Le choix nous appartient
Chapitre 1 : Le choix nous appartient
2053 mots, Catégorie: T
Dernière mise à jour 30/10/2022 07:50
Cette fanfiction participe au Défi d’écriture du forum Fanfictions .fr : Le Lieu Sacré - (septembre octobre 2022).
Irelia se retourna vers son village. La gorge serrée, elle adressa un dernier salut à sa famille, puis prit une grande inspiration, rajusta son sac à dos et se remit en marche.
Après plusieurs jours de trajet, elle atteignit le terme de son voyage. Elle se figea en découvrant se dresser devant elle une chaîne rocheuse couverte de végétation luxuriante qui surplombait tous les environs. Le Placidium. Une arche formée par deux immenses arbres s’élevait à son sommet. Les yeux écarquillés, la bouche entrouverte, la jeune fille demeura un moment à admirer ce paysage. Elle s'arracha finalement à sa contemplation et avala la distance qui lui restait à parcourir.
La sérénité du lieu avait attiré de nombreux ioniens à venir s’y installer. Irelia saluait d’une petite voix les habitants qu’elle rencontrait. Le village du Placidium comportait plusieurs monastères et lieux d’apprentissage. Elle n’eut aucun mal à trouver l’école de danse. Un groupe d’enfants de tout âge était en pleine leçon. Irelia les observa un instant mais son regard était attiré par la chaîne montagneuse. Elle laissa choir son sac sur le sol et s’engagea sur le sentier menant vers le sommet.
Elle marchait d'un pas feutré, sa respiration se faisait plus lente et plus profonde à chaque instant. Alors qu’elle continuait sa progression, elle marqua un temps d’arrêt. Elle percevait une présence autour d'elle. Chaleureuse, bienveillante. Irelia la reconnue aussitôt. Sa grand-mère O-ma lui en avait tant parlé. L'Esprit d'Ionia. Elle l'accueillit, le laissant l'accompagner le long de son chemin.
Lorsqu’elle atteignit le sommet, elle eut le souffle coupé. La province de Navori s’étendait devant ses yeux. Son regard portait jusqu’à l’imposant massif montagneux, bien au nord. Loin à l’opposé, l’embouchure d’un fleuve accrochait les rayons du soleil.
Debout sous la grande arche, Irelia joignit ses mains du bout des doigts devant elle. Elle effectua un arc de cercle d’un bras tandis qu’elle tendait l’autre vers le ciel. Elle maintint la position une fraction de seconde, puis plia un genou et pivota sur elle même, ses bras suivant l’élan avec grâce. Jambes fléchies, elle balançait sur ses appuis en rythme tandis que ses mains virevoltaient en harmonie.
O-ma avait raison. Décuplée par ses pas de danse, sa connexion avec l'Esprit d'Ionia la liait maintenant à tous les êtres de ces terres. Dans sa poitrine résonnaient une infinité de battements de cœur se mêlant au sien et à chaque inspiration, il lui semblait n'être qu'une alvéole d'un gigantesque poumon. Irelia continua ses enchaînements de mouvements qui, une fois terminés, la laissèrent le souffle court, des larmes baignant son visage illuminé d'un sourire. Elle laissa s'atténuer la liaison et redescendit vers l’école de danse.
Revenir au Placidium avait replongé Irelia dans ses souvenirs. Elle secoua la tête. La situation avait bien changé depuis ce temps. Elle pressa le pas pour rattraper ses compagnons. Tous la dépassaient nettement en hauteur, Irelia étant de loin la plus jeune du groupe. Ils traversèrent le village où régnait un silence de plomb. Les monastères, les écoles, les habitations, tous déserts. Ils finirent pas tomber sur une poignée de miliciens venant à leur rencontre. Tout comme eux, ils étaient munis de lances sommaires et vêtus de simples habits de toile.
— Vous êtes venus prêter main forte ? demanda l’un d’eux.
Yuhan, qui faisait office de meneur du groupe d’Irelia, prit la parole :
— Oui. Les armées noxiennes progressent vite. Si elles ne rencontrent aucuns obstacles, elles seront là d’ici peu. Vous êtes si peu nombreux pour défendre le Placidium ?
