Le cinq à sept de Linus Baker

Chapitre 1 : Le cinq à sept de Linus Baker

Chapitre final

3853 mots, Catégorie: T

Dernière mise à jour 19/12/2024 15:08

Ce texte participe au jeu d'écriture du forum, Les dés sont jetés. ⚠️ Contient des spoilers du Tome 1. 

Mon tirage était le suivant : 5 /15 /6 /17 /20 /13, soit : 


Personnage : empathique

Lieu : grand

Objectif : fête

Objet : cassé

Rencontre : cri 

Obstacle : passage 


                                                              * * * 


Linus Baker avait tout du vieux garçon à chat. A commencer par le chat…  

A l’aube de la quarantaine, il cohabitait avec Calliope et son hypertension artérielle dans une petite maison austère, dans laquelle il passait, somme toute, très peu de temps. Ses journées étaient bien remplies au Ministère de la Jeunesse Magique ; entre les heures supplémentaires imposées par la tyrannique Mademoiselle Jenkins et le bus, systématiquement en retard, il ne lui restait que très peu de temps à consacrer à ses loisirs. D’ailleurs, Linus Baker n’avait pas de loisirs. Le peu de temps qu’il passait à entretenir ses tournesols et à écouter ses vinyles tenaient plus de la lubie que du loisir, selon sa vieille voisine qui, elle, n’en manquait pas, entre commérages et méchanceté gratuite !      

C’étaient pourtant les seules sources de plaisir qui égayaient la triste vie de l’agent du Ministère, dévoué à son travail. Entre missions sur le terrain et rapports à rendre sur les orphelinats qu’il inspectait, Linus ne voyait pas le temps passer. De ses ambitions et rêves de jeune homme, il ne restait rien. A la rigidité avec laquelle il avait été élevé par sa mère, avait succédé l’autoritarisme du Ministère, ne laissant aucune place à la fantaisie dans son existence. Toutefois, Linus était heureux. C’était l’idée qu’il s’était fait du bonheur. Se dévouer corps et âme aux tâches qui lui étaient confiées ! D’ailleurs, son corps s’était tellement dévoué à la sédentarité de son poste de travail que Linus avait du mal à circuler entre les bureaux de ses collègues sans en renverser le contenu. C’était devenu le nouvel (seul) objectif dans sa vie : perdre du poids. S’il était honnête avec lui-même, Linus savait que s’il souhaitait maigrir, ce n’était pas tant pour sa santé ou son apparence que pour le regard des autres. Il n’aimait pas attirer l’attention, or son ventre s’en chargeait pour lui… S’il pouvait perdre quelques kilos, il serait parfaitement heureux. S’assurer du bien-être des enfants sous la tutelle du gouvernement, satisfaire les Cadres Extrêmement Supérieurs et se nourrir de salade. La vision du bonheur selon Linus Baker.


Du moins, c’était ce qu’il pensait.


C’était ce qu’il pensait jusqu’à son arrivée sur l’île de Marsyas, trois semaines plus tôt. 

Les Cadres Extrêmement Supérieurs lui avaient confié une mission de la plus haute importance. Classifiée, niveau quatre. Ils la lui avaient confiée à lui, Linus Baker, justement en raison de sa vision du bonheur. Parce qu’il était un homme fiable, loyal, dévoué, discret, rigoureux et célibataire. Sans enfants. S’il venait à disparaître, il ne manquerait à personne. C’était un détail qui avait une importance cruciale aux yeux du Ministère. Le caractère secret de la mission serait ainsi préservé, même dans le pire des scénarios… Calliope pourrait bien se débrouiller seule. Les humains avaient davantage besoin des chats que l’inverse et le Ministère n’allait pas se laisser attendrir par un vulgaire chat de gouttière et encore moins par quelques tournesols. Quant à sa maison, sa voisine ne serait que trop heureuse d’y voir emménager quelqu’un d’autre !  


Effrayé, Linus Baker l’avait été ; néanmoins, il s’était raccroché à sa conscience professionnelle en montant dans le train, accompagné de son chat. 


Effrayé, Linus l’avait été encore plus après avoir fait la connaissance des pensionnaires de l’île : six enfants à l’origine et au passé troubles, Zoé, l’Esprit de l’île de Marsyas et Arthur, le directeur de l’orphelinat. 


