Dent pour dent

Chapitre 1 : Dent pour dent

Chapitre final

2519 mots, Catégorie: T

Dernière mise à jour 28/03/2024 17:33

Cette fanfiction participe au Défi d’écriture du forum Fanfictions.fr : Mon animal-totem (mars – avril 2024).


Rapide point de vocabulaire propre au lore de League of Legends :

Pakaa : puma / couguar version fantasy de Runeterra

Vastaya : race chimérique (mi-humain mi-animal) de Runeterra.

Kiilash : tribu guerrière de Vastayas shurimiens dont la société vénère l'honneur et la gloire de la chasse.



« Vous osez dire que c'est civilisé ? »


Une nuit sans lune avait plongé la jungle dans l'obscurité et le silence. Cela aurait dû être une nuit paisible pour Nidalee. Une nuit dorlotée par la fourrure et la chaleur de son foyer. Une nuit bercée par le ronronnement rassurant de ses sœurs pakaa. Elle en était pourtant si loin. Au cœur des bois, sa traque l'avait conduit aux frontières d'un campement humain aux effluves aussi âpres qu'une montagne d'excréments de Kiilash.

Le tronc d'un immense figuier étrangleur embrassait sa silhouette. Une étoffe de cuir doublée de fourrure enlaçait sa poitrine, une autre encerclait ses hanches pour chuter avec légèreté entre ses cuisses élancées. La plante de ses pieds nus s'agréait patiemment à la terre humide. Tendu et parfaitement immobile, l'un de ses bras épousait ses hanches, tandis que l'autre se prolongeait d'une lance dont la pointe acérée frôlait le sol. Nidalee était aux aguets.

Les yeux clos pour mieux examiner l'air qui lui venait en contre, Nidalee détaillait de ses narines attentives le moindre détail du campement qui s'étendait face à elle. L'estomac lui remonta aux lèvres : l'odeur âcre de brûlé se mêlait à une crainte glaçante, s'échouait en ondes sur des toiles de tentes sommaires autour d'un petit foyer crépitant, forçant la végétation à s'en écarter. Les vapeurs rances de la chair mêlées au cuir tanné rapportaient quatre présences humaines. L'un d'eux était blessé. Sa cheville suintait de sang légèrement coagulé, le contraignant à rester assis devant les flammes. Deux autres encore lui tenaient compagnie en s'abreuvant d'un liquide particulièrement amer qui piquait le nez, même à vingt foulées de distance.

Quatre pas plus loin, la brise se coulait entre de longs barreaux de métal hissés sur des chariots de bois. La rangée de petites caravanes exhalait la terreur et la prostration : dans leurs mâchoires d'acier croupissaient des habitants d'Ixtal. Des créatures parées de plumes s'étaient amassées en un seul essaim pour trouver, malgré la misère de leur captivité, la chaleur réconfortante de leurs congénères. D'autres n'avaient pas cette chance.

Renya, la sœur de Nidalee, n'avait pas cette chance. La petite fauve était de nature joueuse et vive et ce qui aurait dû être une partie de chasse réjouissante s'était transformé en cauchemar. Renya n'avait saisit que trop tard la présence des étrangers et les cris désespérés du reste de la horde pour l'en avertir. Quelques instants d'inattention lui avaient coûté sa liberté. A présent, cruellement isolée et privée de tout mouvement, elle s'était couchée dans l'ombre de son étroite prison.

Nidalee serra son poing sur sa lance. Elle comprima ses mâchoires pour ravaler la fureur qui la dévorait. Ces humains-là portaient des armes explosives redoutables. Nidalee avait appris à flairer cette poudre mortelle capable d'abattre sans miséricorde la plus puissante des créatures à distance, pour le seul crime d'avoir surgi par inadvertance.