— Oui, il n’y a que nous… Votre aide est inespérée.
— Où sont les habitants ? intervint Irelia. Les danseurs et les autres ?
— Ils ont refusé de se battre. Ils sont partis se réfugier plus loin vers l’est.
— Nous ferons sans eux, reprit Yuhan. Nous devons organiser notre défense sans tarder.
D'un commun accord, l’ensemble des résistants quitta le village bien trop dégagé, et investit les hauteurs du Placidium. Une des résistantes se mit à réciter des prières aux arbres de la montagne. Sous son action, ils tendirent leurs branches, avec une lenteur infinie, en travers du chemin, créant une barrière naturelle qui entravait l’unique accès.
Pendant ce temps, Irelia était partie s'isoler. Assise sur le sol, elle avait étalée devant elle des morceaux de métal pour reformer ce qui avait été le blason de sa famille, les Xan. Elle laissa ses doigts filer le long des motifs.
— Mes frères... Il est probable que je vous rejoigne bientôt. Mais j’emporterai avec moi autant de vos meurtriers que je le pourrai, je vous le promets.
Irelia ouvrit les bras et les fragments quittèrent le sol. Elle fit pivoter et s’élever une main tandis qu’elle ramenait l’autre vers elle. Les éclats métalliques prirent encore de l’altitude et virevoltèrent en ribambelle gracieuse.
— J’ai beau l’avoir déjà vu à l’œuvre, je suis toujours autant impressionné. Tu as un pouvoir magnifique, loua Yuhan en se rapprochant.
Les lames réalisaient un ballet dans les airs, de concert avec les mouvements d’Irelia. Il s’assit à ses côtés.
— Irelia… Tu n’es pas obligée de rester, tu sais. La bataille qui nous attend n’a rien à voir avec les actions que nous avons déjà menées. Tu t’es montrée très courageuse, tu t’es déjà bien battue. Et tu es encore si jeune. Personne ne t’en voudra si tu préfères partir maintenant et rejoindre ceux qui se sont repliés vers l’est. Il est encore temps.
— Et laisser les noxiens souiller nos terres et massacrer des innocents ? s’emporta Irelia, laissant retomber ses lames. Jamais ! Je reste, je veux me battre !
— Inutile d’afficher cet air sévère, jeune fille, s’amusa-t-il en ébouriffant les cheveux d’Irelia. Je me doutais bien que tu me répondrais ça. Je tenais simplement à te rappeler que chacun d’entre nous ici a fait son choix, et que tu l’as toi aussi. Si ta décision est prise alors je la respecte.
Il resta les yeux dans le vague et soupira.
— Puisse l’Esprit d’Ionia être avec nous.
Les noxiens furent en vue le lendemain. Tapis à l’abri de leurs protections végétales, les résistants, poings serrés sur leurs armes, scrutaient la progression de l’armée en contrebas. Menés par un homme aux cheveux blancs, ces hommes et ces femmes, équipées de lourdes armures noires et armées d’épées, de haches et de masses, prenaient possession du village. Tandis que certains investissaient les monastères, d’autres déchargeaient des caisses depuis des chariots. Seuls quelques soldats s’engagèrent sur le début du sentier du Placidium mais y restèrent positionnés sans aller plus loin.
Devant cette situation les ioniens se cherchèrent du regard les uns les autres.
— Ils n’attaquent pas ? C’est un siège ?
— Ça n’a pas de sens. Ils ont toujours cherché à progresser le plus vite possible, ça leur ferait perdre des semaines. Et un siège qui s’éternise finirait par attirer tous les résistants des environs.
— Et si c’était justement leur but ? Attirer et regrouper les résistants afin de forcer une bataille à leur avantage ? avança Yuhan.
— Tu veux dire qu’ils se servent de nous comme appât ?
Un silence répondit à la question.
— Qu’est-ce qu’on peut faire ?
— On est coincé. Nous n’avons aucune chance si nous redescendons.
— Mais on ne peut rester les bras croisés à rien faire ! s’exclama Irelia.
