Le cœur de La Chose

Chapitre 1 : Le coeur de La Chose

Chapitre final

1856 mots, Catégorie: T

Dernière mise à jour 08/01/2022 00:08

Cette fanfiction participe aux Défis d’écriture du forum Fanfictions .fr : Crossover improbable - (janvier février 2022).

 


Comme chaque nuit, les Luxioles procèdent à la récolte des gouttes de lunes pour briller de mille feux. Un petit groupe reccueille donc avec enthousiasme les précieuses perles de rosées nichées dans le cœur des fleurs et les creux des végétaux. Grand-Mère porte tendrement Bébé Vers-Luisant dans ses bras tandis que Fourmis et Gentille remplissent les lourds seaux que porte Vers-Luisant à travers le ciel étoilé. Ils sont accompagnés d’autres lucioles ainsi que de Jeannot Lapin, dont la couleur azure est aussi lumineuse que ses amies. Sur son dos sont fixés des réservoirs pour les gouttes de lunes. Ils travaillent tous ensemble en chantant gaiement « Nous les Luxioles, quand nous apparaissons, s’éclaire la forêt. Gouttes de lune, en chemin nous semons et règne la clarté. Toutes les nuits, toujours ici, sauf quand les terribles Mongonites rodent ! »

Les Mongonites sont des créatures troglodytes apparentées aux taupes mais dotées d’un appendice nasal rappelant une courte trompe d’éléphant pourvue d’une unique narine. Ils sont par ailleurs affublés de vêtements aux couleurs douteuses, très années 80, si vous voyez ce que je veux dire. 

À l’instar des nains des récits fantasy, ces créatures passent leur journées à creuser à la recherche d’or et convoitent Les Luxioles, en tant que sources pérennes de lumière. Par chance, nos petites amies lumineuses sont pleines de ressources et parviennent toujours à se tirer des pattes terreuses de leurs meilleurs ennemis. 

L’heure de rentrer à la maison est venue et nos lucioles chantantes repartent pour certaines sur le dos de Jeannot Lapin et pour d’autres en volant grâce à Vers-Luisant. C’est une nuit sereine et sans histoire. Gentille ferme la marche, un peu perdue dans ses pensées. Elle ne voit pas arriver l’immense et sombre silhouette derrière elle. D’un coup, les sons sont subitement étouffés et bim ! Elle se cogne contre une surface transparente. 

– Ah ! Enfin j’en ai attrapé une, se réjouit avec un sourire inquiétant Mercredi Addams. 

La petite fille, au teint blafard et aux vêtements aussi noirs que les deux nattes qui pendent de chaque côté de sa tête, glisse une feuille de papier sous le bocal en verre qui lui a servi à emprisonner la pauvre Gentille. La malheureuse luciole est basculée cul par-dessus tête et elle à le cœur qui lui monte aux lèvres quand elle est vivement soulevée dans sa prison transparente. Un immense œil sombre surmonté d’un sourcil broussailleux la regarde. Un couvercle percé de quelques trous vient lui couper la vue du ciel. Elle est prise au piège et entraînée à grande enjambée vers le sinistre manoir familial.  


***


Une porte grince. Un tapotement régulier semblable à une discrète galopade se fait entendre. La Chose accélère et passe devant le salon ou Gomez et Morticia, élégants et sophistiqués jusqu’au bout des ongles, lui dans son costume en queue de pie, une rose entre les dents et elle dans sa robe sirène, sont en train de danser un tango langoureux. Elle gravit les escaliers sur ses cinq doigts. Elle a hâte de découvrir la nouvelle cruauté de la petite fille de la maisonnée. Elle croise le frère aîné, Pugsley, qui joue à essayer de se pendre, encore. Max, le majordome qui passe par là, le décroche machinalement.

La Chose accélère sur la moquette rouge puis négocie, dans un freinage crissant, le virage qui la fait entrer dans la chambre de Mercredi. Elle escalade aussitôt la gamine pour se poser sur son épaule. Mercredi tapote la main solitaire, qui semble ronronner de satisfaction en retour, et se penche sur le bocal où la pauvre Gentille tremble de peur. 

– T’as vu, La Chose, j’en ai attrapé une. Elle brille bien ! Tu crois qu’elle marche comme Oncle Fétide avec les ampoules ? Faudrait essayer.

Elle commence à farfouiller dans un tiroir, sortant un compas, un scalpel, deux pinces, un élastique, quelques punaises, un tube de colle forte, plusieurs fioles contenant des liquides suspects et, enfin, une petite ampoule.

– Vient par ici ! s’exclame-t-elle en saisissant la luciole terrifiée avec une des pinces. 

Sur son épaule, La Chose frémit. Elle est traversée par une émotion inconnue. Une émotion qui fait qu’elle n’aime pas du tout ce que sa petite maîtresse est en train de faire à la ravissante créature. 

Gentille sent les pinces glacées qui lui enserrent les pattes contre son abdomen. Elle est suspendue la tête en bas. Elle s’égosille mais personne ne semble l’entendre. Un objet brillant et en partie transparent s’approche d’elle. Mercredi lui colle le culot de l'ampoule contre la bouche mais ça ne marche pas comme elle veut. Elle repose Gentille dans le bocal et La Chose saute sur le bureau tandis que la fillette farfouille cette fois dans un placard pour trouver une loupe.

