Bienvenue sur la voie
Chapitre 1 : Bienvenue sur la voie
2326 mots, Catégorie: M
Dernière mise à jour 20/09/2020 10:47
Ce texte à été écrit dans le cadre du jeu d'écriture de juin-juillet 2020 proposant les mots-clés suivants : Famille/ Métiers sortant de l’ordinaire
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Bienvenue sur la voie
L'homme aux longs cheveux blancs marche en tête, en silence. La jeune adolescente le suit, plaçant ses pas dans les siens, imitant consciencieusement chacun de ses mouvements. L'un et l'autre se fondent parfaitement dans le décor, ils se déplacent avec une souplesse et une agilité dignes de félins, vous pourriez vous trouver à quelques mètres d'eux que vous ne percevriez pas leur présence dans la végétation ambiante. Tous deux sont vêtus de cuir renforcé et portent une lame fixée dans le dos, la garde dépassant au dessus de l'épaule droite. Cela fait déjà un long moment qu'ils marchent ainsi. Régulièrement, l'homme s'arrête, tend l'oreille, examine ici des empreintes sur le sol, là des branches cassées dans un bosquet, là encore une touffe de poils ou une marque de griffe. Il laisse la jeune fille observer à son tour, appliquée.
Il détaille sa courte chevelure gris souris, son visage fin et volontaire. Il refuse de se l'avouer vraiment mais il est fier. Elle est douée, vraiment douée. En plus d'avoir mémorisé les différents ouvrages qu'elle a étudié, elle acquiert, avec pugnacité, toutes les techniques des sorceleurs, compensant sa taille menue et sa faible corpulence par une vivacité et une rapidité dépassant celle de la plupart des humains. Elle reste cependant une humaine, certes avec un grand potentiel magique d'après Triss, et elle le restera : même s'ils avaient ce qu'il fallait, il ne la soumettrait pas à l'épreuve des herbes : elle n'a jamais été testée sur un organisme féminin et, malgré lui, il s'est attaché à elle. Il ne peut pas risquer sa mort. Ciri, son enfant surprise offerte par la Destinée, sa fille de coeur.
Pour l'heure il l'emmène pour la première fois sur la voie. C'est leur première mission ensemble, sa première expérience. Ils sont partis à l'aube et c'est en croisant quelques individus paniqués qu'ils sont allés se renseigner auprès du Burgrave de Boissombre. La raison de cette agitation ? Une énorme créature bipède, velue et cornue, apparemment en rage, poursuit et massacre tout le monde sur son passage, causant de grands dommages dans le village. Plusieurs bûcherons, ainsi que des villageois, ont ainsi trouvé la mort, de même que des femmes et des enfants dont certains étaient partis récolter des baies et des racines. Une grande quantité de provisions a également été dévorée engendrant un risque de famine.
Le Burgrave offrait cent orins à celui qui mettrait hors d'état de nuire la bête. Geralt, négocia âprement le contrat, l'obligeant à doubler son offre. S'il s'attira le ressentiment de l'homme acculé, celui-ci dut bien reconnaître qu'étant donné la dangerosité de la créature peu d'individus pouvaient prétendre l'affronter. C'était donc un travail pour un sorceleur et celui-ci devait bien gagner sa vie. Le contrat fut ainsi signé pour le montant demandé.
Comme pour chacune des missions de cet ordre Geralt mena son enquête pour savoir à quoi ils avaient affaires. Ciri suivit, observant, écoutant les témoignages des survivants terrifiés. Elle déduisit seule qu'ils allaient devoir se frotter à un Fiellon, se remémorant ses lectures sous l'oeil satisfait de son mentor. Elle récita de mémoire :
-"Le fiellon est une montagne de muscles au sommet de laquelle trône une tête cornue à la gueule bardée de crocs qui, en cas de confrontation, tue sans états d'âme… et sans la moindre difficulté. Il est si grands qu'il peut tuer un cavalier en armure et sa monture d'un simple coup de patte. Il est insensible au signe d'Aard et capable de se régénérer à vue d'œil même pour les blessures les plus graves."
-Très bien Ciri, mais il manque une caractéristique primordiale dans ta description.
-Oui je me souviens : "Pour couronner le tout, la force et l'endurance ne sont pas les seuls atouts du fiellon. Il possède un troisième œil, situé au centre du front, grâce auquel il peut hypnotiser sa proie. Pour la malheureuse victime, cet œil cerclé de flammes est bien souvent sa dernière vision." compléta Ciri avec un frisson d'appréhension.
