Le jour de l'An

Chapitre 1

Chapitre final

9007 mots, Catégorie: T

Dernière mise à jour 01/01/2023 12:21

En cette saison, le soleil se levait tardivement sur Salem Center pour le jour de l’An et, au domaine annexe de l’Institut Xavier pour Jeunes Surdoués, la lumière matinale pénétra furtivement à travers la fenêtre de la chambre que partageaient Dani Moonstar et Rahne Sinclair. Bien que d’ordinaire un épais rideau était tiré afin de conserver l’isolation de la pièce contre le froid la nuit, les filles l’avaient laissé légèrement écarté et un rayon de soleil divisait le lit en deux, où les jeunes femmes, récemment mariées, émergeaient tout juste de leur sommeil.

Dani prit une profonde inspiration, laissant son corps se réveiller. Elle s’étira lentement à la manière d’un chat en étendant ses muscles avant de doucement les contracter de nouveau. L’air régnant dans la chambre était vraiment froid ; elle poussa un léger grommèlement énervé et s’enfouit plus profondément sous les couvertures en se blottissant contre Rahne Sinclair, son amoureuse, qui elle aussi eut du mal à se réveiller.

-Quelle heure il est ? marmonna Dani qui eut de la peine à prononcer cette question. Dis-moi qu’il est tôt et qu’on peut continuer à dormir.

Rahne leva la tête et plissa ses yeux bouffis par le sommeil vers la pendule sur la table de nuit.

-Huit heures et demie, rapporta-t-elle.

-C’est vrai ? gémit Dani avec désarroi. Oh… Les chevaux vont croire qu’on les a abandonnés. Encore...

-Le soleil se lève depuis seulement quelques minutes, fit remarquer la jeune rousse. T’inquiète, ils ne vont pas s’imaginer ça avant un moment.

-On sera jamais prêtes pour reprendre les cours si ça continue, murmura Dani.

-Tu crois ça ?

-C’est vrai. On n’arrive même pas à sortir du lit.

-Après, on est en vacances, lui rappela Rahne.

-Je sais, mais… il va falloir nous réhabituer à nous lever avant midi.

Soudain, Rahne se redressa à moitié sur un coude.

-Qu’est-ce qu’il y a ? lui demanda la jeune brune.

La fille-louve semblait écouter attentivement quelque chose.

-Jean a du mal avec Sandie, ce matin, rapporta-t-elle.

-Tu arrives à entendre ça ? Jusqu’ici ?

-J’ai des oreilles de loup, lui rappela Rahne en souriant avant de s’asseoir à contre-cœur. Je crois bien que le travail m’appelle.

-Sans toi, cet endroit s’écroulerait en mille morceaux, Rahne, déclara sa partenaire.

La jeune rousse commença à se lever mais Dani enroula son bras autour de sa taille et l’entraîna délicatement dans le lit pour qu’elle se recouche. Rahne ne protesta pas. Dani se serra contre elle et, sans lui grimper dessus, se plaça au-dessus d'elle de sorte que les deux filles se retrouvent nez à nez.

-Au fait, chuchota la jeune Amérindienne en l’embrassant. Bonne année.

-À toi aussi, répondit Rahne en lui rendant son baiser avec un autre plus long et plus ardent.

Au bout d’un moment, la jeune élève soupira en signe de capitulation.

-Allez, dit-elle sur un ton décidé en se levant. Si je te laisse faire, je resterais au lit toute la journée.

-Ce serait un problème, à ton avis ?

-Tu l’as dit toi-même, répondit la jeune rousse en souriant, cet endroit tomberait en mille morceaux.

Elle se redressa sur le bord du lit, son corps dénudé s’habituant au froid dans la pièce. Bien que n’étant en aucun cas une sportive au sens traditionnel, l'anatomie de Rahne était pourvue d’une extraordinaire définition musculaire. Un avantage qu’elle devait à son côté loup-garou. Elle s’étira avec langueur, de la même manière que Dani, puis jeta un coup d’œil par-dessus son épaule.

-Tu me mates encore le cul, fit-elle en faisant semblant de la réprimander.

-Oui. Je te mate, acquiesça vigoureusement la jeune brune. Tu ne vas pas me dire que tu le fais pas exprès ? Au fait, tu nous accompagnes toujours Amara et moi, ce matin ? On va faire du cheval.

-C’est une question-piège, j’imagine ? Oui, évidemment que je viens avec vous. Pourquoi je me désisterais ?

Rahne se dirigea vers la porte et, toujours en humaine, l’ouvrit juste assez pour que sa forme animale puisse passer. Elle se recula ensuite, s’accroupit, et, quelques secondes plus tard, une magnifique louve au pelage brun-roux courut dans le long couloir en direction de l’escalier.

Peu de temps après, Rahne pénétra dans la cuisine. Jean Grey s’occupait de préparer le petit-déjeuner à l’aide de sa méthode inimitable. Des casseroles, poêles et plaques de cuisson tournaient toutes seules autour de la cuisinière, des couteaux éminçaient des légumes et des fouets tournoyaient dans des bols mélangeurs sans l’aide de personne. La mutante devait également gérer un petit garçon de cinq ans au caractère franchement hyperactif : Sandeep, le nouveau membre de la famille.

Durant les premiers jours dans sa nouvelle maison, Sandeep s’était montré silencieux et réservé. Le petit garçon se remettait encore d’avoir frôlé la mort dans le désert où Jean, Kitty et Illyana l’avaient secouru. Il était naturel que le fait de se retrouver dans un endroit totalement rempli d’individus qui lui étaient étrangers et ne parlaient pas sa langue l'intimide. Cependant, à mesure que les jours passaient, le jeune garçon commença à se sentir mieux et, en comprenant qu’il était en sécurité et entouré de personnes se souciant de lui, se mit à agir comme un enfant de son âge, au soulagement, et grand dam qui suivit, de tout le monde.

Jean aperçut la louve arriver dans la cuisine et poussa un soupir exprimant un soulagement évident.

-Rahne. Dieu merci, déclara-t-elle. Est-ce que ça t’ennuierait de prendre Sandie avec toi dans le salon cinq minutes ? J’essaye de mettre la table mais il n’arrête pas d’essayer d’attraper les couverts qui flottent. L’idée qu’il se fasse mal avec une fourchette ou autre chose me terrifie.

La jeune femme n’avait pas à s’inquiéter. En effet, Sandeep vit lui aussi la louve pénétrer dans la pièce et, ayant enfin trouvé un partenaire de jeu, hurla de plaisir.

