Au-delà des Mers

Chapitre 2 : Clandestin

4294 mots, Catégorie: M

Dernière mise à jour 04/05/2021 09:01



Le lendemain, Mendoza tenait la barre, la mer faisait un caprice. Le vent était assez violent, et l’océan faisait piquer le navire de plusieurs mètres entre chaque vague. A part les marins, il n’y avait pas grand monde sur le pont. Toutes les personnes de « qualité » étaient calfeutrées dans leurs cabines. Calmèque fut content que ce premier grain ne se soit pas manifesté plus tôt durant leur voyage, sans quoi, par manque d’habitude, il aurait sûrement vomi ses tripes. Mais là, ça allait.

Mendoza était sérieux et attentif. Le moindre changement de direction du vent lui faisait lancer une série d’ordres à l’attention de l’équipage. Une grande partie de la voilure avait été affalée et quand la pluie se mit à tomber, le voilier prit des airs de chat mouillé.

Du coin de l’oeil, Calmèque observait le manège de deux mousses, toujours flanqués ensemble qui essayaient perpétuellement de tirer au flanc. Et il sentit que ça l’énervait beaucoup, sans doute une « déformation professionnelle ». Si ça n’avait tenu qu’à lui, mais il suspendit sa pensée. Il n’était plus commandant de rien du tout et les tire-aux-flancs n’étaient plus son affaire. Il se contenta donc d’hausser les épaules, impuissant.

La pluie se fit de plus en plus battante et la totalité des voiles furent tirées en riz.

-Calmèque ! cria Mendoza en fixant l’horizon des yeux. Va me chercher une corde solide ! Dépêche !

L’Olmèque, bien que ne comprenant pas l’objet de la manœuvre, estima qu’il n’était guère le moment de poser des questions idiotes et s’exécuta. Et c’est plus trempé qu’une soupe, les cheveux de son catogan collés à sa nuque et ses vêtements plaqués au corps qu’il retourna à l’intérieur à la recherche d’une corde. Il savait où en trouver, il en avait vu en masse dans les cales.

Quand il réapparût sur le pont, il lui sembla que la tempête s’était intensifiée. Il rejoignit Mendoza en hâte et celui-ci lui intima de l’attacher solidement à la base de la barre afin qu’il ne passe pas par-dessus bord. La tempête s’annonçait méchante et cette précaution n’était pas superflue.

Tandis que Calmèque obéissait, il ne manqua pas de lui faire remarquer qu’en définitive le premier attaché par l’autre n’était pas celui annoncé !

-Tu as de la chance que mes deux mains sont occupées, lui répondit l’Espagnol d’un ton monocorde. Maintenant fous-moi le camp.

-Vous êtes sûre ? S’enquit l’Olmèque.

-Dégage ! Tu n’y connais rien et la mer ne fait pas de cadeau aux amateurs !

A vrai dire, il se sentait mieux à l’intérieur qu’à l’extérieur et il trouva plus judicieux de ne pas ajouter quoi que ce soit, de peur qu’il change d’avis ! Il retourna donc au sec, sans demander son reste, laissant Mendoza et l’équipage de Diaz se dresser seuls contre les éléments.

« Mieux pour eux que pour moi. »

Les violents creux de vagues, propulsaient de bâbord à tribord tous ce qui se trouvait dans le bateau et revenir à la cabine fut plus compliqué que prévu, le ligotage de Mendoza prenait tout son sens.

Quand il entra, il ne remarqua pas de suite l’ombre qui se blottissait dans un coin de la cabine. Mais quand il la vit, il sursauta laissant échapper un petit cri de surprise, puis, une nouvelle facétie de l’océan le fit lourdement tomber de côté. Quand il réalisa qu’il devait s’agir du clandestin, il se mit en devoir de se relever et de s’en approcher pour mieux le détailler. Toujours en boule, le visage caché, visiblement terrorisé, il s’agissait d’un homme de petite taille et d’allure assez frêle. Les cheveux noirs coupés courts, les vêtements déchirés et troués de partout, crasseux. Calmèque fit la grimace et profitant d’une brève accalmie, il eut la présence d’esprit de fermer la cabine à clef.

