Le texte d'éternité
C’était lui. Le jeune homme qui m’avait parlé au début de la fête. Il me regardait avec des yeux ronds, mais sans trace de peur ou de colère. Juste de l’anxiété. Il se releva rapidement, s’épousseta, comme s’il n’avait pas faillit être décapité à l’instant même.
- J’y ai échappé de justesse, cette fois-ci. Je ne l’avais pas entendu arriver.Il m’attira dans une ruelle, dans le renfoncement d’une porte close. On ne peut pas dire que nous étions très bien cachés, mais si un barbare passait, il ne nous verrait pas tout de suite.
- Merci, Nitaria. Vous m’avez beaucoup aidé.
Je réprimais un gloussement nerveux.
- Aidé ? Je vous ai sauvé la vie.
Il sembla méditer cette réponse pendant un instant, et ses yeux bleus devinrent songeurs.
- C’est exact. Je vous dois la vie.
Il embrassa ma main.
- Je ne sais pas comment, ni pourquoi ces barbares attaquent, murmurais-je.
Les cris fusaient toujours.
- Ils cherchent quelque chose en particulier, et ils détruiront la ville pour le trouver.
J’ouvris de grands yeux.
- Que veulent-ils ?
- Votre père, Nitaria. Le pharaon Menkaourê.
Je m’en doutais. Une seule question persistait : pourquoi ?
Le jeune homme sourit, révélant une trace de sable mélangé à du sang sur l’une de ses joues.
- Vous êtes intelligente, Nitaria, surtout pour votre âge. Mais maintenant, l’intelligence ne vous est d’aucune utilité. Faites ce que vous dicte votre instinct : courrez pour sauver votre peau.
Il disparut. Je ne l’avais même pas vu partir. Je sortais de ma cachette, et fonçais jusqu’au palais. Avec un peu de chance, je pouvais rejoindre les tunnels et y retrouver ma famille.
Je passais par l’une des nombreuses portes secrètes du palais, et m’engouffrais dans la salle où nous avions festoyés. Je poussais un cri d’horreur. Des corps. Des corps, partout. Le sang éclaboussait nos belles tapisseries. Le banquet avait été ravagé. Les torches étaient toutes éteintes, du fait que la pièce n’était éclairée que par le feu des incendies qui détruisait ma ville. Les barbares étaient passés, ils avaient tout dévasté. Je ravalais des larmes, et posais les yeux sur chacun des corps.
Mais en voyant deux des visages qui m’étaient connus, mon corps fut secoué d’un sanglot si violent que je tombais à genoux. Je rampais jusqu’à Chepses qui gisait, les yeux ouverts, une expression de peur sur le visage. La Douât l’avait emporté.
- Par Isis, je vous en prie…
Mes propres larmes coulaient sur son visage sans vie, et avec rage, je lui retirais son épée de la main. Il avait tenté de repoussé l’envahisseur. Avec une douleur intense, je me tournais vers ma mère. Ses yeux à elle étaient fermés, et son visage était, curieusement, paisible. Je tombais allongée à côté d’elle, pleurant toutes mes larmes, et serrais son corps glacé contre moi. Partis. Ils étaient partis. Il ne restait d’eux qu’une coquille vide et froide.
J’aurais voulu mourir moi aussi. Mourir pour ne pas avoir réagit assez tôt. Un bruit brisa le silence de la salle, et je me relevais, prête à combattre contre les assassins de ma famille. Mais ce n’était pas les barbares.
Mon père observait les corps sans vie de ceux qu’avaient été sa femme, et son fils. Son visage était triste, mais sans regret. Il posa ensuite les yeux sur moi, et son regard flancha.
J’avançais d’un pas, mais il tendit la main pour m’arrêter.
- N’approche pas Nitaria.
Je clignais des yeux. Quoi ? Il m’avait ordonné de ne pas l’enlacer. De ne pas le toucher pour s’assurer qu’il était bien vivant ?
Puis il recula, lentement, en se dirigeant vers la grande porte.
- Que fais-tu ? Ne me laisse pas !
Il tourna son visage vers moi.
- Je le dois, Nitaria.
- Ne me laisse pas !
Je répétais cette phrase plusieurs fois, en le regardant s’éloigner, sans trouver la force de courir pour le rattraper. Finalement, il disparut de mon champ de vision, et je tombais à genoux, en poussant un long hurlement.Mon père m’avait abandonné. La seule famille qu’il me restait, la seule protection que je pouvais avoir. J’étais maintenant livrée à moi-même pour ne pas sombrer à mon tour dans la Douât. Je me dirigeais lentement de là où j’étais venue, traînant derrière moi l’épée de mon défunt frère, trop lourde pour que je puisse la soulever. Je n’avais aucune idée de l’endroit où je devais me cacher.
Si je devais m’enfuir, où attendre là que les assassins viennent me prendre.Une main s’abattit violement sur mon épaule. Je tournais la tête, et un visage cruel, maculé de sang se rapprocha du mien. Finalement, la question ne se posait pas. Les barbares étaient venus me chercher. L’homme m’agrippa l’épaule, en plantant ses doigts dans ma clavicule. J’entendis un craquement sec, et je ne réalisais pas tout de suite. C’est lorsque l’horrible douleur survint que je sus qu’il me l’avait brisé.
