Mon aventure avec le Sorceleur

Chapitre 7 : Retour chez-soi

4548 mots, Catégorie: T

Dernière mise à jour 14/12/2020 21:28

Chapitre 7 : retour chez soi


Je sentis les jacinthes des bois bien avant qu'elles ne soient en vue. Bientôt la forêt prit un aspect enchanteur, les fougères naissantes se mêlant aux fleurs bleues. Cela me confirma que nous arrivions dans la partie du bois où j'avais l'habitude de récolter mes plantes médicinales. Je retrouvais mes repères parmi les espèces d'arbre présentes et les buissons alentours. Nous arrivâmes dans une clairière piétinée. Je me figeai.


-C'est là qu'ils m'ont mis la main dessus… expliquai-je d'une voix blanche. J'étais agenouillée pour récupérer des racines quand on me jeta un grand sac sur la tête. J'ai eu beau crier et me débattre ils n'eurent aucun mal à me ficeler comme un rôti. J'ai d'abord été transportée comme un sac de patates sur l'épaule d'un de ces soudards. Je pouvais sentir ses sales pattes me pétrir les fesses pendant qu'ils me murmurait des cochonneries. Il m'a ensuite jetée en travers d'un cheval... Le trajet a duré tellement de temps… c'est à peine si on m'a autorisée à soulager ma vessie en route… Et encore avec le sac sur la tête… Le diable sait combien ont profité du spectacle... La suite tu la connais : ils ne m'ont libérée que pour me pousser dans ta geôle. 


Geralt crispa la mâchoire et serra les poings mais ne répondit rien. Il n'y avait rien à répondre à cela. Il se contenta de poser sa main sur mon épaule, mouvement de compassion et de protection. Je pris le temps de respirer pour chasser le souvenir de la peur et accueillir ma saine colère. Nous étions presque arrivés chez moi. Bientôt j'aurais des nouvelles de ma famille.


Les effets de la mandragore étaient enfin en train de s'estomper. Je pris le risque de remonter en selle. Nous étions sur le sentier que j'avais l'habitude d'emprunter, j'avais donc saisi les rênes pour guider moi-même Ablette. Geralt était aux aguets. Je le sentis se figer derrière moi. Sa lame de Sorceleur chanta quand il la sorti du fourreau. Sa voix grave résonna sèchement tandis que je stoppai la jument :


-Sortez de là, qui que vous soyiez!


Je vis une silhouette connue sortir prudemment de derrière un arbre.


-Tu peux rengainer, je la connais. Approche Jahlna, tout va bien. Geralt, mon apprentie, Jahlna. Jahlna, le Sorceleur, Geralt de Riv.

-Gaëlliane ! Je suis si contente de vous revoir ! Depuis que vous avez disparu nous nous faisions un sang d'encre. Quand Monsieur Rodric à vu les affiches mettant votre tête, et celle de ce Monsieur, à prix il a voulu partir aussitôt avec Mélusine. Malheureusement il a été arrêté et questionné durant toute une journée… J'ai pris soin de votre fille pendant son absence. Ce sont vos amitiés locales qui lui ont permis d'être libéré. Il m'a confié la mission de vous guetter et de vous prévenir et est parti aussitôt. Il m'a dit que vous sauriez où les trouver. Vous ne devez surtout pas aller au village, c'est beaucoup trop dangereux…


Entendre cela me fit monter les larmes aux yeux… Non seulement j'arrivais trop tard pour les rejoindre mais en plus mon époux avait été maltraité à cause de moi… J'essuyais une larme et demandai, la gorge nouée :


-Comment est-ce qu'il allait ? 

-Quelques échymoses et probablement une ou deux côtes de fêlées… J'ai traité comme vous me l'avez enseigné. Il s'en remettra. Cela ne l'empêchera pas de les protéger l'un et l'autre. Est-il vrai que vous avez blessé et abbatu des soldats?

-Nécessité a fait loi… Je n'en suis pas fière.

-Mais je t'en reste reconnaissant, déclara Geralt qui savait combien ce sujet m'était difficile. Il se tourna vers Jahlna : Penses-tu qu'il nous soit possible de rentrer discrètement au village ? Tu as certainement des capes à nous prêter jeune fille ?


Jahlna, du haut de ses quinze ans, rougit en réponse à la question du Sorceleur. Elle baissa la tête, joua avec ses longs cheveux blonds, se mordit la lèvre et écarquilla enfin ses grand yeux bleus vers lui.


