Un combat de tous les instants

Chapitre 5 : Marion

3570 mots, Catégorie: T

Dernière mise à jour 10/11/2016 00:26

- Tiens, bois ça.

April avait été cherché un grand verre d'eau pour Marion dans la cuisine, pendant que Raphaël et Casey l'avaient déplacée avec maintes précautions pour l'installer sur la bordure-canapé. Léonardo et Donnie les avaient également rejoints pour entendre le récit de la jeune fille.

Elle vida d'abord d'une traite le récipient, qu'elle posa ensuite à côté d'elle. Elle se sentait un peu mal à l'aise d'être au centre de l'attention. Elle disposait d'assez de bravoure -ou d'arrogance- pour rétorquer à ses interlocuteurs, mais s'exprimer devant un auditoire de six inconnus, dont quatre tortues géantes, l'intimidait légèrement. Elle s'efforçait toutefois de ne pas le laisser paraître.

- Lorsque ces satanées bestioles gluantes ont attaqué New-York, nous n'avons eu aucun moyen de quitter la ville. C'était la panique totale, personne ne voulait s'arrêter pour nous laisser monter à bord d'une voiture ou d'un bus, alors nous avons entrepris de nous cacher. Nous nous sommes terrées dans les sous-sol d'un vieil immeuble abandonné pendant plusieurs jours. Comme nous avions apporté très peu de réserves avec nous, la faim et la soif sont rapidement devenus un problème, alors nous n'avons pas eu le choix. Il nous a fallu sortir.

- C'est à ce moment-là qu'ils vous ont repérées ?

Marion répondit par un hochement de tête. Instinctivement, April, qui s'était assise à côté d'elle, lui tapota l'épaule dans le but de lui apporter un peu de réconfort. Elle était dans le même cas que cette adolescente, aussi comprenait-elle aisément sa détresse.

- Marianne m'a ordonnée de fuir, ce que j'ai refusé. De nous deux, j'étais la seule à être armée et... Oh non ! Mon épée ! Où est mon épée ?

Raph et Léo échangèrent un regard. La jeune fille avait lâché son arme lorsqu'elle avait été vaincue par les Kraangs, au T.C.R.I. et, dans l'urgence de la situation, aucun d'eux n'avait prêté attention à ce détail. Ils avaient été bien trop occupés à fuir en l'emportant avec eux.

- Il faut que je la retrouve ! Il faut... paniqua-t-elle.

- Calme-toi, ce n'est si pas grave, minimisa Donnie. Il nous reste encore un katana dans le dojo, je crois. Tu pourras le prendre, si tu veux.

- Non, vous ne comprenez pas. Cette épée... Elle est irremplaçable. Elle appartenait à mon père.

Marion abandonna toute fierté pour fondre en larmes. Abattue par le chagrin, elle ne tenta même pas de repousser le geste que fit April pour la prendre dans ses bras. Elle connaissait à peine cette adolescente, pourtant elle éprouvait déjà beaucoup d'empathie à son égard, sans doute parce qu'elle partageait un vécu commun.

- Bravo ! lâcha Mikey en fusillant ses trois frères du regard. Vous êtes contents de vous, j'espère ? Vous l'avez fait pleurer.

- On ne pouvait pas savoir que cette épée était si importante à ses yeux. Et puis, les Kraangs étaient en train de nous tirer dessus, je te signale.

- Voila où ça mène d'être sentimentale ! gronda Raphaël. C'est bien une fille.

- Dis la tortue qui collectionne les revues sur les arts martiaux.

- Les Kraangs en ont fait de la charpie et je ne me suis pas mis à pleurer pour autant.

- Non, c'est sûr ! Tu préfères le faire quand tu vois un cafard.

- Grr ! Redis ça et je te...

- Raphaël a peur des cafards ! Raphaël a peur des cafards !

L'intéressé se jeta sur Michelangelo et le plaqua violemment au sol. D'un mouvement sec du menton, April fit signe à Casey de les séparer. Lorsqu'il y fut parvenu, Léonardo leur suggéra de tous se retirer dans le dojo, afin de laisser les filles entre elles. La rouquine était la seule qui parviendrait peut-être à l'apaiser.

- Tu sais, mon père a été capturé par les Kraangs, confia-t-elle. Deux fois. Et il a aussi été transformé en mutant.

- Ma soeur aussi. Lorsque les extraterrestres se sont emparés d'elle, ils l'ont aspergé d'un liquide visqueux et répugnant qui lui a fait prendre une apparence un peu semblable à la leur.

