Une désastreuse apparition enchanteresse

Chapitre 1 : Une désastreuse apparition enchanteresse

Chapitre final

2198 mots, Catégorie: T

Dernière mise à jour 06/10/2020 23:46

Cette fanfiction participe aux Défis d’écriture du forum Fanfictions . fr : Le jardin maléfique (octobre novembre 2020).


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Je crus être arrivé dans un endroit plus tranquille de cette saleté de jardin quand je me sentis soudainement soulevé par une cheville. Mon précieux chapeau à plume d'aigrette tomba sur le sol. Dans mon dos, mon luth sembla tenté de faire de même mais je parvins à en retenir la courroie en hurlant vaillamment :


  • Aaaaah!!! Au secoooours !!! A moiiiii !!!


La belle femme qui m'avait attiré jusque là avait cependant disparu. La plante entoura une nouvelle liane autour de mon corps, m'immobilisant tout à fait de ses épines anguleuses que je sentis s'enfoncer cruellement dans mes muscles ma peau sans, fort heureusement, les percer. Au moins mon instrument ne risquait-il plus de tomber... J'espérai néanmoins qu'il ne serait pas irrémédiablement marqué par les appendices du végétal. Reprenant mon souffle gêné par la pression sur ma cage thoracique, j'hésitai à m'égosiller de nouveau mais ne voulus pas risquer d'altérer ma magnifique voix. Quel avenir pouvait donc avoir un barde qui ne pût plus chanter ? Bon, je reconnus pour moi-même qu'un barde mort n'en avait concrètement pas plus…


Observant autour de moi ce monde surprenamment inversé, je constatai que je n'étais pas la seule proie de cette splendide Vénus Attrape-Mouches démesurée : plusieurs silhouettes apparaissaient effectivement réparties autour de moi comme un magnifique garde-manger hors-sol pour la plante mutante. L'immobilité ambiante et le silence environnant m'incitèrent à supputer que j'étais probablement le seul humain encore en vie dans les environs immédiats. 


Comme pour me détromper, un mouvement fluide entraîna un pauvre hère, suspendu comme moi, dans une des paires de mâchoires, magnifiquement rouges, de la plante carnivore. Celle-ci se referma aussitôt sur lui, entrecroisant ses longues dents vertes en un piège inextricable. Les lianes qui l’avaient ligoté se rétractèrent dans l'attente d'une nouvelle proie. Des hurlements se mirent à résonner, me confirmant l'horreur absolue de mourir digéré vivant…


J'étais en bien mauvaise posture et le sang commençait à me monter désagréablement à la tête mais, comme à son habitude, mon esprit fantasque, au lieu de s'atteler au problème immédiat, s'emballa à se remémorer le début de cette situation improbable, dans l'idée d'en faire une de ces ballades épiques qui font ma célébrité de par le monde.


La journée avait commencé on ne peut plus normalement : je m'étais éveillé nu et vigoureux dans les bras d'une belle femme qui s'empressa de me jeter dehors en entendant le retour inopiné de son mari. J'étais donc passé par là fenêtre et avais couru uniquement habillé de mon fidèle chapeau et de mes bottes, ma besace, mes vêtements et mon luth solidement agrippés contre mon torse, tant pour ne pas les perdre que pour dissimuler ce qui pouvait l'être. Quelques regards goguenards et gourmands m'accompagnèrent jusqu'à une ruelle discrète où je me vêtis avec la rapidité conférée par l'habitude. J'en ressortis nonchalamment, bien heureux d'avoir évité la confrontation avec un mari mécontent de plus mais un peu dépité d'avoir loupé les prometteuses réjouissances matinales qui venaient tout juste de débuter et le savoureux petit déjeuner qui devait les suivre.


Je me fis une raison pour les plaisirs de la chair et décidai de les compenser sans plus tarder par les plaisirs de la table. Je me dirigeai donc vers l'auberge du  "Cheval Blanc" qui servait des douceurs de qualité, du pain frais et des viennoiseries. Ma réputation et mon sourire enjôleur eurent tôt fait de me procurer une table avantageuse en bonne compagnie. Rien de tel qu'un petit vin de Toussaint dès le matin pour se mettre de bonne humeur ! 