-C'est à dire que j'ai promis à Monsieur Rodric de dissuader Dame Gaëlliane d'entrer au village… Je ne voudrais pas manquer à ma promesse…


Geralt hocha sèchement la tête. Je me laissai glisser au bas de notre monture pour accueillir mon apprentie dans mes bras. Elle faisait une bonne tête de plus que moi et dû donc ajuster sa posture pour m'enlacer. Je la sentais tremblante. Elle reniflait un peu dans mon cou. Je lui murmurai des remerciements pour avoir pris soin de ma famille et essayai de la rassurer. Il fallait absolument qu'elle nous fournisse de quoi entrer discrètement au village. J'avais besoin de voir ma maison une dernière fois et d'y récupérer certaines affaires. 


Je m'enquis de ce qu'il était advenu de ma petite jument. Jahlna m'apprit que Rodric l'avait mise à l'écurie, payant d'avance pour les soins, avec consigne qu'elle lui soit remise à elle dès qu'elle le demanderait. Je poussai un soupir de soulagement, comme d'habitude il avait pensé à tout. Elle m'apprit qu'elle avait préparé à sa demande un trousseau de quelques vêtements et des vivres. Les sacoches étaient prêtes à être fixées à la selle d'Orage. Il ne restait qu'à ajouter les victuailles périssables. Il me manquait néanmoins quelque chose d'essentiel à mes yeux… L'arc de mon père.


C'était tout ce qu'il me restait de lui, emporté trop tôt par une maladie pulmonaire que ma mère avait tenté, en vain, de soigner. C'était une des raisons qui m'avaient d'ailleurs poussée à devenir guérisseuse à mon tour, pour ne plus vivre l'impuissance que j'avais vécu à cette époque de ma vie. 


J'avais rencontré Rodric ainsi : il s'était blessé à la main avec une de ses inventions, sa passion pour la mécanique l'amenant à faire des expériences parfois périlleuses. La blessure était légère et fut bientôt guérie mais des sentiments durables s'étaient installés en nous. C'est donc tout naturellement qu'il m'avait fait la cour et que nous nous étions mariés, très amoureux l'un de l'autre. J'aimais passer des heures à l'écouter parler de ses projets et à découvrir ses réalisations. 


Nous avions profité l'un de l'autre quelques années avant de nous décider à fonder une famille. Ainsi était née Mélusine presque cinq ans auparavant et c'était un bonheur au quotidien de la voir grandir. Rodric avait construit notre maison de ses mains, l'emplissant de ses inventions destinées à faciliter la vie. Il en avait fait son commerce. Je continuais de mon côté de perpétuer la tradition de guérisseuses des femmes de ma famille, venant en aide à quiconque en avait besoin et transmettant au fil du temps mes connaissances à ma fille. 


Vraiment, j'avais besoin de passer une dernière fois chez-moi, récupérer le précieux arc, deux ou trois autres choses et dire au-revoir à cette maison où nous avions été si heureux.


-Je sais ce que t'a demandé mon mari. Je connais son besoin de me protéger tout comme il connaît ma propension à n'en faire qu'à ma tête. Fais ce que Geralt t'a demandé : procure-nous des capes. Nous ferons un passage éclair quelques heures avant le lever du soleil pour éviter toute rencontre fâcheuse. Nous te rejoindrons derrière la colline aux arbres morts pour récupérer Orage et tout ce que tu as préparé.


Jahlna hocha la tête :


-Il s'en doutait et moi aussi… Les capes sont dans l'arbre creux près du ruisseau. J'ai bien fait d'en prévoir deux. Rendez-vous donc là où vous avez dit. J'attendrai jusqu'au lever du soleil au plus tard. Soyez prudents tous les deux.

-Toi aussi sois prudente Jahlna… Je compte sur toi pour garder la maison, si cela t'es permis, et prendre soin des patients comme je te l'ai appris. C'est un peu tôt mais il va falloir voler de tes propres ailes jeune guérisseuse. 


Nous nous reprîmes dans les bras, contenant nos sanglots. Le temps des au-revoirs n'était pas encore tout à fait venu. Je la regardai s'éloigner reprenant le chemin de Village et je priai intérieurement pour qu'elle ne soit inquiétée à aucun moment.