La routine du quarantenaire avait bien changé au contact des enfants, qui, une fois passé le choc de la rencontre (et de la lecture de leurs dossiers), se dévoilaient peu à peu sous un jour nouveau. Peu importe qu’on ne sache pas à quelle espèce appartenait Chauncey, il était serviable et avait des rêves plein la tête, sous ses tentacules ! Peu importe que Thalia ait envie d’enterrer les gens dans son jardin, la petite gnome n’en était que plus attachante. Peu importe que Théodore soit une vouivre, il était très affectueux et Linus commençait même à comprendre ses grognements, qui étaient en fait un langage à part entière ! Peu importe que Phee ait des ailes et qu’elle soit un peu distante, elle était toujours là pour ceux qu’elle aimait. Peu importe que Sal se transforme en Loulou de Poméranie chaque fois qu’il avait peur, l’adolescent était un grand poète et jamais Linus Baker n’oublierait son texte sur le papier. Peu importe que Lucy soit le fils du Diable ; c’était un petit garçon qui rêvait d’aventures et qui aimait la musique, comme des centaines de milliers d’autres sur la planète !   


Effrayé, Linus l’était de moins en moins. 


Bien sûr, il avait été épouvanté par le cauchemar de Lucy, la veille, qui avait soulevé son lit et fait trembler les murs de la maison, mais il avait su surpasser son appréhension pour aider le directeur à consoler l’enfant. Peu importe dans quel orphelinat Linus se trouvait, il avait à cœur de s’assurer du bien-être des enfants. De tous les enfants. Il avait fait fermer un établissement, par l’intermédiaire de son rapport, en raison d’une gifle donnée à un pensionnaire. Comment aurait-il pu remplir sa mission s’il n’avait pu vérifier la capacité d’Arthur à consoler un enfant en détresse, tout Antéchrist qu’il soit ? 

La peur était toujours omniprésente dans le quotidien de Linus sur Marsyas, mais elle ne tenait plus tant à la nature des enfants, qu’au comportement ambigu des Cadres Extrêmement Supérieurs et à leurs motivations nébuleuses vis-à-vis de l’orphelinat. 


Il était justement en train de rédiger son rapport hebdomadaire, en essayant de ne pas alarmer ses supérieurs sur les cauchemars de Lucy, lorsqu’il entendit un bruit d’impact contre sa porte. Calliope miaula bruyamment en s’étirant sur le lit, mécontente d’avoir été odieusement réveillée. Il n’était pourtant pas tard ! En principe, Linus rédigeait ses rapports après le dîner, mais la nuit ayant été courte, il s’était retiré dans la dépendance où il logeait dès la fin des enseignements. Les enfants étaient partis vaquer à leurs occupations, comme chaque jour entre dix-sept et dix-neuf heures, cette plage horaire étant dédiée à du temps libre par la volonté d’Arthur. Il avait juste eu le temps de se préparer un thé et venait de s’asseoir à son petit bureau en y posant sa tasse fumante, pour réfléchir à ce qu’il allait écrire. Il regarda sa montre. Dix-sept heures trente. Avec un soupir, il se releva pour aller ouvrir sa porte. Sur le paillasson, un caillou reposait aux côtés d’un morceau de papier chiffonné. Linus sourit malgré lui en entendant un bruit de rire dans les buissons non loin, puis défroissa la missive secrète, d’une nature certainement moins formelle que celles du Ministère. Comme il s’y attendait, une écriture d’enfant, irrégulière et avec des cœurs sur les “i”, égayait la page d’un cahier, arrachée à la hâte. Linus se rappela avec émotion des dernières lignes du texte de Sal Je me déchire. Je suis du papier. Fin et fragile.    

Il reconnut l’écriture fantaisiste de Thalia, mais aussi le style de Lucy, qui, à n’en pas douter, avait dicté le message : 


 “Rendez-vous à dix-huit heures chez Zoé pour un apréritif pour faire une fête surprise pour Arthur pour son anniversaire ! Soyez pas en retard si vous voulez pas que vos organes fondent et c’est pas grave si vous avez pas de cadeau, Arthur il dit toujours que le cadeau c’est d’être tous ensemble ! Et surtout, dites rien à Arthur, c’est une surprise !” 


— Mais… Mais c’est dans une demi-heure ! s’indigna Linus en direction des buissons, depuis le porche. 


