Un Vide de Vérité

Les préparatifs du mariage allaient bon train, l’heureux événement allait se tenir dans moins de 48h, tout le monde était donc dans l’effervescence la plus totale. La vaisselle était rutilante, le menu était dressé et toute la cuisine se tenait prête pour le top départ, les essayages étaient finalisés, chacun s’affairait à préparer et peaufiner les derniers détails mais surtout, il fallait maintenant tout installer. Demain serait le grand jour où la Reine d’Arendelle, Anna, épouserai Kristoff.

La principale intéressée avait d’ailleurs beaucoup de mal à tenir en place. Elle courait d’un bout à l’autre du château, à mi-chemin entre la panique totale et la surexcitation. Kristoff essayait du mieux qu’il pouvait de la canaliser pour le plus grand bonheur de Sven qui se moquait ouvertement. Dans ces moments-là, et même si elle adorait sa sœur, le calme et la sérénité de la forêt enchantée lui manquait. Elle aurait beaucoup aimé la faire découvrir à Laceli, mais depuis leur altercation, la brune avait mis un point d’honneur à l’éviter et l’ancienne reine devait le reconnaitre, à ce petit jeu, l’esprit du feu était d’une efficacité redoutable. Anna lui avait demandé chaque jour si elle avait réussi à lui parler, mais malgré tous ses efforts, Laceli s’était montrée insaisissable. Mais qu’importe, l’heure n’était pas aux regrets, sa petite sœur allait se marier et c’était ça le plus important, ça et le regard de chiot de Kristoff qui semblait désespéré. Elsa rit doucement, elle prit la main de sa cadette et l’entraina vers la salle de bal où la décoration était finalisée, ou presque, il ne manquait que la touche de magie. Le parquet lustré était si impeccable qu’il pouvait faire office de miroir. Sur la petite estrade où se trouvait habituellement le trône tout simple en bois, s’y trouvait maintenant un second. D’immenses voilages blancs avaient été tendue sur les murs et les épais rideaux avaient été remplacés. D’un signe de tête, Elsa encouragea sa cadette et Anna recouvrit le plafond de la pièce par un tapis de fleurs multicolores. Le tapis rouge de l’estrade fut remplacé par de l’herbe d’un vert intense, deux arbres majestueux se dressèrent à côtés des trônes, ployant sous les fleurs d’un rose pâle. D’un geste agile, Elsa suspendit quelques éclats de glace scintillant afin d’illuminer le plafond floral. Anna sourit, elle-même surprise par ce qu’elle venait de réaliser.

« C’est magnifique. »

Elle fit un câlin à sa sœur avant d’entendre un raclement de gorge discret. Laceli se tenait dans l’embrasure de la porte, pas très sûre de ce qu’elle faisait là. La reine lui sourit.

« Entre.

-Tu… heu… Vous vouliez me voir, majesté ? »

Depuis qu’elle était en froid avec Elsa, la brune n’était plus très sûre de savoir comment se comporter. D’autant moins qu’elle n’était toujours pas très à l’aise avec le protocole, malgré les leçons de Kai. Mais c’était sans compter sur la familiarité d’Anna elle-même.

« Hou ! Epargne moi le « majesté » s’il te plait. »

Elsa s’était mise légèrement en retrait, pas très sûre de ce que sa sœur avait préparé comme piège. Elle sourit à l’attention de l’esprit du feu.

« Bonjour Lace.

-Majesté. »

Le ton était aussi sec que le signe de tête qu’elle reçut en retour. Anna les regarda tour à tour.

« Il faut vraiment oublier le « majesté », j’y tiens.

-Tu préfères Coquelicot ?

-Absolument. Encore plus maintenant qu’Elsa m’a expliqué pourquoi tu m’appelais comme ça. J’aime beaucoup. »

La brune n’était pas certaine de savoir quoi répondre à ça, elle garda donc un silence prudent, laissant à Anna le soin de monopoliser la parole.

« Nous avons une tradition à Arendelle pour célébrer les mariages. Enfin, nous avons plusieurs traditions, mais j’aime bien celle-ci en particulier. Celle qui dit qu’on ne peut rien refuser à la future mariée, la veille de son mariage. »

Tout comme Elsa, Laceli sentait venir le piège, elle haussa un sourcil inquisiteur.

