Dîner chez Smaug !
Chapitre 3 : Début d’une aventure palpitante
2536 mots, Catégorie: T
Dernière mise à jour 18/01/2023 17:44
Smaug réfléchissait tout en consultant son Portable Draconique : ça faisait près d'un siècle qu'il n'avait eu aucune relation amoureuse, la dernière en date, avec Saphira, s'étant finie en violente rupture lorsque cette dernière avait découvert qu'il était gay (elle l'avait surpris en train de mater des vidéos compromettantes de Krokmou).C'était en partie suite à cela qu'il avait déménagé ici, pour amasser un gros trésor et se consoler tout en se défoulant sur un royaume nain qui n'avait rien demandé.
Et puis, un jour, en se baladant sur son site de rencontres draconiques, il avait cliqué sur le profil de Drogon, un beau mâle aux écailles ténébreuses et aux ailes rougeoyantes avec un regard de braise, et était tout de suite tombé sous le charme. Après quelques hésitations, il avait décidé de lui envoyer une proposition très explicite et de l'inviter chez lui, en Erebor. Et depuis, aucune nouvelle...
Son message était pourtant marqué "lu", donc Drogon était logiquement au courant... pourquoi ne répondait-il pas ? Smaug n'était pas de nature impatiente (ça faisait plus de cent ans qu'il flemmardait sous une montagne où il ne se passait jamais rien, niveau patience, il était perché très haut), mais il ne pouvait pas s'empêcher de s'interroger : Drogon aurait-il eu la moindre raison de refuser ses avances, adressées de la part du plus beau, du plus riche et du plus génialissime de tous les dragons, Smaug le Magnifique ?
Non, c'était parfaitement impossible.
Le reptile déplia ses ailes pour s'étirer un peu, faisant cascader une myriade de pièces d'or de son "coussin-doudou-trésor" dans lequel il avait pour habitude de végéter. Il avait passé près de vingt ans à dormir sans interruption - non pas que ce mode de vie lui déplaise, c'était un véritable paradis de pouvoir flemmarder dans un gros tas d'or - le problème, c'était qu'il ne se sentait pas du tout présentable pour un rencard (même hypothétique), et que ça puait le nain en décomposition avancée un peu partout... c'est fou ce que cette odeur était tenace dans une grotte !
Il se résignait donc à ranger sa piaule, histoire d'aérer un peu, de mettre du déodorant draconique, de soigner ses écailles ébouriffées - qui avaient un peu trop poussé à son goût, il allait devoir se refaire une nouvelle coupe - et de balayer les cadavres de nains et d'aventuriers malchanceux éparpillés n'importe où - il se dit que l'endroit idéal pout les cacher, ce serait cette petite tourelle en hauteur, presque inaccessible pour un dragon.
En parlant de cadavres... Smaug se souvint qu'il faudrait aussi préparer un plat pour son invité ! Oh, misère... Oui, bon, il y avait cette ville d'humains sur le lac, ou encore un royaume elfique à Mirkwood, mais c'est qu'il avait la fleeeeeemme de voler ! Et puis, ce serait dommage de détruire ces endroits : ils rajoutaient un petit côté pittoresque au paysage (Smaug, mine de rien, était pour la préservation du patrimoine culturel - la preuve, il n'avait pas cramé les monuments sous la montagne, seulement les gens qui s'y trouvaient).
Le dragon se redressa un peu, assez mollement, et se gratta la tête d'une griffe : ce dîner aux chandelles, ça allait poser problème... Il ne savait malheureusement pas du tout quel était le plat favori de Drogon, et ne pouvait que spéculer d'après ce qu'il avait pu voir dans Game of Thrones : Drogon semblait s'attaquer à un peu tout ce qui bougeait, avec une nette préférence pour les humains, mais ce fait n'était peut-être qu'une conséquence des ordres que lui donnait Daenerys... Quoi qu'il en soit, il n'avait jamais touché à Tyrion, malgré les occasions qui n'avaient pas manqué, ce qui laissait à présumer qu'il n'aimait pas le nain.
Des humains, donc... Smaug ne voulait pas prendre de risques, et se décida donc en faveur de ce mets assez classique. Il lui faudrait trouver des humains et les conserver au frais avant l'arrivée de son rencard. Idéalement, des aventuriers un peu cons décidés à voler son trésor. Les derniers en date, venus il y a vingt ans, jonchaient encore le sol, sous forme de petits tas de cendres. Depuis, plus personne ne s'était risqué suffisamment près pour qu'il n'ait pas la flemme de voler vers eux.
C'était pas gagné...
*°*°*
"Alors Lomya, tu viens ?"
Comment en était-elle arrivée là ?!
La jeune femme se souvenait de tous les détails de la veille : elle avait simplement voulu discuter un peu avec des aventuriers venus en ville, et s'était retrouvée parmi eux à leur table, invitée par Penninor, la magicienne elfe du groupe. Gulpil, le faux épéiste, et Dianys, l'archère bourrée, avaient presque fini par déclencher une petite bagarre dans l'auberge - heureusement, le chef Babush avait demandé à Karrthable, le guerrier barbare peu loquace qui les accompagnait et qui ne s'exprimait que par monosyllabes, de les séparer.