-C'est exact. Comment est-ce qu'on peut le battre?
-Le fiellon possède bien une faiblesse : son ouïe. Il ne supporte pas les bruits forts. Il craint aussi l'argent et l'huile contre les vestiges.
-Quelle serait donc ta stratégie ?
Il l'observa réfléchir jusqu'à-ce qu'elle trouve d'elle-même la solution et lui demande de lui enseigner la confection de bombes ainsi que celle de l'huile contre les vestiges. Il lui indiqua alors les différentes formules qu'elle nota avec soin. Ensemble, ils prirent donc le temps de chercher et rassembler les ingrédients nécessaires aux préparations et il lui enseigna son savoir faire.
Ciri observe Geralt, qui est dans ses pensées. Elle croise son regard caractéristique des mutations qu'il a subi : elle s'est habituée à ses yeux de chat dorés aux pupilles fendues. Elle hoche la tête d'un air entendu, désignant d'un geste souple de la main la suite de la piste. L'homme sourit fugacement puis pose un doigt sur ses lèvres. Comme elle le sait, la bête est toute proche. C'est le temps de l'ultime préparation, chacun vérifie sa lame et l'oint de l'huile contre les vestiges, puis vérifie son stock de bombes, samum pour Geralt, Vesse-de-loup du diable pour Ciri, patiemment préparées le matin même. De cette minutieuse préparation dépend la survie du sorceleur, et de sa disciple, et les dieux savent quels risques il prend chaque jour dans son métier.
Tout est prêt. Ils ont discuté longuement de ce moment, établissant leur stratégie, déterminant le rôle de chacun, leurs différentes actions, les possibles situations. C'est donc pour l'assourdir et le désorienter que Geralt et Ciri ont prévu les bombes. A deux ils pourront le harceler, détournant son attention pour permettre à l'autre d'attaquer tout en se préservant de ses coups mortels et de l'hypnose de son troisième oeil. C'est en tous cas le plan.
Ciri n'a encore jamais vu de fiellon, seulement des gravures illustrées. Elle s'en remémore une fois encore la description. La tension monte en elle, une saine pointe de peur aussi mais Geralt est à ses côtés, elle sait qu'il fera tout pour la protéger. Il la couve du regard. Il lui a répété maintes fois que "la peur est une compagne qu'il faut accueillir et apprivoiser". Elle respire profondément, se concentre et donne le signal. Elle est maintenant prête.
Il se séparent. Geralt continue de remonter la piste tandis que Ciri contourne la zone pour prendre le monstre à revers. Elle est maintenant seule dans les broussailles, marchant sans un bruit, se fiant à son ouïe pour essayer de localiser le fiellon. Geralt met de côté la naturelle inquiétude qu'il ressent pour la jeune fille : il sait qu'elle est prête. Il se concentre pleinement sur la bête. Sa tanière est là. Ses sens de sorceleur lui confirment que le fiellon est à l'intérieur. Si lui voit quasiment comme en plein jour dans l'obscurité, ce n'est pas le cas de Ciri. Il va devoir le débusquer pour l'en faire sortir. Geralt lance donc une première bombe samum pour blesser ses oreilles sensibles et, avec de la chance, l'étourdir.
La détonation retentit. Une vague glacée coule le long de l'échine de Ciri en écho au rugissement de la bête. Son nez est agressé par l'odeur âcre de la fumée. Dissimulée derrière un arbre, elle se penche et observe. La créature est immense, elle sort de la grotte en rugissant de plus belle, enveloppée dans le nuage de fumée, secouant la tête aux bois monumentaux pour essayer de s'éclaircir la vue. Ciri aperçoit, voilés, ses trois yeux rouges dans lesquels des flammes semblent danser.
La créature apparaît aussi gigantesque que disproportionnée, dressée sur ses courtes pattes arrières de bouc, ses pattes avant, longues jusqu'au sol et griffues, pendant de chaque côté de son corps massif. Ciri frissonne de plus belle, s'imaginant esquiver le coup, nécessairement mortel, d'un de ces membres démesurés. Elle continue son observation : le fiellon est dépourvu de cou, sa tête bardée de croc semble implantée directement sur sa large poitrine velue. Oncle Letho à côté aurait l'air d'un gringalet, alors que dire d'elle-même, jeune brindille ?