-Toutou ! s’écria-t-il, tout content, en prononçant un des seuls mots de leur langue qu’il avait appris jusque-là.

Rahne pénétra rapidement dans le salon en trottinant et Sandeep, riant joyeusement, la suivit.

Jean en profita. Alors qu’elle s’affairait derrière le comptoir, le vaisselier s'ouvrit tout seul, laissant place aux assiettes et verres à pied qui se mirent respectivement à flotter vers la table et à s’aligner à leurs places habituelles. Les couverts, eux, naviguèrent dans les airs, donnant l’impression de faire partie d’une comédie musicale. Une des assiettes manqua de peu l’arête du nez d’Illyana Rasputin qui fit son entrée.

-Ouah ! Illy ! Je suis vraiment désolée, fit Jean. Je pensais être toute seule, je n’ai pas fini.

-T'inquiète, pas de soucis, lui répondit la blonde. Je suis pas pressée. J’adore ton délire de faire danser les couverts. On se croirait dans La Belle et la Bête.

-Ouais, Sandie trouve aussi. J’aimerais juste pouvoir lui dire qu’il faut qu’il arrête de vouloir les attraper quand je les fais flotter. Lui, il prend ça pour un jeu.

-Garde tes mains à l’intérieur du véhicule durant toute la durée du trajet, plaisanta Illyana en affichant un sourire. D’ailleurs, il est passé où notre petit bout de chou ?

-Dans le salon. Il est avec Rahne, répondit la mutante rousse d’un mouvement de tête.

-Je peux peut-être te donner un coup de main alors ? Tu veux que je t’aide avec la cuisine ou que je m’occupe de notre petit monstre ?

-Oh, je vais te laisser te charger du petit démon, si tu veux bien, répondit Jean en affichant un sourire.

Maintenant que la table était dressée, Illyana pouvait traverser le coin repas en toute sécurité et avancer jusqu’au comptoir de la cuisine.

-C’est dur de dire que Sandie est devenu un démon, protesta la jeune blonde en se remplissant une tasse de café. Ça fait seulement une semaine qu’il est là.

-Peut-être mais ce matin, il met ma patience à rude épreuve, déclara son amie.

-Hé oui… On savait qu’accueillir un enfant dans le bâtiment impliquerait du changement, rappela Illyana. D’ailleurs, tu comptes toujours en avoir un ?

-Ouais, j’imagine, répondit Jean en affichant un sourire triste. Évidemment, ce que je préfèrerais, c’est y aller étape par étape ; partir d’un petit être tout fragile pour gravir les échelons qui mènent au chaos complet un par un.

Illyana émit un petit rire :

-Tu sais, « Il faut un village pour élever un enfant », c’est un proverbe que je n’avais jamais vraiment saisi, ni aimé d’ailleurs… Jusqu’à maintenant.

-Ah oui ? gémit Jean. Et encore, nous sommes 11 à nous occuper de lui.

-T’es sûre que ça suffit ? lui rétorqua la jeune Russe en souriant avant de se faufiler dans le salon d’où émanait toute la cacophonie.

* * *

Dani, Amara et Rahne atteignirent enfin les écuries pratiquement en milieu de matinée. Dani et Amara entreprirent de s’occuper des chevaux tandis que Rahne, toujours en louve, rôdaient dans les haies à proximité à la recherche de la moindre trace indiquant qu’un éventuel lapin serait sorti de son terrier après la dernière tombée de neige.

Alors que les deux filles étaient en train de seller leurs chevaux pour leur promenade matinale, Dani se tourna vers Amara :

-Alors, c’est quoi ton chiffre ce matin ?

Après le récent épisode de dépression suicidaire qu’avait vécu Amara, elle et Dani avaient convenu de veiller l’une sur l’autre chaque matin en prenant des nouvelles de leurs niveaux respectifs de souffrance émotionnelle sur une échelle d’un à dix. Cet échange faisait dorénavant partie intégrante de leur rituel, mais Dani essayait toujours de s’y prendre aussi discrètement que possible pour poser la question à son amie.

Amara marqua un moment d’hésitation.

-Je dirais… huit, peut-être, finit-elle par avouer.

-Huit ? répéta la jeune Cheyenne en fronçant les sourcils d’inquiétude.

-Tu m’as dit de toujours être honnête sur le nombre.

-Oui, je sais, acquiesça Dani. Alors tu es à huit ? Mince. C’est pas top. Qu’est-ce que tu comptes faire ?

Amara poussa un profond soupir.

-Ben, pour commencer, je vais faire une balade à cheval avec ma meilleure amie, répondit-elle. Et une fois rentrée, je vais aller jouer un petit moment avec mon nouveau neveu, je vais demander à mon petit copain de me faire encore plus de câlins et, si ça ne va pas mieux malgré tout ça, j’irai parler à Jean.

-Tu as mis en place tous tes mécanismes de défense, dis-donc, commenta Dani en hochant la tête d’approbation.

La blonde parvint à sourire.

-Ça m’aide beaucoup, admit-elle. Et toi sinon ? C’est quoi ton chiffre ?

-Je dirais entre cinq et six, avoua la jeune brune.

-C’est vachement haut quand même, Dani, commenta Amara en fronçant les sourcils.

-Ouais, acquiesça la jeune élève. Et encore, mon niveau serait surement plus élevé si je n’avais pas la louve de thérapie de l’école qui dort à mes côtés la nuit. Ça m’aide beaucoup. Elle stabilise mon curseur.

-On est deux, alors… Qu’est-ce que tu comptes faire ?

-Un peu la même chose que toi. J’ai adopté ta stratégie. J’espère que ça ne t’ennuie pas, répondit Dani en se forçant à sourire. Au fait, est-ce que c’est moi que tu viens de qualifier à l’instant de ta « meilleure amie » ?

Amara lui adressa un sourire malicieux :

-Je parlais de Rahne.

-Ooh, quelle pique ! releva Dani en rigolant. Parfait ! Continue comme ça, ma grande. Ça fait jamais de mal de faire sa pimbêche.

Peu après, les filles sortirent des écuries pour effectuer leur trajet habituel qui les emmènerait jusqu’au sentier puis vers la mare aux canards ; Dani et Amara étaient à cheval tandis qu’à leurs côtés, Rahne courait en bondissant. La neige tombée depuis peu était épaisse et mouillée, rendant la balade plus fastidieuse, mais sa beauté indéniable valait le coup d’œil. Même le sentier, d’ordinaire régulièrement envahi par les allées et venues des camions de livraison et véhicules de service, était tranquille et paisible, recouvert d’une couverture blanche intacte. Un point positif qu’offrait cette période.