-Je n’ai pas l’intention de vous dénoncer, dit-il à l’encontre de la silhouette tremblante. Sans quoi, je l’aurais déjà fait vous ne croyez pas ?

« Parlait-il seulement la même langue ? »

Il s’apprêtait à tenter une nouvelle approche quand un nouveau et terrible mouvement du navire le fit valser vers l’arrière, lui et le clandestin. L’instant d’après, ils étaient quasiment l’un sur l’autre, un peu sonnés. Mais dès que ce fut possible, le clandestin reprit ses distances. Il recula en rampant sous la lumière oscillante de la lampe à huile accrochée au plafond.

A présent Calmèque le voyait bien et quelque chose l’intriguait. L’autre aussi paraissait perplexe, il s’était figé et plissait les yeux en regardant l’Olmèque. Maintenant que leur centre de gravité était plus bas, les remous du bateau les affectaient moins. Un silence qui parût une éternité s’installa. Chacun comme essayant de percer le secret de l’autre. Brusquement les yeux du clandestin s’écarquillèrent.

« Calmèque » articula-t-il sur un ton abasourdi.

L’Olmèque plissa les yeux pour se concentrer sur ce visage qui lui était de tout évidence familier mais qui ?

D’un coup, ça lui revint ! Et le mot « Marinchè » s’étrangla dans sa gorge.

La tempête battait toujours son plein et les deux protagonistes se toisaient à présent, aussi stupéfait l’un que l’autre. Dans son souvenir elle était moins chétive et surtout plus « féminine ». Quel revirement. Plus rien à voir avec la Marinchè du passé. Il était réellement consterné.

De son côté, elle avait glissé jusqu’à atteindre le mur opposé et ils se faisaient à présent face, chacun assis et adossé à une paroi.

-J’te croyais mort, commença-t-elle, la voix éraillée.

-Idem, se contenta-t-il de répondre.

-J’ai bien failli, lui cracha-t-elle brusquement, le ton plein de ressentiment.

Il fit la moue. Calmèque se souvenait que lorsque ces trois-là avaient fait irruption dans leur base, ils étaient assez mal tombés. Et la délicatesse, niveau traitement, n’avait pas vraiment été de mise, il fallait le reconnaître. En même temps, à cette époque, les événements s’étaient enchaînés à la vitesse de l’éclair et il avait du prendre des décisions dans la hâte. L’incarcération de Marinchè, de celui qu’on appelait le Docteur et de Tétéola avait été dictée par les événements. Et puis, ils avaient débarqué avec leurs grands airs en faisant les malins, le ton mielleux et le geste condescendant, et l’hypocrisie, il avait horreur de ça !

Il se souvenait que, ne voulant pas statuer sur leur sort sans avoir le temps d’y réfléchir, il avait préféré les faire emprisonner, le temps d’y voir clair. La suite, on la connaissait. Mais qui aurait pu prédire que Marinchè s’en sortirait vivante ? Tout comme lui d’ailleurs ?

Une fois les regards de reproche copieusement échangés, ils consentirent à désarmer un peu.

-Je ne savais pas que « ça » avait des cheveux un Olmèque, ironisa-t-elle.

-Si seulement il n’y avait que ça que tu ne savais pas…, rétorqua-il.

Il la vit serrer les dents, l’air mauvais.

-Qu’est-ce que tu fous sur ce rafiot ? finit-elle par demander.

-C’est pas tes oignons, je crois que t’as des problèmes bien plus préoccupants, coupa-t-il, n’ayant absolument pas envie de commencer à rentrer dans les détails de son embarcation forcée. Et pour détourner la conversation, il préféra attaquer avant de se faire « encercler ».

-A commencer par ta dégaine et… il plissa les yeux dans sa direction. C’est des cheveux que t’as sur la tête ou un animal mort ? Il fit une grimace de dégoût. Ca expliquerait l’odeur…

-Figure-toi qu’il ne fait pas spécialement bon être une femme quand on voyage seule, siffla-t-elle. Les hommes sont des… porcs. Alors moins je ressemble à une femme, mieux je me porte !