Ils avaient discuté pendant pratiquement toute la journée, Lomya s'émerveillant à chaque exagération de Babush et à chaque mensonge que proférait Gulpil pour l'épater (après tout, cela restait toujours bien plus passionnant que sa petite vie monotone de bourgeoise) ; elle avait fini par parler un peu d'elle-même, de ses lectures et de ses connaissances, et ce fut au tour de Babush d'être impressionné. L'homme, provenant d'un petit village pauvre, ne savait pratiquement pas lire, et mis à part l'elfe Penninor, les autres n'étaient pas plus érudits. Avec la bouche entre-ouverte, il avait écouté Lomya leur décrire les différents peuples et les différents territoires de la Terre du Milieu, les innombrables créatures et plantes qui y vivaient, et ses yeux s'étaient illuminés lorsque le sujet était tombé sur les dragons, dont la jeune femme savait quasiment tout de ce qui était connu.
L'idée avait commencé à germer dans la caboche de l'aventurier à peu près à ce moment : les connaissances encyclopédiques de cette jeune femme allaient leur faciliter la tâche dans leur quête. Il fallait qu'elle vienne avec eux. Avec elle à leurs côtés, leurs chances de réussite seraient grandement améliorées.
Et il lui avait donc proposé de faire partie de leur groupe, après lui avoir révélé la véritable nature de leur aventure : dérober le trésor enfoui sous la Montagne et, si nécessaire, se mesurer au grand Smaug.
L'idée était complètement absurde, la quête à cent pour cent suicidaire : Lomya avait tout naturellement accepté d'emblée.
Ce n'était que maintenant qu'elle commençait à avoir des doutes sur le bien-fondé de sa décision, alors qu'ils débarquaient sur la rive du lac, du côté où se trouvait Erebor.
"Lomya, viens, qu'est-ce que tu regardes ?"
Dianys, l'archère, l'avait interpellée, alors qu'elle trainait à l'arrière, près des barques, le regard rivé sur la ville au milieu du lac, à l'horizon. Elle n'avait jamais beaucoup aimé cet endroit et avait toujours rêvé de le quitter... mais maintenant qu'elle était partie, elle n'était pas sûre de vouloir continuer.
Mais elle finit par détourner le regard et sourire faiblement à Dianys :
"Rien, je réfléchissais", répondit-elle.
Dianys haussa les épaules et lapa une gorgée d'eau-de-vie dans sa gourde. Une fois sortis de la ville, les aventuriers avaient laissé leurs capes de côté, qu'ils avaient revêtues pour ne pas attirer l'attention, et on pouvait à présent admirer la splendide tunique rose criarde de l'archère ainsi que son arc customisé, peint en violet avec des rayures jaunes. Lomya se demandait si cet accoutrement était vraiment censé être discret, mais préférait ne pas faire de remarques.
Elle emboîta donc le pas au reste du groupe en gardant le silence, préférant regarder attentivement autour d'elle pour prendre mentalement des notes.
En premier lieu, elle se rendit compte que leur groupe se verrait de loin, et pas seulement à cause du rose que portait Dianys : Gulpil, lui, arborait fièrement une cotte de mailles étincelante, probablement faite en toc mais réfléchissante comme un miroir ; Penninor faisait preuve d'un style vestimentaire inhabituel pour une elfe, avec sa robe bleue foncée pailletée d'étoiles dorées et son chapeau en pointe violet ; Babush trimbalait sur lui, autour de son cou, de ses bras et de ses jambes, tout un attirail d'amulettes porte-bonheur et de clochettes pour repousser les mauvais esprits, qui tintaient dans un vacarme insupportable à chaque pas ; enfin, Karrthable portait en tout et pour tout un unique pagne dissimulant ce qui devait être dissimulé (visiblement sans même se soucier d'avoir une arme avec lui).
Étrangement, Lomya était la seule à ressembler un tant soit peu à un aventurier sérieux, simplement habillée d'une discrète tunique grise et d'une cape sombre. Étant partie de manière assez improvisée, elle n'avait presque aucun bagage, seulement quelques herbes médicinales et un couteau de cuisine (elle avait voulu prendre une arme mais ignorait complètement où se trouvait l'armurier de la ville).
Elle s'étonna également du fait que la troupe ne possède que deux chevaux, utilisés pour transporter les armes, les vivres et les outils ; lorsqu'elle demanda à Babush pourquoi ils ne s'en étaient pas procurés d'autres, ce dernier répondit que la faute en revenait entièrement à Gulpil, qui avait vendu les quatre autres dans une ville par laquelle ils étaient passés, et n'avait même pas partagé l'argent qu'il en avait retiré.
Quelques heures passèrent et la jeune femme commença à avoir mal aux pieds. Ils ne progressaient pas très vite dans cette région désolée, recouverte de bruyère et de rocs, mais Lomya n'était pas habituée à marcher et bientôt, le rythme devint trop soutenu pour elle. Elle se retrouva à traîner à l'arrière de la troupe, essoufflée, transpirant à cause de la chaleur.
