La fin de toutes choses
Chapitre 1 : Le début de la fin.
Catégorie: G
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La Porte Noire s'ouvrit lentement avec un bruit sourd, de la poussière virevolta. Nous fîmes demi-tour après un bref « On se replie » du capitaine. Aragorn, Legolas, Eomer et Gandalf, lancèrent alors leur monture au galop. Je restai en arrière de la petite troupe, sur mes gardes, Merry se cramponnant à moi. Je pus sentir la peur et le découragement du bataillon depuis ma position. Lorsque nous arrivâmes, mon ressentiment fut confirmé : nous trouvâmes des hommes apeurés, dont le courage s'envolait littéralement à la vue des milliers d'Orques qui se déversaient de la Porte. Il était vrai que ces Orques me donnaient plutôt envie de fuir loin de cette folie, à moi aussi, mais j'avais confiance en le jugement d'Aragorn. Et puis je n'envisageais pas une seule seconde d'abandonner mes courageux amis, Frodon et Sam. Il les enjoigna alors de tenir leurs positions et de ne pas avoir peur car : « Le jour où les Hommes du Gondor et du Rohan abandonneront leurs amis, leurs familles et leurs terres n'est pas arrivé, l'age des Hommes n'est pas terminé ! ». Revigorés, les Hommes de l'Ouest sortirent leurs épées de leurs fourreaux, pointèrent leurs lances et leurs haches vers le ciel, scandant divers hymnes de guerre. Je lisais dans leurs yeux une envie de se battre, de reconquérir la Terre du Milieu. Une force nouvelle envahit leur coeur, ils allaient combattre pour notre chère terre et les peuples libres. Aragorn était un capitaine qui savait tirer le meilleur de chacun.
Je descendis de Nox et aidai Merry à glisser de sa croupe. Tous les cavaliers mirent aussi pied a terre, le Seigneur des Chevaux emmènerait nos chères montures loin de la bataille imminente. Je déposai un baiser sur les naseaux de Nox. Le laisser partir m'affectait vraiment, je l'aimais beaucoup. Il hennit doucement, puis Grispoil bondit en avant et les chevaux s'empressèrent de le suivre. Disparus de mon champ de vision, je regagnai mon poste. J'arrivai juste à temps, les armées de Sauron commencèrent à nous encercler. Nos troupes se positionnèrent en étoile, pour attaquer et nous défendre de tous les côtés. La tension montait. Je sentais la haine, la noirceur des desseins ennemis nous envelopper comme dans un écrin et je tentais tant bien que mal de les refouler. Je percevais également, comme une faible lueur, qui vacillait au milieu des ombres : nous étions sur le fil, la lumière rejaillirait ou disparaîtrait pour toujours. Mon coeur battait fort, l'adrénaline affluait dans mes veines. Je me faufilai derrière le reste de la Compagnie Grise et me plaçai à droite de Eomer. Celui-ci me lança un regard inquiet à la dérobée ; j'effleurai sa main. Il ne voulait pas que je risque ma vie dans cette ultime affrontement, surtout après ce qui m'était arrivé au Champs de Pelennor. Mais j'avais recouvré la majeure partie de mes forces et étais de nouveau sur pieds.
Je dégainai mon épée, Köna, cadeau de la Dame Galadriel. Les Orques continuaient d'affluer autour de nous. Legolas et Gimli se confièrent des paroles amicales, ce qui me fit réaliser que nous voyions certains peut être pour la dernière fois. Pour la première fois depuis les rives de l'Anduin, un pressentiment d'angoisse me tordit les entrailles. Ce jour-là, notre compagnon et ami, Boromir était mort. Legolas me fit un signe et me coupa de mes funestes pensées. Je plaçai mon point sur mon coeur, signe d'honneur chez les Elfes ; il m'imita. Puis, un grand silence se fit : l'armée ennemie s'était immobilisée ; l'oeil de feu était sur nous. La tension était à son comble, il suffisait d'une étincelle pour mettre le feu aux poudres. Aragorn avança de quelques pas en dehors du rang et se tourna vers nous. Il nous sourit et dit tout bas afin que seule la Compagnie puisse entendre : « Pour Frodon » et se rua vers l'ennemi. Pippin et Merry se précipitèrent derrière lui, suivis de Gimli, Legolas, Gandalf et moi-même, mais ils se firent vite rattraper et distancer. Ce ne fut pas une étincelle, mais un brasier qui se déclencha à cet instant dans le coeur des derniers hommes libres ; l'armée rugissante des Hommes de l'Ouest chargea de tous côtés, et la Dernière Bataille commença.