Le petit groupe avait à peine parcouru quelques dizaines de mètres quand il dût soudainement s’arrêter.

-Oh oh, murmura Dani avec inquiétude. Il y a un problème.

Elle émit un sifflement perçant pour signaler à Rahne de s’arrêter ; la louve leva la tête dans sa direction d’un air interrogateur.

Une rangée de poteaux électriques parcourait le bout du sentier. Mais ce matin précis, un des arbres environnants s’était à moitié renversé d’un côté, sans conteste à cause de la tempête de la nuit dernière. Ses branches dénudées poussaient dangereusement contre les lignes électriques mais heureusement, aucune ne s’était décrochée et les poteaux tenaient encore debout.

-Cet arbre va s’effondrer d’un moment à l’autre, constata Dani.

-Ce n’est pas le câble qui alimente l’école en électricité ? lui demanda Amara.

-Pas juste l’école. Il alimente pratiquement toutes les habitations et entreprises qui se situent entre ici et la ville.

-Qu’est-ce qu’on peut faire ?

-On doit rentrer. Il faut prévenir Scott. Lui et les garçons pourront peut-être dégager l’arbre en toute sécurité. Autrement, il faudra au moins qu’on contacte la compagnie d’électricité pour les services d’urgence.

La jeune Amérindienne tira ensuite doucement sur les rênes mais Ailes d’Argent, son cheval, sembla troublé par cette instruction.

-Oui, je sais, lui dit sa cavalière. Mais aujourd’hui, on ne peut pas aller à l’étang. Il faut faire demi-tour.

Ailes d’Argent hennit doucement, comme pour répondre.

-Je m’en fiche, rétorqua la jeune femme sur un ton de réprimande. On a un vrai problème qui vient de nous tomber dessus. Tout ne tourne pas constamment autour de toi, tu sais.

Amara questionna son amie du regard :

-C’est drôle, on dirait vraiment que tu lui parles.

-Je lui parle, lui répondit Dani qui se pencha ensuite en avant pour souffler à l’oreille de sa jument. D’ailleurs, ce matin elle est vaccinée à la merde.

Ailes d’Argent gémit avec indignation.

-Allez, viens, reprit Dani en arborant une mine sombre. Il faut qu’on aille prévenir Scott.

* * *

Environ une demi-heure plus tard, Scott Summers, Sam Guthrie et Roberto Da Costa s’étaient rendus sur place et considéraient l’arbre partiellement écroulé.

-On devrait peut-être appeler quelqu’un, non ? demanda Roberto.

-Oh, il faudra appeler la compagnie d’électricité pour qu’ils inspectent la ligne, c’est sûr, confirma Scott. En revanche, l’arbre fait partie de la propriété de l’école. Techniquement, c’est donc à nous de le dégager.

-Ouais, mais on va quand même pas le pousser, objecta Sam. Vous avez vu comme ses petites branches sont bien accrochées ? Même si on arrive à le pousser de l’autre côté, l’arbre va quand même emporter les câbles.

Les trois hommes firent prudemment le tour du périmètre où se trouvait le pied de l’arbre en regardant en l’air et autour d’eux, la neige fraîche s’écrasant sous leurs pas.

Roberto se tourna vers Scott.

-Justement ces branches, tu ne pourrais pas les exploser pour les enlever ? lui demanda-t-il.

-Sans problème, répondit Scott en hochant la tête. Mais si je fais ça, l’arbre risque de tomber sur le sentier et emporter les lignes électriques avec lui. Sans ces branches, c’est la chute assurée. Ça m’épate d’ailleurs que les câbles aient tenu le coup.

Reculant avec prudence, Sam empiéta sur le sentier en question en lançant des coups d’œil fréquents en l’air. Scott et Roberto attendirent.

-T’as une idée, Sam ? lui demanda Scott alors que le jeune homme les rejoignit.

-Peut-être bien. Si je donnais une petite poussée à l’arbre ? En me plaçant ici, au milieu du chemin ? suggéra-t-il en désignant l’endroit où il se tenait juste avant. Juste après que tu aies éclaté les branches ? Ça va le libérer et je pourrai ensuite continuer sur ma lancée pour le détourner de sa trajectoire. Roberto pourrait ensuite le pousser de la base et s’assurer qu’il tombe bien en direction du champ.

Scott considéra de nouveau les branches.

-Ça ne nous laissera pas beaucoup de temps, Sam. Tu devras le toucher genre une ou deux secondes après que je me serai chargé des petites branches.

-Je sais, acquiesça le jeune élève. Mais on ne peut même pas envisager de sortir la scie : dès que la lame aura touché cet arbre, il tombera direct.

-C’est sûr, soutint Scott en hochant la tête d’approbation.

-On pourrait peut-être demander à Jean de l’arracher ? Pour elle, ça reviendrait à extraire une carie, suggéra le jeune Brésilien.

-Ouais, ce serait un jeu d’enfant, acquiesça Scott. Mais on a toujours le même problème : ces petites branches sont salement emmêlées aux câbles. Il faut d’abord qu’on les enlève, sinon toute la ligne est fichue.

-Puis il y en a un autre, signala Roberto. On a nos bottes d’hiver mais est-ce que ça sera assez pour nous protéger si les câbles à haute tension tombent dans la neige ?

C’est alors qu’un craquement menaçant émana de l’arbre, aussitôt suivi d’une tension évidente sur les lignes.

-Je crois qu’on vient de perdre l’occasion de débattre, annonça Sam d’un air grave.

-On va essayer, décida Scott. Si on ne fait rien, il faudra dépendre des générateurs auxiliaires pendant une semaine. Sam, mets-toi en position. Dès que tu me vois tirer avec mes lasers, tu décolles. Et quoiqu’il arrive, ne rate pas ta cible. Roberto, prépare-toi.

-Ça marche.

Sam courut se mettre à une distance idéale pour l’angle de sa propulsion. Aussitôt qu’il s’arrêta, Scott hurla « Maintenant ! » et fit jaillir ses rayons optiques presque à la verticale en les faisant longer le tronc de l’arbre. Roberto se transforma pour prendre son aspect de mutant. Sam, quant à lui, se propulsa en l’air.

Les petites branches se brisèrent en copeaux de bois.

Sam visa parfaitement l’arbre, le heurtant fortement juste au-dessus de l’endroit où les petites branches avaient accroché les lignes électriques. Avec un hurlement, Roberto le poussa dans la même direction. L’arbre craqua, oscilla pendant un moment avant de finalement basculer en arrière dans le champ, loin de la route, ses racines déchirées projetant de la neige et de la terre gelée sur tout le sentier.