Il ne restait plus qu'à attendre la nuit. Nous nous éloignâmes vers l'arbre creux et le bosquet retiré, confortable et à l'abri des regards, longé par le ruisseau. Jahlna nous avait laissé ses provisions ce qui nous permit de nous sustenter. Cela changea très agréablement des quelques pommes dont nous nous étions contentés depuis la veille. Repus, nous prîmes le parti de dormir jusqu'à la nuit pendant qu'Ablette se régalait du picotin laissé par Jahlna, puis paissait les herbes grasses locales. Geralt posa la tête sur sa selle et je posai la mienne sur son abdomen. Nous nous laissâmes aller au sommeil.


***


Quand je m'éveillai, le soleil était en train de se coucher. Il nous restait encore de longues heures d'attente avant notre excursion. Je pris le temps de tracer au sol un plan sommaire du village et de ses alentours afin de donner à Geralt un maximum de repères et convenir avec lui d'une stratégie pour éviter tout ennui. Il était possible, voire probable, qu'il y ait des soldats en faction. Nous essayâmes de deviner où ils pourraient s'être positionnés pour ne pas les rencontrer. Il était également plus que probable qu'il y en aurait chez moi. Il faudrait donc trouver le moyen d'entrer et sortir sans être inquiétés. Je repensai soudain à une des inventions de mon homme : une échelle à déplier permettant de descendre depuis l'étage en sécurité. Si nous trouvions le moyen de la faire descendre alors nous pourrions monter par là, à l'arrière de la maison. Il faudrait pour cela passer par les jardins potagers mais cela devait être jouable. 


Nous avions anticipé tout ce qui pouvait l'être. La nuit était tombée amenant avec elle les sons des animaux nocturnes. C'était la nouvelle lune, nous n'aurions donc que la lueur des étoiles pour nous éclairer. J'allais, de ce fait, dépendre totalement des capacités visuelles de Geralt qui, je le savais, y voyait presque comme en plein jour, d'autant plus qu'il venait d'ingurgiter quelques-uns de ses élixirs. Son visage était devenu plus crayeux que jamais, ses veines se dessinaient sombrement autour de ses yeux entièrement noirs tant ses pupilles étaient dilatées. Je comprenais qu'on puisse le trouver effrayant.


Nous avions enveloppé les sabots d'Ablette dans ce qu'il nous restait de chiffons afin que ses fers ne résonnent pas dans le village. Impossible de la laisser dans la forêt, notre lieu de rendez-vous étant à l'opposé. Je commençais à m'agiter, comme un lion en cage. Cette attente devenait insupportable. Geralt détourna mon attention en me faisant la conversation mais j'avais beaucoup de peine à me concentrer. 


Enfin l'heure était venue. Toutes nos affaires étaient prêtes, rangées dans les sacs et sacoches. Nous avions enfilé les lourdes capes de laine et rabattu les capuches sur nos têtes, dissimulant nos visages. Geralt m'installa sur la jument, la guidant à la main. Je la sentais nerveuse, elle n'appréciait visiblement pas cette promenade dans l'obscurité. Elle renâcla et Geralt utilisa un Signe qui sembla l'apaiser. Je la flattai de la main tout en veillant à me relâcher et à respirer profondément sur son dos pour lui transmettre de la tranquillité.


Nous sortîmes du couvert des arbres pour arriver sur la route du village. L'idée était de le contourner pour éviter l'entrée principale en passant par la voie utilisée d'ordinaire pour le bétail. Comme espéré, les ruelles semblaient vide. Nous ne percevions aucune source de lumière au sein des bâtiments. Une voix résonna :


-Putain quel boulot de merde, jura l'individu en crachant bruyamment, c'est pourtant logique qu'ils sont pas assez cons pour se jeter dans la gueule du loup !

-Ferme-la ! Les ordres sont les ordres, chaque rue doit être surveillée un point c'est tout.

-Ouais ben en attendant ras-le-bol de me cailler les miches pour rien ! T'as rien à boire qui réchauffe ?

-Tu m'fais chier! Tiens ! Mais la prochaine fois c'est toi qui régale!

-Ouais, ouais…


Nous avions donc confirmation du comité d'accueil. L'avantage c'est que ces deux-là étaient tellement bruyants qu'on avait pu les contourner tranquillement sans qu'ils ne s'apperçoivent de rien.


J'avais le coeur battant. Je priais pour que la jument reste silencieuse elle aussi. Nous comptions les ruelles pour arriver dans celle donnant sur les jardins potagers. Geralt repéra les gardes suivants, quelques mètres avant que nous arrivâmes devant. Il me fit une pression sur la main, code convenu pour m'indiquer qu'il s'éloignait, j'entendis ensuite une courte agitation, puis il revint nous chercher, entraînant Ablette toujours plus loin. Jusque là, tout se passait bien.