Il la toisa des pieds à la tête.

-Je te rassure, c’est très réussi !

Silence… long, pesant. Marinchè devait tenter de se calmer un peu, elle nourrissait un pénible passif à l’égard de l’ex-Commandant mais en attendant, il ne s’était pas jetée dans le couloir pour la dénoncer et sans doute valait-il mieux ne pas lui donner envie de le faire. C’est alors qu’elle se mit en devoir d’essayer de l’amadouer en tentant de lui inspirer de la pitié. Elle prit une petite voix légèrement éteinte et une tête d’oiseau tombé du nid.

-C’est pratiquement un miracle que je sois encore en vie…

Calmèque soupira et roula des yeux vers le plafond.

-Épargne-moi ton numéro,… ces dernières années n’ont pas été une partie de plaisir pour moi non plus, tu n’as pas l’exclusivité des mauvais jours.

Comme le petit homme n’était pas dupe et qu’elle n’avait décidément pas l’énergie suffisante pour minauder assez longtemps que pour le faire plier, elle se laissa à nouveau submerger par son ressentiment et se fit cassante.

-C’est le cadet de mes soucis, c’est pas toi qui risque d’être jeté par-dessus bord !

Les yeux de Calmèque s’étrécirent.

-Non t’as raison, moi je risque juste d’être torturé et brûlé vif par des prêtres inquisiteurs fanatiques qui verront en moi l’incarnation du Diable dès que j’aurai mis un pied en Espagne.

-Et ce ne sera que justice ! cracha-t-elle. Nabot !

Calmèque s’apprêtait à lui rétorquer une horreur quand le destin vint lui prêter main forte.

On frappa à la porte et Marinchè blêmit en une fraction de seconde. Elle lança alors un regard de supplique à celui qu’elle venait d’insulter et celui-ci fit mine d’hésiter. Savourant le moment.

Puis il sourit et articula tout doucement dans sa direction :

-On fait moins la maline, hein ?...

On refrappa, plus fort.

« Est-ce que tout va bien ? »

-Oui, oui, pas de soucis ! répondit-il.

« Il faut que vous éteigniez votre lampe à huile, pour éviter les incendies ! »

-D’accord, je le fais de suite.

Et il lança un nouveau regard amusé à une Marinchè qui n’en menait pas large tandis qu’il se levait pour éteindre la lumière.

Quand la lumière disparut, Marinchè se serra instinctivement contre le mur. Elle jeta un coup d’œil à l’ouverture plus sombre dans le plancher par laquelle elle était arrivée, et envisagea un instant de s’y fondre. Mais elle avait mal partout, ses articulations la faisaient souffrir et le réduit dans lequel elle se terrait depuis plus d’un mois était humide et froid. Elle avait besoin de reprendre un peu « son souffle » hors de cet enfer, ne fut ce que quelques heures.

De son côté, Calmèque, toujours détrempé, avait du consentir à se rassoir par terre pour ne pas mouiller sa couchette. Et un moment, ce fut tout. La petite joute verbale entre eux deux avait pris fin, comme absorbée par l’obscurité. Et le silence avait repris ses aises, tout juste perturbé par les grincements du bateau malmené par l’océan. La lampe à huile couinait en se balançant au plafond et si on tendait l’oreille, on pouvait entendre des marins s’affairer sur le pont, des bruits de poulies et de cordages, la pluie ininterrompue aidée par le vent qui déversait son mépris en rafales à la gueule de l’orgueilleuse embarcation humaine.

Un tintamarre lointain.

Le petit Olmèque se sentait las. Cette situation avait quelque chose d’irréel et il se demanda un moment s’il n’allait pas se réveiller. Il ferma les yeux. Il n’avait plus envie de penser à rien. Et pourtant… « Torturé et brûlé vif par les prêtres fanatiques… » c’était la première fois qu’il arrivait vraiment à verbaliser cette peur et ça la rendait plus réelle.

Au bout d’un long, très long moment, la voix un peu calmée de la miss tinta de nouveau au milieu des ténèbres.

