La fleur de saphir

Saphir rabaissa son capuchon sur sa tête et se mit à marcher d'un pas vif et léger. La nuit était à présent bien avançée, et bien qu'elle n'ait pas fermé l'oeil depuis la veille, elle ne sentait pas la moindre fatigue. La mousse agissait comme un tapis moelleux sous ses pieds, masquant le bruit de ses pas. La jeune fille se mit à chantonner joyeusement une comptine en elfique. C'était enfin l'heure de la vengeance!

Elle regarda un instant son reflet dans l'eau d'une petite rivière, éclairée par un rayon de lune. La femme qui lui renvoyait son regard ressemblait à une elfe, mais avait cependant la taille d'une hobbite. Sa peau était bronzée par une vie en pleine nature. Entre ses longues boucles noires et emmêlées, on pouvait remarquer sans peine ses oreilles pointues délicatement ourlées. Elle était vêtue d'un manteau en peau de loup, d'un pantalon de toile crème, de bottes en cuir brun et portait à sa ceinture une dague elfique longue comme son avant-bras. Dans son dos, elle avait un arc parfaitement adaptée à sa taille et un carquois rempli de flèches. Ses yeux étaient bleus clairs, d'un éclat pur, pareil à deux grands lacs ou plutôt à deux saphir. Ses lèvres fines s'étirèrent en une espèce de sourire... Bientôt, les loups seraient vengés.

Elle reprit son chemin. Autour d'elle, le paysage commençait à peu à peu à changer. De grands arbres millénaires, autrefois beaux et majestueux, étaient déracinés et encombraient la route, tracée par de nombreux passages. L'herbe était piétinée, des buissons arrachés, ça et là, des morceaux d'écorce parsemaient le sol. La forêt était dévastée. Loin de s'en formaliser, Saphir continua sa marche, imperturbable. Elle y était presque.

Arrivée au campement des trolls, elle constata deux chose: primo: elle allait devoir changer ses plans et secundo: apparement, les trolls avaient fait bonne chasse: une bande de nains étaient empilés les uns sur les autres, enfermés dans des sacs, les autres rotissaient joyeusement au dessus du feu.Saphir bouillait intérieurement. Voila qu'on contrariait ses plans, à présent! Une part d'elle s'interrogeait tout de même: qu'est-ce qu'une bande de nains faisaient ici, si loin de chez eux? Ils étaient plutôt casanier d'ordinaire, plutôt du genre à rester au plus profond de leur montagne à compter leurs multiples richesses... Elle n'eut pas le temps d'y réfléchir que William, le plus jeune troll, dumoins à en juger son visage plus poupin, s'exclama:

"C'est pas la peine de les cuire, y a qu'a s'asseoir dessus... et en faire de la gelée!

-Faut les faire rissoler, et les faire rôtir avec une pincée de sauge!, contredit Bert de sa voix gutturale.

-Ca doit pas être mauvais...

-Laisse tomber l'assaisonnement, on a pas toute la nuit! Le jour va se lever!, gronda Tom.

-Dépêchons nous, j'ai pas envie d'être changé en pierre!"acquiessa Bert.

Il serait peut-être temps de t'en inquiéter... se dit Saphir. Apparement, les nains avaient du mal à se faire rôtir, peut-être cela lui donnerait-il un avantage... Dans tous les cas elle n'allait pas laisser ces nains ruiner ses plans, et encore moins laisser les trolls dévorer ces pauvres guerriers sans rien faire!

"Attendez!,cria une voix, vous allez faire une énorme bêtise!

-On ne peux pas les raisonner, ils sont idiots, dit un nain.

-Idiots? Alors qu'est-ce-que nous sommes nous!, renchérit un autre.

-Je voulais dire avec l'assaisonnement!"continua la voix, qui s'avérait appartenir à un tout petit homme, sans doute un hobbit.

Il se releva et sautilla jusqu'aux trolls.Saphir le trouva ridicule avec son sac attaché jusqu'au cou, mais il avait au moins le mérite de tenter quelque chose.

"Quoi, avec l'assaisonnement?, dit Tom d'un ton bourru.

-Non mais vous les avez sentis? Il va vous falloir quelque chose de plus fort que la sauge avant de les servir."

La jeune femme pouffa tandis que les nains s'agitaient avec frustration.

"Qu'est-ce que t'y connais, t'as déjà cuisiné du nain?

-Ferme là! Laisse le cambriolomobbit parler!, dit Bert.

-Le secret pour cuisiner le nain...

-Oui? Va y!, ordonna Bert, dont toute l'attention était désormais fixée sur son interlocuteur.