Geralt s'est faufilé en silence derrière la bête, il attaque à la vitesse de l'éclair puis esquive la riposte de la créature d'une rapide pirouette. Ciri entre en scène, lançant habilement sa première bombe vesse-de-loup du diable qui roule entre les pattes du fiellon et explose aussitôt. Ciri et Geralt attaquent de concert, leur chorégraphie est parfaitement fluide. Ils enchaînent les coups et esquives, feintent, pirouettent, harcèlent le monstre de tous côtés pour le désorienter, lui interdire toute riposte efficace. Le blesser se confirme inefficace : ses plaies se referment à vue d'oeil. Il faut frapper fort et précis.
Ciri voit l'ouverture, elle s'élance, bondit, prend appuis sur l'épaule de Geralt, surpris mais solide, et vise l'oeil central du fiellon au moment où il capte son regard pour l'hypnotiser. Hurlement de douleur, le globe oculaire est projeté hors de son orbite, entraîné par le mouvement de la lame. Ciri est aussitôt balayée par les bois affûtés et tombe lourdement. Geralt lance sa bombe samum et dans le même mouvement saisit Ciri pour la projeter à distance de la bête, tentant d'user du signe de l'Aard pour amortir sa chute. Elle est sonnée. Des taches sombres dansent devant ses yeux, une douleur sourde pulse dans sa tête, son corps est lourd… Elle fait appel à ses ressources internes, à sa magie qu'elle maîtrise encore mal, puisant dans la terre de l'énergie pour continuer. Elle se relève prudemment pour disparaître dans la végétation sans quitter la scène des yeux.
La manœuvre de Geralt pour protéger Ciri a donné l'avantage au Fiellon, ivre de douleur, il en a profité pour l'acculer contre une paroi de la grotte. Il domine l'homme de toute sa hauteur et essaie de le transpercer de ses bois et de le pourfendre de ses pattes démesurées. Geralt pare et esquive comme il peut mais sa marge de manœuvre est ridicule. Des éclats de roche arrachés par la bête entaillent sa peau nue. Aucune possibilité de repli ni ouverture pour blesser la bête qui va l'avoir à l'usure et dont il voit l'oeil énucléé se régénérer.
Il jette un furtif coup d'œil là où il a envoyé Ciri. Elle n'est plus là. Son ouïe exceptionnelle l'entend dans les broussailles. Il doit rester concentré pour survivre. Une nouvelle bombe éclate, le fiellon porte ses pattes à ses oreilles, rugissant à nouveau sa souffrance. Geralt et Ciri attaquent simultanément : Ciri tranche ses tendons d'Achille d'un mouvement souple et franc tandis que Geralt, sautant comme un cabri, s'accroche aux bois pour enfoncer sa lame dans l'absence de cou de la bête. Un geyser de sang et un râle s'élèvent, la créature mortellement blessée s'effondre enfin.
Le silence assourdissant n'est animé que par les halètement du père et de la fille. Ils se regardent. Le temps suspend son vol. Un coeur tambour lent et profond contre un coeur d'oiseau léger et sautillant. Geralt sort de sa botte gauche son couteau de chasse et le tend à sa disciple. À elle l'honneur de prélever le trophée et les éléments intéressants pour de futures préparation alchimiques.
L'odeur du sang mêlée à celle de la créature, la sensation de la fourrure sous les doigts, la résistance des chairs et des os sous la lame parfaitement affûtée, le son humide et craquant, les viscères... Le contre-coup mêlée de fierté : ils l'ont fait, elle l'a fait, ils ont vaincu cette montagne de muscles, ils ont vengé les morts et protégé les vivants. Ils vont pouvoir aller chercher leur dû. Le temps de boire un élixir et leurs blessures attendront quelques heures de rentrer à Kaer Morhen.
Le Burgrave voit arriver l'homme aux cheveux blanc et la jeune fille. Ils ont l'air las, ils sont couverts de sang et visiblement blessés superficiellement. Son odorat est heurté par l'âcre odeur musquée des fluides qui imprègnent le cuir et dégoulinent de la tête immonde que l'enfant porte fièrement sur son épaule. Elle dépose l'horreur sur sa précieuse table. Les mouches se mettent aussitôt de la partie et un spasme tord les tripes de l'homme.
-Voilà votre paye, lance-t-il de même que la bourse dodue qui atterrit en tintinnabulant dans la main du sorceleur. BALEK! Viens me débarrasser de cette cochonnerie! Empale-là à l'entrée histoire que chacun sache que la sécurité est revenue.
L'homme de main fait son office tandis que Geralt et Ciri, après un mouvement sec de la tête, prennent congé.