La main autonome pianote jusqu’au bocal contre lequel elle prend appui pour mieux regarder. Elle a envie de plonger dedans pour aller à la rencontre de la jolie créature, la caresser, la rassurer.  

– Pousse-toi ! Mets-toi sur le côté et ne me dérange pas, sinon je te fais sortir.

La Chose se pousse à contre-cœur. Elle se perche à nouveau sur l’épaule de Mercredi pour mieux voir. La gamine saisit à nouveau la luciole et approche une fois encore le culot de sa bouche. Elle la voit nettement mieux grâce à la loupe, cette fois.

– Allez, fais AAAAAH ! demande-t-elle en pressant l’objet contre la minuscule tête, attendant l’illumination du filament.

Mais ça ne marche pas. Elle bougonne et remet une Gentille à bout de souffle et meurtrie dans le bocal.

– Tant pis, je vais aller chercher autre chose pour m’amuser avec toi, indique la fillette, l’air contrit.

Elle referme soigneusement le couvercle, range le bocal dans un sac, le suspend à une patère au mur et part. 


***


Dans le jardin, c’est la panique chez Les Luxioles : Gentille à disparu. Après l’avoir cherchée partout avec tous leurs alliés, une explication s’impose : les Mongonites ont encore frappé. Cette fois, c’en est assez. Voilà des décennies que Les Luxioles composent en toute bienveillance avec leurs voisins avares et mal intentionnés mais trop c’est trop. La fureur leur monte au nez, changeant leur lueur dorée en une teinte rougeoyante. Elles se rassemblent, armées de bâtons de ronce et marchent vers la galerie la plus proche.

Gros Pif n’en croit pas ses yeux en voyant son tunnel s’illuminer, mettant en valeur les filons d’or sur les parois. Son réjouissement est de courte durée quand il lit la lueur sanguinaire dans les yeux de ses d’ordinaire pacifiques voisines. Il bredouille :

– Que, qu’est-ce qu’il se passe ?

– Rendez-nous Gentille ! exige Grand-Mère en brandissant son bâton sous le nez du chef des Mongonites.

– Gentille ? Quelqu’un a capturé une luciole aujourd’hui ? demande-t-il à ses subordonnés.

Chacun se regarde en haussant les épaules et les Luxioles verdissent d’inquiétude, leur colère est soudainement douchée. Où est passé Gentille ? Luxioles et Mongonites partent à sa recherche.


***


Dans le manoir de la famille Addams, La Chose court comme une dératée, elle doit trouver de l’aide pour sauver l’adorable créature qui fait battre son cœur. Elle a essayé d’atteindre le sac pour la délivrer, mais c’est trop haut. Elle cherche donc après Pugsley mais le diable sait où il est encore fourré. Elle le trouve avec la tête sous la fenêtre à guillotine, malheureusement pour lui, grippée. Elle tire sur le col du garçon puis lui tapote les joues et lui fait ce signe caractéristique de l’index pour qu’il la suive. Il le fait en haussant les épaules et elle galope de plus belle vers la chambre de Mercredi.

Le garçon s’arrête devant la porte. Il proteste mollement :

– Ah non ! Elle va me tuer si elle me surprend ici.

La Chose l’escalade et tire de nouveau sur son col, vers la porte.

– Bon, bon, qu’est-ce qu’il y a ?

Elle le guide vers le sac et, dès qu’il est suffisamment près, bondit dedans. Elle lutte pour ouvrir le couvercle et victoire !

Gentille est terrifiée de voir l’énorme main entrer dans le bocal, elle la sent l’enserrer avec douceur, la caresser du bout des doigts et l’apaisement s’installe dans son cœur. Elle est en sécurité, elle le sait. La Chose la fait sortir du sac et bondit sur le sol. La petite luciole, assise sur son dos, s’accroche comme elle peut tandis qu’elle cavale sur le plancher. Ils filent entre les jambes de Pugsley qui ne réagit pas et part vers sa chambre : il vient de se rappeler qu’il y a un fil électrique en train de se dénuder, et songe à le sucer pour voir ce que ça fait. 

La Chose et sa cavalière parcourent maintenant la moquette rouge puis glissent sur la rampe d’escalier pour prendre encore de la vitesse. Elles foncent à toute allure sur le carrelage noir et blanc, accompagnée par la musique des danseurs. Elles se glissent enfin dans l’ouverture de la porte d’entrée qui était sur le point de se refermer derrière Oncle Fétide, qui était parti chercher du bois. Ouf !  

Les voilà dehors, le ciel étoilé resplendit tandis que l’herbe scintillante de rosée bruisse contre la peau de La Chose. Quand elles sont suffisamment enfoncées dans le jardin, Gentille tapote le dos de La Chose pour la faire ralentir. Elle se laisse glisser le long de ses doigts et se précipite pour boire des gouttes de lune au cœur d’une fleur mauve. Sa lumière se ravive en même temps que le bien-être s’installe en elle. Sa famille, qui a repéré sa lumière depuis le ciel grâce à Vers-Luisant, arrive sur le dos de Jeannot Lapin. 

Au moment de rejoindre les siens, Gentille fait demi-tour et court vers La Chose. Elle se blottit contre sa paume, le cœur serré de devoir la laisser repartir. Elles ne font malheureusement pas partie du même monde…

– Adieu, et merci de m’avoir sauvée… Je ne t’oublierai jamais, murmure la luciole en déposant un doux baiser contre la peau chaude de la créature, qui repart à regret, sans se presser.



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