La rose de la belle

Chapitre 1 : "C'était sa fleur préférée"

Chapitre final

2908 mots, Catégorie: M

Dernière mise à jour il y a 7 jours

C’était sa fleur préférée.


La première fois que j’avais entendu parler d’elle, je ne m’étais même pas soucié de savoir si elle était belle ou laide. Seul m’importait de redevenir humain. J’avais perdu tout espoir depuis une bonne décennie lorsqu’un marchand inconscient avait tenté de me voler l’une des roses de mon jardin. Mon jardin était mon bien le plus précieux et j’avais conscience que ce n’était qu’une fleur qui fanerait d’ici quelques jours, mais poussé par l’ennui et la curiosité, j’avais voulu en savoir plus. Ladite rose était pour la plus belle de toutes ses filles. Je lui avais donc proposé un marché. En échange de sa vie sauve, il devait me donner celle de sa belle. Je n’avais nullement l’intention de le tuer, ni lui, ni elle, mais la volonté de redevenir humain m’avait conduit à proposer cet accord idiot. Et puis, en contrepartie, j’avais trouvé amusant de voir la terreur s’emparer des yeux du vieillard.


Quelle ne fut pas ma surprise lorsque ce vieux fou était revenu avec sa progéniture. Cette dernière avait le sens du sacrifice et avait ainsi accepté le marché de son plein gré dans l’espoir de sauver son paternel. Certains auraient parlé d’amour familial, mais pour moi, c’était tout bonnement une famille d’entêtés. Oui, voilà ce qu’ils étaient.


Je m’étais donc retrouvé avec cette étrangère, désirant loger chez moi dans l’attente d’y perdre la vie. C’était de manière confuse et assez troublante que j’avais dû lui expliquer qu’ôter la vie d’une personne ne faisait pas partie de mes qualifications et que tout ceci n’était qu’une grotesque mascarade. Ceci étant dit, un marché était un marché et tant que je n’en décidais pas le contraire, cette jeune femme demeurait donc ma prisonnière. L’idée avait germé à ce moment-là dans mon esprit, au point où nous en étions, pourquoi ne pas la contraindre à rester ici quelques mois ? Si elle voyait en moi l’homme que j’étais réellement, elle aurait ainsi le pouvoir de briser le charme que m’avait jeté cette satanée sorcière.


Maintenant que j’y repense, cette fripouille avait finement joué son coup. Se faire passer pour une femme décrépie avant de se montrer sous sa vraie apparence. Entre nous, auriez-vous laissé entrer dans votre propre maison une espèce de grabataire à l’apparence repoussante et sentant la charogne alors qu’elle n’était pas encore dans la même pièce que vous ? Elle disait vouloir savoir si j’avais un cœur normal ou fait de pierre. Elle avait beau se qualifier de fée, pour moi, elle n’était rien d’autre qu’une véritable sorcière, et une sotte, qui plus est. Non seulement, elle m’avait transformé en bête affreuse et puante faisant fuir tous mes domestiques, mais en plus, elle m’avait également laissé un vœu. Un vœu que je ne pouvais utiliser uniquement qu'à titre gratifiant pour autrui. Cela ne voulait rien dire. Satanées sorcières, toujours à devoir compliquer ce qu’il y avait de plus simple. Autrement dit, ce vœu servirait uniquement à rendre heureux quelqu’un d’autre. Il m’avait fallu plusieurs années pour en comprendre le sens.


C’était donc face à une jeune femme qui n’arrêtait de pleurer que je m’étais retrouvé et que je ne savais absolument pas comment réconforter. Elle avait pleuré à cause de mon apparence, de ma grandeur, de mon odeur, de mes deux défenses qui remplaçaient mes canines du bas, de cet endroit morbide dans lequel elle se trouvait et du fait qu’elle ne reverrait plus jamais sa famille. J’en avais levé les yeux au ciel, ce qu’elle avait pu être bavarde. Je lui donc avais expliqué que je ne lui ferai aucun mal, qu’elle logerait dans une des plus belles chambres de mon château, qu’elle ne manquerait de rien, qu’elle pouvait aller où bon lui semblerait tant qu’elle ne franchissait pas ces murs et surtout que si ma présence l’importunait, je ne resterais pas à ses côtes. Mal m’en avait pris, je ne l’avais pas vue durant les deux semaines qui suivirent cette conversation, me contentant de lui poser des repas devant sa porte.