Cette simple pensée resserra le nœud d'angoisse dans son estomac. Pourtant rien en cet instant n'aurait su la faire reculer. La captivité de Renya était la principale raison de sa présence. Elle devait la libérer mais surtout, elle devait prouver que ces terres n'étaient pas un territoire que l'on met en cage ou que l'on saccage sans en payer le prix. Elle le devait à toutes ces vies brisées et à toutes celles qui aspiraient à vivre libre.

Nidalee inspira profondément et tendit l'oreille. A la respiration erratique de sa sœur se mêlait le bourdonnement désagréable des voix humaines quand soudain, un son discontinu surchargea tous les autres : un bruissement de pas à l'approche, celui d'une présence fétide et délétère.

L'un des hommes s'avançait vers Nidalee dans une démarche beaucoup trop sereine et prévisible. Il ne la vit même pas lorsqu'il la frôla pour s'enfoncer légèrement dans la végétation à l'écart de son groupe. Immobile, Nidalee suivit le bruissement des feuilles d'une oreille attentive, à l'affût depuis si longtemps que le moindre sifflement d'air lui indiquait précisément où se trouvait sa proie.

Lorsque l'homme s'agenouilla pour amasser quelques branches, Nidalee se tourna lentement vers lui et considéra du regard les trois foulées qui les séparaient, l'arme à feu qui pendait à sa ceinture et surtout le dos courbé, couvert d'un cuir léger, qu'il lui présentait dans un manque de prudence insolent. L'opportunité enserra ses doigts sur sa lance. La hargne la hissa sur la pointe des pieds à l'instant où, dans un saut éclair, elle se jeta sur sa proie. Férocement projetée en avant, sa lance embrocha sans détour la nuque de sa cible. Dans un craquement, ses cervicales se brisèrent sur le coup et l'homme s'effondra lourdement dans un râle étouffé.

Un de moins.

La lance de Nidalee perforait avec l'intensité de sa rancœur et elle ne tarderait pas à poursuivre sa juste cause.

Aussitôt alertés par l'agitation, les deux autres hommes accoururent dans la précipitation. Nidalee récupéra sa lance d'un geste sec et s'accroupit dans l'épaisseur généreuse d'une fougère pour s'y tapir toute entière. Ses yeux attentifs sondèrent les étrangers qui rappliquaient, canon tremblant à bout de bras.

« Elvik ? s'éleva une voix graveleuse. »

Silencieusement et sans lâcher ses proies du regard, Nidalee posa doucement ses doigts au sol d'une main, agrippa sa lance de l'autre. Elle calculait la distance, amorçait déjà son prochain coup dans un calme imperturbable. Elle ne trembla pas, focalisée sur son unique objectif : éliminer les deux en même temps.

Une seule erreur, un seul faux pas, feraient d'elle la proie. Elle extirpa doucement l'air de ses poumons. L'environnement s'estompa, n'y laissant plus apparaître que deux hommes dodelinant sur leurs jambes frêles, cherchant en vain dans l'obscurité une menace invisible.

Lorsque l'un d'eux trouva le corps sans vie de son semblable, un cri strident déchira le silence. Comme un signal qui la propulsa sur ses pieds, Nidalee bondit de sa planque. Son bras droit décocha sa lance sur sa première cible tandis que son corps s'étira en plein saut sur la seconde. Sa peau hâlée s'assombrit d'une fourrure ambrée, ses mains et ses pieds se tassèrent en puissantes pattes affublées de griffes acérées, sa mâchoire s'arrondit de babines qui se soulevèrent pour dévoiler de redoutables crocs. Nidalee se réceptionna sur sa proie dans un plaquage incisif : chaque griffe transperça le cuir puis la chair qui se dentela de fatales et profondes écorchures. De tout son poids, elle fit basculer son adversaire face contre terre.

Une détonation mit toute la jungle en branle. Assourdissante.