-C'est...

-Dis nous le secret!

-Oui, je vais vous le dire!, souffla-t-il d'un ton désespéré, Le secret, c'est... de... les écorcher vif!"

Saphir retint une exclamation. Il devait vraiment les détester! Ou, il tentait maladroitement de gagner du temps. Les nains se débattirent furieusement.

"Ca je m'en souviendrais, je m'en souviendrais!, hurla l'un d'eux.

-Tom, donne moi un couteau effilé..., lança Bert avec un sourire malsain.

-Tout ça, c'est rien que des bêtises, j'en ai mangé tout un tas avec leur peau, faut les bouffer avec leurs bottes et tout, et tout!, rétorqua Tom, qui s'occupait de tourner la broche.

-Il a raison! Moi j'ai rien contre un bout de nain cru!, dit William en attrapant par le bas le plus gros d'entre eux, Hum... Bigrement croquant!

-Oh non, pas celui là il est infecté!, tenta de nouveau le hobbit.

-Il est quoi?, demanda Tom.

-Oui il a plein de vers dans les... les boyaux."

Willam jeta sa proie avec dégout. Efficace. songea Saphir. Elle choisit ce moment pour faire son apparition. Elle s'avança nonchalament.

"Ah, ça, les vers, c'est un réel problème...,dit-elle en secouant la tête négativement.

-Saphir, c'est vraiment pas le moment!", dit Bert en levant les yeux au ciel.Les nains la regardèrent bouche bée.

Elle les fixa un moment et poursuivit en souriant:"Moi aussi, j'ai quelques problèmes avec des parasites, j'en ai trois gros qui me démangent depuis un petit bout de temps...,fit-elle d'un ton éloquent.

Puis, elle fit un clin d'oeil au hobbit pour qu'il comprenne qu'elle était de leur côté. Il hocha la tête la bouche entrouverte et se tourna vers les trolls.

"En fait ils ont tous des vers...,renchérit le petit homme encouragé par cette soudaine apparition, ils sont tous infectés de parasites, c'est une horreur! Je ne prendrais pas le risque, oh ça non!"

C'en fut trop pour les nain, ils se mirent tous à rugir:

-Des parasites, il a dit des parasites?

-On a pas de parasites! c'est vous qui en avez, on est pas infestés de parasites!",s'époumonna un des plus jeunes nains.

Saphir avait d'ailleurs très envie de lui donner de violentes claques à de multiples reprises... Ces nains étaient-ils aussi bêtes que ça? Soudain un coup de flan de la part du plus grand d'entre eux les fit se taire subitement. Enfin un qui à compris... pensa la jeune femme. Un rapide coup d'oeil vers le ciel la fit jubiler. L'aube commençait à poindre! Bon, le hobbit avait fait le trois quart du boulot, mais l'espoir était palpable!

Elle s'avança vers les nains et se mit à les tater.

"Le petit menteur! Il faut pas être complexé, fait voir!" fit la jeune fille en tapotant le ventre du jeune nain qui la regarda faire avec des yeux grands comme des soucoupes." Alors ça pour des parasites, c'est des parasites, je sais de quoi je parle! Allez, avouez, faut pas avoir honte, tant pis, ça peut arriver à tout le monde..."

Elle lui jetta un regard lourd de sous-entendus. Le nain continua de la regarder fixement. Enfin un éclair de compréhension traversa ses yeux noisettes avant de crier à la cantonnade:

"J'ai des parasites gros comme mon bras!

-Et moi des plus gros parasites, j'ai d'énormes parasites!",continuèrent les autres qui furent bientôt soutenus par les nains sur la broche, dont les poils et la barbe commençaient à roussir.

"Ca grouille de partout!

-J'en ai partout, oui!"

Les nains se mirent tous à hurler et à se débattre.

"Qu'est-ce-que tu veux qu'on fasse d'eux? On les laisse tous s'en aller?",dit Tom qui décidément ne lâchait jamais l'affaire.

C'était toujours à cause de lui que Saphir échouait dans ses plans, enfin, avant ce soir...

"Et bien...,sous-entendit le hobbit.

-Vous croyez que je vois pas ce que vous mijotez?, puis se tournant vers les autres, Ces deux petites fouines nous prennent tous pour des andouilles!

-Petite fouine?, s'offusqua le hobbit.

-Des andouilles?

-Et pas qu'un peu!" ,railla Saphir en voyant le soleil levant.

Soudain, une figure qu'elle n'avait pas vu depuis des années apparut dans son champ de vision. Le visage de la jeune fille se fendit d'un large sourire et elle murmura tout bas: "Mithrandir!"