Naturellement, personne ne lui répondit. Il referma la porte et retourna dans sa chambre en se frottant la nuque. Que devait-il faire ? Le directeur souhaitait-il seulement sa présence ? Rien de tout ceci n’était professionnel ! La raison, qui dictait sa vie depuis toujours, lui intimait d’ignorer l’invitation des enfants, aussi touchante soit-elle, pour se remettre au travail. 

Sauf que sa vie avait pris un tournant différent depuis qu’il était ici. 

Linus s’arrêta devant le miroir, qui lui renvoya l’image d’un homme fatigué, soucieux, et bien trop gros ! Son pantalon et sa chemise ne le mettaient pas en valeur, pourtant il n’avait rien amené d’autre et il se refusait à porter la tenue d’aventurier ridicule offerte par Zoé. Il rentra son ventre et retint sa respiration quelques secondes. C’était nettement mieux, mais pas très pratique s’il souhaitait continuer à vivre. Il respira à nouveau et se surprit à se demander depuis quand il s’était mis à rechercher l’approbation d’Arthur Parnassus… Il s’ébroua en se détournant du miroir. Rien ne l’obligeait à rester toute la soirée ! 


— C’est ça ! Je vais lui souhaiter son anniversaire par politesse et m’en retourner à mon rapport, expliqua-t-il à Calliope, qui s’en fichait manifestement comme de sa première croquette. J’en profiterai pour rendre à Lucy son disque… Je n’ai pas réussi à le réparer ce matin, mais il pourra toujours s’en servir pour décorer les murs de sa chambre, à défaut de pouvoir l’écouter ! 


Lors de son cauchemar, Lucifer avait dévasté sa chambre et abîmé nombre de ses précieux vinyles. Il s’en était trouvé contrarié et profondément triste, mais Arthur lui avait expliqué que certains disques pourraient être réparés et cela avait redonné un peu d’espoir à l’enfant. Pas autant toutefois que l’idée, évoquée par Linus, de prendre le ferry pour se rendre en ville afin d’en acheter d’autres ! Et force était de constater que c’était sur cette dernière option qu’il allait falloir se rabattre…

Naturellement, Linus aurait pu attendre le lendemain pour rendre son disque à Lucy, mais ce n’était pas ça le problème ! Le problème, c’était que la forêt recouvrant l’île était immense et il ne s’était rendu qu’une seule fois dans la maison de l’Esprit de l’île. Il n’était pas certain de retrouver son chemin tout seul.  

Dix-sept heures quarante-cinq. 

Il était plus que temps de partir ! Sans réfléchir davantage, il saisit le vinyle hors d’usage posé sur le lit et en profita pour caresser le félin : 


— J’y vais, Calliope ! Je serai vite de retour ! essaya-t-il de se convaincre lui-même. 


Le fait est que l’employé modèle du Ministère se sentait un peu électrisé à l’idée de cette petite fête improvisée ! Le dernier évènement “festif” auquel il avait été convié était le repas de Noël offert par le Ministère, moyennant paiement. Il n’avait jamais été invité à un anniversaire, encore moins dans la maison d’un Esprit de la Nature, encore moins improvisé, encore moins l’anniversaire de quelqu’un qu’il trouvait profondément intéressant, énigmatique et un brin séduisant. Linus enfila son gilet – le froid tombait vite le soir, au bord de la mer – et referma la porte de la dépendance en ajustant le vêtement contre lui. Après un rapide coup d'œil vers la maison principale, il se dirigea vers l’orée du bois. Vu l’heure, Arthur devait déjà être en chemin, voire même déjà arrivé chez Zoé ! Avec une pointe d’appréhension, Linus s’enfonça dans la forêt en se fiant à sa mémoire. Il emprunta le même chemin qu’avec les enfants lors de l’expédition du samedi précédant et se surprit à se repérer relativement aisément. 

