Les obsèques

Chapitre 1 : Les obsèques

Chapitre final

2197 mots, Catégorie: K+

Dernière mise à jour 14/03/2020 17:58

Les obsèques

C’était une nuit sombre et orageuse ; La pluie tombait à torrents – sauf par intervalles occasionnels, lorsqu’elle était rabattue par un violent coup de vent qui balayaient les rues, crépitant le long des toits, et agitant violemment les maigres flammes des lampes qui luttaient contre l’obscurité, quand le téléphone de l’immense château de Moulinsart sonna. Le capitaine Haddock prenait son digestif, lorsque Nestor son majordome vint à lui, pour lui annoncer une terrible nouvelle.

***

Au –delà des soupirs de Isabelle Callis-Sabot… C’était le poème que le capitaine Haddock avait décidé de lire en cet instant tragique. N’étant pas doué pour montrer ses sentiments, il avait choisi ce poème qui décrivait parfaitement ce qu’il ressentait. Le capitaine Haddock s’approcha donc du pupitre après le sermon du révérend. Il contempla l’église qui était pleine à craquer en se tenant droit et fier comme un roc. Après tout, un loup de mer de son rang ne pouvait pas se permettre de flancher. Dans un raclement de gorge qui lui permit d’avoir une excellente élocution, il s’exclama face aux nombreux visages meurtris.

« Je ne suis pas doué pour les discours, commença-t-il. Alors je vais me contenter de vous lire un texte que j’ai trouvé dans un des recueils de poèmes de notre défunt ami. »

Il respira un grand coup et lut :

« Je n’ai pu t’adresser un regard, un sourire,

Tu es partie trop vite et sans me prévenir…

Immense est mon regret. Je voudrais te le dire

Au-delà du chagrin, au-delà des soupirs. »

Il s’arrêta un instant pour faire disparaître ses satanés sanglots qui s’emparaient progressivement de sa voix pour reprendre :


« Ta mort hante ma vie. Pour combler ton absence

Sans cesse je remue de précieux souvenirs.

Je trouve un réconfort en trompant ma souffrance

Au-delà du chagrin, au-delà des soupirs. »

Des pleurs retentissaient contre les parois de l’église. Tout le monde avait trouvé ce texte très beau, et venant de la part du capitaine Haddock, qui n’avait que très rarement mis son nez dans un livre, c’était un geste lourd de sens pour ses amis proches. Le cercueil se tenait sur sa droite, une partie ouverte et l’autre fermée, ainsi qu’un deuxième plus petit qui lui, était entièrement clos. Des tonnes de fleurs trônaient aux alentours de ces boîtes en bois vernis, qui renfermaient chacun un corps inerte et sans vie. Cela témoignait de l’amour qu’on portait aux défunts. Un amour qui pour le capitaine n’était pas quantifiable, tellement ces êtres avaient fait le bien autour d’eux. Puis soudainement, il estima que ce simple texte ne suffisait pas pour témoigner de la grandeur d’âme du plus grand des deux défunts. Alors il partit dans une tirade :

« Tintin était un jeune homme talentueux et brillant. C’était un passionné de son métier de reporter qui se transformait à chaque fois en une enquête policière. Courageux, téméraire et curieux il avait toujours le don de se fourrer dans de sacrés pétrins, mais il aimait ça, chose que je n’ai jamais compris. Et le pire dans tout ça, c’est que malgré lui, il avait le chic pour m’embarquer dans ses histoires rocambolesques. Bien-sûr, je râlais, mais il était inconcevable pour moi de le laisser partir seul. Je pourrais vous parler des heures de Tintin, mais hélas le temps nous est limité. Alors je vais conclure en vous disant que cet homme là — Il appuya ses dires en montrant sûrement de son index le corps du défunt — Aussi jeune soit-il, était et restera un des plus grands hommes que je n’ai jamais connu. Reposez en paix mon bon ami. »

Il s’éloigna du pupitre et tant pis pour son image de capitaine fort et fier, ses larmes coulaient, humidifiant son épaisse barbe noire. Il ne pouvait désormais plus le cacher. Il s’assit sur une des chaises et ne dit plus un mot jusqu’à la fin du sermon final.