Prise de pitié, Dianys vint la rejoindre, lapant au passage une gorgée généreuse d'alcool ce qui rendit sa démarche encore plus incertaine que d'habitude.
"Alors, lâcha-t-elle en s'appuyant sur l'épaule de la citoyenne d'Esgaroth, c'est chiant, hein ? Marcher pendant des heures... moi non plus, ça n'a jamais été ma tasse de bière..."
Lomya n'émit qu'un souffle rauque, la respiration coupée par le poids de l'archère bourrée qui s'affalait à demi sur elle.
"Tu sais pourquoi je suis partie avec Babush ? continuait pourtant Dianys sans se rendre compte de l'état de sa coéquipière. Bah à vrai dire, j'en sais rien non plus... burp..."
Et elle entonna un chant aux paroles salaces.
Un peu dégoûtée, Lomya secoua l'archère de son épaule et la laissa tomber comme un sac à patates sans aucun remord.
"Très bien, s'écriait Babush au même moment, et si on faisait une pause, les amis ?"
Personne ne haussa ne serait-ce qu'un sourcil. Il fallut que Karrthable le barbare intervienne par un guttural :"Stop. Pause." pour que la troupe daigne s'arrêter. Le manque d'autorité du chef était flagrant, pensa Lomya, ils n'auraient aucune chance de se coordonner s'il se chargeait de donner des ordres.
Mais elle accueillit néanmoins la pause avec une joie difficilement dissimulée, ses pieds lui faisant terriblement mal. Dianys rampa tant bien que mal vers l'endroit qu'avaient choisi les autres pour se reposer et se mit à ronfler à même le sol dès qu'elle y fut parvenue, sans que personne ne fasse la moindre remarque, tous habitués.
La matinée était déjà bien avancée et comme tout le monde avait la dalle, ils décidèrent de déjeuner un peu en avance. Si Gulpil mâchouillait sa portion de pain dur avec une élégance inimitable, Karrthable en revanche déchiquetait un gros jambon avec ses dents et ses ongles en en mettant partout et avec un bruit de succion insupportable, si bien que Lomya décida de s'éloigner le plus loin possible du grossier individu et de s'asseoir à côté de Penninor qui ne mangeait pas.
"Vous... vous n'avez pas faim ?" s'étonna la jeune femme.
L'elfe lui adressa simplement un regard dédaigneux.
"Bien sûr que non, je fais attention à ma ligne ! Comment est-ce que tu crois que les elfes peuvent demeurer beaux et sveltes toute leur vie ?
- Euh..., bégaya Lomya, je pensais que c'était génétique... un truc comme ça...
- Ouais, eh bah non. Il faut souffrir pour être aussi magnifique que nous !"
Lomya écarquilla les yeux, profondément surprise. Elle dévisagea sa voisine et se rendit compte qu'effectivement, Penninor ne mentait pas en disant qu'elle prenait soin de son corps : ses yeux étaient maquillés pour être mis en valeur et sa peau nacre couverte d'un fond de teint phosphorescent qui la faisait resplendir dans le noir.
Babush, pendant ce temps, s'était discrètement approché de Lomya, une expression de curiosité dévorante sur la face.
"Dites, ma demoiselle, s'adressa-t-il un peu timidement à elle, vous... vous pourriez me parler encore un peu des dragons... s'il vous plaît ?
- Euh... oui, bien évidemment ! C'est pour ça que vous m'avez engagée, après tout ! Qu'est-ce que vous voulez savoir ?
- Eh bien... comme on s'approche de la Montagne, je suis de plus en plus en proie à un mauvais pressentiment... Dites, est-ce que les dragons peuvent influencer les pensées des gens, les orienter en quelques sortes, dans la direction qu'ils choisissent ?"
Lomya cligna des yeux : elle ne s'était pas vraiment attendue à ça.
"Qu'est-ce qui te fait dire ça, Babush ? intervint Penninor, soudain attentive à la discussion.
- Eh bien... euh... je ne sais pas..."
Le chef du groupe semblait un peu confus.
"C'est... c'est comme si je pouvais ressentir quelque chose, une impression, qui m'est complètement étrangère... Mais j'ai du mal à comprendre...
- Les dragons, du moins selon certaines légendes oubliées, sont connus pour être capables d'influencer leur environnement selon ce qu'ils ressentent, récita presque Lomya, se souvenant d'un passage dans un de ses livres. Il est possible que votre impression soit liée aux émotions de Smaug... mais rien n'est certain."
Babush et Penninor écarquillèrent les yeux, ne sachant comment réagir : les émotions de Smaug se propageaient autour de la Montagne ? Qu'est-ce que cela voulait dire ? Était-ce réel ?
Lomya, quant à elle, fronçait les sourcils, concentrée : cette information n'avait jamais été validée de manière sûre, et puis il semblait que seul Babush soit concerné dans tout le groupe. Peut-être était-il plus sensible à ce genre de "télépathie draconique" ? Ou peut-être était-ce seulement son imagination ?
C'est dans cet état d'esprit dubitatif que les aventuriers reprirent leur chemin, environ une heure plus tard.