Les choses se corsèrent quand il fallu tourner dans plusieurs ruelles adjacentes pour arriver là où nous voulions : il y avait de plus en plus de soldats ce qui nous rendait la tâche difficile tant pour les contourner ou pour les réduire au silence. Il était clair que la volonté était grande de nous capturer. Un frisson glacé me parcourut l'échine en imaginant quels châtiments nous attendaient s'ils nous mettaient la main dessus. 


Enfin nous arrivâmes au niveau des jardins potagers. La terre nue avait été retournée, préparant les premiers semis. En bordure des maisons, les dernières courges étaient stockées en attendant d'être mangées. Un seul soldat avait été affecté à l'espace arrière, il était d'ailleurs en train de maugréer contre sa mauvaise fortune. Il fut pris de panique quand il apperçu notre silhouette se découpant sur le ciel étoilé et, sans même penser à crier, partit en courant prévenir ses collègues. Je vis Geralt hésiter à lui courir après puis se raviser. Se saisissant d'une courge, il la lança avec précision et puissance sur l'individu qui tomba assommé. Geralt s'en frotta les mains. 


Nous y étions. Je connaissais la solidité de notre porte arrière, protégée par un système conçu par mon mari. Impossible de l'ouvrir de l'extérieur… A priori les soldats n'avaient pas su l'ouvrir de l'intérieur non plus, ce qui pouvait expliquer l'unique homme en faction. La seule solution était donc notre fameuse échelle de secours mais elle était pliée, à l'étage. C'était beaucoup plus haut que dans mes souvenirs. Le mur, blanchi à la chaux n'offrait pas la moindre prise. Comment diable allions-nous l'atteindre ?! Je calculais mentalement la hauteur d'Ablette, celle de Geralt et la mienne. 


-J'ai une idée mais ça promet d'être acrobatique… Peux-tu garder Ablette tranquille contre le mur ? Bien. Et te mettre debout sur la selle? Ok. Tu n'as plus qu'à me hisser sur tes épaules.


Tout en veillant à son équilibre, il fléchit les genoux pour me laisser prendre appui de mes mains au niveau de ses épaules. Je lui présentai mes tibias pour qu'il puisse me soutenir par là. Il se redressa lentement, me soulevant jusqu'à-ce que je sois en capacité de poser mes pieds sur ses épaules. Je m'accrochai comme je pouvais à sa tête, à ses cheveux. Le fou-rire nous guetta tant la situation était improbable ! Enfin, je parvins à me redresser complètement. 


-Par la peste! Il me manque juste quelques centimètres ! 


Geralt me saisit à nouveau par les tibias et je gainai tout mon corps tandis qu'il me soulevait à bout de bras. Je le sentais tendu sous l'effort mais il tenait bon et sa jument aussi. J'attrapai avec soulagement le bord de l'échelle.

-Je l'ai, avais-je presque crié, tu peux me faire descendre !


Il me descendit avec prudence tandis que je tirai l'échelle derrière moi. Je me laissai glisser au sol pour achever de la déplier. Geralt, lui, se remit en selle pour démonter un peu plus loin, attachant Ablette à un arbuste.


J'escaladai l'échelle avec agilité pour me retrouver au bord de la fenêtre. Elle avait un système d'ouverture particulier, encore une invention de mon époux. Je fis la manœuvre permettant d'ouvrir puis me laissai prudemment glisser dans ma maison. Marchant à pas de loup, je me décalai pour permettre à Geralt d'entrer à son tour. Il posa un doigt sur ses lèvres, déployant ses sens pour évaluer la présence ou non de soldats à l'intérieur du bâtiment. 


-Rien à signaler à cet étage, me souffla-t-il.

-Tu as replié l'échelle derrière toi? Articulai-je presqu'en silence.


Il hocha positivement la tête. Je regardai autour de moi, percevant, malgré l'obscurité ambiante, que nos affaires avaient été retournées, fouillées. Je me dirigeai vers notre espace dédié au sommeil pour venir humer à plein poumons les draps des lits. L'émotion m'étreignit : ils me manquaient tant! Que c'était doux de retrouver leurs parfums ! Geralt me laissa le temps dont j'avais besoin. 