Tintin avait considérablement changé sa vie. Le capitaine Haddock était une véritable loque le jour où il avait rencontré le jeune reporter. Son paquebot avait été pris subrepticement d’assaut par un scélérat qui se prétendait être son ami. Ce crétin des alpes comme il aimait l’insulter, s’était révélé être un important contrebandier qui utilisait son navire pour transporter de la drogue. Connaissant la faiblesse du capitaine pour l’alcool, il s’était contenté de lui en fournir à volonté afin qu’il le laisse tranquillement faire ses affaires.

Ce fut quand il cuva son énième bouteille de whisky, quand il fut au fond du gouffre, que Tintin était apparu. Une rencontre brusque et douloureuse puisqu’en voulant se faufiler par le hublot étroit qu’offrait la chambre du capitaine, le jeune reporter lui était tombé dessus les pieds dans la tête.

Et voilà que la première de leurs nombreuses aventures commença, dans un désert de l'Afrique du nord. La principale chose bénéfique que Tintin avait faite pour le capitaine, avait été de le soigner de son addiction pour l’alcool. Et dès ce moment-là, il avait commencé à s’attacher à ce petit bout de garnement. Car il était bien plus jeune que lui mais tellement mature et intelligent pour son âge.

Ensuite, si le capitaine vivait dans le château de son ancêtre, le chevalier de Haddock, c’était aussi grâce à Tintin, qui l’avait aidé à élucider le mystère autour du trésor, que l’ancêtre avait caché il y a des siècles de cela. Nestor, qui était déjà majordome de la propriété avait décidé de lui prêter allégeance et était devenu un être sur qui il pouvait toujours compter.

Le regard vague du vieux loup de mer, se dirigea vers les différentes personnes qui s’approchaient du défunt pour lui rendre un dernier hommage. Le capitaine s’adressa alors par la pensée à son ami.

« Ces chers Dupont et Dupond. De sacrés olibrius que vous m’avez fait rencontrer là. Maladroits et pas du tout doués pour enquêter. Ils ne voient jamais plus loin que le bout de leur nez ces deux zouaves. Regardez mon bon ami, comme ils sont effondrés devant votre cercueil, pleurant toutes les larmes de leur corps l’un contre l’autre. Et ce cher Tryphon Tournesol… Lui aussi est déboussolé. Bianca Castafiore quant à elle ne le montre pas, mais je l’ai vu s’essuyer discrètement des larmes, par-ci, par-là. Une grande dame courageuse qui n’aimait pas qu’on la pense vulnérable, sans aucun doute. Finalement quand j’y pense, c’est grâce à vous si je connais tous ce beau monde. Sans vous, c’est moi qui serais six pieds sous terre, au vue des litres d’alcool que je buvais. »

Il posa ensuite son regard sur le plus petit des cercueils. C’était Milou. Le compagnon fidèle par excellence. Tintin et lui avaient un lien bien plus fort que celui qui liait un maître et son chien, le capitaine trouva donc normal de lui offrir un cercueil à lui aussi. Milou avait sauvé plusieurs fois la vie de Tintin. La sienne aussi, comme la fois où ils avaient été enseveli par une avalanche lors de leur périple au Tibet. Le chien blanc était allé trouver de l’aide dans un temple de moine. Il avait défendu son maître contre vents et marais des milliers de fois sans jamais fléchir. Comme le célèbre adage l’affirme, « Tel maître, tel chien » prenait carrément tout son sens lorsqu’on les connaissait. Il était tout aussi fiable et courageux que son défunt maître.

Bianca Castafiore le sortit de ses pensées :

« Capitaine Kapock, roucoula-t-elle d’une voix étonnamment douce et posée. Nous devons partir. Ils vont emporter les corps. 