- C'est ce que l'on nomme le mutagène. Mon père aussi en a été victime. La première fois, il est devenu une sorte de chauve-souris géante. La seconde, ça s'est passé à peu près comme pour ta soeur. C'était durant la panique. Avec les tortues, nous sommes partis nous réfugier dans une maison de campagne que ma famille possède. Sans ça, nous serions certainement tombés entre leurs tentacules, nous aussi.

- Marianne... Si je ne la retrouve pas, c'est... Sans elle, je suis toute seule. Je n'ai plus personne.

- Et tes parents, où sont-ils ? Victimes des Kraangs eux aussi ?

- Non. Ma mère est morte lorsque nous étions encore enfants, et mon père... Il a claqué la porte, un jour, puis il n'est plus jamais revenu. C'était un brillant escrimeur, mais il a progressivement sombré dans l'alcool après avoir perdu sa femme, au point de devenir violent. Marianne me protégeait de ses colères et ensuite, c'est elle qui s'est occupée de moi lorsqu'il est parti. Elle avait seize ans, à ce moment-là, et moi treize.

April ne releva pas. Elle se contenta de proposer un autre verre d'eau à Marion, qui l'accepta volontiers. En se levant, elle constata que, depuis la porte du dojo, les quatre autres tortues les espionnaient avec Casey. Dans ces moments-là, aucun d'eux ne valait mieux que Michelangelo.

- La pauvre... murmura-t-elle en passant devant eux. Elle est effondrée.

- Épargne-nous les détails. Quand est-ce qu'on la renvoie à la surface ? interrogea Raphaël. Cette fille me tape sur les nerfs.

- Quoi ? On ne peut pas la laisser remonter. Les Kraang vont l'attraper et ils vont la muter en une bête monstrueuse, alors qu'elle est si adorable ! Léo, je peux la garder, s'il te plaît ?

- Mikey, c'est une adolescente, pas un animal de compagnie. D'ailleurs, quand on voit ce qui est arrivé à Minette Glacée, elle serait sûrement plus en sécurité entre les mains des extraterrestres.

- Combien de fois vas-tu ressortir cette vieille histoire ? Je te l'ai déjà dit, c'était un accident. Un accident, d'accord ? A-X-Y-D... Euh...

April leur proposa de l'accompagner jusqu'à la cuisine, où ils pourraient continuer à discuter pendant qu'elle ramènerait à Marion de quoi se désaltérer. Parvenus dans la pièce, les cinq garçons s'installèrent à table. À leur grand étonnement, et tandis qu'elle actionnait le robinet d'eau filtrée, elle déclara :

- Je suis plutôt d'accord avec Mikey. Ce serait de la folie de la laisser repartir. Quand on voit le sort de mon père ou de Karai... Il faudrait être cruel pour la condamner à subir ça, or c'est ce qui l'attend si elle n'a nulle part où aller.

- Tu n'es pas sérieuse ? protesta Raph. C'est un danger public, elle se fourre sans arrêt dans les ennuis et je n'ai pas l'intention de lui sauver la vie indéfiniment.

- Non, deux fois, c'est déjà bien assez.

La plaisanterie de Casey lui valut un coup de poing. Son ami se montrait toujours aussi taciturne lorsqu'il était question de le charrier au sujet de l'adolescente. Il croisa les bras sur son torse, vexé. Donnie et Léo, quant à eux, s'interrogeaient du regard.

- Nos réserves sont limitées, c'est vrai, mais je ne me le pardonnerai pas si je laisse cette fille quitter le repaire. Qui plus est, elle peut toujours nous être utile. Même si ce n'est pas une experte, elle a quand même l'air de savoir se battre et...

- Et les Foots ne la connaissent pas, approuva Donatello. En cas de besoin et avec prudence, elle peut toujours circuler à la surface. Les seuls dont elle ait à se méfier, ce sont les Kraangs.

- Mikey, c'est d'accord. Elle peut r... Mikey ?

Léonardo parcourut la pièce du regard, mais son frère n'était nulle part. Avec la paume de sa main, il se frappa le visage. Cet enfant était désespérant.

***

- Eh, salut !

Michelangelo se laissa tomber sur la bordure à côté de Marion. Elle sursauta légèrement, mais gagna en confiance lorsqu'il lui adressa un sourire bienveillant, tout en lui tendant une boîte de mouchoirs cornée.

- Salut. Mikey, c'est bien ça ? Désolée, tout est encore un peu mélangé dans mon esprit, et puis, ce coup que j'ai reçu m'a donné mal à la tête, alors...