« Saloperie de m- !! hurla le couard, lacéré de part en part. »

Le sens de ses mots enflammèrent la colère de Nidalee, lui arrachant un grognement. Ses membres supérieurs scellèrent les bras impuissants de sa proie écrasée au sol et elle ouvrit férocement la gueule sur sa gorge nue, non plus pour apaiser ses souffrances, mais pour faire taire à jamais l'insulte qu'il représentait. La brutalité avec laquelle elle referma sa mâchoire sur le cou de son gibier n'eut d'égal que sa rage envers cette espèce méprisable.

Elle serra.

Serra encore. Plus fort à mesure que le corps soumis à son instinct le plus primaire se débattait frénétiquement sous son poids. Elle serra jusqu'à ce que la gorge craque entre ses dents. Un filet de sang discontinu gicla sur sa langue. L'homme convulsa un instant avant de se relâcher définitivement. Déchiqueté.

Nidalee s'extirpa de sa proie dans un bond athlétique et s'assura que sa lance avait achevé sa seconde cible. Lorsqu'elle la trouva sans vie, elle cracha son dégoût avant de galoper jusqu'au campement, les tempes saturées par les battements furieux de son cœur et un goût bien trop amer encore sur les babines.

Dans sa course, elle se cabra sur ses pattes arrières qui s'allongèrent aussitôt dans son mouvement. Son corps tout entier se sculpta pour se réapproprier une forme de femme humaine sans interrompre ses foulées ni compromettre son équilibre. Elle se précipita vers les cages qui s'entassaient en retrait des tentes, l'esprit agrippé à son dernier objectif : Renya.

Elle croisa le regard ravivé d'espoir de sa sœur qui se redressa aussitôt, les oreilles redressées d'intérêt.

« Je vais te sortir de là, souffla Nidalee d'un ton rassurant. »

Pourtant, la porte de sa prison métallique était bloquée par un mécanisme sournois : un petit bloc d'acier pourvu d'une fente en son centre. Cédant à la panique, Nidalee tenta de le briser à mains nues.

« Il te faut une clé... observa la voix d'un homme. »

Nidalee releva promptement la tête en hoquetant. Ses yeux se plissèrent sur un visage perdu dans des boucles brunes et une barbe naissante derrière les barreaux : l'odeur humaine qui lui soulevait encore le cœur se trouvait dans la cage du fond.

Nidalee s'approcha avec méfiance et, à mesure qu'elle effaçait l'espace qui la séparait de l'inconnu, elle discerna dans ses yeux bleus et ses traits détendus une bienveillance déconcertante. Mais Nidalee rejeta cette impression d'instinct. Dans son accoutrement de tissu et de cuir, le jeune homme portait l'essence répugnante d'une civilisation lointaine.

« Regarde sur les gars que tu viens de tuer, dit-il. Au niveau de la ceinture, j'avais repéré un trousseau de clés. »

Nidalee se perdit dans le regard de son interlocuteur. Ses iris bleutées luisaient à la lueur du brasier mourant. Nidalee cru un instant y percevoir une once d'honnêteté. Elle souffla bruyamment et regagna à la hâte la dépouille de ses victimes.

Elle grogna de surprise lorsqu'elle retrouva dans le sang de l'un d'eux ce qui s'apparentait à un bracelet de bâtonnets d'acier. Elle comprit sans savoir réellement pourquoi qu'il s'agissait de ce qu'elle cherchait. Les « clés ».

Aussitôt, elle se précipita sur le mécanisme qui maintenait sa sœur captive. A la manière dont elle saisissait intuitivement le sens du langage humain, Nidalee comprit étonnamment vite comment déverrouiller l'engrenage d'acier et la porte s'ouvrit dans un crissement sourd. Renya sauta hors de la cage et chargea d'un coup tête affectueux la cuisse de Nidalee pour la remercier avant de détaler dans les bois pour rejoindre la horde des pakaa.

Renya était sauve. Nidalee sentit son cœur s'alléger.

Elle libéra les oiseaux de la cage attenante qui s'éclipsèrent à tire-d'aile dans un turbulent ballet de plumes dans le ciel nocturne. Puis elle s'apprêta à décamper à son tour.