Quand on vit seul depuis longtemps, on en oublie les termes d’usage et c’était donc avec un air béat sur mon visage que j’étais venu toquer à sa chambre. Elle l’avait ouverte de sorte que je n’avais vu que son nez et un morceau de son œil dépasser du chambranle de la porte. Je m’étais baissé, puis redressé, avant de mettre la tête sur le côté, tenant d’établir un contact visuel avec ma prisonnière.

-       Que voulez-vous ?

Surpris par son audace, j’avais bégayé comme un parfait crétin.

-       Je… Je voulais vous… Je n’ai pas… Je ne connais pas votre nom.

-       Belle, avait-elle lâché avant de fermer timidement la porte.

Je ne faisais pas le fier, seul devant la barrière close de cette chambre. Elle n’avait plus peur de moi et c’était déjà un grand pas, mais je ne m’attendais pas à ce manque cruel de considération venant de sa part. Belle, oui, elle l’était. Sur le moment, je l’avais cru présomptueuse, mais il fallait croire que c’était son véritable nom. Je me souviens encore que j’étais resté planté là, les yeux écarquillés, fixant devant moi un point qui n’existait pas, avant de me vexer comme un vulgaire bambin. Mes bras s’étaient soudainement croisés devant mon torse et ma mine s’était renfrognée. Une idée avait ensuite illuminé mon esprit : cette jeune femme m’appartenait et j’avais donc décidé de la séduire. Après tout, rien n’avait indiqué qu’elle ne pouvait pas voir en moi un homme et par la force des choses, elle avait été ma seule option pour redevenir humain.


Durant les jours qui suivirent, je m’appliquais donc à parfaire ma gestuelle et à laisser ma façon bourrue de parler derrière moi. Mon immense bibliothèque dans laquelle je mettais rarement les pieds allait enfin m’être utile. Je parcourais de nombreux livres, lisant tantôt les premières pages, tantôt les dernières. Cela avait été d’un ennui… Lire était épuisant et ne m’avait jamais intéressé. Lorsque que le temps était mauvais, j’avais toujours préféré m’ennuyer que de passer mon temps à tourner bêtement des pages. En revanche, lorsqu’il faisait beau, je passais mon temps dehors. Cela avait été donc un effort considérable de ma part de faire ça pour elle.

-       J’ai lu pour vous, avais-je osé lui dire à travers la porte de sa chambre avant de réciter sans comprendre ce que j’avais lu quelques minutes plus tôt : « Si je ne peux pas t’avoir, alors personne ne t’aura. »

-       J’en suis ravie.

J’avais senti de l’ironie dans sa réponse, mais si elle avait prétendu être ravie, c’était qu’elle l’avait été.


Les semaines s’écoulèrent et un beau jour, alors que je lambinais dans un des canapés de mes nombreux salons, Belle était venue me retrouver. Elle m’avait fait tellement peur que j’en étais tombé au sol. Sans que je ne puisse prononcer le moindre mot, elle s’était lancée dans un monologue interminable et surtout inintéressant au plus haut point. Pour faire court, elle s’était faite à l’idée qu’elle était désormais chez elle et qu’elle ferait tout ce que je voudrais car elle était ma prisonnière, mais qu’elle était d’accord pour se balader quand même dans le château. Etant donné que c’était ce que je lui avais dit le premier jour de notre rencontre, j’étais, une fois de plus, resté planté là, à ne pas savoir quoi dire, passant pour un gros benêt.


C’est après cet échange ridicule que nous avions commencé à passer du temps ensemble. Au début, nous avions marché côte à côte en silence, visitant ici et là les différentes ailes de ma demeure. J’avais tenté de temps en temps de placer un mot pour la mettre en confiance et elle m’avait toujours répondu, plus par politesse que par intérêt. Il en avait été de même pour les jours suivants et les jours d’après, jusqu’à ce qu’un soir, par pur hasard, nous nous étions arrêtés près des jardins. Elle avait voulu les visiter et je l’avais accompagnée avec grand plaisir.