- Non, non, c'est parfait. Je suis super heureux de te connaître.

Le visage de la jeune fille se détendit. Cette tortue était si amicale qu'il était pratiquement impossible de se méfier d'elle. Elle savait qu'il lui fallait se montrer prudente, cependant elle était quasiment certaine que son instinct ne la trompait pas sur ce point.

- Dis, est-ce que ça te dirait de t'installer avec nous dans le repaire ?

- Dans le repaire ? Tu veux dire ici ?

Elle avait cessé de pleurer, désormais, et la bonne humeur qui émanait de son interlocuteur parvenait presque à adoucir son moral, qui était pourtant au plus mal depuis la disparition de sa soeur. Elle essuya ses joues encore humides avec un mouchoir en papier, tandis que Mikey répondait joyeusement :

- Bien sûr, ici. J'admets que ce n'est pas très accueillant et que personne ne souhaite vivre dans les égouts, mais nous enquêtons sur les Kraangs, tu sais.

- April m'a expliqué que son père avait disparu. Vous avez perdu quelqu'un, vous aussi ?

- Notre sensei, maître Splinter, a été blessé au cours de la bataille et sa fille, Karai, s'est volatilisée. Quant à mon ami Leatherhead, il...

La voix de Michelangelo se brisa. Lui qui s'était montré si enjoué jusqu'à présent, il paraissait désormais aussi triste qu'elle. Depuis que Léonardo lui avait rapporté les évènements survenus face à Schredder, il doutait que l'alligator soit parvenu à s'en sortir. Cette idée lui brisait le coeur.

- Je suis désolée pour toi, Mikey.

Marion lui tapota amicalement l'épaule. Elle n'était pas d'une nature particulièrement affectueuse, mais la jeune tortue l'attendrissait. Pour un peu, elle aurait presque pu le prendre dans ses bras si, au même moment, elle n'avait pas été interrompu par le cynisme d'une voix qu'elle commençait à trop bien connaître.

- Fais attention. À ta place, moi, j'éviterai de le toucher. Plus il grandit et moins il a de neurones. C'est peut-être dû à une maladie contagieuse.

Raphaël, après avoir constaté l'absence de son cadet dans la cuisine, avait été le premier à rejoindre la pièce principale, où il l'avait découvert en pleine conversation avec Marion. Celle-ci lui jeta un regard qui en trahissait long sur l'antipathie qu'il lui inspirait. Elle répliqua avec un sourire mauvais :

- Tu as sûrement raison, puisque visiblement, toi aussi, tu l'as attrapé. Je suis au moins soulagée de découvrir que tu es une véritable crétin avec tout le monde, pas seulement avec moi.

Mikey ouvrit la bouche, admiratif. En dehors de Casey, il n'avait jamais vu personne tenir tête à son frère avec une telle répartie. Décidément, l'estime qu'il portait à cette demoiselle ne cessait de s'accroître. Si elle décidait de rester au repaire, cela promettait d'être particulièrement amusant.

Leur joute verbale s'acheva lorsqu'ils furent rejoints par les deux autres tortues, ainsi que les humains. Léonardo n'eut pas besoin de poser la moindre question pour deviner qu'une énième altercation orale venait d'avoir lieu entre eux. Il se contenta d'écarter Raphaël d'un geste du bras pour le placer en retrait et s'adresser à Marion.

- Nous venons de discuter et nous sommes tous tombés d'accord... presque tous, rectifia-t-il suite à un toussotement de la tortue rouge, pour dire qu'il valait mieux que tu demeures ici avec nous, du moins pour un moment.

- Et cohabiter avec lui ? répliqua-t-elle en désignant Raph d'un mouvement du menton. Je le connais à peine, et pourtant je ne le supporte déjà pas.

- Rassure-toi, c'est réciproque.

- Euh... Sans vouloir te vexer, mon pote, moi non plus, tu ne pouvais pas me voir, à la base. Regarde-nous maintenant. On s'entend comme larrons en foire !

Casey accompagna sa remarque pertinente d'un coup de coude amical dans les côtes de son ami, mais cela ne suffit pas le décrisper. Mikey, pour sa part, s'était mis à réaliser quelques bonds de joie devant Marion, qui le fixait à présent d'un oeil amusé.

- Yes ! Yes ! Yes ! Allez, dis oui, s't'eu plaît ! Dis oui ! Dis oui ! Dis oui ! Dis oui !

