La Folie du Roi Scar

Chapitre 3 : De la Lune aux Enfers

Chapitre final

5410 mots, Catégorie: M

Dernière mise à jour 02/11/2018 02:09

This is the end. La fin du règne de Scar, alias le combat final du film... mais du point de vue de notre vieux lion frappadingue. Enjoy.


**oooOOOooo**


L'orage grondait ce soir-là.


Le soleil sombrait à l'horizon, éclaboussant le ciel de lumière et de de sang. Les nuages rosâtres semaient leurs éclairs çà et là, comme des intestins s'échappent d'un corps éventré, juste avant que la mort ne vienne le cueillir. Et puis la nuit, les ténèbres, enveloppèrent tout d'un coup. Un coup de tonnerre, et Mufasa surgit de nulle part. Mufasa revenait d'entre les morts pour lui crever l'œil et le tuer, comme dans ses hallucinations. Il est là ! Il vient te chercher !


Pétri d'effroi, Scar recula, la queue entre les pattes devant l'imposante silhouette tout droite sortie de ses cauchemars. C'était la première fois que son frère apparaissait en présence d'un autre que Zazu, en l'occurrence la quasi-totalité de sa cour de lionnes, sauf l'équipe de Zira partie chasser, et de hyènes. Mufasa avait-il décidé de lui faire perdre définitivement la face ? Que se passait-il ? D'où sortait cette vision de cauchemar ? Mufasa était mort. Il ne pouvait pas être là. Il avait vu son cadavre. Il l'avait jeté du haut de la falaise. Il l'avait tué de ses propres mains...


Et pourtant, Scar le voyait et l'entendait parler à une Sarabi à moitié assommée par terre, qu'il venait juste de corriger pour son insolence :


- Mufasa ?


- Non, maman. C'est moi.


- Simba ? Tu es en vie ? Comment as-tu fait ?


- C'est sans importance. Je suis là.


Ayant assisté pétrifié à ce dialogue absurde sans queue ni tête, Scar, dans sa peur, réalisa qu'il n'avait pas vu Simba mort. Visiblement, le lionceau naïf avait survécu aux hyènes, avait grandi, était devenu adulte et semblait, selon toute vraisemblance, revenu lui prendre le trône et le tuer. Ce point-là au moins était similaire à ses cauchemars. Un grand sourire fleurit sur ses lèvres, oh, Simba ! Héhé, je suis un peu surpris de te revoir... vivant. Alors que Simba s'avançait vers lui en grondant, donne-moi une seule bonne raison de ne pas te mettre en pièces. Oh, Simba, il faut comprendre, le poids harassant d'un royaume, tout ça ...


Dans un environnement familier, Scar parvint à retourner la situation en sa faveur. Lorsque Simba lui ordonna de se soumettre et de lui rendre le trône, Scar lui fit parfaitement comprendre qu'il était hors de question de renoncer à ce trône et à cette liberté absolue qui lui revenait de droit. Culpabiliser Simba de la mort de son père avait déjà fonctionné : le faire devant ses prétendus sujets aurait sûrement encore plus de poids. En bon lâche, Scar déchargea à nouveau toute la faute sur Simba d'autant plus facilement que son neveu était déjà persuadé que tout était de sa faute.


- À toi de choisir, Scar. Tu te soumets ou tu te bats.


- Oooh... repartit Scar d'un ton navré, tout en s'esquivant devant Simba pour marcher vers les lionnes. Pourquoi tant de violence ? C'est horrible d'être responsable de la mort d'un membre de sa famille. Tu es d'accord, Simba ?


- C'est inutile, Scar. Je ne me sens plus coupable.


Mon œil ! Simba cachait si mal son manque d'assurance qu'appuyer exactement là où la douleur était la plus forte fut d'une facilité déconcertante.


- Et tes sujets si fidèles et si dévoués ont-ils si peu de mémoire ?


- Simba, demanda Nala perdue, de quoi est-ce qu'il parle ?


- Aaaah ! s'écria Scar, l'air faussement complice. Tu ne leur donc pas raconté notre petit secret ? Eh bien Simba, voilà l'occasion idéale de le faire. Dis-leur qui est responsable de la mort de ton père !