Au bout d’un quart d’heure, il regretta d’avoir pris son gilet ! Il avait marché rapidement jusqu’ici, du moins selon ses critères personnels, mais sa condition physique commençait à le ralentir sérieusement. Il transpirait à grosses gouttes, était essoufflé comme un grand-père, sans parler de ses genoux qui le faisaient souffrir… Il se demanda brièvement à combien devait plafonner sa tension artérielle à cet instant et s’il ne risquait pas tout bonnement de faire un malaise, seul au milieu des bois. Ce serait tout de même un comble de mourir à cause d’une petite randonnée alors qu’il cohabitait avec le fils de Satan en personne depuis trois semaines, mais après tout, le danger était souvent là où ne l’attendait pas… Tandis qu’il tentait de chasser cette idée, il trébucha sur une racine et s’écroula de tout son poids en poussant un cri de surprise, puis s’assit avec peine, en ravalant ses larmes. Il frotta ses genoux et ses chevilles douloureuses et constata avec soulagement qu’il n’avait rien de cassé. Il resta un instant dans cette position, le temps que son cœur se calme et qu’il reprenne un peu de souffle. Il s’était rarement senti aussi pathétique qu’en cet instant. Seul dans une forêt inconnue, les quatre fers en l’air et les genoux écorchés… Il n’était pas à sa place ici. Il serait sans doute mieux derrière son bureau, à rédiger son rapport avec son pyjama sérigraphié à ses initiales et son chat pervers-narcissique sur les genoux.  

Il réfléchit un moment à l’idée de faire demi-tour, avant que ses yeux ne se posent sur le disque de Lucy, qui avait volé non loin, puis il sentit ce qu’il avait blotti contre lui, dans la poche déformée de son gilet et se ravisa. Au prix d’un effort considérable, il parvint à se relever et s’appuya quelques secondes contre le tronc d’un arbre pour se stabiliser et tester la résistance de ses genoux avant de se remettre en marche. 

Il poursuivit pendant encore cinq bonnes minutes, puis reconnut le passage qu’il fallait emprunter pour se glisser dans la clairière où se trouvait la maison de Zoé. Il avait eu bien du mal à passer la semaine précédente… 


— Allez, un dernier effort, Linus ! Il suffira de demander à Zoé ou Phee de nous ménager un passage plus large pour le retour… 


Après un soupir, il glissa le disque dans son gilet et se mit à quatre pattes. Il rampa ainsi quelques secondes, le temps de s’introduire dans le boyau végétal, puis, alors qu’il apercevait les lumières des fenêtres du petit cottage, se trouva coincé ! Décidément, il semblait être son pire ennemi ce soir… Il regretta amèrement de s’être laissé tenter par le plat d’endives au jambon préparé par Zoé et Thalia ce midi. En dépit de sa résolution de se nourrir de salade sans vinaigrette pour le restant de ses jours, il n’avait pu résister à l’odeur de fromage gratiné qui avait chatouillé ses narines en se mettant à table. La petite gnome lui avait fait remarquer que les endives étaient un substitut acceptable à la salade et il n’avait pu qu’acquiescer à autant de sagesse ! Sauf que maintenant, son ventre ne passait pas dans l’étroit couloir de branches intriquées… Naturellement, plus il se débattait, plus il semblait enfler et moins il progressait, sans parler du fait qu’il craignait d’abîmer plus encore le quarante-cinq tours du petit garçon. 

Il s’obligea au calme et ferma ses yeux en respirant profondément et en comptant jusqu’à dix. Non, jusqu’à cent. A cent-dix, il expira une dernière fois et rampa à nouveau. Avec succès, il réussit à s’extirper du passage et, épuisé et courbaturé, s’assit en tailleur sur l’herbe. Il porta une main au disque, puis au contenu de sa poche et appuya sa tête dans ses paumes en réprimant une furieuse envie de pleurer (de soulagement ou d’auto-déception, il n’aurait su le dire), quand il entendit une voix au-dessus de lui. 


— Vous êtes venu…  


Il y avait un mélange d’étonnement et d’admiration dans la voix d’Arthur Parnassus. Linus écarta ses doigts et faillit saigner des yeux en voyant les chaussettes ridicules du directeur de l’orphelinat. Son pantalon trop court, comme tous ceux de sa garde-robe, dévoilait de grandes chaussettes violettes, à motifs de feux de cheminée. Linus redressa son visage affligé pour fixer celui, paisible, d’Arthur. Le directeur lui offrit un sourire chaleureux avant de se pencher légèrement pour lui tendre une main secourable. Ses cheveux, un peu en désordre, tombèrent gracieusement vers l’avant, caressant au passage ses pommettes saillantes et ses joues, délicatement rosies par la fraîcheur du soir. Linus essuya rapidement sa main moite contre son pantalon déchiré et saisit celle d’Arthur, qui l’aida à se lever. 


