La mort de Clochette
Elsa
Après quelques pas, nous arrivâmes enfin à une cellule fermée par des murs de fer. La garde l'ouvrit alors que j'enlevais l'un de mes gants - seulement par précaution.
A l'intérieur, un colosse, sévèrement attaché, somnolait. Une respiration lente et profonde résonnait entre ces quatre murs. Olaf se racla la gorge, le suspect eut un rictus de surprise, puis se tourna vers nous. Il avait les traits gras, uniforme et des cheveux sales en bataille. Pourtant, aucune apparente méchanceté ne se dégageait de ce corps grossier.
Je m'agenouillais à sa hauteur, à une distance suffisante pour ne pas risque ma vie.
"Bonsoir, je suis la reine Elsa", me présentais-je poliment.
Un sourire bête se dessiner sur son visage tandis qu'il leva ses yeux trahissant une certaine niaiserie vers mon visage.
"Aurais-je le plaisir d'entendre votre prénom ?"
Son sourcil s'arqua en signe d'incompréhension.
"Parle-t-il le norvégien ?, m'adressais-je à Olaf.
- Je ne sais s'il sait parler tout court"
Je répétais ma précédente question en anglais mais je ne reçus, de nouveau, aucune réponse.
Je tendis ma main, celle gantée, vers lui ; mais il se plaqua contre le mur, effrayé. Je lui touchais la sienne, elle était énorme et rugueuse, avec autant de douceur que je le pouvais, mais son air terrifié ne semblait que s'accentuer.
"Il est simplet, commenta Olaf.
- Si tu veux mon avis, rétorquai-je, il a surtout vu des choses qu'il n'aurait préféré ne jamais voir.
- Tu n'es habituellement pas si dupe. Comme veux-tu qu'un idiot, sans être offensant, sache faire la différence entre le bien et le mal ?
- Je ne sais pas. Tu as peut-être raison. Mais rien n'assure que ce soit bien lui l'assassin."
Eric
Je me précipitais vers la plage, le cœur gonflé. Un spectacle horrifiant se déroulait, face auquel j'étais tout à fait impuissant.
A l'horizon, sur des milliers de kilomètres, la mer était rouge. Rouge de sang. Des poissons morts flottaient de partout, le ventre vers le ciel, des sirenes hurlantes tentaient de rejoindre la terre ferme, les soldats sur des bateaux essayaient d'en secourir le plus possible.
L'intégralité des soldats évacuaient les animaux marins du mieux qu'ils pouvaient. Tous les bassins de la cité étaient monopolisés, et on en construisait d'autres avec hâte après avoir barricadé de barrage les eaux encore bleues. Tant et tant de gens se bousculaient, paniquaient, transporter des sirènes, courant jusqu'au bassin d'eau le plus proche.
Des centaines de cadavres mi-humains mi-poisson jonchaient sur la plage. L'odeur âcre de la mort emplissait mes narines.
Un hurlement d'horreur surgit derrière moi. Une jeune femme aux cheveux d'un roux vif se mit à courir depuis les portes de la cité jusqu'aux corps inertes qu'avaient été son peuple. Je me précipitais vers elle, l'attrapant à la taille avant qu'elle ne se jette à l'eau.
"Lâche-moi !"
Elle se débattait furieusement, grognait de douleur.
"Ariel. Ariel ! Calme-toi je t'en prie !
-t Comment... veux-tu... que je reste clame ?", fit-elle entre plusieurs sanglots.
Elle se libéra de mon étreinte et se précipita vers les écumes les plus proches, aidant le premier marin venu. Elle gémit au contact de l'eau brûlante.
"Arrête, tu te fais mal inutilement ! Rentre immédiatement !, lui criais-je en la poussant légèrement, prenant sa place aux côtés du soldat.
- Je veux aider !
- Rentre ! Ne laisse pas Melody seule dans tout ce bordel ! Et tu veux bousculer le petit que tu as dans le ventre ?"
Le nom de sa fille et du futur bébé l'interpellèrent. Les joues ruisselantes de larmes, ma bien-aimée finit par se résigner.
"Toi !, désignais-je quelqu'un. Amène la reine au premier médecin que tu trouves !
- Je vais bien !, rouspéta Ariel.
- Tu te fiches de moi ? Tu as vu l'état de tes jambes ?"
Du bout des pieds jusqu'aux mollets, le poison de la mer l'avait brûlée impitoyablement.
"Je m'en fiche, mes frères et sœurs ont plus besoin de médecin que moi !"
Je soupirais. Après avoir déposé le corps agonisant, je pris Ariel, toujours pleurante, dans mes bras, puis entrepris de la porter jusqu'au château.
"Eric !", broncha-t-elle ridiculement.
Elle se comportait vraiment comme une enfant. Elle ne cessait de sangloter bruyamment, son visage contre mon torse.
"C'était complètement stupide de se jeter comme ça à la mer, lui fis-je.
- C'était complètement stupide de ne pas les aider.
- Il était essentiel de mesurer le danger. Je n'aurais pas risquer les vies de nos marins.
- Tu es en train de me dire que tu aurais pu abandonner les sirènes ?, siffla-t-elle.
- Si ça avait été nécessaire, oui."
Elle se débarrassa de moi, fulminant. Mais lorsqu'elle toucha le sol, ses jambes se dérobèrent et je la rattrapai de justesse.
"Comment tu peux me sortir une chose pareille ?, hurla-t-elle.
- Il aurait fallu être raisonnable Ariel ! Mais bien heureusement, les hommes ne sont pas sensibles à cette eau rouge comme les animaux marins semblent l'être, on peut donc les-
- Mais si ça n'avait pas été le cas, tu les aurais abandonné !
- Pour minimiser les pertes !"
Elle se dégagea de moi, se tenant à peine sur ses pieds.
"Laisse-moi", dit-elle en remontant seule les marches.
Je la laissais, à la fois agacé qu'elle décharge sur moi ses émotions, et conscient qu'il était impossible de la raisonner.
A travers l'une des lucarnes, j'observais sans comprendre cette mer rouge. Rien ne pouvait prétextait un événement pareil.
J'étais terrifié. Mon père malade, j'avais la cité sur les épaules. Et je n'avais aucune idée de comment réagir. J'ai parlé à mes hommes comme à des chiens sans même que je réalise, pressé la situation. Je tremblais de tout mon corps.
Comment peut-on remplacer l'odeur de la mer par celle du sang ?