Scar s'écarta pour laisser Simba s'avancer. C'était comme si son neveu savait exactement son rôle. Comme un acteur dans la pièce spécialement mise en scène par son humble serviteur. Se tenant très droit, la tête haute, le visage empreint de la noblesse sincère d'un héros de tragédie, Simba avança d'un pas, et d'une voix claire et intelligible, prononça :

- C'est moi.


Le choc paralysa un instant les lionnes. Puis Sarabi, détruite, s'avança vers son fils qui avait baissé la tête sous le poids des regards. Elle articula, d'une voix brisée :

- Non, c'est...faux.


C'était mignon. Elle se refusait à croire les aveux de son fils. C'était trop horrible pour elle. Pauvre petite chose que l'ancienne reine. Simba ne dit rien. Lui si noble la seconde d'avant, fuyait le regard de sa mère qui insista :


- Dis-moi que c'est faux !


- Non... finit enfin par lâcher Simba. C'est lui qui…


Scar ne lui laissa pas le temps d'enchaîner. Le tonnerre gronda :


- Le voilà qui reconnaît la vérité, l'assassin !


Il fallait battre le fer tant qu'il était chaud, et Scar se composa un regard inquisiteur de juge suprême, comme ceux qui le fixaient à la porte des damnés lors de ses cauchemars. Le vent s'engouffrait dans sa crinière noire, comme pour accentuer un effet théâtral. L'orage grondait à chaque parole prononcée par Scar, comme s'il le soutenait. Ainsi porté par les éléments, Scar se sentit pousser des ailes. Endossant à la fois le rôle de procureur et de juge, Scar appuya donc de nouveau de toutes ses forces sur la plaie mal refermée de son neveu nu comme un vers et exposé aux regards des lionnes, tel l'accusé d'un illustre procès, le jour du Jugement Dernier. (4)


- C'est faux ! C'était un accident !


- Sans toi, Mufasa serait encore vivant ! C'est à cause de toi qu'il est mort ! Tu oses le nier ?


- Non… Non !


Le poison qu'il dispensait à son neveu fonctionnait au-delà de ses espérances. Même les lionnes soutenant Simba à son arrivée se trouvaient dans l'incapacité d'agir : c'était bien Simba, le roi, non ? Mais n'avait-il pas tué son père ? Il avait l'air si persuadé d'être coupable. Comment laisser un parricide monter sur le trône ? Mais le roi Scar condamnait délibérément la Terre des Lions à la mort. Qui choisir ? Qui soutenir ?


Porté par les hyènes, par le tonnerre et par la lune, Scar avança lentement vers Simba le long du Rocher : le faire reculer, le faire peser lentement, cruellement toute l'étendue de son impuissance ; il repoussa Simba vers le vide à coup d'insultes et d'insinuations de plus en plus perverses.


- C'est donc toi, l'assassin !


- Je ne suis pas un meurtrier !


Éclair, roulement de tonnerre.


- Ho, décidément tu cherches les ennuis. Mais aujourd'hui, papa n'est plus là pour te sauver. Et maintenant, ajouta-t-il en pesant chacune des syllabes, et maintenant tout le monde sait pourquoi !


Dans une parfaite synchronisation, Simba perdit l'équilibre juste au-dessus du vide et la foudre incendia un arbre mort, puis deux, puis trois, puis cinq, puis dix, puis vingt, quelques mètres sous lui qui s'était rattrapé par miracle.


- Simba ! cria Nala.


Scar prit un malin plaisir à voir la scène de la mort de son frère se rejouer. Les couleurs orangées, rougeoyantes des flammes, des braises et des volutes offraient de saisissants contrastes avec les ténèbres bleutées, conférant à la scène un éclat ... sanguinaire. C'était encore meilleur que la première fois.


- Tiens, tiens... dit Scar qui s'amusait beaucoup. Ce regard m'est familier. Il me semble l'avoir déjà vu. Ça me rappelle quelque chose... Attends un peu, laisse-moi réfléchir...


