière.

Léonardo baissa les yeux. Il savait que Splinter avait raison, comme bien souvent, et qu'il ne pourrait pas se morfondre indéfiniment sur le sort qui menaçait sa famille. Tôt ou tard, il devrait agir. Ainsi que Karai l'avait souligné, les Kraangs n'en avait pas terminé avec eux. Même s'il s'échinait à fuir le danger, celui-ci finirait toujours par le rattraper.

- Merci, Maître, murmura-t-il. Une fois encore, vos conseils se sont montrés d'un pertinence absolue.

***

- Il y a des robots énormes, et des cristaux qui explosent quand on siffle ! Je t'ai parlé des cristaux qui explosent quand on siffle ?

- Seulement une soixantaine de fois depuis qu'on se connait, Mikey.

Leurs préparatifs achevés pour leur expédition dans la dimension X, les trois tortues et les trois humains étaient désormais réunis dans la grande salle, où ils escomptaient passer quelques instants tranquilles pour se détendre avant d'aller dormir.

- Sérieusement, Marion, il ne te soule pas à force de te raconter toujours les mêmes histoires ? interrogea Raphaël.

- C'est un peu prévisible, mais c'est comme tes vannes à deux dollars. Elles aussi, on finit par s'y attendre.

- Eh ! Une minute ! s'exclama Michelangelo. Je ne comprends plus rien, moi !

- Ah bon ? Parce que tu as déjà compris quelque chose ?

- Je croyais que vous vous étiez réconciliés, tous les deux ? Pourquoi est-ce que vous continuez à vous jeter des pics au visage ?

- Juste histoire de ne pas perdre la main, répondit Marion. Et puis, ça met un peu d'ambiance.

- De l'ambiance, de l'ambiance... grommela la tortue orange. Avec une télé, on en aurait, de l'ambiance ! Vous auriez dû me laisser emmener celle d'April, quand nous nous sommes rendus à son appartement.

- Promis, Mikey, si nous revenons tous entiers de la dimension X, nous t'autorisons à aller la chercher, assura la rouquine.

- C'est vrai ? Wouhouh ! Là, ça me donne vraiment une bonne motivation pour revenir vivant.

Les cinq autres échangèrent un regard lourd de sous-entendus pendant que Michelangelo continuait à s'exclamer. Il s'interrompit cependant lorsqu'il aperçut Léonardo, à l'autre bout de la pièce. Celui-ci les fixait sans ciller depuis le seuil du dojo. Il demeura ainsi durant quelques secondes, avant de marcher dans leur direction.

- Quand on parle d'ambiance, voilà le rabat-joie qui rapplique pour la plomber, marmonna Raphaël.

Il passa ses bras derrière sa nuque et pencha la tête vers l'arrière, préférant contempler le plafond plutôt que son frère. Mikey, qui s'était mis à sautiller debout, s'empressa de se rasseoir. Quant aux quatre autres, ils se contentèrent de rester silencieux, attendant que Léo prenne la parole, car il n'était certainement pas venu pour le seul plaisir de leur compagnie.

- Vous ne partirez pas dans la dimension X demain, lâcha-t-il sans détour.

- Quoi ? s'exclamèrent en chœur Marion, Mikey et Casey.

Raph eut un rictus qui n'échappa à personne. Son aîné avait capitulé trop rapidement dans le laboratoire de Donatello. Il n'y avait rien d'étonnant à ce qu'il repasse à l'action, mais le résultat demeurerait le même.

- Ma sœur m'attend ! protesta Marion. Elle a un plan et elle a besoin de moi pour le mettre en pratique. Ce n'est certainement pas toi qui m'empêchera d'aller la rejoindre.

- Et moi... voulut surenchérir Mikey avant de s'interrompre. Non, en fait, personne ne m'attend, mais c'est pas grave. J'ai mis toute cette expéditions sur pied et je lui ai parlé des cristaux qui explosent quand on siffle, alors je l'accompagne.

- Raph n'a pas tort, Léo, conclut Casey. Tu commences vraiment à devenir casse-pied. Tu ne veux pas venir, OK, personne ne te force, mais lâche-nous un peu les baskets. Ça commence à être lourd, à la longue. On fait ce qu'on veut, un point c'est tout.

- C'est bon ? demanda Léo. Vos reproches sont terminés ? Je peux finir de m'exprimer ?

- Pour nous servir encore l'une de tes tirades moralisatrices ? interrogea Raphaël, toujours sans le regarder. Non, merci. Retourne jouer à la nounou avec Karai. Ou au docteur, selon ce que tu préfères.

- C'est en partie pour elle que je suis là. Elle veut faire partie de l'expédition. C'est pour cette raison que vous ne partirez pas demain. Elle n'est pas encore en état de mener une telle mission, mais d'ici quelques jours, elle commencera à se sentir beaucoup mieux et elle sera apte à se joindre à vous.

- Oh, vraiment ? singea Raph. Et tu vas l'y autoriser ?

- Je n'en aurai pas besoin, parce que je vais venir avec vous, moi aussi. Si du moins vous voulez bien de moi.

Personne ne tenta de dissimuler la surprise qu'une telle proposition leur inspira. Raphaël se redressa subitement pour ramener son attention sur Léonardo, sur qui il avait soigneusement évité de poser les yeux jusqu'à présent.

- On peut savoir ce qui t'a fait changer d'avis ? s'enquit April. Jusqu'à présent, tu nous répétais sans cesse que c'était dangereux et que nous nous apprêtions à commettre une erreur.

- Pourquoi est-ce que tu perds ton temps à lui poser une question aussi idiote alors qu'il t'a déjà donné la réponse ? coupa la tortue rouge. Karai veut venir avec nous, et ce que Karai veut, Léo le veut aussi.

- Merci pour tes commentaires, Raph. Bon, est-ce que ça vous convient, oui ou non ?

- C'est que...

Marion hésitait. Sa sœur était sûrement en danger dans la dimension X. Peut-être avait-elle réussi à échapper aux Kraangs, mais plus ils tarderaient à aller la rejoindre et plus les extraterrestres seraient susceptibles d'avoir remis leurs tentacules répugnantes sur elle.

- Quelques jours, pas plus, répéta-t-elle. Tu me le promets ?

- Tu as ma parole.

- Et si Karai n'est pas rétablie ? Tu ne risques pas d'être tentée de repousser l'expédition ?

- Elle le sera, affirma Léo, catégorique. Elle tient autant que vous tous à aller affronter les Kraangs. Tu ne la connais pas encore, Marion, mais tu verras qu'elle sera un atout précieux au combat.

- Mouais, enfin si c'est juste pour ça, on avait autant de quitte à la garder sous sa forme serpent, alors, murmura Raphaël. Elle était encore plus teigneuse qu'à l'accoutumée.

L'adolescente ignora son commentaire et se leva de la banquette pour tendre la main à Léonardo, qui la serra. Personne ne contesta sa décision de plier face à la proposition du chef de la bande et elle espérait avoir fait le bon choix. S'il arrivait quelque chose à Marianne entretemps, cependant, elle ne se le pardonnerait pas.

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