Alors ça y’est… dit-il dépité. Cette fois c’est vraiment fini… »

Tant que le jeune homme était sous ses yeux, c’était comme s’il était encore là mais maintenant que les croquemorts chargeaient les cercueils dans leur corbillard, il se rendit compte qu’il ne reverrait plus jamais cette houppette aux cheveux roux. Il ne verrait plus ce regard qui le réprimandait lorsqu’il allait trop loin dans ses propos, ni son éclatant sourire lorsqu’il avait résolu une énigme en criant « Eurêka ! J’ai trouvé ! ». Ces souvenirs étaient comme un brouillard qui persistait autour de lui, mais plus le corbillard s’éloignait plus la brume se dissipait.

Devant le désarroi du capitaine, Bianca Castafiore le prit aussitôt sous son aile. Elle lui tint le bras tout le long du trajet allant au cimetière, jusqu’à la mise en terre du cercueil. Le capitaine Haddock ne pouvait s’empêcher de penser au fur et à mesure que le cercueil s’enfonçait dans ce trou qui accueillait le corps de son ami.

« Tintin… Comment cela a-t-il pu vous arriver mon bon ami ? Vous qui étiez tellement jeune, vous aviez encore tellement de chose à découvrir. Toutes ces aventures que nous avons vécu ensemble, certaine malgré moi c’est vrai, m’ont permis de découvrir qu’un vieux loup de mer solitaire était capable de s’attacher. Vous étiez insouciant, courageux et téméraire, et qu’est-ce que ça m’agaçait ! Mais en réalité c’était la peur qui me faisait parler, car en fait je ne vous l’ai jamais dit, et aujourd’hui je le regrette, je vous considérais comme un fils. »

La main de la Castafiore quitta son bras ce qui le sortit de sa tirade. Ainsi une rose fut jetée, puis deux, puis ainsi de suite jusqu’à ce que le capitaine jette la sienne. Il était maintenant temps de recouvrir le cercueil de terre.

« Je vous admirais Tintin, vraiment. Vous étiez brillant, aimable, avenant… Un jeune homme plein d’entrain avec qui on ne s’ennuyait jamais. Nous pouvions encore tellement vivre de choses ensemble. Mais cet accident de malheur vous a emporté. Un banal accident d’avion pour une nouvelle fois écrire un article de journal qui aurait fait fureur. C’était votre métier je le sais et vous aimiez ce métier, ce que je respecte, mais aujourd’hui c’est ce métier qui a causé votre perte. »

Le cimetière commençait à présent à se vider peu à peu jusqu’à ce qu’il ne reste que le capitaine Haddock et la Castafiore qui continuait à le soutenir par le bras.

« Capitaine, nous devons y aller, dit-elle de sa voix snob mais mesurée.

Oui encore un instant s’il vous plaît, lui répondit-il de sa voix rauque.

Je vous attends à la voiture, répondit-elle compréhensive. »

Et le capitaine reparti dans son monologue de pensée :

« Comment la vie peut-elle être aussi injuste ? Je sais que je ne suis pas le seul à avoir perdu un être cher. D’autres personnes en ont perdu comme d’autres continuent d’en perdre tous les jours, mais pas vous Tintin ! Je ne peux pas me résoudre à accepter votre départ. Après tout ce qu’on a vécu ! On est allé sur la Lune ! On est parti en antarctique à la découverte d’une nouvelle météorite ! Je vous ai accompagné pour visiter l’épave de mon ancêtre ! Nous avons fait trop de choses ensemble pour que ça se finisse comme cela. C’est moi qui devais partir avant vous Tintin ! N’était-ce pas l’ordre des choses que de voir un père partir avant son enfant ? Car oui Tintin, comme je vous l’ai dit plus tôt, je vous considère comme mon fils. Vous m’avez changé et rendu plus sociable malgré mon satané caractère et ça sera sûrement grâce à cela que je ne finirais pas seul et aigri le jour où mon heure viendra. Je vous remercie pour tout mon cher ami. Vous resterez à jamais gravé dans ma mémoire et dans mon cœur.»

Le capitaine tourna le dos au caveau et s’en alla pour laisser le personnel du cimetière finir leur travail. Lorsqu’il arriva à hauteur de Bianca Castafiore, elle lui dit avant de monter dans le véhicule :

« La douleur passera avec le temps mon cher capitaine.

J’imagine bien oui, mais quand ? »

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