Il surjouait l'intense et longue réflexion, il poussa même la complaisance jusqu'à se caresser la barbiche, faisant mariner Simba qui, quelques mètres au-dessus de l'abîme, les poils roussis par les flammes, la gorge irritée par les particules de fumée, griffait vainement la roche pour se rattraper. Il baignait dans sa culpabilité et sa peur comme un rôti dans son jus.


- Ah oui, ça y est, je me le rappelle ! C'est le regard qu'avait ton père juste avant de mourir.


Ah ! Simba sous lui, totalement à sa merci, les flammes crépitantes de l'enfer prêtes à l'accueillir, le regard empli de terreur...


Comme la première fois, la cicatrice de Scar le brûla, mais la douleur n'était pas la même. Ahadi était loin. Celle-là était une douleur mêlée de plaisir, une douce brûlure. Scar était le roi : le plus libre de tous. Simba, emporté par son propre poids, glissa ; emporté dans son élan, Scar le retint au-dessus du vide, comme un réflexe, mais cela n'avait rien à voir avec de la pitié.


Au contraire.


Il planta ses griffes acérées dans les pattes avant de son neveu, qui hurla, le sang jaillit de nouveau.


Scar voulait s'offrir une dernière danse avant de précipiter Simba dans l'abîme. Comme un lionceau à qui on dit "allez, mon chéri, un dernier et c'est fini..."


Il approcha son visage de celui de Simba, un sourire éclatant sur sa face marquée. Sa gueule était maintenant dans le creux de son cou, juste dans sa crinière, et ...


- Écoute mon petit secret ...


Et soufflés à l'oreille d'une voix douce comme une berceuse, dictés par l'orgueil, ces mots jaillirent d'entre ses lèvres :


- C'est moi qui ai tué Mufasa.




Scar ne comprit pas ce qui lui arriva. En une seconde, Simba se releva d'un coup, la rage le poussait en avant, il volait presque, il hurlait ; il le plaqua au sol contre la roche et appuya ses griffes contre sa gorge : étranglé sous le poids et la force soudaine de son neveu, Scar pouvait à peine parler. La vieille peur reprenait le dessus sous la forme d'un jeune lion ressemblant tant à ses cauchemars. Usurpateur !


- Assassin !


- N-non, Simba, tu divagues, enfin, tu sais bien que...


- Dis-leur la vérité !


- La vérité ?


Scar eut un rire nerveux, sortit un proverbe de nulle part :


- M-mais la v-vérité est dans l'œil de celui qui m...


La poigne de Simba se referma sur sa gorge. Il sentait le souffle de son neveu tout près de son museau, il sentait le pouls rapide de son neveu contre ses veines, si rapide, entraîné dans sa course folle par une rage viscérale. Les griffes de Simba effleurèrent sa gorge, goutte de sang, douleur. Scar pouvait à peine respirer. Avec les flammes rouges crépitantes qui entouraient le rocher, son neveu juste au-dessus de lui le dominant de toute sa hauteur, son neveu qui -maintenant il le voyait, ressemblait trop à Ahadi, Scar voyait les portes de l'enfer s'ouvrir pour lui. Il sentit une bouffée de panique s'emparer de lui. Il ne voulait pas mourir. S'il mourait, il retrouverait Mufasa, Ahadi, Simba. Non, enfin, Simba était juste là, à deux doigts de le tuer, de le précipiter dans le néant... À moins qu'il ne parle.


- T...Très b... Très bien. D'a...d'accord, grogna-t-il d'une voix étranglée. Je... je- je l'ai tué.


Les yeux de Simba se teintèrent d'un éclat de rage.


- Dis-le plus fort.


- Je…


Étrangement, Scar sentit quelque chose qu'il n'aurait jamais pensé éprouver. Quelque chose qui repoussa ses démons de quelques centimètres, de totalement inapproprié, qui vint du plus profond de ses tripes ; une sorte de satisfaction absurde, une fierté avec laquelle il revendiqua plus qu'il n'avoua la seule chose qu'il n'avait jamais eue le courage de faire ; il cracha le plus fort qu'il put cette phrase du fond de sa gorge :


- Je... j'ai tué... MUFASA !