Les câbles à haute tension se balancèrent fébrilement quelques instants mais tinrent bon.

Sam alla s’encastrer dans une congère non loin. Son atterrissage fut loin d’être élégant mais sans ses pouvoirs, le jeune homme aurait fait une lourde chute qui lui aurait peut-être à nouveau cassé le bras, voire pire. Roberto atterrit sur son postérieur après avoir relâché l’arbre mais se releva rapidement en arborant un sourire joyeux.

-Ça, c’est ce qui s’appelle un travail d’équipe, déclara-t-il.

-Beau travail, messieurs, dit Scott en leur souriant à tous les deux. En fait… c’était excellent.

-La vraie question, c’est « Et maintenant ? » demanda Sam après s’être remis sur pied. On le laisse comme ça ?

Roberto haussa les épaules.

-Il fallait justement qu’on ravitaille la remise en bois de chauffage, fit-il remarquer. Je pense qu’on a trouvé de quoi faire une bonne réserve.

-Tu crois que tu peux le transporter en direction du bâtiment ? lui demanda Scott d’un air dubitatif. C’est qu’il est balèze, cet arbre.

-Bah… niveau prestance, je peux me rhabiller, ça, c’est sûr, admit le jeune brésilien en affichant un sourire. Mais, ouais. Je peux faire glisser le tronc jusque dans l’arrière-cour, près de la remise. Après, si tu peux le couper en petites sections avec tes yeux lasers, Sam et moi, on pourra sortir les haches pour en faire des buches qui seront parfaites pour la cheminée.

* * *

Peu de temps après, les habitantes de l’édifice annexe se rassemblèrent toutes dans le salon pour profiter de la chaleur du feu qui se répandait depuis la cheminée. Illyana lisait un livre d’images à Sandeep en utilisant sa magie pour ajouter des « effets spéciaux » à l’histoire, à la grande joie du petit garçon.

Dani fit son entrée dans la pièce.

-La compagnie d’électricité va nous envoyer une équipe dès demain matin, annonça-t-elle. Vu que le câble n’est pas vraiment tombé, ils ont dit que pour cette période de fêtes, ce n’était pas vraiment une urgence. Mais ils vont quand même procéder à un examen et voir s’il y a des réparations à faire si besoin.

-Je te remercie, Dani, la gratifia Moira qui avait levé les yeux de son livre pour lui sourire.

-Et là, le grand dragon violet poussa un énorme rugissement, RROOOAARR ! imita Illyana, ce qui amusa et fit rire Sandeep.

Dani regarda par-dessus l’épaule de Jean. Concentrée, la jeune femme rousse fronçait les sourcils devant la tablette qu’elle tenait.

-Qu’est-ce que tu regardes de beau ? lui demanda la jeune élève.

-Oh, je cherche des recettes de cuisine, répondit Jean en souriant. J’ai pensé que ce serait une bonne idée d’essayer des versions américanisées de repas indiens traditionnels. Tu sais, quelque chose que Sandie pourrait voir comme de la nourriture de réconfort, mais peut-être un peu moins épicée pour ceux d’entre nous qui n’aiment pas trop ça.

-Oh, j’aime bien, commenta Moira sans lever les yeux du bouquin à l’intérieur duquel elle s'était replongée. Avec moi, tu peux y aller. Plus y en a, plus j’adore.

-Je vois des plats qui sont assez simples à faire. Il y en a un, le biryani, où c’est principalement du poulet et du riz. Une recette qu'à mon avis tout le monde pourrait tolérer. D’ailleurs, Sandie tolère très bien la nourriture de chez nous. C’est incroyable vu comme elle doit être différente de chez lui.

-J’adorerais apprendre à cuisiner des plats indiens, moi aussi, lui dit Dani. Préviens-moi quand tu auras besoin d’une assistante en cuisine. D’accord ?

La jeune brune se dirigea ensuite vers la fenêtre où Amara, les bras croisés, fixait les garçons dans l’arrière-cour en train de couper lentement ce qui restait de l’arbre pour en faire du bois de chauffage. Dani lui donna une brève étreinte.

-Et maintenant, c’est quoi ton chiffre ? lui murmura-t-elle à l’oreille de sorte que personne n’entende.

Son amie lui sourit.

-Entre trois et quatre.

-Cool, il y a vraiment du progrès, commenta Dani avec soulagement.

-Oui, c’est clair. Et toi alors ?

-La même chose, à peu près. Alors, où ils en sont nos braves chasseurs avec leur léviathan ? fit Dani en souriant.

-Leur quoi ? Ah, oui. Ok, j’ai saisi. Bien, je crois, répondit la jeune blonde en lui rendant son sourire. Après… c’est dommage qu’on ne soit pas en été.

-Ah ? Pourquoi ça ?

-Bah… tu sais… les garçons seraient torse nu, tout sexy, en sueur, et on verrait leurs muscles se contracter…

-Amara Aquilla ! fit la brune en feignant d’être choquée.

-Quoi ?

-Tu sais, tu caches bien ton jeu, mais sous cette façade très polie et réservée se cache un esprit hyper tordu en action, déclara Dani.

Amara rougit d’embarras :

-Oh… ahh…

-J’approuve, lui assura Dani. J’approuve à fond.

-Et moi donc, cria Illyana.

Rahne entra dans la pièce. La jeune élève avait repris sa forme humaine et enfilé des vêtements propres. Elle prit place sur le canapé, à côté d’Illyana et Sandeep.

-Toutou ! émit le petit garçon en lui faisant un gros câlin.

Moira leva de nouveau les yeux.

-Vraiment intéressant, dit-elle.

-Quoi donc ? demanda Rahne.

-Sandeep. Il a compris que tu étais le loup.

-Ouais, je sais. Bien sûr qu’il a compris, répondit la jeune Écossaise. Il lui suffit de regarder mon visage. Il me reconnait tout de suite.

-Moi, ce qui m’impressionne le plus, c’est qu’Illy ait pris les devants pour s’occuper de notre minuscule petite terreur et triomphé de lui, commenta Dani.

La concernée baissa les yeux vers elles.

-Je vous en prie, soupira-t-elle d’un air théâtral. Dans la vie, je défonce le cul de démons. Alors vous croyez que je suis du genre à me laisser impressionner par un bambin de cinq ans ?

-T’es toujours d’avis que les démons sont ce qu’il y a de pire ? rétorqua Dani.

-Mon petit costaud n’a rien de comparable à eux, pas vrai, Sandie ? babilla Illyana en enlaçant le petit garçon.