- Salut gamine, susurra-t-il.
Il me jeta sur son épaule, et mes hurlements s’étouffèrent dans sa longue cape. Ses bras m’enchaînaient, me capturaient comme un lièvre dans une cage. La douleur de ma fracture s’éteignait petit à petit, pour laisser place à un océan de béatitude, un endroit où rien ne pouvait m’arriver. Je sentais mon esprit qui s’enfuyait, loin de la mort et du sang.Une vive douleur à la mâchoire me ramena à la réalité.
J’avais dû m’évanouir quelques minutes, car j’étais allongée dans le sable, aux frontières de ma ville en flammes. J’étais entourée de plusieurs cavaliers, tous me jetant un regard glacial.
- J’ai ramené une gamine, lança le gros barbu qu’il m’avait brisé la clavicule. Mais elle s’est débattu, alors j’ai dû l’abimer un peu.
Je réprimais un ricanement. C’était ça, l’excuse pour m’avoir brisé un os ? C’était de la cruauté pure.
Je me relevais tant bien que mal, en refoulant mes gémissements. Puis je me tenais droite au milieu de ce groupe de barbares, ignorant malgré tout la douleur de mon épaule.Un homme descendit de son cheval, et ôta son casque. Il avait le visage couvert de cicatrice, et ses yeux bleus glaciers me dévisageaient. Il avait envie de me tuer, j’en étais sûre.
- Aztlan, lança-t-il en me fixant, vérifie.
Un autre homme descendit, et il défit son casque à son tour. Il révéla une longue chevelure blanche et des yeux noisette. Je frissonnais lorsqu’il s’approcha de moi, et qu’il me contourna. Qu’allait-il faire ? Me tuer d’un coup d’épée dans le torse ? Me trancher la tête ? Je fus toutefois surprise lorsqu’il souleva les quelques mèches noires et sales qui recouvraient ma nuque.Il n’y avait que ma famille qui était au courant pour ma tache de naissance.
Elle ornait le milieu de ma nuque pour former une sorte d’étoile. Pourquoi cherchait-il à l’exact endroit de ma marque ?
- C’est elle, chef, lança Aztlan après un bref coup d’œil. Elle porte la marque.
Le fameux chef sourit de toutes ses dents.
- Bien, alors nous avons la certitude de l’identité de la personne se trouvant en face de moi, n’est-ce pas ?
Il remonta les manches de sa tunique.
-Bien, maintenant, tu vas nous suivre, Nitaria. Fille du démon.
L’homme aux yeux de glace m’attrapa par la taille, et me balança par-dessus son cheval. Je gémis en sentant la douleur dans mon épaule, et me débattais sauvagement. Bon sang, ils avaient tué toute ma famille, et maintenant, ils comptaient s’en prendre à moi ?Je me dévissais le cou pour tenter de voir ce qui allait suivre. L’homme qui semblait être le chef agita la main dans ma direction.
- Thot, dit-il au gros barbu, fait-la taire. Mais ne l’abime pas trop.
Je tentais savamment de me détacher en voyant Thot s’approcher de moi avec son pas lourd.
Il va me tuer, il va me tuer, lança une petite voix apeurée dans ma tête.
Courage, ma fille, hurla une voix plus courageuse.Lorsqu’il voulu balancer son point sur mes tempes pour m’assommer, je rentrais la tête dans les épaules et lui balançais un coup de poing dans l’entrejambe.
J’entendis avec satisfaction son souffle se couper, et le vis se plier en deux. Il faisait moins le malin, maintenant.
- Espèce de…
Cette fois-ci, il se releva si vite que je ne le vis pas, et ne vis pas son coude arriver à ma droite. Un instant, je ne vis que des étoiles, et puis ce fus le noir complet.
Lorsque je repris connaissance, j’avais un affreux goût dans la bouche. Un goût de fer et de terre. Mon esprit était brumeux, mais je fis de mon mieux pour ouvrir les yeux.Il faisait encore nuit, mais je distinguais des choses grâce aux torches plantées dans le sol.
Lorsque le drame de la soirée me revint, je me redressais, en contenant mes larmes.Mes bras étaient solidement attachés à un poteau de bois planté dans ce qui semblait être un mélange assez dur de terre et de sable. Ma tête me faisait horriblement souffrir, mais j’ignorais cette douleur. Je n’avais aucune idée de ce que je faisais ici, et je n’allais pas m’attarder devant les portes de la Douât pour le découvrir. Même si j’étais assise à même le sol, je pouvais distinguer des tentes blanches un peu partout autour de moi. Nous nous trouvions certainement dans un campement. Je tournais la tête, pour voir d’autres poteaux.
Avec d’autres personnes attachées dessus. Un vieillard respirait difficilement à mes côtés, un homme essayait désespérément de défaire ses chaines.
Chaînes que j’avais aux poignets.Une ombre se leva au dessus de moi, menaçante, m’abritant du soleil brûlant du désert.