Ce fut le signal du massacre.


Les hyènes se jetèrent sur Simba qui relâcha sa poigne, tandis que les lionnes déferlaient toutes griffes dehors. Rugissements, aboiements, cris de douleur. Le sang jaillissait de partout, le feu entourait le champ de bataille, le ciel était d'une obscurité cramoisie, le tonnerre sonnait tambour battant.


Est-ce que Scar avait atterri en Enfer ?


Était-il mort ?


Mais un dieu ne pouvait pas mourir, si ?


Et puis, où était passée la lune ?


On n'y voyait décidément rien avec cette fumée...


Un cadavre de hyène imbibé de sang lui tomba dessus. Scar le repoussa d'un coup de patte tremblante. Fuir. Se cacher. Les hyènes parviendraient à se débarrasser de Simba et des lionnes ; en attendant il fallait trouver un lieu sûr où les cris, les flammes, le sang et les cadavres ne pouvaient pas l'atteindre. Celui-ci n'était qu'un dégât collatéral. Une saleté, un déchet, un détritus. Un Taka.


Là-bas, il distingua le vieux Rafiki, qu'il n'avait plus vu depuis des années, frapper des hyènes à coups de bâton. Et lui qui lui disait qu'il y avait toujours un côté lumineux aux nuages les plus sombres. On ne pouvait se fier à personne. Tous des traîtres. Scar parvint à se frayer un chemin à travers la mêlée, et, se fondant parmi les ombres aussi silencieusement que possible, longea une corniche étroite où personne ne viendrait le chercher.


Personne, sauf la foudre. Jusqu'alors de son côté, les éléments se retournaient contre lui. Soudain, un éclair lumineux découpa son ombre gigantesque sur le rocher. Simba, l'ayant repéré, se jeta sur lui en rugissant. Scar, comme d'habitude, fuit aussi vite qu'en était capable sa carcasse décharnée. Les flammes projetaient leurs ombres rouges sur la roche. Il sauta par-dessus un brasier, puis un autre, évita de justesse un tronc d'arbre calciné qui lui tomba dessus, bondit au-dessus d'un précipice. Simba le suivait inlassablement, calquant ses pas sur les siens, il le poursuivait comme son ombre, comme un spectre, comme le spectre de son frère, son damné frère que tout le monde adorait comme un dieu...


Scar freina brusquement, le vide le happait devant lui. La roche était presque à pic : s'il tombait, c'était la mort. Lentement, résigné, il se retourna : Simba surgit des flammes comme un diable, et s'avançait vers lui, déformé par la fumée ambiante. D'une voix grave, lente, pesante, lourde de mille menaces, Simba articula posément :


- Meurtrier.


- S-Simba, Simba. J-Je t'en prie. P-p-par pitié, je t'implore.


Paralysé de terreur devant ce spectre, qu'il avait de plus en plus de mal à ne pas nommer Mufasa ou Ahadi, Scar ne pouvait plus esquisser le moindre geste. Ses griffes crispées lacéraient la roche. L'odeur de brûlé, âcre et insoutenable, lui agressait les narines. La fumée lui brûlait les yeux, la gorge et les poumons. Sa migraine le reprit. Sa tête lui tourna. Il se mit à tousser. Simba, lui, la respiration tranquille, imperméable au monde extérieur, avançait lentement avec la gravité d'un dieu. Chacun de ses pas faisait trembler la roche. Scar le sentait, et il tremblait aussi.


- Tu ne mérites pas de vivre.


La phrase résonna comme une atroce sensation de déjà-vu. Mufasa est né chanceux et toi, Taka, tu as eu la chance de naître. Scar cligna des paupières, mais la fumée n'était pas en cause. L'acide de sa cicatrice à l'œil lui était soudain insupportable. Terrifié, Scar n'était pas plus grand qu'un lionceau, terrorisé, suppliant, un lionceau nommé Taka qu'il croyait mort depuis des années :


- M-mais, Simba, je suis quand même, euh... de ta famille !