- C'est que...

- Dis oui ! insista-t-il d'un ton suppliant.

- À ta place, j'accepterai, souligna Donnie, sinon il va être invivable pendant toute l'heure à venir. Après ça, il passera à autre chose et il t'oubliera, mais ça nous fera quand même une heure particulièrement pénible à vivre.

- Dans ce cas, j'imagine que je n'ai pas vraiment le choix.

- Hourra !

Mikey enlaça le buste de Marion de ses bras musclés et l'étreignit si fort qu'il lui coupa le souffle, au point que ses joues rougissent sous le manque d'oxygène. Lorsqu'elle lui en fit la remarque, il s'excusa précipitamment, sans se départir de sa bonne humeur.

- Génial, comme si on n'avait pas assez d'un lourdingue... commenta Raphaël.

- Tu sais, dans le fond, je crois que je reste moins dans le but de lui faire plaisir que dans celui de te faire arranger. Je sens que nous allons bien nous amuser, toi et moi, Grincheux.

La réplique de l'adolescente déclencha un fou rire général. Même Léonardo et Donatello, qui s'étaient efforcés de conserver leur sérieux jusqu'à présent, se laissèrent contaminer. Ils avaient rarement l'occasion de voir leur frère être remis à sa place d'une façon aussi magistrale.

- Et pour ce qui est des Kraangs ? interrogea Marion, après avoir recouvré un air plus grave.

- Nous sommes sur l'affaire depuis un long moment, répondit Léo. Le problème, c'est que nous manquons cruellement d'armes, de matériel et d'informations pour tenter que que ce soit contre eux.

- Pourquoi ne pas vous en procurer ? Il y a tout ce qu'il faut, à la surface. Des magasins entiers ont été laissés à l'abandon, les maisons sont remplies et inhabitées...

- C'est que... Les Kraangs ne sont pas nos seuls ennemis, à New-York. Ne t'inquiète pas, le reste ne te concerne pas. Seulement, il y a un homme, du nom de Schredder, qui s'est juré d'avoir nos carapaces. Il est à la tête d'un puissant clan ninja et ses hommes de main sont tous des mutants. A cause de ça, nous ne pouvons pas nous promener librement à la surface.

- Alors pourquoi est-ce que je vous y croise tout le temps ?

- La première fois que je t'ai vu, et je regrette de ne pas plutôt m'être cassée une jambe à ce moment-là, nous recherchions notre maître, ainsi que plusieurs autres personnes, indiqua Raph. Comme il est grièvement blessé, nous nous sommes ensuite rendus dans l'appartement d'April pour prendre des médicaments. Nous ne nous aventurons là-haut que par nécessité.

- Et c'est comme ça que vous comptez vous occuper des extraterrestres ? En restant cachés ici ?

- Nous précipiter ne servira à rien, décréta Donnie. Nous devons d'abord mettre au point une stratégie. Les Kraangs sont des milliers et ils sont désormais capables de circuler librement entre leur monde et le nôtre. Ils peuvent appeler à leur secours des créatures terrifiantes, qui dépassent de loin ton imagination. Je sais que c'est difficile à concevoir, mais il faut se montrer patient. La moindre petite erreur pourra nous être fatale et, si ça devait se produire, dans ce cas-là, il n'y aurait vraiment plus personne pour sauver New-York.

Marion resta silencieuse quelques instants. Cela ne lui plaisait pas de se terrer dans ce repaire souterrain et d'attendre les bras croisés. Elle était d'une nature impulsive, elle avait besoin d'agir pour se sentir utile. Les paroles de Donatello étaient censées, cependant elle savait que sans action, elle aurait l'impression de ne rien tenter pour retrouver Marianne.

- Nous libérerons ta soeur et mon père le moment venu, tu verras. Tu peux faire confiance aux tortues, elles trouvent toujours une solution. En particulier Donnie, c'est un petit génie.

L'intéressé se dandina sur lui-même, visiblement mal à l'aise suite au compliment qu'April venait de lui faire. Celle-ci tendit ensuite une main en direction de Marion, qui l'observa, légèrement hésitante.

- Nous formons une équipe, assura-t-elle. Et à présent, tu en fais partie, toi aussi.

Mikey vint poser ses trois doigts par-dessus sa peau fine, puis Léo, Casey et Donatello les imitèrent. Seul Raph demeura en retrait, sans bouger, pendant que la jeune fille acceptait de se joindre à eux. Déterminée, elle annonça :

- D'accord, je suis avec vous.

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