Le plus puissant des muscles

Chapitre 1 : Le plus puissant des muscles

Chapitre final

1919 mots, Catégorie: K+

Dernière mise à jour 15/11/2024 18:05

Cette fanfiction participe au Défi d’écriture du forum de fanfiction.fr de novembre-décembre 2024 : Briser la glace




Un cercle de curieux s’était formé autour de l’affrontement. Braum se mêla à eux. Il avait entendu les rumeurs courir sur cet étranger qui depuis quelques jours provoquait en duel tous les meilleurs guerriers des Avarosans, et qui n’avait encore perdu aucun combat. Il voulait voir ça de ses propres yeux. 

Les épées des deux guerriers s’entrechoquaient violemment, coup après coup. L'étranger, en pleine force de l'âge, avait la carrure d'un guerrier avec sa musculature saillante exposée à la vue de tous. Ses longs cheveux bruns mal entretenus et sa barbe épaisse indiquaient que son apparence était un luxe dont il n'avait pu se préoccuper depuis un moment. Petit à petit, il reculait sous les assauts de son adversaire. Un œil non averti aurait pu croire que l’Avarosan avait l’avantage, mais Braum percevait les tremblements des muscles du barbare, trahissant une puissance maintenue sous contrôle. L’Avarosan accula son adversaire et sa lame traça une estafilade sur son bras. Le sang coula sur la neige blanche. 

Ce fut le point de rupture. Le barbare tenta de contrôler sa respiration qui s'emballait, sans succès. Il se mit à pousser des cris rauques, ses yeux virèrent au rouge et il se relança dans le combat avec une hargne folle, relâchant toute sa force contenue. 

Pris au dépourvu, l’Avarosan perdit son épée sous la violence d’un coup dont l’impact manqua de peu de lui briser les poignets. Il chuta dans la poudreuse et leva les mains en signe de reddition. Le barbare souleva à nouveau sa lame face à son adversaire à terre et désarmé. Braum s’interposa. Il leva la massive porte de fer qui lui servait de bouclier, et intercepta le coup. L’épée du barbare s'écrasa sur sa protection, la force de l’impact se répercuta le long ses bras. Il broncha et serra les dents. Le barbare n'en avait pas fini. Ses yeux luisaient de rage. Il frappait encore et encore, comme s’il était possédé, chacune de ses attaques se fracassant sur le bouclier. Braum encaissait. Il était presque aussi incassable que sa porte de fer. Sous la répétition des assauts, l’engourdissement se mit pourtant à envahir ses bras et il commença à s’en inquiéter quand la violence des attaques finit enfin par décroître. Le barbare reprenait ses esprits, ses yeux retrouvaient leur teinte verte initiale, tandis qu’il cherchait son souffle. Son regard hébété divagua sur sa lame immaculée, sur la foule accusatrice autour de lui et sur son adversaire tétanisé toujours au sol derrière un Braum souriant.  

– Et bien, mon ami. Tu tapes fort mais tu devrais essayer la méditation. 

Il semblait toujours peiner à reprendre pied dans la réalité et à comprendre ce qu’il s'était passé durant l’accès de rage qui l’avait emporté. 

– Je… J’ai blessé quelqu’un ? 

– Non. Braum a encaissé les coups. Braum est solide.

Le soulagement apporté par cette confirmation effaça un instant l’air maussade qui lui collait au visage.

La foule et le guerrier vaincu se dispersèrent. Leur méfiance à l’égard de cet étranger n’avait fait que croître avec la scène à laquelle ils venaient d’assister. 

Braum lui resta, posa sa large main sur son épaule et lui sourit.

– Tu as besoin d’un remontant. Braum t’invite. 

Le barbare leva les yeux vers lui. Braum se savait impressionnant. Son interlocuteur était grand mais il ne lui arrivait pourtant qu'aux épaules. Il n'avait encore rencontré aucun humain qui concurrençait sa carrure d'armoire à glace. Mais il savait compenser la première impression que donnait son physique hors norme en affichant clairement sa jovialité sur son visage. L'étranger ne cacha pas son manque d'enthousiasme quant à l'invitation, mais il ne se permit pas de refuser et le suivit sans un mot.

Une insigne un peu plus loin dans la ville indiqua la Taverne du Troll végétarien. Braum poussa la porte, le vent froid en profita aussitôt pour s’engouffrer à l’intérieur, faisant flancher un instant le grand feu de l'âtre central. Ils tapèrent des pieds dans l’entrée pour faire tomber la neige collée à leurs bottes et s'installèrent dans un coin de la pièce. Une bière fut posée devant chacun d’eux sur la table. Dehors, la luminosité baissait à vue d’œil. La nuit tombait de plus en plus tôt.

– Braum a beaucoup parcouru Freljord, cette taverne est l’une de mes préférées, dit-il pour engager la conversation, espérant que cela encouragerait son invité à s’ouvrir. 

Pas de réponse. Braum ne s’en offusqua pas le moins du monde, et continua : 

– Non pas que la bière soit meilleure, ou les sièges plus confortables, mais les Avarosans sont toujours d’excellente compagnie. Rien de mieux que la chaleur humaine pour se réchauffer lors des longues soirées d’hiver, pas vrai ? 

Autour d’eux, toutes les places étaient vides. Les autres clients de la taverne s’étaient soigneusement regroupés dans le coin de plus éloigné de l’étranger dont la réputation circulait plus vite que le vent quand il souffle en tempête. 

– Je suppose. 

Braum éclata de rire. Il avala une grande gorgée de sa boisson, sa somptueuse moustache trempant dedans, puis flanqua sa chope sur la table. 

– Mon nom est Braum, se présenta-t-il officiellement.