-Ça donne quoi la lecture ? demanda Rahne, tout à fait sérieuse. Il apprend un peu notre langue ?

Illyana afficha une grimace.

-La plupart du temps, il apprend à jurer comme sa tatie Illy, admit-elle tristement. Je savais que j’étais mauvaise. Mais je n’avais aucune idée que j’étais aussi grossière jusqu’à ce qu’il commence à me répéter tout ce que je disais. Il faut vraiment que j’apprenne à me nettoyer la bouche.

-Oh, on est déjà au courant, tu sais, la taquina Dani.

-La seule raison qui fait que tu n’as pas droit à un doigt d’honneur, c’est parce que Sandeep est là, rétorqua la blonde. Mais crois-moi, je te l’envoie par la pensée.

-Les filles…, soupira Jean.

-Ne fais pas attention, Jean, la rassura Rahne. Elles sont toujours comme ça. Mais elles s’adorent sincèrement. Enfin, je crois…

-Tu as vraiment fait du super travail avec lui, Illy, reprit Jean d’un air sérieux. C’est grâce à toi que Sandie se sent aussi bien et rassuré. Il est dans un environnement totalement nouveau au milieu d’un groupe d’étrangers qui ne parle pas la même langue que lui. Ça en fait des choses à encaisser. Mais j’ai suivi son état émotionnel et il est clair qu’il te voit comme une source de réconfort et de protection, et je pense que dans peu de temps, d’amour.

-Ouais, répondit la jeune Russe, la voix teintée de mélancolie. Tu crois vraiment que c’est bien ce que je fais ? Après tout, t’es supposée être sa maman.

Sandeep se hissa aussitôt sur les genoux de la jeune élève et la serra contre lui. Illyana l’entoura alors de ses bras et l’embrassa tendrement.

Jean s’approcha et s’assit à côté de son équipière. Elle écarta des mèches égarées de la longue chevelure blonde du visage d’Illy.

-Sandie a tout autant besoin de l’amour de sa tatie Illy que du mien. Pour l’instant, on est tout pour lui. Il a besoin de parents, de proches, de partenaires de jeu et de professeurs. Chacun de nous doit assumer tous ces rôles. Mais il ne faut jamais que tu aies peur de le laisser ressentir cet amour que tu lui portes, Illy. Tu ne peux pas lui faire de plus beau cadeau. Fais-moi confiance. Si jamais tu dépasses une limite, je te le ferai savoir. Maintenant, si tu nous racontais la fin de ton histoire ? suggéra-t-elle. Sandie meurt d’envie de savoir tout ce qui est arrivé à Lockheed, et moi aussi.

Avec un sourire, Illyana reprit son livre d’images et, avec Jean d’un côté, Rahne de l’autre et Sandie assis sur ses genoux, poursuivit le récit là où elle s’était arrêtée :

-Alors le sorcier monta sur le dos du dragon et ensemble, ils volèrent toute la nuit jusqu’au lendemain, traversant le gigantesque océan, naviguant en direction des terres lointaines gouvernées par le Grand Sultan.

Et tandis qu’Illy racontait son histoire à Sandeep, Moira posa son livre, Dani et Amara oublièrent leur envie de regarder les garçons couper du bois et tous se rassemblèrent en cercle, pas seulement pour écouter les aventures du dragon, mais simplement pour profiter de la joie commune de savoir qu’ils étaient devenus une famille.

* * *

Bien que personne n’avait veillé tard pour le Nouvel An, pratiquement tout le monde se coucha à nouveau tôt le premier soir de cette nouvelle année. Amara et Sam furent les premiers à monter mais pas nécessairement parce qu’ils étaient les plus épuisés.

Cependant, après une longue journée passée à couper du bois, Sam avait légitimement mal partout. Amara sourit tandis que son petit ami s’assit au bord du lit après avoir pris une douche.

-Tu souffres à ce point ? lui demanda-t-elle d’un ton compatissant.

Le jeune homme lui adressa un sourire triste.

-Eh ben… comme si j’avais découpé un arbre tout entier, répondit-il. Je dois avouer que j’étais un peu jaloux de Roberto. Lui au moins, il peut passer en mode super force pour faire ce genre de truc.

-Tu as pris quelque chose contre la douleur ?

-Un analgésique, fit Sam en hochant la tête. Mais je ne pense pas que ça va me faire grand-chose.

La jeune blonde se mordit la lèvre. Sam était loin d’avoir un corps de bodybuilder mais possédait tout de même une définition musculaire d’exception.

-Oui, tu t’es retrouvé d’un coup à avoir du boulot sur les bras, acquiesça-t-elle. Mais je pense pouvoir t’aider.

Sam afficha un sourire :

-Je n’osais pas te demander.

Amara se releva pour se mettre en position assise sur le lit, s’appuya en arrière contre la tête de lit et étendit ses jambes, pas d’une manière ouvertement salace, mais uniquement afin que son copain puisse se coucher contre elle et que son corps soit autant que possible en contact avec le sien.

-Approche, l’invita-t-elle. Laisse-moi être ta plaque chauffante personnelle un moment.

Le jeune Américain glissa à reculons jusqu’à pouvoir délicatement se poser contre elle de tout son poids. Toutefois, étant donné que la jeune femme n’était vêtue que d’une simple robe de chambre en satin, il était difficile pour lui de ne pas se laisser aller à davantage que les pensées amoureuses habituelles. Alors que la chaleur bienfaisante d’Amara lui irradiait le dos, il poussa un soupir de soulagement.

-Ouah… ça fait du bien, lui dit-il.

-Oh, tu fais tout le temps des trucs pour me soulager, répondit Amara. C’est bien de pouvoir rendre la pareille.

Sam hésita un instant. Il fallait qu’il lui demande comment elle se sentait mais le jeune mutant ne parvint pas à trouver un moyen d’aborder subtilement le sujet. Il décida donc de s’élancer, à la manière de son pouvoir :

-Dani m’a dit que ton chiffre était élevé ce matin.

-Oui, c’est vrai, admit la jeune blonde. Mais je vais bien maintenant, Sam, je te le jure. Je vais mieux.

-Tu aurais dû m’en parler. Au moins me faire un signe pour que je comprenne.

-Tu as raison. J’aurais dû t’en parler directement.

La jeune mutante enroula ses bras autours de la poitrine de Sam et le serra fermement contre elle.

-J’ai promis à Dani de ne jamais lui mentir sur ma dépression, poursuivit-elle. Je ne te mentirai pas, à toi non plus. Je n’ai pas d’idées suicidaires, comme avant Noël. C’est juste que j’ai vécu une de ces matinées où tu te sens mal dès le réveil. Mais c’est passé. Je sais que tu comprends ce que ça fait, de passer une mauvaise journée.