Dit le lion dont le père avait essayé de le tuer quand il était enfant, qui avait assassiné son frère et son neveu, et envisagé de violer sa belle-sœur puis sa nièce qu'il avait déjà tenté de tuer :


- Ce sont les hyènes, les véritables ennemies, attaqua-t-il en dernier ressort. C'est leur faute, c'est elles qui ont tout organisé.


Obnubilé par la nécessité de rester en vie, Scar tentait de détourner l'attention de Simba. C'était d'une efficacité nulle. Il ne reconnaissait plus le stratège qu'il avait jadis été. Simba était sur lui, le dominant de toute sa hauteur, l'obligeant à se reculer, à s'allonger à moitié pour ne pas tomber dans le vide.


- Pourquoi te croirais-je ? Depuis le premier jour tu m'as menti.


- M-m-mais que comptes-tu faire ? Tu n'oserais p-pas tuer ton vieil oncle ?


Avec l'énergie du désespoir, Scar reposait sur sa gueule le masque du frère de papa, un peu bizarre mais pas méchant. Et, contre toute attente :


- Non, Scar, répondit Simba avec tout le mépris du monde concentré dans les vibrations de sa voix. Je ne suis pas comme toi.


Scar s'empêtra dans un flot de remerciements dont il ne pensait pas un traître mot. Menteur, menteur !


- Ho, merci, Simba. Tu as l'âme noble. Je ne l'oublierai pas, je te le promets.


Il surenchérit, même :


- Mais... mais comment puis-je te prouver ma bonne foi ? Vas-y, dis-moi, je suis prêt à faire n'importe quoi.


Scar s'était redressé en prononçant ces mots. Il avait même agité la patte avant : tout ce qu'il pouvait faire pour remercier Simba ne serait que du vent face au geste généreux qu'il v

enait d'avoir. Du vent qui lui revint en pleine figure, la force décuplée comme une tempête :


- Pars, lui répondit Simba. Pars très loin, et ne reviens jamais.


Pour la première fois depuis des années, les yeux verts de Scar eurent une lueur de lucidité. "Je ne suis pas comme toi." avait dit Simba. Si seulement il savait à quel point il se fourvoyait.


Scar avait reconnu ses propres mots, prononcés des années auparavant pour exiler Simba.


Le lion détruit et reconstruit sur les cendres de sa culpabilité lui faisait face, et dans ses yeux, il y avait la haine. Pour combustible il y avait ces mots, cette condamnation sommaire adressée à un lionceau terrifié par le frère de son papa. Une phrase, un ordre, une sentence, un écho venu du passé, renvoyé par une colère réprimée au plus profond de lui-même depuis si longtemps… et dissimulée sous l'apparente noblesse du roi graciant son ennemi vaincu. Avait-il seulement conscience de la rage qui débordait de ses yeux ? Seigneur, Scar avait presque l'impression d'y reconnaître la sienne…


Simba avait abandonné le trône, sa terre, sa famille, son passé, et fui pendant de longues années. Il avait agi comme le dernier des lâches. Un frustré, un assoiffé de liberté et un lâche caché derrière une couronne et un trône...


Simba était bien plus un frère pour Scar que ne l'avait jamais été Mufasa.


- Aaah, oui... lâcha Scar, le plus conciliant du monde.


Il contourna son neveu, prudemment, lentement, les pattes pliées, le dos courbé, près du sol, en prenant bien garde de ne pas se faire plus grand que lui. Simba ne le lâchait pas des yeux.


- Bien sûr... comme vous voudrez...


Son regard vert tomba sur un amas de braises juste sous sa patte. Comme pour lui répondre, l'étincelle de son éternelle rage se ralluma d'un coup. Un plan absurde dicté par le désespoir germa dans son cerveau. Il ne pouvait pas abandonner le trône avant d'être devenu libre, immortel. Sa voix, sans qu'il s'en aperçût, devient d'un coup rauque.


- ... Votre majesté !


Et il lança les braises rougeoyantes sur le visage de son neveu, et, sans lui laisser le temps de crier, se jeta à sa gorge.





