Chronofracture
Chapitre 1 : Chronofracture
1700 mots, Catégorie: K+
Dernière mise à jour 01/10/2024 20:41
Cette fanfiction participe au Défi d’écriture du forum Fanfictions .fr : La Boucle Temporelle (septembre - octobre 2024).
Ekko remonta sa clepsydre-zéro.
Le bruit d’un Rugissant résonna au loin. Il ressemblait à s’y méprendre aux hurlements de la bête qui rodait à l’affût de l’odeur du sang dans les rues de Zaun, mais Ekko connaissait suffisamment sa ville pour percevoir les infimes crissements métalliques prouvant que ce bruit ne venait que des ascenseurs qui menaient à la surface.
Un lampadaire se mit à grésiller puis s’éteignit net, ainsi que tous ceux des alentours. L’étincelle de Zaun avait encore provoqué un court-circuit. C’était une chose courante, Zeri était une vraie pile électrique et elle ne contrôlait pas toujours très bien son pouvoir. Tout le quartier était maintenant plongé dans la pénombre, seulement éclairé par la faible et terne lueur qui parvenait à s’infiltrer à travers les nuages de pollution permanents pour parvenir si loin sous la surface.
De toutes façons, le secteur était dans l’immédiat déserté à cause de la présence de Jinx. La gâchette folle avait la capacité de faire fuir n’importe quelle personne sensée en une fraction de seconde. Ekko pourtant était là. Les mots qu’il avait prononcés à Vi des années plus tôt lui revenaient en tête. “Powder est morte.” Il l’avait dit et il l’avait pensé. Jinx avait causé bien trop de mal autour d’elle pour qu’il soit en mesure de voir encore en elle la petite fille qu’elle avait été.
Mais l’idée avait germé dans son esprit à la seconde où il avait constaté l’efficacité de sa nouvelle invention. Il fallait qu’il essaie. Il disposait maintenant d’un moyen dont il était dépourvu auparavant. Du temps. Autant de temps qu’il le voulait. Autant de tentatives que nécessaire. Il pouvait y arriver. Il le savait. Le temps guérit toutes les blessures.
Il passa le coin de la rue et Jinx entra dans son champ de vision, perchée en haut du toit d’un bâtiment qui ressemblait plus à un immense tas de ferraille. Son lance-roquette stylisé en forme de requin était calé sur son épaule. Plongée dans son monde, elle ne remarqua pas Ekko.
– Qu’est-ce qu'on fait, Poiscaille ? Des explosions ? Ou… DES EXPLOSIONS !
Jinx frétillait sur place comme une enfant qui attend un cadeau. Ses deux longues tresses bleues se balançaient derrière elle. Puis elle s’assit soudain, posa Poiscaille devant elle et attrapa son canon-mâchoire, l’actionnant comme s’il parlait.
– Tu devrais travailler et économiser pour ta retraite, singea-t-elle d’une voix grave.
– Quoi ! s’insurgea Jinx, outrée.
Elle se releva d’un bond, et saisit son minigun qui pendait à sa taille.
– Bang-Bang ! Poiscaille a perdu la raison ! Nous devons l’achever.
Ekko observait la scène d’en bas. La folie de Jinx avait passé un cap. Son entreprise était-elle vouée à l’échec ? Powder existait-elle toujours quelque part au fond de Jinx ? Il voulait y croire, sans parvenir à s’en convaincre.
Il prit une inspiration et se lança :
– Powder !
Jinx tourna la tête. Son inaltérable sourire s’agrandit.
– Tiens ! Ekko ! Tu viens te battre ?
– Non.
– Pfff. Pas marrant.
– Écoute…
Ekko passa une main dans sa crête blanche.
– Je… Tu n'étais qu’une victime innocente toi aussi. Ce qui est arrivé… Chacun fait ce qu’il peut pour s’en sortir. Mais tu pourrais redevenir celle que tu étais. Il n’existe pas d’erreur qui ne puisse être pardonnée.
– Blablabla ! Tu m’ennuies !
Jinx braqua son minigun devant elle.
– Je te laisse trente secondes pour déguerpir. Non, en fait, cinq !
Ekko avisa l’arme sans ciller. Il avait bien plus que cinq secondes.
– Je n’ai pas pu être là pour toi à l’époque. Mais maintenant je peux. On peut réparer les choses Powder.
– Zéro !
Une rafale de balles le frôla. Ekko fit un bond de côté.
– Bouge pas ! s’écria Jinx. J’essaie de te descendre !
Elle tenait à deux bras son arme automatique à répétition devant elle et tirait en continu. Les douilles retombaient en une pluie à ses pieds. Elle riait aux éclats. Ekko esquivait aisément ses tirs frénétiques et chaotiques. Dans ses yeux roses, il aperçut la lueur qu’il redoutait. La lueur de folie.
– Powder !
Le bruit des tirs en rafale et le rire de Jinx couvraient le son de sa voix. Elle ne l’entendait pas.
Mauvais départ. On recommence.
Chronofracture
Ekko remonta sa clepsydre-zéro. Le bruit du Rugissant résonna au loin. Tous les lampadaires du quartier s’éteignirent brusquement.
Il passa le coin de la rue. Jinx parlait avec ses armes sur le toit.
– Qu’est-ce qu'on fait, Poiscaille ? Des explosions ? Ou… DES EXPLOSIONS !
– Tu devrais travailler et économiser pour ta retraite, imita Jinx.