Elle afficha un sourire triste et reprit la parole :

-On peut juste continuer à faire ce qu’on fait, s’il te plaît ? Si jamais ça devait t’arriver aussi, je ferai tout ce que je peux pour t’aider. Parce que c’est ce que tu fais constamment pour moi. Mais je te promets que si jamais ça se reproduit, je ne chercherai plus à te le cacher. Je serai franche avec toi, marché conclu ?

-Marché conclu, approuva Sam, entièrement d’accord.

-Ce soir, on peut se détendre, lui assura-t-elle. Je me sens bien. Vraiment bien. Je veux seulement être sûre que toi aussi tu vas bien.

Amara laissa ses mains parcourir le torse du jeune homme en marquant de brèves pauses pour soulager les endroits douloureux.

-Je te ferai les bras dans une minute, promit-elle. Ils doivent être prêts à se relâcher maintenant.

-C’est pas loin, acquiesça Sam.

-J’espère que ta douleur ne va pas nous empêcher de faire l’amour ce soir, murmura-t-elle malicieusement à son oreille.

Le jeune mutant émit un petit rire.

-En fait… je vais peut-être te laisser aller au-dessus, avoua-t-il. Enfin, si ça ne te dérange pas.

Amara offrit à son nouveau petit ami un sourire timide et voluptueux.

-Je crois que ça va aller, déclara-t-elle solennellement.

* * *

Scott Summers et Jean Grey se tenaient tous les deux dans la nouvelle embrasure qui avait été érigée à la hâte entre leur chambre et celle attenante à la leur, dorénavant aménagée pour leur fils récemment adopté, Sandeep. Le petit garçon dormait à poings fermés dans son lit, véritablement comme un loir.

-Il est si beau, chuchota Jean.

-Ouais. Il est magnifique, approuva Scott.

-Ses tatas l’ont bien épuisé aujourd’hui. Dieu merci.

La mutante afficha un sourire, puis ses traits s’assombrirent.

-Je suis si heureuse que tu aies accepté qu’on l’adopte. Je t’ai vraiment mis dans une situation embarrassante avec cette affaire, dit-elle avant de soupirer d’un air contrit.

-Jean, tu n’as pas à t’excuser. Je comprends, je t’assure. Ce n’est pas un enfant qu’on peut se permettre de placer dans une maison d’accueil typique.

-Je sais, répondit la rouquine en souriant à son fiancé avec des yeux remplis de larmes. Mais je t’ai fait vivre un véritable ascenseur émotionnel depuis mon retour sur Terre.

Scott ne put que sourire.

-Jean… tout ce qui arrive depuis quelque temps, ouais, c’est dingue, avoua-t-il. Mais c’est aussi tout ce que j’ai toujours voulu. Je me sens tellement béni. Tu es revenue alors que je pensais t’avoir perdue pour toujours. Maintenant, nous avons un fils et, bientôt, nous allons avoir une fille. En ce moment, je ne pourrais pas être plus comblé.

-Je suis contente, alors, lui dit Jean qui l’embrassa tendrement. Ça fait quand même beaucoup à assimiler.

-Ouais, mais… ça en vaut la peine.

Le mutant à lunettes lui retourna ensuite son baiser.

-Tu as décidé de quand tu voulais le dire à tout le monde ? Parce que… on ne va pouvoir garder ça secret encore très longtemps, signala-t-il en plaçant une main sur le ventre de la jeune femme.

-Je sais, répondit Jean en soupirant. Rahne a déjà remarqué que mon odeur avait changé. Elle n’a pas encore compris pourquoi mais elle est maline. Elle va finir par deviner. En plus, Moira est au courant de mes visites chez mon gynéco. Je ne serai plus capable d’éviter le sujet encore longtemps avec elle aussi.

-Tu veux qu’on attende après le mariage pour annoncer la nouvelle ?

Jean émit un souffle irrégulier.

-Jean, qu’est-ce qu’il y a ? Ça ne va pas ? s’alarma Scott qui fronça les sourcils d’inquiétude.

-Non, non. Il n’y a rien, lui assura Jean. C’est seulement que… nous allons avoir un bébé.

Le simple fait d’avoir prononcé cette phrase fit grandement sourire la jeune rousse.

-Et je sais que fonder une famille, c’est une idée dont nous avons toujours parlé, même à l’époque où nous étions encore trop jeunes. Et maintenant que ça nous arrive enfin… c’est incroyable, c’est génial et… je t’avoue que j’ai un petit peu peur, confessa-t-elle.

-Peur ? Qu’est-ce qui te fait peur ?

-Rien, je t’assure. C’est juste que… on est en train de vivre ce moment où on se rend compte que notre vie va être bouleversée à jamais et… et je me sens un peu dépassée. C’est tout.

-Hé, lui murmura son compagnon d’un ton encourageant. Attends, tu as à moitié parcouru un bras de la Voie Lactée pour rentrer, me retrouver. Ça sera une partie de plaisir comparé à ce que tu as traversé. Tu n'es pas d’accord ?

Jean rit.

-Tu as la moindre idée d’à quel point je t’aime, tout de suite ?

-Eh bien… suffisamment j’espère pour m’épouser à la fin du mois ? fit-il.

-Oui, répondit impatiemment Jean en l’embrassant. Oui, oui, oui et mille fois oui !

* * *

Dans la chambre de Roberto Da Costa, à une distance de deux pièces, le Brésilien et Illyana Rasputin étaient allongés l’un à côté de l’autre sur le lit. La jeune élève avait beau être couverte de la tête aux pieds, portant son épais pyjama en laine orné de dessins de dragons, elle s’était délibérément étendue de tout son long, les bras au-dessus de sa tête, invitant son petit copain à la toucher. Ce dernier était allongé sur le côté, près d’elle, laissant sa main errer çà et là sur le torse de la blonde pour la caresser délicatement.

-Alors, qu’est-ce que tu as fait de beau aujourd’hui pendant que je jouais les bucherons sur un pauvre arbre sans défense ? lui demanda-t-il.

Illyana afficha un sourire.

-Je jouais à la maman, bien sûr. Comme si tu le savais pas.

-Ah ouais ? Tu trouves ça comment alors ?

-Ça me plaît, déclara la jeune femme qui fut elle-même quelque peu surprise par sa réponse. Ça me plaît beaucoup. Plus que ce que j’avais imaginé. C’est juste que c’est tellement… bizarre.

-Pourquoi tu trouves ça bizarre ? protesta Roberto.