Je me dirigeai ensuite vers le coffre au pied du grand lit. Fouillant dedans, je dénichai une petite lampe à huile qui nous servait de veilleuse les nuits ou Mélusine avait peur du noir. J'en savais la lumière très douce et tamisée. Rodric l'avait conçue avec un système de friction qui permettait de l'allumer sans briquet. A cette lueur je sortis une paire de bottes de cuir cloutées et renforcées appartenant à mon homme. Comme je m'en doutais il n'avait emporté que les nouvelles que je lui avais fais faire pour son anniversaire. J'étais quand-même étonnée qu'aucun soudard ne se les soient appropriées. Je les tendis à Geralt :


-Essais-les. Je pense qu'elles sont à ta taille. Ça nous permettrait de nous débarrasser de tes bottes puantes!


Il les enfila. Elles lui allaient parfaitement. Il jaugea d'un air appréciateur la qualité du cuir et des renforts en métal protégeant les orteils et offrant très certainement une efficacité appréciable s'il s'avérait nécessaire de donner des coups de pieds. Ces renforts étaient encore une invention de Rodric qui voulait éviter de se faire écraser les pieds en cas de chute de pièces dans ses constructions mécaniques.


Je lui fis signe de me suivre. Nous étions sur une plateforme en mezzanine, juste sous les combles. Je lui désignai une petite trappe au plafond que j'étais incapable d'atteindre. Lui n'eut qu'à tendre le bras pour la faire glisser. Il tâtonna un instant avant de trouver ce que j'étais venue chercher. Il sortit le paquet soigneusement enveloppé dans une couverture de lin et me le confia. Je m'agenouillai pour le poser au sol et déballer, presque religieusement, l'arc et le carquois empli de flèches de mon père. Une nouvelle vague d'émotion monta en moi. Il me manquait tant lui aussi… Je n'avais jamais pardonné à la vie de me l'avoir arraché alors que je n'avais qu'une douzaine d'années… Il avait encore tant de chose à m'apprendre ! 


J'installai l'arc et le carquois dans mon dos comme je l'avais si souvent vu faire et ajustai les courroies à ma morphologie. Cela faisait de longues années que je n'avais pas tiré à l'arc mais je me souvenais encore de ses conseils et de sa main sur la mienne pour me guider dans le bon geste. J'étais plutôt douée à l'époque. J'avais donc de bonnes chances de vite retrouver le coup de main. Sentir la présence de l'arme dans mon dos me provoqua un sentiment ambivalent de sécurité et de culpabilité. Enfin j'avais les moyens de me défendre mais cela impliquait de potentiellement faire couler le sang à nouveau ou pire : tuer.


Il me restait une dernière chose à récupérer avant de partir mais cela impliquait de prendre le risque de descendre d'un étage. Je désignai l'escalier de bois à Geralt. Il leva les yeux au ciel en faisant non de la tête. Je répondis par de gros yeux et un nouveau signe vers l'escalier. Il haussa les épaules d'un air défaitiste puis m'offrit un sourire diabolique. Je le laissai passer devant. Il était évident qu'il y aurait un comité d'accueil mais je devais absolument passer par ma salle de soin.


Le bois de l'escalier craqua sous le poids de Geralt, entraînant une agitation soudaine en bas. Je mouchai ma lampe afin qu'elle ne fasse pas de nous des cibles. Les soldats devaient être au nombre de quatre si j'en croyai mes sens. L'un d'eux essayait désespérément d'obtenir une source de lumière mais l'étincelle ne venait pas. Je l'entendais pester contre l'ordre de son chef de rester dans le noir pour nous prendre par surprise. Geralt fit le Signe de l'Aard, les projetant contre un mur dans un bruit sourd, puis entreprit de tester l'efficacité de ses nouvelles bottes. J'entendais des cris de douleurs et priai pour que cela n'ameute pas leurs collègues. 


Connaissant ma maison par cœur, je m'étais faufilée jusqu'à mon espace de travail. Je me pris les pieds dans des objets jonchant le sol. J'étouffai un juron et eus un élan de colère en rallumant la veilleuse : tout mon matériel avait été saccagé. Mes fioles cassées, mes plantes médicinales jetées en vrac, mes instruments lancés comme des fléchettes au mur. Des années de travail réduites à néant ! Quel gâchis ! Jahlna allait avoir bien du travail pour remettre tout cela en état…


Par chance ils n'avaient pas trouvé la trappe secrète que Rodric m'avait conçue dans le mur afin de ranger ce qui m'était le plus précieux. Je m'étais doutée qu'il n'avait pas eu le temps de rassembler cela pour les confier à Jahlna. Elle-même n'était pas dans le secret de cette cachette. J'en sortis donc les instruments qui, comme la serpe, se transmettaient de mère en fille, du fil de soie pour les sutures ainsi que plusieurs élixirs rares et coûteux. J'y récupérai enfin la bourse contenant mes économies. Je mis le tout dans mon sac. J'étais prête à partir. 