Le choc des milliers d'épées, de boucliers, de lances et d'armures fut assourdissant. Nous fîmes une percée derrière Aragorn. Je vainquis facilement le premier Orque qui s'interposa. Köna étincelait dans la faible lumière du soleil et transperçait casques et cottes de mailles. L'inquiétude était toujours présente, j'étais donc attentive et prête à voler au secours d'un ami ou d'un allié. Au bout d'une dizaines d'Orques supprimés sans encombres, un Huruk-hai m'attaqua. Il mesurait bien deux mètres cinquante, il était musclé, colossal. Il gronda et fonça sur moi en agitant son énorme épée au dessus de son hideuse tête et, l'abattis. Je parai en empoignant Köna à deux mains. Sa force phénoménale me surprit quelque peu. Mais j'étais encore assez forte pour vendre chèrement ma peau. Il me balança un coup de pied et nous nous séparâmes. Il attaqua de nouveau, vif, vers mes jambes. J'esquivai et le forçai à reculer. Le corps à corps reprit, j'enchaînai les feintes et les parades, mais mon ennemi était puissant. Son épée siffla à côté de mon oreille gauche et transperça la cotte de maille de mon bras. Je retins un hurlement, et ripostai farouchement. Je ne pouvais plus me servir que de d'un bras. Il recula et perdit l'équilibre une fraction de seconde, ce qui me permit de le blesser à la cuisse. Il tomba à genoux et je le décapitai. Je ne pus même pas souffler une seconde car d'autres Orques me tombèrent dessus.
Je perdis la notion du temps et du nombre d'ennemis tués. Je contrais, feintais, pourfendais. Du coin de l'oeil, j'apercevais de temps en temps un visage familier, ce qui me rassurait. A un moment donné, un cri déchirant me vrilla les tympans, me fendant le crâne en deux. Les Nazgûls se joignaient à la bataille, envoyant valdinguer ceux qu'ils ramassaient avec leurs serres. Un Orque s'écrasa juste à côté de moi, me manquant de peu. Un autre tomba juste à l'endroit où je me tenais quelques secondes auparavant. Quelque chose essayait de s'immiscer dans mes pensées en même temps, j'avais du mal à ne pas me déconcentrer. Le cri strident et caractéristique résonna de nouveau entre les montagnes. Je tachais de prévoir où tomberaient les blocs, mais les reptiles ailés étaient rapides. Un hurlement de panique se fit entendre et une grosse pierre sortie de je ne sais où, aplatit une dizaine d'hommes. Comme au ralenti, l'hémoglobine jailli de leur corps, les gouttelettes écarlates luisant étrangement dans la pénombre, planaient dans l'air immobile. Elles semblaient ne jamais retomber et toucher le sol, c'était hypnotique. Cette vision envoûtante se brisa tandis qu'elles me heurtèrent. Je m'essuyai le visage et contemplai mon gant rougit sans le voir. J'étais totalement pétrifiée, face à cette horreur. Durant ce bref instant, j'avais été déconcentrée et je sentais, impuissante, la malice de l'Ennemi s'infiltrer comme du poison dans mes veines.
Une vague de désespoir me submergea et m'écrasa. J'en eus les larmes aux yeux. Du sang sur mon visage. Pas le mien. Celui de valeureux soldats. Les souvenirs m'assaillirent. Boromir. Haldir. Théoden. Les rives de l'Anduin. Le Gouffre de Helm. Les champs de Pelennor. Mon coeur se serra. Quel sens avaient nos vies, à part perdre nos amis et nos frères? Toute cette haine, cette guerre, les maux de ce monde pénétraient chaque parcelle de mon être. J'étais mortifiée, il fallait que ça cesse. A cet instant, un autre roc tomba et se pulvérisa à une dizaine de mètres. J'aurais eu le temps de me pousser. Mais ça n'avait plus d'importance maintenant, il fallait juste que ça cesse. Je pris les éclats de plein fouet et m'effondrai. Le goût du sang envahit ma bouche, ma tête me faisait souffrir le martyr, ainsi que mes côtes. La terre tanguait, un Nazgûl battait lentement des ailes. Des gens paniqués hurlaient, mais je n'entendais pas le son de leur voix. Je n'entendais plus rien d'ailleurs. Des soldats blessés ou morts gisaient autour de moi. Leurs yeux vitreux fixaient un point lointain. Le sang imbibait le sol. Un pic glacé me poignarda le coeur, m'arrachant un faible gémissement. Les Nazgûls firent volte-face pour se diriger vers la Montagne du Destin. Comment pouvais-je être encore de ce monde en ressentant une désespérance aussi totale.... Pitié qu'on m'achève, que cette torture se termine. Quelque chose avait donné l'alerte sur la présence des Hobbits. Des larmes brouillèrent ma vision.