-C’est Mendoza qui est là-haut ?

Calmèque ré-ouvrit un œil et ne lui répondit qu’au bout d’une bonne minute.

-Oui.

-Je l’ai reconnu sur le port quelques jours avant de me faufiler à bord, dit-elle. Y’a pas mal d’aristos sur ce bateau… ils ont du mettre le prix pour que Mendoza soit leur navigateur.

Elle avait dit ça à la façon de quelqu’un qui pense tout haut. Sa voix était à peine audible. Sans doute à cause de la fatigue mais aussi pas peur de se faire entendre. Quoi qu’avec la tempête qui faisait rage, il y avait peu de chance pour que quelqu’un entende quoi que ce soit.

-Un si long voyage est toujours plus prudent sur un navire bien entretenu et avec un bon navigateur… conclut-elle presque pour elle-même.

Calmèque avait effectivement entendu Mendoza discuter avec un jeune homme quelques temps plus tôt lui expliquant qu’il avait patienté près de 2 mois au port de Lima avant de voir arriver un bateau apte à tenir la mer jusqu’en Espagne. C’est alors qu’il s’était fait connaître auprès du Capitaine et que celui-ci avait été enchanté d’annoncer à ses augustes passagers que leur Navigateur, s’ils y mettaient le prix, pourrait être un des meilleurs d’Espagne. Les aristocrates s’en étaient félicités et n’avaient pas hésité à y aller généreusement de leur poche, le Capitaine Diaz ayant raflé sa commission au passage.

« Y’a pas de petit profit. »

Ils en étaient tous les deux là… devenus muets après avoir craché leur fiel, adossés aux parois de la cabine, les yeux dans le vague, perdus dans leurs pensées, aussi brisé l’un que l’autre, conscients de marcher inexorablement vers une destinée peu enviable.

Calmèque fut pris d’un frisson, puis deux et au troisième, il décida d’ôter sa veste et sa chemise toujours plaquées par l’eau contre sa peau. De suite, Marinchè ne discernant pas grand-chose dans le noir s’inquiéta.

-Qu’est-ce que tu fous ?

Sa voix était à nouveau plus incisive.

-Je suis détrempé et j’attrape froid, c’est un crime ?

-Reste bien de ton côté, ne put s’empêcher de menacer l’Inca.

L’Olmèque leva une nouvelle fois les yeux au ciel.

-J’ai des défauts, mais je ne les ai pas tous, soupira-t-il d’une voix désabusée.

Et comme pour achever de la rassurer, il ajouta :

-Et puis sans vouloir te vexer, dans ton état tu ne donnes pas fort envie.

La fin de sa phrase se fondit dans une sorte de petit rire moqueur. Il s’en voulu presqu’aussitôt, mais elle l’avait cherché. Et puis même en guenilles et pouilleuse elle conservait une sorte de suffisance naturelle qui l’insupportait.

Il l’entendit se renfrogner dans son coin sans demander son reste. Il posa sa tête contre le bois de sa couche et tira à lui le tissu râpeux qui lui servait de couverture. Il frissonna encore une dizaine de minutes puis sentit que la fatigue le gagnait.

« Torturé et brûlé vif… »

 Il fallait qu’il pense à autre chose… 

Il se réveilla en sursaut. La tempête semblait avoir laissé place au calme.

On frappait à la porte. Lourdement. Il fallut qu’il soit dans un profond sommeil pour ne se réveiller que maintenant.

-Calmèque bon dieu ! Ouvre cette porte ou je l’enfonce !

Mendoza n’avait pas l’air de bonne humeur. Il se tourna et découvrit une masse figée sous les draps de sa couche.

« Elle manque pas d’air ! »

Il se releva, un peu raide et dégagea le loquet de la porte en se tenant la nuque.

Le regard courroucé de Mendoza l’accueilli.

-On peut savoir à quoi tu joues ?

Il lui tourna le dos, peu enclin à se faire engueuler une fois de plus et ralluma la lampe à huile. Sans un mot il récupéra ses effets restés à terre, parfaitement secs à présent, et se rhabilla sans hâte.