Quelques chansons plus tard et des orins de plus dans ma poche et j'étais de retour sur les routes, me dirigeant vers Oxenfurt où j'avais rendez-vous avec ma vieille amie Shani. C'est en traversant un de ces petits hameaux sans nom durable que mon attention fut attirée par une silhouette enchanteresse qui m'inspira immédiatement ces quelques vers :


Souple telle une liane, 

La voilà qui s'éloigne

Cheveux longs et au vent

On en voit peu souvent

Croupe ronde et gracieuse

Poitrine généreuse

Elle m'envoie un baiser

Et d'un coup disparaît


La belle avait en effet poussé le portail ouvragé d'un jardin en retrait, disparaissant à ma vue, et sans même y songer avais-je décidé de l'y suivre pour l'y rencontrer… et plus si affinité.


De près, le portail se révéla rouillé et passablement délabré mais peu m'importait tant j'étais habité par l'âpre désir de la retrouver. J'eus probablement dû prendre le temps de m'arrêter et d'observer car dès lors que j'eus pénétré l'enceinte de ce jardin, la porte se ferma derrière moi avec fracas. Impossible de la rouvrir : elle semblait comme verrouillée.


Haussant les épaules j'avais décidé de chercher la jolie blonde diaphane dont les yeux, furtivement aperçus, m'avaient semblés aussi clair de l'onde pure d'un ruisseau de montagne. J'étais alors à l'embranchement de plusieurs intersections de ce jardin aux haies de ronces, couvertes de fruits, organisées, structurées et taillées de telle façon  qu'elles ne me permettaient pas d'y voir à plus de quelques pas. 


Un rire cristallin, qui me réchauffa l'âme, m'incita à passer sous les arcades de roses à ma droite. Les fleurs y exhalaient un parfum particulièrement sucré, capiteux, presque écoeurant. Je voulus en regarder une de plus près mais faillis me piquer sur une des nombreuses épines acérées desquelles perlait un liquide visqueux et noirâtre franchement peu engageant. Les roses qui paraissaient noires s'avéraient en fait d’une nuance violette très sombre avec une texture semblable à du velours. Je jugeai finalement plus prudent de rester à distance raisonnable, prenant soin d’éviter les gouttes qui auraient pu perler sur moi depuis la voûte végétale.


A la sortie de ce tunnel de verdure, le ciel avait perdu de son éclat. Tout semblait assombri voire menaçant. Un buisson soigneusement taillé ressemblait à s'y méprendre à un gigantesque golem endormi. Je le contournai sur la pointe des pieds quand je crus l'entendre soupirer : la panique me saisit alors et je détalai comme un lapin dans le dédale entretenu. 


Le rire envoûtant résonna de nouveau. Il ruissela sur ma peau, me guidant sous une arche de pierres hérissées, comme une patte ornée d'énormes griffes orientées vers le ciel.  Je pénétrai à ce moment-là dans un espace construit autour d'un bassin qui eût semblé apaisant si l'eau n'avait pas eu une apparence aussi visqueuse que sombre, cascadant dans un gargouillis étrange depuis une légère hauteur constituée de pierres blafardes.

 

Des bulles inquiétantes éclatèrent à la surface de cette étendue aqueuse et je vis en émerger deux gros yeux jaunes, brillants et globuleux assortis d'une gueule béante et pleine de dents. Avec un frisson d’appréhension, je décidai de contourner le bassin à bonne distance, longeant prudemment les buissons qui l'entouraient. Les traînées de petits boutons blancs et brûlants qui se dessinèrent douloureusement sur ma peau au contact des végétaux m’indiquèrent de façon cuisante le caractère urticant des dits buissons.


J’étais en train de pester de si vilaine façon que je n’ose même pas vous le retranscire quand une interminable langue gluante surgit brusquement de la mare, s'élançant à ma rencontre dans l'intention sans équivoque de m'entraîner vers la gueule béante de la bête immergée. Je bondis en arrière avec une telle vivacité que même Geralt eût pu me l’envier. Je reconnais néanmoins que lui n'eût certainement pas glapi comme je le fis. 


L'immonde langue s'englua dans un buisson, ramenant de ce fait une flopée de feuille urticantes à la bête qui les recracha aussitôt avec un cri de douleur et de rage, avant de lancer à nouveau son appendice vers moi. Je m'étais néanmoins élancé sans attendre et le monstre rata à nouveau sa cible, criant à nouveau son désagrément et son dépit. 


