Dans les ténèbres danse une flamme
Chapitre 1 : Dans les ténèbres danse une flamme
2267 mots, Catégorie: T
Dernière mise à jour 21/06/2020 18:59
Cette fanfiction participe aux Défis d’écriture du forum Fanfictions.fr : Songe d’une nuit d’été (juin - juillet 2020).
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Dans les ténèbres danse une flamme
Chaque pas lui coûte à présent. L'obscurité s'étend progressivement et il lui devient cruellement nécessaire de trouver un abri, d'autant plus qu'une vilaine bruine commence à tomber. Les moustiques le harcèlent, vibrant désagréablement à ses oreilles. Il ressent la tentation de les chasser de la main mais il sait que c'est inutile. Il économise donc ses forces. Ses vêtements apparaissent, tout comme ses longs cheveux blancs, raidis de crasse. Ils entravent ses mouvements et il sent la froide humidité ambiante s'infiltrer progressivement.
Journée de merde qui va visiblement déboucher sur une nuit tout aussi merdique. Il ne manquerait plus qu'il croise un spectre de minuit alors que sa besace d'huiles et d'élixirs orne la selle d'Ablette ! Jument qui savoure, comme un coq en pâte, une généreuse ration d'avoine au chaud, à l'écurie, tandis que lui patauge dans cette forêt sinistre en luttant contre l'engourdissement. Il s'ébroue, s'efforce d'avancer encore, déployant ses sens aiguisés à l'affût du moindre danger comme d'un espace protégé. Le sol devient plus ferme, la forêt plus dense, touffue, presque étouffante.
Il mesure son besoin de dormir ou de méditer pour reprendre des forces mais les conditions apparaissent vraiment trop peu propices. Les effets de son dernier élixir s'estompent progressivement, la douleur reprend ses droits sur le corps. Elle irradie dans son genou, entraînant une légère boiterie et lancine dans son dos et le long de ses bras, là où les nekkers l'ont lacéré. Il se sent vieux. Tellement d'années déjà à combattre des monstres pour quelques dizaines d'orins, à peine de quoi manger et se payer un toit sur la tête et tout ça pour quoi ? Recommencer encore dans le village suivant ? Ou se retrouver embarqué dans quelques méandres politique obligé de jouer un rôle malgré son souhait de neutralité ?
Il frissonne de froid et cela l'inquiète. L'épuisement le gagne et toujours pas d'abri. La nuit étale sa noirceur comme autant de tentacules qui dissimulent progressivement le paysage alentours. Ses yeux de chats dilatent complètement leurs pupilles pour capter la moindre lueur de ce paysage en noir et blanc éclairé par les rares étoiles et les rayons de lune qui filtrent à travers les nuages. Les arbres tout autour tendent leurs branches difformes et griffues comme pour l'aggripper, il croit apercevoir des silhouettes menaçantes, des yeux rouges briller dans la nuit. Il sait que c'est la toxicité des élixirs qui s'exprime mais il sent tout de même la vague glacée descendre le long de son échine.
Alors qu'il arrive dans un espace plus dégagé, son corps se tend soudainement :
— Et merde!
La lame siffle en sortant du fourreau fixé dans son dos. Les nombreuses pattes griffues font vibrer le sol. Les halètements résonnent. Un premier attaque, suivi d'un deuxième et d'un troisième. Ils se relaient, le harcelant de toute part. Il pare, pirouette, frappe, esquive… Jappements de douleur, grognements, hurlements... Deux sont au sol mais les crocs et les yeux jaunes brillent dans la nuit. Une vive douleur enflamme son mollet droit malgré la botte de cuir renforcé. Riposte immédiate de la lame qui chante et tranche, fatale. Encore un de moins.
Garder le mouvement, parer de toute part…. Il est encerclé. Une masse chaude, lourde et poilue atterrit sur ses épaules. La mâchoire claque à quelques centimètres de son oreille. La chute lui coupe le souffle, il roule, enserre le cou de la bête tout en cherchant son air. Sa botte cloutée heurte parallèlement violemment un museau bardé de crocs. Glapissement de douleur, repli de l'animal. La nuque de son agresseur est broyée entre ses mains. Il balance le loup inerte sur ses congénères puis récupère son épée en se relevant d'un bond, trop lent à son goût : l'épuisement le guette. Les bêtes se montrent néanmoins plus circonspectes. Elles sont encore neuf. Il est seul et amoindri. Elles le savent. Leur travail de sape reprend.