— Nous devons attendre. Peut-être qu’une opportunité s’offrira à nous.
— Peut-être ? Et si il n’y en a pas ? Et si nos ressources venaient à manquer ? renchérit un autre.
Irelia tenait dans sa main les fragments de son blason. Ses poings se serrèrent à tel point que ses lames lui entaillèrent les paumes. Elle laissa échapper un petit cri et ses doigts s’ouvrirent, faisant chuter les morceaux de métal teintés de rouge sur l’herbe.
Elle jeta un regard à tour de rôle sur ses camarades en plein débat, sur le village occupé en contrebas, puis sur les morceaux de son blason au sol. Avec un élégant geste de la main, elle fit s’aligner ses lames au niveau de ses épaules. Irelia se planta devant ses compagnons, coupant la conversation et déclara simplement :
— J'y vais.
Puis elle tourna les talons et se faufila avec aisance entre les branches du barrage végétal, ignorant les supplications qui s’élevaient derrière elle. Une fois passées les entraves du chemin, elle marcha d'un pas ferme vers le village.
Les premiers noxiens qu'elle croisa ne lui posèrent aucun problème. L'effet de surprise et sa danse mortelle étaient d'une efficacité redoutable. Vive et souple, Irelia esquivait les lourdes attaques de ses adversaires tandis que ses lames trouvaient sans faute les failles dans leurs armures, tranchant genoux, poignets et gorges.
Mais l'alerte fut donnée et elle se retrouva à faire face à plusieurs de ces soldats surentraînés. Elle se tenait en garde, impassible, ses lames écarlates en barrage devant elle. Un bruit derrière elle attira son attention. Lances brandies, Yuhan et tous ses compagnons accourraient. Irelia se lança de plus belle dans sa danse des lames. Dans un ensemble parfait, les ioniens fondirent sur leurs ennemis.
Irelia errait parmi les dépouilles qui jonchaient le sol. Bien trop parmi elles appartenaient à ses camarades. Un gémissement proche se fit entendre. Il provenait d’un soldat noxien agonisant. D’un geste, elle envoya valser ses lames et les plaintes se turent. Elle détourna le regard.
Partout l'herbe était rougie et les racines des arbres baignaient dans le sang. Irelia fut prise d’un haut le cœur et se retrouva accroupie à rendre tripes et boyaux sur le sol. Elle s’essuya la bouche du revers du poignet et se redressa.
Alors qu’elle continuait à parcourir les vestiges du champ de bataille, son regard fut retenu par l’un des corps. Celui de Yuhan. Une énorme plaie barrait sa poitrine et ses yeux fixes demeuraient rivés vers le ciel.
— Non ! Non, non, non...
Irelia s’écroula à ses côtés.
— Non, je suis désolée… Je suis désolée...
Sans qu’elle ne puisse l’empêcher, des larmes se mirent à rouler sur ses joues.
— C’était… C’était... notre choix, pas vrai ? parvint-elle à dire entre deux sanglots. On a réussi... On… On a sauvé le Placidium.
Elle tentait vainement d’essuyer ses yeux et son nez qui coulaient en continu. Elle finit par renoncer, enfonçant son visage entre ses mains, laissant échapper des hoquets étouffés.
Ses larmes finirent par se tarir et Irelia parvint à retrouver son souffle.
— J’espère que tu as trouvé la paix là où tu te trouves, murmura-t-elle.
Elle dut prendre appui pour réussir à se relever. Elle frotta de la paume les traces de larmes séchées sur ses joues et s’en alla rejoindre le reste de ses compagnons.
Tous les regards étaient tournés vers elle.
— Irelia… Nous n’avons trouvé aucun autres survivants…
La jeune fille baissa les yeux un instant. Juste un instant. Puis redressa la tête et déclara, d’une voix qui tentait de cacher ses tremblements :
— Nous devons des funérailles à nos camarades. Ensuite, nous reprendrons la route vers l’ouest, pour libérer chacun des villages occupés. Jusqu’à rendre notre dernier souffle ou jusqu’à la mort du moindre noxien foulant ces terres.