Une mission pas si ordinaire

Chapitre 1 : Une mission pas si ordinaire

Chapitre final

1863 mots, Catégorie: G

Dernière mise à jour 25/09/2022 00:03

Cette fanfiction participe au Défi d’écriture du forum Fanfictions .fr : Le Lieu Sacré - (septembre octobre 2022)


La piste débouchait aux abords d’une grotte dissimulée par un rideau de lierre. Une multitude d’insectes allait et venait, vrombissant et bombillant à qui mieux mieux. Geralt hésita un instant avant de déranger les abeilles. À gestes mesurés, pour ne pas agresser les butineuses, il souleva les branches souples pour se glisser dans la cavité obscure. Il laissa ses pupilles se dilater pour s’habituer à la pénombre, puis tendit l’oreille et huma. Les échos discrets provenant du fond du boyaux ne semblaient pas menaçants et l’air était exempt de tout remugle animal. Il flottait plutôt des fragrances végétales légèrement épicées.  

Une torche attendait dans un support à même la paroi. Le signe ignii lui permit de l’enflammer, révélant l’espace devant lui. La grotte était assez haute pour lui permettre d’avancer sans se courber. Elle semblait naturelle mais le tunnel qui la prolongeait avait été agrandi à l’aide d’outils. Geralt y reconnaissait le travail délicat des elfes. Il avança à pas de loup, tous sens en éveils. 

Son médaillon vibra sur sa poitrine et il sentit ses poils se dresser sur ses bras. Son cœur accéléra imperceptiblement tandis qu’il portait machinalement la main à sa lame. La lueur ondulante révéla que le plafond prenait de la hauteur. L’obscurité ambiante s’amenuisait petit à petit et l’air frais embaumait toujours plus ce qu’il identifiait comme un mélange d’huiles et de plantes. 

Le sorceleur déboucha alors dans une large grotte scintillante de concrétions. Des torches disposées à intervalles réguliers l’illuminait tout entière révélant une scène à laquelle le il ne s’attendait pas. 

Fasciné, il avança, bras ballant et nez en l’air. Une statue monumentale le dominait de dix fois sa hauteur. Il détailla son visage. C’était tout simplement impossible. Le monument était visiblement vieeux de plusieurs siècles et pourtant Elle était là telle qu’il La connaissait, campée sur ses pieds écartés, une lame à la main, Son regard émeraude fièrement baissé vers lui, minuscule mortel. 

Un frisson le parcourut. Des voix se mirent à psalmodier, dans la langue elfique ancienne, autour de lui. Il sursauta, tournant sur lui-même pour en trouver l’origine. Impossible de voir quoi que ce fut de là où il était. Le chant enfla, se répercuta de paroi en paroi et l’enveloppa. Son corps entier vibrait en écho et il se surprit à s’agenouiller sur l’autel au pied de la statue. 

Il secoua la tête. Ce n’était pas sa mission. Il était là pour retrouver l’enfant égarée, pas pour prier. Pourtant, il s’observa joindre les mains et baisser la tête comme si une poigne implacable mais bienveillante faisait pression sur lui. La chaleur l’envahit et une douce torpeur s’empara de lui.

Derrière ses paupières closes, la statue se mettait en mouvement. Non, ce n’était pas elle. C’était Ciri, la vraie Ciri, sa fille. 

Elle courrait à travers bois. Son regard écarquillé révélait le blanc de ses yeux, sa bouche ouverte cherchait de l’air, la transpiration perlait sur son front. Geralt tourna le regard vers ce qu’elle fuyait et voulut dégainer sa lame mais il était condamné à l’immobilité. 

La Chasse Sauvage gagnait du terrain sur elle. Le cavalier de tête la désignait de son doigt osseux, tournant son heaume en forme de crâne vers ses cavaliers fantômes qui surgissaient de nuages orageux. Leur cri transperça le sorceleur. Sa gorge se serra et son échine se glaça quand ils rattrapèrent Ciri. Elle se battit avec rage, utilisant tour à tour toutes les bottes qu’il lui avait transmises, mais ils l’entourèrent et la submergèrent, l’engloutissant sous leurs corps ornementés d’ossements.

Son hurlement de désespoir ramena Geralt dans la grotte. Le son de sa détresse résonnait encore dans le silence qui avait remplacé les chants. Il se surprit à haleter, les bras enlaçant ses côtes alors qu’il se balançait d’avant en arrière. Il reprit le contrôle de son corps et de ses émotions et se releva, feignant l’impassibilité.

Une voix s’exprimant en langue elfique se fit entendre avant de reprendre en langue commune :

– Nous t’attendions Gwynbleidd. Tu as vu ce qui sera, si tu ne fais pas le nécessaire. L’enfant humain doit rester avec nous jusqu’à-ce que la Maîtresse de l’Espace et du Temps nous sauve du Froid Blanc. Va, et annonce aux villageois que l’enfant est définitivement perdue pour eux.

– Qu’allez-vous faire d’elle ?

– Il ne m’appartient pas de répondre à cette question. La Destinée est seule maîtresse de ce qu’il adviendra.

Le sorceleur haussa les épaules en grimaçant.

– La Destinée, la Destinée. Vous avez tous ce mot à la bouche. Vous et moi vivons cependant depuis bien assez longtemps pour savoir que seuls les choix comptent.