— Ça serait un comble de finir bouffé par des loups… grommelle-t-il pour lui-même. Allez, approchez ! Elle vous plaît ma lame en argent ?!
Il s'élance, se taille un passage hors du piège, choisissant un arbre massif pour s'y adosser, protégeant ainsi ses arrières. Plus que sept. Il reprend son souffle, traçant le signe Igny dans les airs. Les flammes sortent de ses mains roussissant les poils, carbonisant la chair dans un grésillement et une odeur écœurants. Glapissements, râles, hurlements. Les survivants renoncent enfin. Ils flairent un instant leurs congénères inertes puis tournent les talons après un dernier regard vers l'homme dangereux pour eux. Quatre survivants, dont deux blessés.
L'homme soupire et se laisse glisser sur le sol. Il vient de dépenser ses dernières forces. Panser ses blessures attendra. Il doit garder l'attention sur les autres dangers. Méditer reste exclu. Il grelotte à présent. Il sent l'oppression thoracique, les muscles qui se verrouillent, se tétanisent douloureusement. Une vague de désespoir le submerge. Il voit la nuit l'engloutir, la forêt achever de le dévorer. Une douce torpeur l'envahit malgré lui. Il retrouve son étreinte, ses longues boucles noires au reflets de plumes de paon, la sécurité de ses bras, son parfum de groseilles et de lilas, ses yeux mauves brillants de larmes qui le supplient de lutter encore. Il doit rester éveillé mais ses paupières sont lourdes, tellement lourdes.
.oOo.
Dans les brumes de son inconscience, il perçoit la vibration de son médaillon à tête de loup sur sa poitrine. Une vive lumière mouvante apparaît d'un seul coup l'éblouissant à travers ses paupières closes.
Une silhouette en sort, l'obscurité revient. C'est une femme vêtue de noir et de blanc avec élégance. Sa tenue flatte ses courbes, met en valeur sa féminité élancée. Elle oriente la tête en tous sens, cherchant à percer l'obscurité en faisant apparaître une flamme bleutée dans la paume de sa main.
Le parfum de lilas et groseilles à maquereau ramène l'homme à la conscience :
— Yennefer, soupire-t-il d'une voix rauque.
— Geralt, s'élance-t-elle inquiète, effaçant les quelques mètres qui les séparent.
Elle s'agenouille, il s'enivre de son parfum, plongeant son visage dans sa chevelure soyeuse, se blottissant contre son corps chaud et doux. Il soupire tandis qu'elle fait apparaître un nouveau portail magique. Il rassemble la force de se lever, chaque pas lui coûte. Il aimerait faire l'impasse sur le portail mais elle le lui fait traverser.
Nausée qui le glace au plus profond de lui-même, désorientation, douleurs de son corps meurtri et épuisé. Il déteste au plus haut point ce mode de transport si dangereux à ses yeux.
Une douce chaleur les enveloppe tous les deux. Lui, tient à peine sur ses jambes, elle, le soutien, collant son corps ferme et chaud contre le sien. Il bougonne mais il se sent bien.
La forêt qui les entoure est totalement différente de celle qu'ils ont quitté. Geralt reconnaît les lieux. Un arbre monumentalement majestueux se dresse devant eux déployant ses branches immenses vers les autres arbres de la forêt qui l'encerclent à distance respectueuse. L'homme observe le feuillage trilobé parsemé de fleurs blanches délicatement ourlées de rose. Leur parfum enivrant se mêle agréablement à celui de sa bien aimée. Une multitude de lucioles vole dans toute cette clairière, égayant de leurs lueurs chaudes celles argentées des étoiles. Sous les racines solides de l'arbre pluri-centenaires un énorme rocher en granit scintillant offre une source chaude qui se déverse dans des bassins naturels successifs contournant l'extraordinaire végétal. Des stridulations d'insectes et de mélodieux chants d'oiseaux viennent compléter la scène.
— Brokilone…
— Vu l'état dans lequel je t'ai trouvé, ça m'a semblé approprié… Dans quoi es-tu encore allé te fourrer pour dégager une odeur pareille ? Ajouta-t-elle en fronçant son nez délicat.
— J'ai été missionné pour m'occuper d'une kikimorrhe. Malheureusement elle s'est réfugiée dans un coin plus reculé que prévu, m'éloignant plus que je ne l'avais escompté du village où j'ai laissé Ablette et réservé une chambre pour la nuit. J'ai eu ensuite la chance de tomber sur un groupe de nekkers qui acheva de me retarder et pour couronner le tout, une meute de loups à prétendu faire de moi son dîner.