« Vraiment ? Kai ne m’a jamais parlé de ça.

-Oh avec tout ce qu’il y a à savoir, ce pauvre Kai ne peut pas parler de tous les sujets.

-Bien sûr… J’imagine donc que tu as quelque chose à me demander.

-Tout à fait. Ne t’inquiète pas, ma demande est très simple. »

Anna sourit tranquillement.

« J’aimerai que vous preniez le temps de parler, toutes les deux, parce que je ne veux pas voir de mines renfrognées pendant la cérémonie demain et que je n’aime pas quand ma sœur est malheureuse. Je repasse dans une heure, merci ! »

Et sans laisser le temps à qui que ce soit de répondre, la reine quitta la pièce et ferma la porte derrière elle. Elsa ferma les yeux un instant, bon, elle ne pouvait pas dire qu’elle ne l’avait pas vu venir et au moins le message était clair. Elle rouvrit les paupières pour observer Laceli, le nez en l’air, perdue dans la contemplation du plafond. Ses longs cheveux bruns cascadaient librement sur ses épaules, sa voix était calme quand elle prit la parole, mais surtout dénuée de toute trace de chaleur qu’elle contenait habituellement.

« Alors ? De quoi devons-nous parler ?

-Des excuses que je te dois.

-Tu t’excuses beaucoup.

-Chaque fois que je commets une erreur.

-Ah. Il semblerait que je doive une vie d’excuse. »

Elle cessa de s’abimer dans la contemplation de la décoration pour croiser le regard de l’ancienne reine.

« Je ne suis pas sûre que tu doives t’excuser de ne pas vouloir de moi. Tu es libre d’aimer et de ne pas aimer qui tu veux.

-Tu n’as pas l’intention de te me faciliter la tâche, n’est-ce pas ?

-J’étais pourtant persuadée du contraire, j’ai fait exactement tout ce qu’il fallait pour ne pas t’embarrasser.

-Lace, s’il te plait. »

Elsa défroissa robe qui n’était pas du tout froissée. Elle cherchait un peu de courage.

« Je n’aurais pas dû te repousser comme je l’ai fait mais je ne savais pas comment assumer tout ça. Je ne sais toujours pas d’ailleurs. J’ai pris l’habitude de protéger les gens autour de moi en les poussant à s’éloigner. Quand j’étais petite, mes parents étaient complètement dépassés par mes pouvoirs. J’ai blessé ma sœur, deux fois. La première fois alors que nous n’étions qu’enfants. Après ça mes parents ont pris la décision de m’isoler complètement. J’étais seule, dans cette immense château, seule dans ma chambre, seule avec Anna qui réclamait ma présence et qui ne comprenait pas pourquoi je ne lui répondais plus. Mais je ne répondais plus parce que je représentais un danger pour elle, parce que je venais de découvrir que je pouvais lui faire du mal. »

Laceli écoutait sans l’interrompre, elle comprenait que ce qu’Elsa était en train de lui livrer était quelque chose d’important. Elsa secoua la tête, elle s’égarait dans ses souvenirs.

« La seconde fois, j’ai failli tuer ma sœur. J’avais tellement peur de lui faire du mal, c’est ironique de se dire que c’est précisément parce que j’étais terrorisée que je l’ai presque tuée. Bref, tout ça pour dire que j’ai grandis loin des autres et avec l’inquiétude viscérale de faire du mal aux gens que j’aime, malgré moi. Alors j’ai pris l’habitude de m’éloigner, de rester distante. Même par la suite, lorsque je suis enfin parvenue à maitriser mes pouvoirs, je ne laissais personne m’approcher de trop près. Je ne laisse toujours personne m’approcher. Une partie de moi continue de penser que c’est dangereux. Alors, quand tu débarques avec autant de force dans ma vie, que tu tentes de me séduire si ouvertement, et que tu bouleverses tout un monde que j’ai mis du temps à apprivoiser, effectivement Lace, je le reconnais, je n’ai pas su gérer. J’ai mal réagi et je suis désolée si je t’ai blessée. »

Elsa souffla doucement, elle fut surprise de trouver un regard plein de compassion. La blonde sourit timidement.

« Admettre qu’une femme puisse me plaire, c’est peut-être quelque chose de normal pour toi, mais pour moi c’est un changement énorme et… Je suis désolée de ce que je m’apprête à dire mais je ne sais pas si je suis encore prête à l’assumer aux yeux de tous. »

Laceli acquiesça d’un discret signe de tête.