-J’en sais rien. Peut-être parce que… c’est normal ? Jamais je n’aurais pu visualiser tout ce qui m’arrive.

Ses traits devinrent pensifs.

-Intégrer une équipe. Faire partie d’une famille. Avoir un petit copain. Devenir tatie. Me retrouver dans une classe à faire semblant d’écouter les cours... Tu sais, tous ces trucs typiques d’adolescents, expliqua-t-elle en sortant la langue. C’est seulement que je n’avais jamais imaginé tout ça pour moi, et pourtant… regarde-moi.

-Tu n’es pas prête de retomber au pays du soufre et des démons, pas vrai ?

-Oh. Putain, non, répondit-elle catégoriquement. Je ne suis plus la marionnette de Belasco, c’est fini.

-Tu vois ce que je t’avais dit ?

-Je pensais que si j’accordais plus d’une demi-journée au petit, je finirais par vraiment retomber dans mon côté démoniaque. Parce que c’est vrai que c’est un peu mon truc. Mais ce n’est pas arrivé. Je l’aime encore, même s’il n’arrête pas de gigoter, jacasser et qu’il commence à réellement se comporter comme un enfant de son âge.

-Je pense que tu ne te donnes pas assez de crédits, fit Roberto en émettant un petit rire. En plus, je suis certain que Jean et Scott te le diraient s’il y avait quelque chose qu’ils n’approuveraient pas dans ton comportement avec Sandeep.

-C’est ça le plus bizarre, s’exclama Illyana. Ça ne les dérange pas que je le monopolise. Je m’attendais sincèrement à ce qu’ils me fassent des remarques pour je lui lâche la grappe parce que c’est LEUR enfant mais au lieu de ça… c’est l’inverse, ils m’encouragent. Pour autant que j’ai envie de continuer, je ne m’attendais pas à cette réaction. Surtout de la part de Jean.

-Pourquoi ? répliqua Roberto. Jean voit que c’est une bonne expérience pour toi ; quelque chose qui te lie au monde humain et pas au monde démoniaque. Puis…

Il afficha un sourire.

-… Jean est intelligente. Elle a une babysitter gratuite, en plus toi et Sandie, vous dépensez toute votre énergie en passant la journée ensemble. C’est gagnant-gagnant pour elle.

Illyana rigola.

-Ouais, je suppose que t’as raison.

Son expression redevint pensive puis elle finit par lui demander :

-Ce que tu m’as dit l’autre jour, tu le pensais ?

-À propos de quoi ? Quand ça ?

-Quand tu m’as dit que tu songeais à avoir des enfants avec moi.

Le sourire de Roberto découvrit ses gencives.

-Bien sûr que je le pensais. Pourquoi ? Tu veux dire… ?

-Je veux rien dire du tout, le coupa la jeune Russe en souriant. Mais… peut-être que ce que je veux simplement te faire comprendre, c’est que je suis prête à commencer à y penser. Peut-être.

Elle leva un doigt en signe d’avertissement.

-Mais toi et moi, on a un long chemin à parcourir avant même d’effleurer cette étape dans notre relation.

-C’est pas faux, approuva volontiers le mutant.

-Tu n’arrêtes pas de parler de… tu sais… de nous… Et tu veux que ça dure. Moi aussi.

Surpris, le jeune homme écarquilla les yeux. C’était la première fois qu’Illy faisait allusion à une quelconque volonté de s’engager.

-Dis… je peux te confier quelque chose ? lui demanda-t-elle soudainement. En Cercle de Vérité, rien que nous deux ?

Roberto hocha solennellement la tête.

-Bien sûr. Vas-y.

Illyana s’assit et expira nerveusement, ayant manifestement du mal à décider de la façon dont elle souhaitait faire part de ses confidences.

-J’aime bien cette idée : nous deux, commença-t-elle. Même s’il y a des moments où ça m’effraye un peu. Je ne m'attendais pas à ce que ce soit... aussi bien que ça. Pour être honnête, notre première nuit ensemble, je m’étais dit que ok, tu étais mignon comme garçon et que je pouvais peut-être passer un bon moment avec toi. Mais je ne m’attendais pas à me sentir si… entière. Pendant très longtemps, la seule image que j’ai eue de moi, c’était celle d’une chose brisée, de quelqu’un qui ne serait jamais capable d’aimer ou d’être aimé. Mais tu m’as convaincue que j’avais tort.

De façon inattendue, elle lui adressa un tendre sourire.

-Je pense que ce je veux vraiment te dire, c’est que je ne suis pas en train de te parler de gratitude ou d’une dette à rembourser, rien de tout ça. Mais je te sincèrement redevable. Tu m’as aidée à retrouver mon humanité, et je n’exagère pas quand je dis que tu m’as probablement sauvé la vie en faisant ça. Mais maintenant, j’ai le sentiment que toi et moi, on a très bien trouvé notre place, ensemble. J’apprécie cette vie de couple, beaucoup. Ça fait du bien. Et je veux voir où ça va nous mener. J’espère juste qu’un jour, je pourrai avoir la moitié des qualités dont tu as fait preuve envers moi.

Roberto lui renvoya son sourire avec autant de tendresse que le sien.

-Illy, tu as toujours été spéciale, déclara-t-il. C’est tellement génial que tu le réalises enfin. Il y a des moments, comme maintenant, où tu me confortes dans l’idée que tu es la meilleure chose qui soit entrée dans ma vie. Ne pense jamais le contraire.

Il lui prit la main et la serra fermement.

-Et je ne veux pas que tu aies peur de me dire ce que tu penses, d’accord ? Chaque fois qu'on est ensemble, considère qu’on a un mini Cercle de Vérité. Alors n’aie pas peur, ok ? Peu importe où on finit par atterrir tous les deux… c'est quelque chose qu'on construira ensemble. Ok ?

-Ensemble, acquiesça Illyana en hochant la tête. Plus aucune crainte.

Ils scellèrent leur serment par un tendre baiser.

La jeune blonde adressa ensuite à son compagnon un sourire malicieux.

-Ça n’empêche que je me réserve le droit d’être une vraie salope, de temps en temps.

Roberto se contenta de grommeler :

-S’te plait… Je l’ai vu, ton côté démon. Ça ne m’a pas rebuté. S’il y a des moments où ça te démange de nous infliger ton mauvais caractère, n’hésite pas. Ça ne changera rien.

Illyana afficha de nouveau son tendre sourire :

-Tu dis tout le temps des trucs comme ça… Je pourrais me sentir obligée de t’avouer que je t’aime.

Roberto sourit :

-C’est rageant, non ?