J'arrivai alors dans un espace apparemment dégagé où ma belle inconnue, dans une vision enchanteresse, semblait presque scintiller dans l'obscurité tant sa peau et ses cheveux étaient pâles et lumineux. Ses yeux étaient effectivement d'un bleu limpide et cristallin, tout comme sa voix quand, après un nouveau rire perlé, elle se mit à chanter. J'étais complètement et irrémédiablement sous le charme. La demoiselle se mit à danser langoureusement autour de moi, incarnant une grâce que je suis bien en peine de retranscrire. J’étais en émoi, totalement subjugué et je la suivis sans même m'en apercevoir. 


Je crus alors être arrivé dans un endroit serein et secure de ce jardin pour le moins inquiétant. Naïvement je m’étais identifié à quelque héro qui, ayant affronté les dangers de la quête, se voit récompensé par le cœur de sa belle. La suite vous la connaissez : elle s'était tut et avait subitement disparu, me laissant sans défense, béat d'admiration. Je ne repris mes esprit qu'au moment-même où le piège se referma sur moi.


J'étais donc là, en mauvaise posture, en train de chercher des vers dans le lourd silence qui avait suivi la lente agonie de mon compagnon d’infortune. J’avais chaud. Ma tête était lourde. Ces conditions étaient vraiment mal adaptée à une inspiration de qualité, surtout que j’étais dans l’incapacité de pouvoir prendre note. Je chantonnais vaillamment malgré le manque de souffle imposé par la situation, cela m’évitait de paniquer. Que diable aurait fait mon cher ami Geralt dans pareille situation? J’essayais de réfléchir posément : j’étais fait comme un rat, incapable du moindre mouvement, suspendu à plusieurs mètre du sol dans un jardin peuplé de monstre hors de portée de voix de quiconque. Mon salut ne pouvait donc venir que du moment où la plante se déciderait à m’engloutir, si tant était que je ne fus pas mort d’inanition d’ici-là. 


Par chance, si tant était que je pus considérer les faits qui suivent comme tel, la plante semblait assez vorace, les lianes ayant successivement nourri chacune des deux autres monstrueuses fleurs après que leur première victime ait fini de gémir. La nuit s’écoula au rythme régulier des nourrissages et réouvertures de fleurs en piège à loup. 


J’avais fini par m’assoupir quand je fus brusquement secoué par mon transfert. J'atterris brutalement sur la surface rouge étonnamment moelleuse. Sans hésiter un seul instant je projetai vivement mon luth, dont j’agrippais toujours solidement la courroie de mes doigts complètements ankylosés, vers les dents de la fleur. Un cri de victoire sortit de mes lèvres quand la fermeture du piège fut empêchée par l’instrument. Il fut suivi par un cri de douleur quand les sucs digestifs commencèrent à s’attaquer à ma peau. Mon corps, raidi par l’immobilité forcée et prolongée, m’obligea me faire violence pour ramper hors du piège corrosif. Je me glissai entre les dents maintenues espacées et me laissai tomber au sol dans un bruit sourd, toujours agrippé à la sangle de cuir. Mon précieux instrument me tomba sur la tête en résonnant plaintivement. Je me relevai alors vivement et me mis à courir vers la sortie.


Je retraversai les différents espaces tellement rapidement qu’aucune créature n’eut le loisir d’essayer de me causer de nouveaux ennuis. J’entendis néanmoins leur agitation après mon passage. Je revins à la grille de fer forgé qui était toujours verrouillée. Je l’escaladai sans attendre et partis sans demander mon reste, me jetant dans le premier cours d’eau croisé pour me débarrasser de l’acide qui me rongeait. 


C’était il y a quelques jours à peine et je commence seulement à m’en remettre. Pour l’heure j’ai différé mon séjour chez Shani et je loge au “Cheval Blanc” en essayant de prévenir les victimes potentielles. J’ai fait parvenir une missive à Geralt. J’attends son arrivée afin qu’il honore le contrat que j’ai négocié à son égard pour faire disparaître ce jardin maléfique. J’ose espérer que son expérience de sorceleur le préservera de l'envoûtement de la créature qui attire les hommes en son sein...     



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