« Tu ne comptes pas me sortir d'ici ? demanda calmement l'homme.

— Tu es l'un des leurs... grogna Nidalee.

— Ah oui, c'est l'impression que tu as ? Ce jugement me semble mal venu de la part d'une femme qui revêt une apparence humaine.

— A l'odeur, je sais que ce que tu es.

— C'est à l'odeur que tu juges les intentions d'autrui ? »

Nidalee fut incapable d'expliquer ce qui la crispa en cet instant.

« Combien de temps, poursuivit l'humain. Combien de temps crois-tu pouvoir repousser les ennemis de ces terres toute seule ? »

Nidalee sentit ses poings se serrer, son sang pulser à l'idée que d'autres barbares débarquent sur ses terres, s'y multiplient en masse. La violence de cette vision lui comprima la gorge. Elle revint sur ses pas et lança à l'humain un regard hostile :

« Tu as l'intention de devenir le repas de ce soir ?! rugit-elle.

— Pourquoi ? Mes propos t'ont offensé ? Crois-tu que tous les humains sont tes ennemis ?

— (Ses lèvres se retroussèrent) Lorsqu'ils rôdent sur ces terres, lorsqu'ils tentent de les plier à leurs désirs, ils le sont.

— Que se passera-t-il lorsqu'ils viendront avec des armées entières ? »

Nidalee sentit son cœur tambouriner dans sa poitrine. Sa mâchoire se comprima. Et l'homme la sonda de ses yeux d'azur avec une intensité déroutante. Elle frémit.

« Regarde-toi... dit-il. Physiquement tu es redoutable, mais tu passes à coté de ta plus grande force.

— Quelle force ?

— Certaines batailles ne se gagnent pas par la brutalité. La parole ne sert pas qu'à cracher des injures. Elle a le pouvoir de t'élever dans la société, t'offrir une place influente. Si des humains sont capables de t'écouter et de te comprendre, ils peuvent soutenir ta cause.

— Quel genre d'humains-

— Ceux dont je fais partie. Nous ne sommes pas tous des braconniers ou des conquérants. Je fais partie d'un groupe de recherche et je m'en suis éloigné. J'ai agacé ces idiots avec mes propos. Mais nous, nous souhaitons aussi préserver ces lieux de ce que les humains font de pire. Nous sommes prêts à nous battre pour ça, en ralliant les bonnes personnes à notre cause.

— On gagne rien avec des mots... regarde-toi...

— Sauf si on parvient à convaincre les bonnes personnes. (Il soupira) Laisse tomber... il faut voir plus loin que la menace immédiate, ce n'est pas ton cas. »

Nidalee fronça les sourcils. Elle s'était toujours demandé la raison de ses dons, de sa capacité à revêtir une apparence humaine, ignorante de ses véritables origines. Peut-être avait-elle un rôle à jouer sous cette forme-là ? Cet humain n'avait pas totalement tord. Que pouvait-elle faire, seule contre tous ces envahisseurs ? Des braconniers peu scrupuleux débarquaient de plus en plus nombreux au fil des mois. Abominables, sans pitié, inaptes à arpenter ces terres, ils cherchaient à s'en approprier les richesses sans rien donner en retour. Faute de s'adapter à cet environnement avec respect, ils l'adaptaient à leurs propres besoins.

L'étincelle d'un espoir frileux naquit dans l'esprit de Nidalee, lui descendit dans les tripes, s'embrasa dans son cœur. Si son corps et son esprit cheminaient entre deux mondes, la perspective de les mêler pour le bien des siens l'enflamma. 

Nidalee se pencha sur la cage, son visage effleura les barreaux glacials. Le regard de l'inconnu s'enfonça dans le sien, brûlant. Elle se laissa caresser par la confiance qu'il était capable de lui inspirer au-delà des apparences.

Le cliquetis métallique de la porte brisa le silence lorsqu'elle la déverrouilla.

« Apprend-moi à me battre. Avec des mots. »  


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