En ce jour de printemps

Chapitre 1 : En ce jour de printemps

Chapitre final

2192 mots, Catégorie: G

Dernière mise à jour 24/01/2023 19:56

En ce jour de printemps, au château de Moulinsart, le capitaine Haddock lit son journal. Fumant sa fidèle pipe accompagnée de son Whisky onéreux habituel dans son rocking-chair, il savoure le calme des lieux en s’informant des nouvelles du jour concernant sa région.

               Arrivé aux environs de midi, la sonnette de la porte du château retentit. Le capitaine ne bouge pas d’un pouce puisque son majordome, Nestor, est là pour aller ouvrir. D’ailleurs, ce dernier est fort surpris de constater que la personne qui vient de sonner, n’est autre que le célèbre rossignole milanais, Bianca Castafiore.

               Habillée plutôt sobrement, pour la première fois et seule, ses mains jointes tranquillement devant elle, elle incline calmement la tête vers l’avant en énonçant d’une voix étonnamment douce et mesurée :


« Bonjour mon cher Nestor. Comment allez-vous en ce merveilleux jour de printemps ? dit-elle en accompagnant ses paroles d’un grand sourire. »


               Bouche bée, Nestor ne répond pas tout de suite. Trop désarçonné par l’attitude de la cantatrice qui est aux antipodes de sa façon d’être habituel. En effet, cette dernière a pour habitude de s’engouffrer dans le château à peine la porte d’entrée ouverte sans demander son reste et en hurlant qui plus est. Mais, sa conscience professionnelle le rattrapant, il se reprend très vite et répond de manière correcte et poli :


« Oh ! Madame Castafiore ! Ahem… Eh bien je vais très bien merci… Et vous-même ? Que nous vaut cette agréable visite ?

—     Rien de bien particulier mon cher Nestor. Je venais prendre des nouvelles de mon cher ami le capitaine Haddock, continue la Castafiore sur le même ton du début. »


               Nestor n’en croit pas ses oreilles. La célèbre cantatrice a-t-elle vraiment énoncé le nom du capitaine Haddock correctement ? Cela le foudroie presque sur place. Il constate également que la dame est venue seule et non avec ses serviteurs, chose qui n’est jamais arrivé jusque-là. Au contraire, ses visites sont en générale de véritables déménagements. Quoiqu’il en soit, le majordome est complètement effaré par tant de changements de la part de son interlocutrice. Il se demande même si ça n’est pas une imposture mais soudain il se rend compte de son impolitesse à laisser la dame ainsi devant le pas de la porte. D’ailleurs son étonnement grandit lorsqu’il voit que cette dernière ne le réprimande pas. Rapidement, il s’écarte dans une légère révérence pour lui libérer le passage et s’éclaircit la gorge devenue complètement sèche tellement il est abasourdi.


« Oui Mr Haddock est bien présent aujourd’hui. Entrez ! Je vous prie et laissez-moi prendre votre manteau — Il l’accroche au porte manteau tout en cachant comme il peut son désarroi puis ajoute en accompagnant d’un geste élégant la direction où se trouve le capitaine — Mr Haddock est au salon. Je vous en prie, suivez-moi »


               Il escorte alors Mme Castafiore jusqu’à la salle énoncée où le capitaine Haddock lit toujours son journal. Il ne se rend compte de la présence des deux protagonistes qu’une fois que Nestor lui annonce de sa voix la plus calme et distincte possible :


« Monsieur… Voici Mme Castafiore monsieur. Qui est venue vous rendre visite, monsieur »


               Nestor s’éclipse alors que le marin qui boit à ce moment-là une gorgée de sa boisson fortement alcoolisée, manque de s’étouffer en entendant Nestor parler de la cantatrice. Il reste immobile un instant en se demandant s’il n’est pas devenu sourd.


« MILLE MILLIONS DE MILLE SABORD ! Où est le bruit ? BOIT SANS SOIF ! Pourquoi je ne l’ai pas entendu ? BRIGANT ! Pourquoi je ne l’entends pas ! TONNER DE BREST ! »


               Les pensées du pauvre capitaine sont en train de lui vriller silencieusement le cerveau tandis que la Castafiore est à présent venue à lui.


« Mr Haddock ? Est-ce que vous allez bien ?, elle demande d’une voix douce et toujours très mesurée.

—     AAAAAAAH ! Mille sabord ! crie en sursautant le vieux loup de mer. Ha… Haddock ! vous avez bien dit HADDOCK ? »


               Ils se dépêche de sortir de son rocking-chair et s’éloigne peu à peu en dévisageant la cantatrice, de haut en bas, refusant l’idée que ça soit elle. Pas avec une voix si calme, mesurée et douce. Cela lui est inconcevable. Finalement, voir alors que c’est bien elle, avec sa grande taille imposante et sa grande chevelure blonde, le rend maintenant complètement pantois. Les yeux ronds, il se demande où sont passés tous ses bijoux extravagants qu’elle accroche habituellement un peu partout sur elle, ressemblant à un vrai sapin de noël, ou encore ses chapeaux immenses qui la font ressembler à une grande tour de contrôle manquant de s’écrouler à chacun de ses gestes.


« Allons ! Mr Haddock, calmez-vous je vous prie. Il n’est pas bon de vous mettre dans des états pareils ! »


               La voix de la Castafiore était empli de sollicitude et d’une douceur qui sonne bien trop faux pour notre pauvre capitaine Haddock qui croit encore à une blague.