« Je comprends. Et j’aurais dû moi-même réaliser que je te mettais dans une position difficile. Je suis désolée de t’avoir autant poussée. »

Un silence passa durant lequel l’une comme l’autre devait accepter ce qui venait de se dire. Elsa hésita puis tendit une main vers Laceli.

« Amie ?

-Amie, Chaton. »

La brune prit la main tendue et provoqua plutôt une étreinte. Le parfum d’Elsa l’enivra presque aussitôt. Elle n’avait pas vraiment envie d’être une simple amie, mais c’était une décision qui ne lui appartenait pas et elle ne pouvait que la respecter. Son cœur souffrait d’une histoire qui n’avait jamais commencé. Elle s’écarta et se recomposa tout en observant la salle et la décoration.

« Kai est gentil mais les cours sur le protocole sont beaucoup moins drôles sans toi.

-Majesté hein ? »

Laceli roula des yeux.

« Je ne sais jamais quand est ce que je dois le placer ! Kai dit tout le temps mais Anna n’a pas l’air d’en avoir du tout envie ! Résultat, quoique je fasse, j’ai faux. Et toi, je n’en parle même pas. »

Elsa rit doucement.

« Viens, allons retrouver ma sœur, elle doit faire une tranchée quelque part à force de faire des aller/retour dans le château. »

Elles partirent à la recherche d’Anna dans les différentes pièces de la bâtisse. Tout avait été redécoré pour l’occasion et il était facile de voir où la reine était passée, tant les fleurs avaient envahis l’espace. L’endroit semblait complètement différent et Laceli ne se lassait pas du spectacle. Elles retrouvèrent Anna aux abords de l’immense hall, la reine se précipita vers elles en les voyant arriver.

« Ca ne fait pas une heure que je vous ai laissé. »

Elsa sourit.

« Nous n’avions pas déjà besoin d’autant.

-D’accord mais… tout va bien ?

-Oui, tout va bien.

-Ne t’inquiète pas, Coquelicot. »

Anna sourit davantage.

« Mais tout va bien… bien ? Ou tout va bien bien ? »

Face à une question aussi cryptée, Laceli fut ravie d’apercevoir Lenjo.

« Excusez-moi, je dois discuter avec R. »

Elle s’éclipsa après un léger signe de tête et laissa les deux sœurs entre elles. Anna fixa l’ainée du regard, elle attendait toujours sa réponse.

« Nous sommes amies.

-Comment ça ? Justes amies ? Mais je croyais que tu… qu’elle te plaisait ? »

Elsa regarda autour d’elle pour s’assurer qu’il n’y avait pas d’oreilles indiscrètes.

« Je sais oui, c’est vrai, mais j’ai beaucoup réfléchi durant ces quelques jours et je crois que je ne suis pas encore prête à assumer. Je ne me sens pas capable d’être à l’aise avec cette situation. Pas encore disons. Et je ne peux pas demander à Lace de m’attendre.

-Tu es sûre de toi ?

-Difficile d’être sûre mais, c’est ce que je pense oui.

-Je peux encore bloquer le départ du bateau. »

La blonde rit doucement.

« Je crois qu’elle a été suffisamment privée de liberté.

-C’est vrai. »

Anna soupira de manière théâtrale.

« Bon, il faudra que je sois encore patiente avant de pouvoir enfin voir ma grande sœur heureuse !

-Mais je suis heureuse ! »

A cet instant, la reine semblait finalement être la plus déçue des deux. Le regard d’Elsa se porta sur le vent qui faisait tourbillonner les feuilles à l’extérieur.

« La forêt te manque ?

-Oui.

-Ne tarde pas trop à y retourner. Même si j’aime t’avoir à mes côtés, tout va bien ici maintenant. »

Elsa acquiesça d’un signe de tête, elle prit sa sœur dans ses bras.

« Après le départ de Lace et Lenjo. Je suis pressée de retrouver les esprits de la forêt, mais pas de m’éloigner de toi. »

Et pourtant, ce qui faisait le plus mal, c’était l’association « départ » et « Laceli ». La sérénité de la forêt enchantée lui ferait sans doute beaucoup de bien pour se remettre de tout ça.