— Vous semblez surpris, rétorqua-t-il avec sa franchise habituelle, une fois stable sur ses jambes. 


La main du directeur se retira lentement de la sienne, avant qu’il ne passe ses doigts dans ses mèches blondes. 


— Je dirais plutôt heureux ! Les enfants m’ont dit qu’ils vous avaient invité, mais après cette… Nuit un peu agitée, je ne savais pas si vous auriez envie de… Eh bien, de passer plus de temps que nécessaire en notre compagnie… répondit Arthur, en détournant le regard. 

— A vrai dire, le ton du message ne me laissait pas vraiment le choix, sourit Linus, en se détendant un peu. 

— Lucy… se retint de rire le directeur. 

— J’avoue qu’il sait se montrer persuasif, mais même sans ses menaces, je n’aurais pas manqué votre anniversaire. Pas pour la rédaction d’un rapport ! avoua Linus, avec bravade. 

— Oh ? Et que stipule Règles et Règlements à ce propos ? s’étonna Arthur, amusé.  


Ce fut au tour de Linus de détourner le regard.


— Au Diable, Règles et Règlements pour ce soir… 

— Serait-ce un jeu de mots ? En avez-vous seulement le droit, monsieur Baker ? plaisanta Arthur. 


Linus eut un petit sourire crispé et sortit le vinyle de Lucifer de son gilet pour passer sa manche dessus, avant de le tendre au directeur. 


— Je comptais profiter de vous rejoindre pour lui rendre ! Je n’ai pas réussi à le réparer…

— Je vous remercie néanmoins d’avoir essayé ! D’autant plus que je suis certain qu’il n’y a rien dans Règles et Règlements qui vous obligeait à le faire. Lucy en sera touché, sans aucun doute ! 

Règles et Règlements n’est pas mon seul livre de chevet, savez-vous, monsieur Parnassus ? demanda Linus, piqué par la remarque du directeur. 

— Ah bon ? Ainsi, il existerait un Tome 2 et personne ne m’aurait prévenu ? fit semblant de s’offusquer Arthur, en penchant sa tête sur le côté. 


Linus le trouva complètement charmant. Il était complètement fichu… 


— Je… Je comptais vous l’offrir plus tard, mais… Puisque nous parlons de lectures… 


Sous les yeux ébahis d’Arthur, dont l’effronterie venait de fondre comme neige au soleil, Linus sortit un humble livre de la poche de son gilet. Un exemplaire – de poche donc – des Contes philosophiques de Voltaire, dont l’état de la couverture témoignait de l’usure. Il manipula nerveusement le livre entre ses mains toujours aussi moites et s’expliqua.


— La nuit dernière, j’ai vu que… Dans son agitation, Lucy avait non seulement brisé ses disques, mais également réduit en pièces certains de vos livres, dont celui-ci… J’ai amené peu de livres dans ma valise, mais je, hum… Je l’ai tellement lu que je le connais par cœur et comme je n’avais pas d’autre cadeau à vous offrir, j’ai pensé que… bégaya-t-il, sans réussir à terminer sa phrase.    

— Linus, mon cher, très cher Linus… Sachez que j’apprécie énormément cette délicate attention qui me va droit au cœur ! Et bien que votre présence m’aurait amplement suffi, je ferai honneur à votre cadeau et le chérirai comme vous l’avez fait jusqu’à présent. Ainsi, vous laisserez une part de vous-même sur Marsyas après votre départ. Près de moi… 


Il lui retendit le disque et récupéra le livre à la place, qu’il tint fermement contre sa poitrine, en offrant sa main libre à Linus.


— Je vous en prie, entrons ! Les enfants vous attendent de pied ferme. 


Linus fourra le disque dans son gilet en observant la main tendue du directeur, puis glissa la sienne à l’intérieur en souriant.  


Sa peau était tellement douce. Il était tellement fichu…  


Je suis un parchemin parcheminé. J’ai des lignes. Des trous. Si tu me mouilles, je fonds. Si tu m’enflammes, je brûle. Si tu me tiens dans des mains trop dures, je tombe en morceaux. Je me déchire. Je suis du papier. Fin et fragile.      

                 



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