C'était la première fois de toute sa vie que Scar se battait réellement pour quelque chose. Scar avait pris Simba en traître, et savait parfaitement que cette fois, s'il perdait, son neveu ne montrerait aucune pitié. Si la victoire était à lui, Simba mourrait enfin pour de bon et lui rendrait son dû. Sa liberté, son immortalité. Le trône ou la mort. Hors de question de fuir, cette fois. Scar affronta sa peur en même temps que Simba.


Ce trône, Scar le veut. Oh, non, le mot n'est pas assez fort. Il le veut de toute sa force, de toute sa hargne, c'est un instinct viscéral, qui le guide, le ronge ; une rage qui l'alimente et le consume à la fois, qui le possède, l'enivre, le dépasse, dépasse même sa peur. Il ne sait qui entre la peur et la frustration lui ont le plus servi de mère, mais il s'en fiche éperdument. Le trône a déjà été sien. Il peut le redevenir. Il ne suffit que d'éliminer ce spectre qui se prétend son neveu, pour éliminer tous ses cauchemars et enfin accéder au pouvoir, à la liberté, à la lune, à l'immortalité.


Chaque coup de griffe, chaque morsure, chaque rugissement qu'il inflige ou reçoit ne fait que renforcer sa détermination qui remonte à nouveau jusqu'à la lune blafarde au-dessus du Rocher de l'Honneur. Les flammes rouges autour d'eux crépitent, étincellent, jettent des braises, tourbillonnent comme autant de promesses de mort. L'un d'eux mourra dans ce combat, et elles réclament leur lot de sang. Scar est accablé de chaleur. La fumée lui fait tourner la tête. Sa gorge est irritée par les particules fines. De la sueur et du sang lui dégoulinent de partout. Des griffes entaillent des épidermes, des crocs transpercent des veines. Mais il ne sent rien. Il est insensible à la douleur. Il ne voit que du rouge, les flammes, le sang. Sa cicatrice l'incendie tout entier. Chaque poil de sa crinière noire, de sa barbiche, de sa queue, le moindre de ses nerfs, le plus petit muscle, le moindre millimètre de cartilage de son corps rachitique ne vibre plus que pour le trône : ce trône qui lui a toujours appartenu. N'est-il pas le mieux placé pour y prétendre ? N'est-il pas le roi, le dieu vengeur et immortel, celui qui va décrocher la lune ? Lorsqu' enfin il parvient à mettre son neveu à terre, son orgueil le domine à nouveau.


Un dernier coup et il redeviendra dieu.


Scar, entouré par les flammes, la cicatrice plus douloureuse que jamais, la démence étincelant dans le regard, se jette sur Simba dans un élan de pure rage. Il a l'impression de voler, de s'élever vers cette lune qui le nargue.


Aveuglé par son orgueil, Scar ne s'est pas aperçu que Simba n'a qu'à cueillir son élan pour le retourner contre lui et le précipiter du haut de la falaise.




Dire que la chute est douloureuse est un doux euphémisme. Le lion sent chacun de ses os se briser sous les multiples impacts. Son corps est balloté vers le vide. Il entend chaque fissure, chaque craquement, le rouge crépitant des flammes l'entoure et l'enveloppe comme un odieux linceul. Bientôt, il ne voit plus rien. Il s'écrase lourdement contre la roche.

Mais il est seulement assommé. Son univers se réduit à des perceptions molles. Même la roche semble céder sous son pourtant maigre poids ainsi qu'un matelas. Mais le répit est de courte durée. Il entend les sirènes d'alarme de son cerveau, et leur obéit. Debout. Debout ! Récupère ce trône une bonne fois pour toutes !


Scar se relève doucement. Les yeux clos, il prend le temps de tester chacun de ses muscles. Les dégâts, bien que douloureux, ne sont pas énormes. À peine deux ou trois côtés brisées. Rien que quelques secondes de calme ne puissent régler. Il cligne lentement les yeux pour repérer où il est. Il sent un liquide poisseux couler de son front. Les flammes autour de lui l'empêchent de voir distinctement et la fumée asphyxiante ne l'aide pas à garder l'esprit clair. Tout juste parvient-il à distinguer les faces répugnantes de quelques hyènes qui s'avancent vers lui. Rassuré, Scar les salue d'une voix un peu brisée par la toux et les blessures :


- Ooh... mes chères amies !