Mendoza était maintenant statufié devant la forme planquée sous les draps. Muet de stupeur. Ensuite, les yeux de Mendoza convergèrent dans la direction de l’Olmèque. Comme la porte de la cabine était restée grande ouverte, sentant le coup de semonce arriver, Calmèque, suivi du regard par le navigateur, referma la porte tout en reboutonnant sa chemise. Puis l’Espagnol parvint à articuler.

-Pendant que je risque ma vie, monsieur s’envoie en l’air ?

Calmèque affichait une expression étrange et ne répondit rien tandis que l’Espagnol en deux enjambées avait rejoint la couche et arraché le drap avec humeur.

Dès qu’il vit ce qui se cachait dessous, il détourna le regard et pris un air dégouté.

-Et avec un homme en plus, tu me répugnes.

Calmèque se contenta d’afficher une petite moue étrange, la situation avait quelque chose de cocasse, mais son intuition lui prédisait qu'elle risquait de devenir explosive d'ici peu, aussi jugea-t-il le moment opportun pour aller voir ailleurs.

-Je… j’ai besoin de prendre l’air, ça me fera du bien, assura-t-il en ré-ouvrant la porte, alors qu’il finissait de remettre sa chemise dans son pantalon.

-Toi, tu restes ici ! ordonna le navigateur.

Mendoza s’apprêtait à le rattraper quand la voix de Marinchè l’arrêta net dans son élan. Il se retourna comme un automate.

« Cette voix… »

On entendit les mouches voler.

Marinchè était misérable, les yeux implorants en direction de l’Espagnol. Elle avait l’air d’un chien battu. Les cheveux coupés trop courts, n’importe comment et de surcroit dégoutants. Couverte de plaies plus ou moins visibles sous ses guenilles crasseuses, elle était très amaigrie et avait le teint cireux. Elle tremblait, sans doute de peur, mais aussi peut-être de froid. On aurait dit qu’elle allait se mettre à pleurer. Elle faisait vraiment pitié.

« Quelle comédienne ! » se dit Calmèque.

Et c’est, profitant de cette diversion, qu’il s’éclipsa en silence.

Mendoza le retrouva accoudé au bastingage sur le pont près de la proue, plus de deux heures plus tard. Le soleil crevait les nuages ici et là et il ferait sans doute beau d’ici peu.

Il s’accouda à côté de lui, la moue aux lèvres. Un rayon de soleil plus hardi que les autres parvint à se frayer un chemin à travers la trame nuageuse et vint frapper leurs visages un instant, puis le reste du pont avant de disparaître, happé par le ciel.

-Tu sais que de dissimuler un clandestin est passible du même sort que celui de l’incriminé.

Sa voix était calme. Presque trop.

-Vous dites ça pour moi ou pour nous ?

L’Espagnol observa le silence encore un moment, comme cherchant lui-même la décision à adopter.

-Il reste encore deux bons mois de traversée, quelqu’un finira forcément par remarquer sa présence, déjà qu’il y a des soupçons.

-Oh Mendoza, je ne vous imaginais pas si poltron. Comme si ils allaient balancer leur navigateur à la flotte.

-Premièrement après avoir dépassé le Détroit de Magellan, n’importe quel marin expérimenté sera en mesure de mener ce navire à bon port. Et puis deuxièmement, il s’interrompit.

-Oui ? Et puis deuxièmement ?

-Laisse tomber !

Mais loin de laisser tomber, Calmèque vissa ses yeux dans ceux de l’Espagnol et attendit. Bien décidé à savoir.

Mendoza fit mine de ne rien remarquer mais savait qu’il en avait trop dit ou pas assez. Agacé, il lâcha le morceau.

-Deuxièmement, cette femme n’en vaut pas la peine. C’est une vipère qui ne manquera pas de nous poignarder dans le dos dès que la direction du vent aura changé.

Calmèque eut un rire amusé.

-A vous entendre, vous la détestez encore plus que moi.

Mendoza serra le poing sur le bastingage comme pour appuyer ses dires.