– Tryndamere. 

– D’où viens-tu Tryndamere ?

– De l’est. 

– Braum aimerait bien savoir ce qu’il t'est arrivé tout à l’heure. C’était quelque chose. 

Tryndamere se rembrunit encore davantage en fixant sa chope sur lequel ses doigts se crispaient. 

– Sujet sensible, comprit Braum. Message reçu, rien ne t’oblige à en parler.

Tryndamere scruta son interlocuteur. Son laxisme à son égard était incompréhensible. Il avait pourtant bien failli provoquer un bain de sang, s’il n’y avait eu son intervention miraculeuse. En avait-il conscience ? Comment pouvait-il ne pas lui en tenir rigueur ? Il se dégageait de Braum une telle sympathie. Sa franche camaraderie, si spontanée et naturelle, dépourvue du moindre jugement, déstabilisait Tryndamere. Il but à son tour, pour se donner du temps, puis se décida finalement à raconter une partie de son histoire.

– Notre tribu a été massacrée. Je n'ai rien pu faire. Nous ne sommes plus qu’une poignée de survivants, et c'est à moi qu’il revient de leur trouver un abri. Nous avons voyagé pendant des semaines, portés par la simple rumeur que la cheffe des Avarosans offrait l’asile à tous les Freljordiens. C'est notre seule chance.

Pour la première fois depuis leur rencontre, Braum perdit son sourire. Il avait vu la petite dizaine de démunis dans leur campement sommaire à proximité de la ville des Avarosans. Des anciens et des enfants. Il avait pressenti ce qui les avait amenés là, il en avait maintenant la confirmation. La perte de leur tribu. La mort des leurs. 

– La vie peut être cruelle. Braum priera pour que leurs âmes trouvent la paix dans l’au-delà. 

Tryndamere ne répondit pas. La simple évocation avait fait resurgir les images de cette nuit fatidique. 

– Et pour la paix de l’âme des survivants également, ajouta Braum. Survivre n’est pas le plus facile. Mais cela vaut le coup.

Braum jugea bon de ne pas insister davantage sur le sujet. Le deuil demande du temps, les blessures de Tryndamere étaient encore trop fraîches. 

– Donc, tu défies tous les guerriers que tu croises dans l’espoir d’attirer l’attention de la cheffe des Avarosans ? 

– Je… Je ne sais pas quoi faire d’autre. Je veux prouver ma valeur et celle de ma tribu. Mais je suis en train de tout gâcher. Je ne prouve rien du tout si ce n'est que je suis dangereux. 

– Ashe sait reconnaître la valeur d’un guerrier sois-en assuré. Et elle sait voir au-delà des apparences et des préjugés. Elle n’a sans doute pas encore trouvé le temps de t’accorder une entrevue. 

– Tu la connais ?

– Braum connaît beaucoup de monde. 

– Tu crois qu’elle acceptera d’intégrer les miens à son peuple ?

– Braum plaidera en votre faveur. 

Tryndamere prit une nouvelle gorgée de bière. Il venait à peine de rencontrer Braum et il lui était déjà redevable de plus d’une manière. Cela le mettait mal à l’aise. Il baissa les yeux. 

– Merci. Pour ça. Et pour tout à l’heure. 

Braum prit le temps d’observer son interlocuteur. Il ne pouvait qu’imaginer les épreuves qu’il avait endurées, mais il semblait qu’une chape de malheur lui collait à la peau, tellement qu’elle ne s’en détachait jamais. Comme si la moindre lueur de joie lui était interdite. 

– Tu t’entendrais certainement bien avec Ashe. 

Tryndamere sortit le nez de son verre. 

– Qu’est-ce qui te fait dire ça ? 

– Vous vous ressemblez. Vous donnez la même impression de porter le poids du monde sur vos épaules.

Il fit tourner sa chope entre ses mains.

– C'est peut-être le cas en effet. Assurer la survie des siens pèse au moins aussi lourd que le monde. 

– Qui t’en voudrait de poser tes bagages pour soulager tes épaules un instant ? 

Braum interrompit Tryndamere avant qu’il ne réponde :

– Hormis toi-même ? 

Tryndamere, prit au dépourvu par la déroutante lucidité de son interlocuteur, reporta son attention sur le fond de sa bière qu’il avala. Il s’était dit juste un verre. Parce qu’il ne pouvait pas le refuser à celui qui lui avait sauvé la mise. Et parce qu’il se sentait coupable de boire au chaud alors que sa tribu, en attendant la possibilité d'être intégré aux Avarosans, était en train de dormir sous une tente dans le froid.

Mais il comprenait ce qu’essayait de lui faire entendre Braum. S'accabler ne rendait pas plus service aux siens. 

Braum engloutit à grands traits le reste de sa bière, laissant le temps de la réflexion à Tryndamere. Puis il lui désigna sa chope vide. 

– Deuxième tournée ? proposa-t-il en souriant. 

Tryndamere hésita encore une seconde avant de se décider. 

– Deuxième tournée. 

Une fois resservi, Braum tendit sa chope vers Tryndamere.

– A ton imminente intégration aux Avarosans. 

Les chopes s’entrechoquèrent. 

– A notre rencontre, répondit Tryndamere avec un sourire. 

Ils levèrent leur verre dans un même geste. 

Tandis que le liquide réconfortant réchauffait ses entrailles, Tryndamere se laissa aller à oublier. Oublier le massacre, la rage qui grondait au fond de lui, son peuple dont la survie ne tenait qu’à un fil, sa soif de vengeance contenue… 

La bière était bonne, la compagnie chaleureuse. Braum avait raison. Il n'y avait pas de meilleur moyen de passer une froide soirée d’hiver. 


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