– Et bien fais donc ton choix. Nous laisser l’enfant ou voir ta vision se réaliser.

– Qu’est-ce qui me garantie que cette enfant fera la différence ?

– Rien. Tu vas devoir nous faire confiance.

– Permettez-moi de lui parler et j’aviserai.

La prêtresse elfe hocha lentement la tête, le regard fixé sur le sorceleur. Aucune once de chaleur n’émanait de sa personne. Cela contrastait absolument avec ce qu’il se dégageait du lieu, à moins que ce ne fut lié à cette confortable familiarité du visage de l’idôle ? Geralt contourna la statue et emprunta un étroit escalier sculpté à même la paroi. Il le mena jusqu’à la beauté glaciale devant laquelle il ne put s’empêcher de s’incliner. Il eut tout le loisir de détailler le bas de sa robe, sobre mais finement ouvragée. 

Elle finit par ordonner d’une voix dénuée de toute émotion :

– Amenez l’enfant. 

Il se redressa. Deux elfes s’avancèrent, encadrant une fillette à la chevelure aussi sombre que ses yeux trop brillants. Ses jeunes dents parfaitement blanches mordillaient sa lèvre inférieure et elle triturait nerveusement le bas de sa robe de lin grossier. Son regard s’agrandit et elle blêmit quand elle aperçut le visage balafré et les yeux jaunes aux pupilles fendues de Geralt. Il tenta un rictus rassurant et s’agenouilla pour se mettre à sa hauteur. 

– Tu es Amanita ?

Elle acquiesça sans mot dire, figée comme une biche aux abois.

– Tes parents m’ont envoyé te chercher, ils s’inquiètent pour toi.

Une larme roula sur sa joue et elle l’essuya vivement. Elle leva fièrement son menton tremblant et annonça d’une voix qui se voulait ferme :

– Je veux pas rentrer, Monsieur.

– Tu ne veux pas ou tu ne peux pas ?

– Les deux, Monsieur. J’ai le don de double vue. Ma famille a jamais compris. Je sais que ça leur fait peur, même s’ils m’aiment. J’avais interdiction de parler de mes visions. Je vois et je peux faire voir ce qui a été et ce qui va être.

Geralt frissonna en se remémorant la scène à laquelle il avait assisté.

– Ce que j’ai vu, c’est toi qui me l’a montré ?

– Oui. Et c’est pourquoi ma place est ici. Dites à mes parents de ne plus me chercher. Ils doivent m’oublier, pour leur bien. Inventez ce que vous voulez, dites leur que je suis morte si c’est mieux, mais ils ne doivent jamais venir ici. 

Elle frissonna en prononçant cette dernière phrase et Geralt hocha gravement la tête devant l’air solennel de la gamine.

– Si c’est ce que tu souhaites, ainsi soit-il. Ma mission est donc terminée. Ah, juste un détail. Donne-moi un objet qui t’appartient.

La fillette hésita puis sortit de sa manche un petit mouchoir à la couleur douteuse. Elle le porta à son nez et le huma, les yeux plus brillants que jamais.

– C’est celui de maman…

– Ça fera l’affaire. 

Il s’empara du dernier souvenir liant l’enfant à sa famille, salua brièvement la prêtresse et les autres elfes et tourna les talons. Il ne vit pas le geste désespéré d’Amanita en le voyant s’éloigner avec son précieux mouchoir. Il redescendit souplement au cœur de la grotte.

Avant de quitter les lieux, il s’attarda un moment encore devant la statue. Son cœur se serra, Ciri lui manquait tant. Yen comptait sur lui pour la retrouver. Il devait la retrouver. La vision transmise par Amanita ne devait pas se réaliser. 


Il revint au village plus vite qu’il ne l’aurait souhaité. Il avait toujours dans sa main le petit mouchoir qui prouverait qu’il avait mené à bien sa mission. Il devait maintenant reconstituer son visage d’impassibilité, celui-là même qui valait aux sorceleurs la réputation de n’avoir aucune émotion. 

Les villageois s’écartèrent sur son passage, qui l’air défiant, qui dégoûté. Des enfants courrurent au-devant de lui, lançant des commentaires dénués de filtre, mélange de fascination et de répulsion. L’agitation amena sur les seuils les personnes occupées en intérieur. Une femme lâcha la panière de linge qu’elle était sur le point d’étendre et s’élança vers lui. Pâle et amaigrie, elle le fixa de ses yeux rouges et gonflés, guettant une source de soulagement.

– Vous l’avez retrouvée ?

– Allons discuter à l’intérieur.

Les voisins virent la porte se refermer puis entendirent le hurlement déchirant. Personne ne réagit. À l’intérieur, Geralt attendit que la mère retrouve un semblant de contenance. Affichant un visage de marbre, il tendit la main vers le père. L’homme cracha sur le sol de terre battue et lui remit à contrecœur la bourse promise. Le sorceleur l’empocha, salua ses clients et vida les lieux. 

Il récupéra Ablette à l’écurie et reprit la route vers sa prochaine mission. Ses épaules s’affaissèrent imperceptiblement, sa tâche était sans fin. Seules comptaient Ciri et Yen, hors il ne savait pas où était sa fille et l’amour de sa vie refusait de le voir…

Derrière lui, les regards mauvais le suivirent un moment puis chacun retourna vaquer à ses occupations. L’animation du jour était terminée.



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