– Quoi !
– Powder ! l’interrompit Ekko.
Jinx tourna la tête. Son inaltérable sourire s’agrandit.
– Tiens ! Ekko ! Tu viens te battre ?
– D’accord. Si tu utilises des balles de peinture.
– Ah ! Elle est bien bonne !
– Ou à mains nues si tu préfères. Comme quand on s'entraînait avec Vi. Tu t’en rappelles ?
– Fat hands ? Je l’ai croisée il y a pas longtemps. Notre rencontre était… explosive. C’était marrant. Comme la nôtre, Ekko ! Prépare-toi !
Jinx cala ses appuis et braqua son minigun automatique devant elle.
– On ne pourrait pas juste parler ? plaida Ekko.
– A l’abri ! Je plaisante, ça ne t’aidera pas.
Ekko esquiva une rafale de balles qui fit éclater le sol à ses pieds.
Encore raté. On recommence.
Chronofracture
Ekko remonta sa clepsydre-zéro. Le bruit du Rugissant résonna. Les lampadaires s’éteignirent.
Il passa le coin de la rue. Jinx parlait avec ses armes sur le toit.
– Qu’est-ce qu'on fait, Poiscaille ? Des explosions ? Ou… DES EXPLOSIONS !
– Tu devrais travailler et…
– Économiser pour ta retraite, la coupa Ekko.
Jinx tourna la tête et le pointa du doigt.
– C’est toi qui a mis ces idées insensées dans la tête de Poiscaille ?
– Non, je…
– Moi seule peux m’en prendre à mes flingues, c’est compris ? C’est impardonnable ! Prépare-toi à mourir.
Jinx braqua son minigun.
S’il tentait de battre le record de la tentative la plus rapide, c’était gagné.
Nouvelle salve de balles. Nouvel échec.
On recommence !
Chronofracture
Ekko remonta sa clepsydre-zéro. Le bruit du Rugissant. Le court-circuit. Encore et encore. Il ne comptait plus le nombre d'essais qu’il avait fait. Il avait tout tenté.
Il avait parlé de Vi, de Mylo, de Claggor, de Vander, de Benzo... Il avait parlé de ses parents, de leurs jeux d’enfants, de leur affrontement sur le pont… Il avait parlé de tout et de n’importe quoi. Aucun de ses mots ne l'atteignait, aucun de ses mots ne parvenaient à éveiller la moindre émotion en elle. Il avait même tenté de l’imiter en conversant avec ses flingues, qui semblaient être les seuls que Jinx considérait comme ses amis. Cette tentative-là avait duré un peu plus longtemps que les autres, mais s’était terminée de la même manière.
Échec sur échec. La lueur de folie dans le regard de Jinx perdurait, implacablement. Elle n'avait même pas vacillé une seule fois.
Ekko s'apprêta à passer une nouvelle fois le coin de la rue. Essayer encore. Retrouver Powder. Il pouvait le faire. Il pouvait y arriver.
Il…
Ekko s’appuya contre le mur derrière lui et se laissa glisser au sol.
Sur le toit, Jinx répétait encore son monologue barré avec ses armes.
Certaines choses ne peuvent être réparées. Le temps ne guérit pas toutes les blessures.
Ekko tenait dans sa main sa montre à gousset. La grande aiguille égrenait le passage impitoyable des secondes. Le temps pouvait être aussi destructeur qu’il était réparateur. Il était trop tard, il n’y avait plus de retour en arrière possible.
Un bruit de détonation le fit soudain sursauter. Jinx avait apparemment fait son choix entre explosion ou explosion.
Ekko soupira.
Chronofracture
La clepsydre-zéro. Le Rugissant. La panne.
Parfois aller de l’avant implique de laisser en arrière une part de soi.
Powder perdurerait dans sa mémoire. Son visage d’enfant pleine de joie et d’innocence resterait gravé sur le mur des disparus.
Jinx continuerait d’être Jinx. La gâchette folle. Un danger public. Un parmi d’autres.
Le regard d’Ekko se posa sur un lampadaire éteint et ses pensées convergèrent vers Zeri. Elle avait la même faculté que lui à s’attirer des ennuis dans leur vaste terrain de jeu qu’était Zaun, et elle s’en sortait généralement sans problème, au simple prix d’une panne de courant générale. Mais elle risquait de se faire encore passer un savon par sa tante. Il ferait mieux d’aller la retrouver. Son temps serait plus utile auprès d’elle, auprès des gosses de la basse-ville. Il déboula dans le champ de vision de Jinx et la salua d’un geste au passage.
– Salut Jinx !
Jinx tourna la tête. Ses yeux roses pétillaient, et son habituel sourire dément étirait ses lèvres.
– Salut Ekko !
– Passe le bonjour de ma part à Poiscaille ! plaisanta-t-il tandis qu’il poursuivait son chemin.
– Poiscaille te passe le bonjour ! répondit Jinx en calant son lance-roquette sur son épaule.
Un projectile s’écrasa en explosant non loin d’Ekko. Il continua sa route sans se retourner.
Il laissa le passé où il était.
Il laissa le temps reprendre son cours normal.
Sa tentative ne lui avait pas ramené Powder, mais elle lui avait rappelé ce qui comptait le plus : ne pas vivre dans le regret. Vivre le moment présent. Vivre chaque seconde.
C’était ce qu’il comptait faire. C’était ce que Jinx faisait aussi, à sa manière.