« AH AH AH ! Explose-t-il soudain de rire. Tintin ! Mais oui c’est encore une de ses blagues j’en suis sûr ! AH AH AH ! Mille milliards de mille millions de mille sabords ! Sacripant ! Où es-tu marin d’eau douce ? »


               Haddock cherche maintenant de partout dans son grand salon dans l’espoir de trouver son ami Tintin caché derrière un rideau ou bien sous une table.


« Mr Haddock… Allons… C’est moi Bianca Castafiore ! Calmez-vous et laissez-moi vous expliquer ! »


               Elle insiste alors en venant prendre délicatement le capitaine par le bras pour l’amener s’assoir sur un des grands canapés présents. Une fois posée l’un en face de l’autre, la Castafiore qui semble rougir un peu lui dit d’une voix claire, douce et aucunement chantante :


« J’ai lu dans Paris Match que les hommes aimaient les femmes discrètes. Vous ne le savez peut-être pas mon cher Haddock mais je vous ai toujours porté dans mon cœur, elle lui sourit tendrement avec une pointe d’appréhension dans son regard. »


               Le capitaine devient aussitôt rouge comme une tomate. La gorge sèche, il cherche difficilement sa salive et aussi un peu d’air pour se remettre de l’émotion inconnue qui vient de l’envahir. Complètement désarçonné, il ne sait que penser de tout cela. Est-ce une supercherie ? Ou simplement la vérité ? La dame que l’on surnommait le rossignol milanais a-t-elle vraiment décidée de changer pour les beaux yeux de notre vieux loup de mer ? Le marin prend alors son courage à deux mains puis répond d’une voix tremblante :


« Madame Castafiore — commence-t-il en s’éclaircissant la gorge — Je dois avouer que… euh… je suis relativement touché par votre révélation. En effet, je nourris moi-même des sentiments à votre égard depuis bien longtemps seulement… ça n’est pas vous vous voyez.

—     Comment ça Mr Haddock ? Bien-sûre que c’est moi !

—     Oui. Enfin en apparence oui mais… pour être honnête… »


               Le vieux loup de mer marque une pause pour réfléchir à si ce qu’il s’apprête à avouer à son tour est bien judicieux puis après avoir tourné un long moment autour du pot il conclut :


« Je… suis tombé amoureux de vous bien avant ce changement soudain que vous m’offrez aujourd’hui… bon il est vrai que je pestais et râlais beaucoup mais c’était ce qui faisait le charme de notre duo si je puis dire… »


               Le capitaine dont le cœur bat à cent à l’heure marque une nouvelle pause, entraînant ainsi un lourd silence dans la pièce. La Castafiore reste stoïque un instant après l’avoir écouté attentivement, un sourire se dessinant doucement sur son visage jusqu’à ce qu’il montre toutes ses dents. Puis soudain, comme sortit de nulle-part, sa voix de crécelle et roucoulante résonne comme une sirène d’alarme qui monte progressivement dans les aigus au fur et à mesure de sa phrase.


« OOOOOOOH ! CAPITAINE BARTOK ! Pourquoi ne me l’avez-vous pas dit avant ! »


               Elle ouvre ses bras de tous leurs longs et enlace le capitaine pour l’étouffer dans une étreinte serrée qu’elle balance de gauche à droite en hurlant sa joie. Le loup de mer se débat alors regrettant déjà sa décision.


« Oh je sais ! Pour fêter cette nouvelle je vais vous interpréter mon fameux air des bijoux de Faust ! Oh mais ! Irma ! Wagner ! Doux jésus ! Votre téléphone ! »


               Transformée désormais en véritable tornade, Bianca Castafiore se dirige vers l’appareil et s’en empare sans aucune gêne pour appeler ses serviteurs. Elle leur crie au bout du fil de rappliquer immédiatement au château de Moulinsart et de ne surtout pas oublier ses affaires personnelles. Elle raccroche avec force puis commence quelques vocalises rapides avant d’enclencher la chansonnette telle la grande cantatrice d’opéra qu’elle est :


« AAAAAAAHaaaaaaahAaaaah ! AaaaaAAAAAh ! Je ris ! De me voir si belle ! En ce miroir ! Ah ! Je ris ! De me voir si belle ! En ce miroir… »


               D’un accent italien au « r » roulé, sa voix est imposante et ses gestes très grands. Pendant ce temps, le capitaine la larme à l’œil et plein de désarroi, s’est levé d’un bond quand elle a annoncé qu’elle compte chanter. Horrifié désormais, c’est au tour du capitaine de crier de sa voix tonitruante et de faire de grands gestes :


« OH NON ! CALAMITE ! CATACLYSME ! BRANLE-BAS DE COMBAT ! SAUVE QUI PEUT ! »


               C’est ainsi qu’il quitte la pièce en courant, manquant de renverser Nestor qui est revenu en urgence pour voir si tout se passait bien pour le capitaine lorsqu’il a entendu la Castafiore commencer à chanter. Il s’inquiète alors pour son maître et regarde la cantatrice une main sur sa joue et la tête faisant non de droite à gauche :


« Oh pauvre Monsieur… Mon pauvre Monsieur… il énonce discrètement dans sa barbe. »


***

               

Mot de l’auteur : Pour les grands connaisseurs des BD de Tintin, il y a quelques mots dans mon récit qui sont en rapport avec un des titres des albums du Fandom et qui vous permettra de déchiffrer ce qui suit :


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