La réponse n'est cependant pas celle qu'il attend. Interloqué, Scar entend l'une des hyènes lui rétorquer, sarcastique :


- Amies ? Héhé. J'croyais qu'il nous avait traitées d'ennemies !


L'écho de ses propres paroles cloue Scar sur place. Ses yeux verts s'agrandissent sous le choc.


Les flammes autour de lui le couvrent de sueur. Sa tête lui tourne. Il est affaibli, écrasé. Ses pattes arrière ne le soutiennent plus. La chaleur du brasier le laisse sans défense.


Pourtant, il meurt de froid.


En une fraction de seconde, il sent des bras familiers l'envelopper, le bercer, le serrer. Ils le serrent si fort qu'il ne peut plus respirer. Ils le serrent si fort qu'ils s'incrustent dans ses poils, puis ses chairs, et le moindre pore de sa peau. Par réaction, les battements de son cœur accélèrent, mais paralysent ses poumons comme s'il respirait des particules solides. Il veut chercher de l'air, mais la fumée ambiante, odeur de l'encens brûlé, l'en empêche. Ses griffes sortent d'elles-mêmes. A cet instant, Scar comprend qu'il ne les a jamais contrôlées. Quoi qu'il fasse, qu'il mange, qu'il parle, qu'il se soulage, qu'il dorme, elles étaient toujours dégainées. Comme celles d'un lionceau. Même ses griffes lui ont échappé.

Alors il ne lui reste que ses yeux absinthe, qui s'ouvrent sur l'abîme que Scar a toujours connu, et qu'il a toujours voulu fuir, mais qui fait partie de lui comme un organe.


La peur.


A l'état pur.


Il comprend qu'il est perdu. Son arrogance l'a mené trop loin : il ne peut plus revenir en arrière. Il ne peut plus fuir. Il ne peut plus se réveiller. Ce cauchemar n'en est pas un, et cette fois, le dieu va mourir.


D'autres hyènes renchérissement.


- Ouais…


- ...C'est ce que j'ai entendu...


- Ed ?


La hyène la plus stupide de toutes, celle qui boite, qui d'habitude ne s'exprime que par rires frénétiques, confirme par un rire dément. Derrière lui, la falaise à pic, et son ombre gigantesque. À gauche, à droite, devant, il y a les hyènes qui s'approchent de lui, la langue pendante, la bave aux lèvres, les pupilles minces ; et puis les flammes. Les flammes crépitantes où Scar sent confusément, petit à petit, de plus en plus sûrement, son pouvoir, sa puissance, sa rage et son âme glisser pour ne laisser que la peur.

La peur. Elle l'enveloppe, elle le prend dans ses bras, le serre contre elle. Scar voit de plus en plus de hyènes s'approcher. Toutes la même face tachetée, toutes le même poil roussi, toutes la même expression ravagée de tics nerveux. Des ricanements suraigus se font entendre de toute part. La lueur des flammes fait étinceler leurs crocs. Elles n'ont jamais paru aussi maigres... et affamés.


Les flammes tout autour prennent soudain la forme de spectres familiers. Ils sont tous là. Ahadi, Simba, et bien sûr, son ombre planant au-dessus de sa tête, Mufasa qui le fixe de ses orbites vides et rongées par les vers. Scar tente de se défendre, tente de retrouver ses dons d'orateur, mais les flammes les ont carbonisés pour ne lui laisser que des bégaiements ; il entend à peine sa propre voix tant les battements frénétiques de son cœur résonnent dans sa poitrine :


- Mais enfin, vous ! ... A-attendez ! Je vais vous expliquer. C- c'est un malentendu ! Vous... vous n'avez pas compris ! V... Vous…


Il n'aurait pas pu faire pire réponse, et il le sait. Les hyènes sont peut-être naïves, idiotes, stupides, imbéciles, hystériques, sourdes à ses supplications. Tout cela, elles le sont, sans aucun doute. Mais elles ne sont pas aveugles. Sinon elles n'auraient pas ce rire hystérique qui martèle ses oreilles, ni ce regard rempli de présages funestes...