— Je vois. Une journée ordinaire pour toi, en somme.
Il grimace, reconnaissant implicitement sa guigne habituelle, puis se ressaisit couvant la magicienne du regard :
— Pas tout à fait : habituellement j'aurais plutôt fini dans le chaudron d'un Troll, négociant pour ma survie ! Je ne sais pas ce qui t'a amenée jusqu'à moi mais je t'en suis très reconnaissant !
— Nous discuterons de mes raisons demain... Pour l'heure tu as besoin de récupérer et moi de te retrouver.
Un grand sourire aux lèvres en écho à cet aveu, il esquisse le geste de l'enlacer quémandant un baiser mais elle le maintient à distance en posant ses mains fermement sur sa poitrine.
— Hors de question que tu m'approches tant que tu ne te seras pas décrassé. Je ne sais même pas comment tu peux dégager une telle puanteur ! Déshabille-toi et choisis un bassin, je te rejoins.
Il prend l'air faussement blessé, vexé. Le regard sévère de son aimée laisse alors place à un sourire amusé. Se hissant sur la pointe des pieds, elle effleure rapidement ses lèvres dans un chaste baiser puis s'échappe, lançant par dessus son épaule :
— Je te veux nu et dans l'eau, ne me fais pas attendre où je t'y envois tout habillé !
Le portail magique s'ouvre à son geste. Elle disparaît dedans. Lui se déshabille avec difficulté : les boucles peinent à se défaire et le cuir imbibé et raidi lui colle à la peau et aux plaies. Grognements et gémissements, souffle court, les vêtements s'amoncellent au sol par dessus les bottes. Il suspend soigneusement sa précieuse lame à un arbre.
L'herbe est douce sous ses orteils, le maelstrom magique éclaire les bassins d'une lumière vive, colorée et changeante. Il se dirige à pas lents vers le plus proche, appréciant la tiédeur de l'air sur sa peau. La dureté froide et rugueuse de la pierre remplace la chatouille de l'herbe. Geralt plonge un pied dans l'eau chaude avec un soupir de bien-être puis se laisse glisser dans le bassin avec délice. L'énergie remonte en lui, la douleur s'estompe, l'eau magique fait son effet. Lui, se laisse flotter paresseusement, les yeux mi-clos. Il reprend rapidement quelques forces.
Elle réapparaît. D'un geste gracieux elle fait léviter le tas de vêtements puant à travers la lumière puis dépose le linge propre sur un rocher. Il l'observe laisser glisser sa robe à ses pieds, révélant la beauté de son corps, la ferme générosité de ses formes féminines, la luminosité de sa peau rehaussée par la noirceur irisée de sa longue chevelure, l'éclat de son regard violet. Elle achève de se dénuder sous les yeux gourmands de son sorceleur.
Elle marche, féline, pour le rejoindre dans l'eau sacrée des dryades. Lui ne perd pas une miette du délicieux spectacle qu'elle lui offre. La mousse parfumée efface les dernières traces des heures pénibles qu'il vient de vivre, détendant ses muscles, rendant sa blancheur immaculée à sa chevelure. Il se délecte des doigts habiles qui prennent soin de lui, le savonnant et glissant sur ses plaies pour s'assurer que les vertus de l'eau les ont correctement pansées, y adjoignant de leur propre magie là où cela leur semble nécessaire.
Peau contre peau, avec douceur et passion, leurs mains et leurs lèvres explorent les creux et les pleins. Ils prennent tout leur temps, profitant de l'instant. Avec tendresse et vigueur, le couple savoure l'union des corps et des cœurs. Soupirs, respirations haletantes, gémissements rauques et mélodieux mêlés, l'extase les submerge peu à peu jusqu'à leur intense délivrance. Ils goûtent ensemble à cet instant d'éternité mais le temps leur est compté, comme toujours…
Ils passent les dernières heures de la nuit allongés dans l'herbe grasse, blottis l'un contre l'autre, leurs doigts entrelacés, se contant à voix basse les derniers événements de leurs vies, prononçant quelques vœux sous la voûte céleste ponctuellement zébrée d'étoiles. Il s'enivre de son parfum tant qu'il le peut, savourant les battements de son cœur comblé. Quand le soleil se lèvera elle lui créera un nouveau portail qui le ramènera auprès d'Ablette. Elle, repartira de son côté. Savoir cette séparation inéluctable lui serre le cœur. Il voudrait que cette nuit, qui avait si mal commencé, ne se termine jamais...