-A côté d’elle, t’es un enfant de chœur. Marinchè est une salope qui n’a pas une once de principe ! Et il est hors de question que je risque ma peau pour elle !

Une sorte de colère excessivement bien contenue animait Mendoza et Calmèque se fit la réflexion que l’Espagnol ne l’avait pas habitué à un tel comportement. Il fallait que son ressentiment soit profond pour réagir de la sorte. Il le dévisagea alors un long moment avant de replonger son regard sur la ligne d’horizon, au loin. Mendoza n’avait peut-être pas tort. Après tout, ils ne lui devaient rien à cette nana. Et pourtant… une forme d’intuition bizarre ne le quittait pas.

-Mais…, tenta d’argumenter l’Olmèque.

-Non ! trancha sèchement Mendoza. Elle retourne dans son réduit et on ne l’a pas vue ! Sinon je te jure que vous laisse tous les deux servir de hors d’œuvre aux requins !

Le petit homme soupira bruyamment, comme pour attester de sa résignation, mais n’en pensait pas moins.

-A vos ordres… obtempéra-t-il.

Mendoza s’attendait à ce que cette histoire fasse encore des remous, et passablement énervé par le risque que l’Olmèque leur avait fait courir, il partit se calmer à l’autre bout du pont, feignant de surveiller le cap.

Et le soleil sortit son nez pour de bon.

Calmèque en profita pour détacher ses cheveux, qui maintenus en catogan restaient humides depuis la veille.

Il les avait aussi lisses qu’un asiatique mais dénués de pigmentation, ils étaient d’un blanc immaculé. C’était malheureusement loin d’être le cas de sa chemise. Il la trouvait grisâtre et les manches en étaient un peu trop froissées à son goût. Il passa deux trois fois ses mains dessus en vain, le vêtement était sec, il aurait fallu le remouiller et…

« L’hygiène et la propreté étaient de vrais problèmes sur ce rafiot. » pensa-t-il.

Il s’étira alors discrètement, il se sentait courbaturé de partout pour avoir dormi assis. Sa nuque lui faisait mal et ne parlons pas de son dos. Il se dit alors que l’Espagnol avait vraisemblablement passé une nuit blanche et lui lança un regard. Il plissa les yeux, le soleil commençait à bien taper. Mendoza n’était plus là. Peut-être était-il parti rejoindre le quartier des officiers ou la cabine du capitaine afin de prendre son petit déjeuner.

Tandis qu’il laissait vagabonder ses pensées en scrutant le large, une voix le héla poliment.

-S’il vous plaît ?

Il se retourna et découvrit une jeune femme cachée sous une ombrelle. Elle était vêtue de foncé et sa peau était diaphane. Elle avait le port altier et un petit accent indéfinissable. Il lui sembla qu’elle souriait, mais il n’en était pas sûr. Elle détourna lentement la tête, les yeux dans le vide.

« Mmmm» souffla-t-elle.

Puis elle le regarda à nouveau et lui tendit d’un mouvement délié, une lettre cachetée à la cire.

-Vous remettrez ça à votre maître, Le Navigateur.

Un peu perplexe, Calmèque se saisit de la missive tandis que la jeune femme s’en retournait déjà vers les cabines. Il observa le bout de papier, protégé de la curiosité par un imposant cachet aux armoiries très ouvragées.

Une invitation galante ? Sans en être le moins du monde surpris, il avait pu constater que l’Espagnol avait son succès auprès de la gente féminine, il ne put malgré tout cacher son étonnement. D’ordinaire, les mœurs voulaient que ce soit l’homme qui fasse le premier pas et non l’inverse. D’autant que la demoiselle en question semblait de toute première « qualité ». Pas une de ces filles de mauvaise vie aux allures peu ragoutantes ou encore une courtisane qui une fois le fard et les atours ôtés sentait la luxure de la veille et les emmerdes du lendemain.

Calmèque ignorant où se trouvait Mendoza, décida de profiter du soleil encore un moment avant de partir à sa recherche. Après tout « Dame Ombrelle » n’avait pas précisé que le pli était urgent.

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