Je rejoignis Geralt qui gardait à l'oeil les quatre hommes assommés, prêt à leur allonger un nouveau coup de botte si nécessaire. Il eut un hochement de tête entendu et me suivit dans l'escalier, couvrant nos arrières. 


Geralt étudia le terrain avant que nous ne passions par la fenêtre. Il s'était écoulé à peine quelques minutes depuis notre arrivée, l'alerte ne semblait pas avoir été donnée. Il descendit le premier, provoquant le déploiement de l'échelle par son poids, et je suivis. Je pris cette fois le parti de monter en croupe histoire de pouvoir utiliser mon arc si nécessaire. Ce choix avait l'inconvénient de me rendre incapable de voir devant moi, mon horizon étant bouché par le corps massif du Sorceleur. Je m'en remettais une fois encore entièrement à lui. 


Je serrai mes genoux contre ses hanches et il lança Ablette au galop, traversant les potager, filant vers la haie vive permettant de les délimiter des champs communs. Je suivi le mouvement quand je sentis Geralt se mettre en équilibre en appui sur les étriers, la jument sauta sans effort l'obstacle. Nous galopions à présent à travers les champs fraîchement retournés, notre allure était régulière et souple sur ce terrain. Le corps de Geralt me préservait de la morsure du vent lié à notre vitesse. 


Je me retournai une fois de plus pour surveiller nos arrières quand j'apperçus la lueur de torches dans la nuit. 


-L'alerte est donnée ! Ils sont en chemin ! 


Geralt tourna la tête à son tour, évaluant le nombre de nos poursuivants.


-Je compte une demi-douzaine de torches. On va essayer de les semer. 


Je pris une initiative périlleuses en décidant d'empoigner mon arc et de m'installer dos à Geralt, mon carquois se cala entre nos deux dos, en quinconce avec son épée, dont il vérifia machinalement le bon coulissement. S'il fut surpris par ma manœuvre il n'en signifia rien. 


Je bénissais mentalement mon père qui, en plus du tir à l'arc, m'avait également appris à monter à cheval, me faisant faire toute sorte d'accrobaties sur leur dos, m'apprenant à en tomber sans dommage et à monter en marche. Il m'avait appris à faire de ma petite taille un véritable atout. J'étais probablement un peu rouillée mais j'allais pouvoir mettre à contribution son enseignement.


Nos poursuivants galopaient à vive allure sur le chemin qui longeait les champs. Ils avaient dû découvrir la fenêtre ouverte et l'échelle dépliée et en déduire notre direction. Je n'étais pourtant pas convaincue qu'ils pouvaient nous voir dans l'obscurité ambiante. En ce qui me concernait, c'était clairement leurs torches qui les avaient trahi. Geralt en était arrivé à la même conclusion. Il incita Ablette à accélérer dans le but de les prendre de vitesse. Il s'agissait d'arriver à la colline aux arbres morts avant que le ciel ne commence à blanchir, révélant notre position. Je repris une position plus confortable tout en gardant mon arc en main au besoin. Apparemment la confrontation restait évitable.


Nous n'étions plus très loin de la colline. Les torches de nos poursuivants restaient visibles mais il semblait que nous les distancions de plus en plus. Nous galopions vers le Sud-ouest et le ciel semblait déjà moins sombre. J'étais inquiète pour Jahlna. Geralt passa Ablette au trot pour gravir la colline, nous slalomions entre les arbres calcinés par un incendie remontant à quelques mois. Pas de doute, la clarté était déjà plus grande puisque j'appercevais les jeunes pousses reprenant leurs droits sur la terre brûlée. Jahlna était au point de rencontre comme prévu. Elle était sur un grand hongre noir et tenait ma petite jument, entièrement harnachée et équipée des sacoches, par la bride. Elle réagit à mon approche par un son doux de ses naseaux.


Les adieux furent rapides et formels : le risque était trop grand pour prendre notre temps. Jahlna fila plein Sud pour éviter de croiser les soudards tandis que nous partions vers le Nord-Ouest en direction de la Forêt de Brokilone. Mon cœur se serra à cette séparation mais j'avais hâte d'arriver dans des terrains plus vallonnés, hors de vue depuis la colline. 


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