-Très, déclara vigoureusement la blonde.

C’est alors qu’elle se mit soudain à se déshabiller.

-Ok, fini de blablater, décida-t-elle. Il est temps qu’il y ait une vraie conversation dans cette paillasse.

Puis elle lui adressa un sourire explicitement lubrique.

Face à cela, le sourire ravi du jeune Brésilien ne pouvait être plus large.

-Comme tu veux, accepta-t-il volontiers.

* * *

Quelques minutes avant que minuit sonne, Rahne Sinclair revint dans la chambre qu’elle partageait avec Dani Moonstar. Cette dernière était déjà couchée, toujours éveillée mais totalement prête à se laisser aller au sommeil.

-Le bâtiment est sécurisé ? demanda-t-elle à Rahne tandis que cette dernière reprenait forme humaine, fermait la porte derrière elle avant de se glisser sous les couvertures.

-Tout est bien fermé, confirma la rouquine en se blottissant contre elle. Sandie dort comme un bébé, le professeur ronfle comme un bienheureux et tous les couples qui vivent sous ce toit sont occupés à passer du bon temps au moment où je te parle. Il ne manque plus que nous.

-Merci aux oreilles de louve ? tenta de deviner Dani.

Rahne posa un doigt à côté de sa joue.

-Non, au flair.

-Ah, murmura la brune. Je suppose qu’il y a pire comme endroit pour se promener qu’à travers un nuage de phéromones.

La jeune rousse se pelotonna contre sa copine et poussa un soupir de satisfaction.

-J’espère qu’on est assez intelligentes pour réaliser à quel point on a de la chance d’avoir toute notre famille à nos côtés comme ça.

-Tu as peur qu’on ne s’en rende pas compte ? lui demanda Dani surprise.

-Non, ce n’est pas ça. Mais parfois, c’est facile d’oublier, fit remarquer la fille-louve, ou de prendre les choses comme acquises. Un jour, peut-être dans pas longtemps, chacun va commencer à partir de son côté et à vivre sa vie. Je suis sûre qu’on restera en contact, peu importe les destinations ou ce qu’on finira par faire. Mais on ne sera plus constamment ensemble sous le même toit comme en ce moment. On vit une période particulière. Je veux la savourer pendant qu’il est encore temps et toujours m’en rappeler plus tard.

Dani passa un bras autour de la taille de Rahne et la rapprocha d’elle.

-Ouais, moi non plus je n’ai pas envie de perdre ce qu’on vit. C’est bizarre. C’était une année horrible sur beaucoup de points. Vraiment horrible, en fait, admit-elle. Mais le fait d’être là, avec vous tous… honnêtement, je ne pense pas avoir été aussi heureuse dans ma vie.

-Ah ouais ? Alors, c’est quoi ton chiffre ce soir ?

-Bah, là tout de suite, j’ai une magnifique louve de thérapie qui est à poil dans mes bras alors je dirais qu’il est à peu près à zéro.

Les deux amoureuses échangèrent un bref baiser.

-J’ai réfléchi à une solution pour les alliances, confia la rouquine.

-Ah oui ? Qu’est-ce que tu as décidé ?

Rahne écarta délicatement le bras de la jeune Cheyenne, le tint suspendu puis abaissa le sien le long de celui Dani de sorte que leurs avant-bras soient en contact.

-Ça te dirait de qu’on se fasse un même tatouage qui représenterait de l’aconit ? proposa-t-elle. Avec la plante qui s'enroulerait autour de nos bras, exactement pareil que nos rubans d’union ?

-Tu es sérieuse ?

-Je n’arrête pas de me dire qu’avec une vraie alliance, je risque trop de l’égarer en passant constamment de ma forme louve à ma forme humaine, expliqua Rahne. En revanche, je ne risque pas d’égarer un tatouage. En plus, tu te souviens de l’autre jour où on parlait des marques qu’on se laissait les uns aux autres ? Illy est tellement fière des cicatrices que tu lui as infligées. Mais toi et moi, celles qu’on a viennent d’évènements qu’on préfère oublier. Alors j’ai pensé : pourquoi ne pas nous faire une empreinte à vie avec quelque chose qui nous laissera toujours un super souvenir ?

-Tu veux sérieusement qu’on se fasse le même tatouage ?

-Ou je peux simplement te faire une morsure, suggéra Rahne en souriant.

Dani fut prise d’un fou rire.

-Oh, oui ! S’il te plait, mords-moi, gloussa-t-elle. Mon grand méchant loup va me dévorer.

-Et moi aussi, fit Rahne en grognant joyeusement.

-Oh, je n’en doute pas, continua Dani qui continua de glousser avant d’entremêler ses doigts dans ceux de son amoureuse. Je trouve que c’est une merveilleuse idée. Faisons ça.

-Il y a autre chose que tu veux qu’on fasse pour fêter cette première journée du Nouvel An ? demanda Rahne avant de jeter un coup d’œil à l’horloge sur la table de nuit. Il nous reste environ… deux minutes.

-Je pencherais bien pour une petite célébration en privé avec ma louve de thérapie, répondit la jeune brune qui se retourna soudain pour se positionner au-dessus de sa compagne. Je ne pourrais pas envisager une meilleure façon de commencer cette nouvelle année qu’en t’embrassant.

Le jeune couple partagea alors un long baiser. La jeune Amérindienne parcourut le visage de sa compagne, les yeux scintillants.

-Je t’aime, chuchota-t-elle. Ma belle et courageuse Rahne. Mon cœur. Mon âme. Mon miracle.

Comme elles le faisaient si souvent, Dani commença à réciter une variation de leurs vœux d’union en renouvelant constamment leur engagement envers l’une l’autre.

-Tu es le feu qui me réchauffe, la rivière qui m’abreuve, les griffes et les crocs qui me protègent, murmura-t-elle doucement. Je t’appartiens, à toi seule. Jusqu’à ce que mon dernier souffle quitte mon corps. Jusqu’à ce que mes jambes ne puissent plus courir. Je suis tienne et tu es mienne. Je t’aimerai pour le reste de ma vie.

Dani déposa avec taquinerie un baiser papillon sur les lèvres de Rahne.

-Et demain, je sens qu’on va faire une bonne grasse matinée, dit-elle en souriant.

Elles s’embrassèrent à nouveau, joignant leurs corps mais aussi leurs esprits. La jeune guerrière Cheyenne et la fille-louve des Hautes terres d’Ecosse ; deux âmes liées ensemble dans la joie la plus pure. Elles restèrent enlacées l’une contre l’autre jusqu’à ce que l’horloge annonce le début de la journée suivante.

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