La lueur de la vie que j'avais perçue quelques heures auparavant s'était éteinte. La brume maléfique l'avait noyée, tout s'assombrissait. Or, on m'empoigna et me retourna. Je gémis de douleur. Je vis le visage angoissé d'Eomer. Il me parla, mais je ne saisis pas. Il tâta mes membres et je grimaçai. Il défit la sangle de mon casque et me le retira. Il s'activa à stopper mes maintes hémorragies. Il me fit asseoir, mais j'étais trop faible et il me soutenait. J'avais tellement mal. Pas seulement physiquement, mais aussi à l'intérieur, la vilenie de ce monde me tuait. Le monde silencieux chavirait toujours. Je penchai, non sans mal, ma tête vers lui ; il s'approcha de même. Mes oreilles se débouchèrent alors et j'entendis de nouveau la bataille faisant rage. Je plantai mon regard dans le sien. Il essuya doucement mes joues et les commissures de mes lèvres. Il se maîtrisait, mais je discernais l'affolement dans ses yeux. Il me serra un peu plus encore : « Accroche-toi ». Je remarquai que mon armure était cabossée et fendue. Je saignai abondamment. J'eus un douloureux sursaut.
Il me remit en position allongée avec précaution avant de se relever brusquement et de ramasser son arme. Une nouvelle vague m'envahit et mes muscles se contractèrent violemment, je hoquetai. Mon cerveau m'avait prévenue, tiré la sonnette d'alarme. Mais je ne l'avais pas écouté. Je croyais devoir protéger quelqu'un, mais c'était moi qui devait l'être. J'avais tout faux. Nous avions failli. La Communauté. Les Hommes. Les peuples libres. Je ne pus m'empêcher de pleurer.
Au bout d'un certain temps, il revint. Il posa avec précaution mon bras blessé sur mon ventre et me prit dans ses bras. Il appelait à l'aide. Chaque pas rythmait mon supplice. Je m'apprêtai à lui dire de me laisser, mais un changement inexplicable se produisit. Mon corps était toujours en mille morceaux mais mon coeur n'avait plus mal. Mon désespoir fut balayé d'un seul coup. La surprise me fit écarquillé les yeux. Le soulagement gonfla mon coeur et me rendit un peu de courage. Que se passait-il à la fin? Un rayon de soleil transperça les nuages noirs et éclaira la plaine, comme pour prouver que je m'étais encore trompée sur la situation. La Lumière avait triomphé.
La douleur reflua légèrement et je me mis à espérer. Au delà de la souffrance, il y avait Eomer, mes amis. Eux, méritaient que je me batte. Avec une volonté inouïe, je caressai sa joue. Il me sourit tristement. « Gerich veleth nîn », soupirai-je avant de laisser retomber mon bras. Il m'apparût abattu, anéanti ; une larme roula sur sa joue. Je lui rendis un pauvre sourire. Une clameur me fit tout à coup reprendre conscience que nous étions au milieu d'ennemis. Mais ils fuyaient. Les autres regardaient à l'opposé et je fis de même : ils admiraient la chute de Barad-dur. Les nuages noirs tourbillonnaient et étaient comme aspirés par l'Oeil. Je souris de plus belle. Finalement, Frodon avait réussi, le Semi-homme avait accompli ce qu'aucun Homme ni Elfe n'avait pu faire. Il avait détruit l'Anneau Unique, sauvé la Terre du Milieu. L'Oeil rétréci implosa. Le sol s'effondra sous l'onde de choc. Les Orques étaient engloutis dans les profondeurs de la terre. Lorsque l'onde nous atteint, mon coeur se serra une dernière fois. Le mal quittait ce monde, enfin, emportant tous ses maléfices avec lui. Mon bras glissa et pendit mollement dans le vide.
L'acceptation et la sérénité me submergèrent. C'était la fin, la fin de toute chose. Mourir à cet instant était honorable. Brisée, je partais d'un monde libre et bon, au creux des bras d'un être cher. Ma tête roula sur le côté, la dernière vision que j'eus fut l'éboulement de la Porte Noire.