Mufasa aussi est là.


Je suis ton frère, abruti. Je veillerai toujours sur toi.


Les flammèches lui forment une crinière, et ses yeux brûlent comme mille châtiments, mais il est mort... il est bel et bien mort, n'est-ce pas ?


Derrière Scar, son ombre est immense. Elle se découpe dans la lumière rougeoyante. Elle fait mille fois sa taille, elle est gigantesque. Elle le dévore. Il chute dedans.


La peur est victorieuse dans ce combat d'une vie entière contre la frustration partie en fumée. Elle enveloppe Scar, l'enlace, le prend dans ses bras, le serre contre elle comme le ferait une mère. Toute sa vie, Scar a eu peur. Déjà lorsqu'il n'était que Taka. Déjà lorsqu'il n'avait pas encore sa cicatrice.


La peur l'enveloppe, l'enlace, le prend dans ses bras, le serre contre elle, le berce comme le ferait une mère. La peur ronge ses chairs, dévore tout, jusqu'à se fondre en chaque goutte du sang de Scar, qui hurle alors que les crocs des hyènes déchirent sa gorge, sa trachée, ses nerfs, son cœur, ses boyaux, sa vie. La peur le dévore tout entier, jusqu'à la dernière parcelle de son âme rôtie à point par le brasier qui le recouvre, tel un linceul rouge sang. (5)


Au-dessus du Rocher de l'Honneur rongé par les flammes, la lune blafarde et immortelle luit comme un pied-de-nez. Et puis vient la pluie torrentielle. Les flammes ont reçu leur lot de sang. Elles sont repues. Elles s'éteignent en chuintant. Elles chuchotent, comme une berceuse. Bonne nuit, mon doux prince.


Face à la Mort, Scar n'est plus qu'un lionceau que l'on pousse dans le néant.



***oooOOOooo***




Mise à jour du 19.03.2018 : Reposez en paix, Jean Piat, et merci mille fois pour votre travail en tant que doubleur de Scar -de Frollo et Gandalf entre autres. On ne vous oubliera pas.

Aucun revisionnage du Roi Lion n'a été nécessaire pour ce texte. Comparez les répliques et dites-moi si j'ai bon ! :p

J'ai essayé de faire de Scar une victime mais sans l'excuser pour autant. J'espère avoir rendu ça crédible... et flippant !

J'ajoute aussi que la série de fanarts He watches over sur Deviantart m'a beaucoup inspirée pour les cauchemars de Scar et sa relation à Mufasa.

(1) J'adore faire des jeux de mots douteux... celui qui le trouve (il est facile) a un cookie. Non, il a une recette de cookies, et c'est encore mieux.

(2) voir le (1).

(3) Si vous pensez à Kovu, c'est normal.

(4) J'ai la flemme de vérifier, mais on va dire que c'est Dieu qui juge au jugement dernier. Comme Scar se prend pour un dieu, je me disais que ce serait approprié... Et puis ça allait bien avec la métaphore de l'encens, à laquelle répond celle de l'absinthe ...

(5) *se met à chanter* Détruis Esméralda, qu'un rideau de feu soit son linceul, ou fais qu'elle soit à moi et à moi seuuuuuul.

Bien sûr dites-moi dans les reviews si vous trouvez des fautes de conjugaison, des trucs illogiques, des trucs niais, des trucs inutiles, des longueurs, ou des formules et mots que j'emploie trop souvent...

Le quidam qui trouve toutes les références -à part celle de la note 5) aura droit à un cookie. Un indice pour la toute dernière : Hamlet.

Clélia Kerlais, Nathalea, Miss Macaronii, si vous passez par là et que vous n'aimez pas les expressions piochées dans vos fics Sunlight, L'Hériter, I've got plans, et Explosive Girl, faites-le moi savoir que je dorme tranquille.

Faites de beaux rêves cette nuit :p

J'espère que ça vous a plu, Griseldis et Clélia !(Clélia, considère ce OS comme en l'honneur de toi et de ton petit dernier. Je décline toute responsabilité si un jour Clélius devient aussi jaloux de Clélio.)

Reviews ?

Madou


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