Je lui avais présenté mes biens les plus précieux, mes arbres, mes arbustes, mes fleurs… Elle en avait été stupéfaite de me savoir aussi instruit concernant le jardinage et je lui avais expliqué que j’avais passé mon enfance avec un de mes domestiques qui m’avait tout appris. Je n’avais peut-être jamais été un fin lecteur, mais tout ce qui touchait la nature n’avait aucun secret pour moi.


Je me souviens encore de son regard lorsque nous nous étions arrêtés près des rosiers.

-       C’est ma fleur préférée.

C’était avec cette simple phrase que, pour la première fois, depuis qu’elle était venue me retrouver dans mon salon, qu’elle avait entamé la conversation de son plein gré. Une fois encore, l’idiot que j’avais été avait mis du temps à répondre.

-       C’est à cause de ce rosier que vous êtes là, avais-je fièrement fini par lui dire, c’est une de ces roses que votre père avait tenté de voler pour vous.

Excellent, je n’aurais pas pu faire pire si je l’avais voulu. Belle avait perdu plusieurs teintes de couleurs au cours de ma réponse et je n’avais rien trouvé de mieux à lui dire que j’avais beaucoup de roses et que si elle le désirait, je pouvais lui en offrir une.


Ce fut à cet instant précis que j’étais tombé amoureux d’elle. Elle avait relevé ses grands yeux noirs comme la nuit vers moi et m’avait souri. Un simple sourire qui avait fait chavirer mon cœur, soi-disant fait de pierre.


Les larmes roulant sur ses joues, elle m’avait remercié chaleureusement et avait cueilli la plus belle de toutes mes roses.


Les mois passèrent, lentement, nous permettant de nous connaître, de nous découvrir petit à petit. Je ne lui avais jamais donné de date limite à sa peine d’emprisonnement. J’avais préféré lui faire croire que c’était jusqu’à la fin de ses jours. J’avais eu peur qu’elle ne fasse semblant d’être ce que je voulais qu’elle soit uniquement pour me faire plaisir. Mais plus le temps avait passé, plus elle avait montré qui elle était réellement. Une belle jeune femme, curieuse, instruite, intelligente et qui avait soif de connaissance. Je m’étais rapidement rendu compte qu’elle n’était pas du tout la petite fille présomptueuse que je croyais qu’elle était. Nous dînions ensemble, jardinions ensemble… Nous avions même évoqué en riant la fois où elle était venue me chercher dans mon salon, répétant presque mot pour mot ce que je lui avais dit tantôt et elle m’avait confié que cela faisait des jours qu’elle préparait ce qu’elle allait me dire, mais que l’incertitude avait repris le dessus et qu’elle m’avait dit plus ou moins n’importe quoi sous l’effet de l’angoisse. Elle m’avait également pardonné pour son père et je lui avais juré qu’elle le reverrait, très prochainement, que je lui permettrais de se rendre au village pour voir sa famille. Elle m’avait confié être apaisée à mes côtés et que les heures passées à lire dans le jardin sous le rosier comptaient parmi les plus heureuses de toute sa vie.


C’était donc naturellement le cœur gonflé d’espoir, l’espoir de vivre heureux avec la femme que j’aimais, l’espoir de redevenir humain, cet espoir là qui m’avait poussé à aller la voir afin de lui demander de m’épouser.


Vous vous en doutez, si elle m’avait dit oui, si elle avait accepté ma proposition, je ne serais pas là à vous conter cette histoire.


J’avais tout fait pour la convaincre, mais elle avait persisté à dire que deux espèces différentes ne pouvaient pas s’unir. Alors, j’avais eu l’idée de lui parler de mon ensorcellement, de ma malédiction qui me détruisait la vie depuis toutes ces années. Je lui avais même confié que je ne comptais la garder auprès de moi que pendant quelques mois. Contre toute attente, Belle s’était mise en colère, m’accusant de l’avoir séquestrée et de me servir d’elle uniquement pour retrouver mon apparence humaine. Notre échange s’était transformé en dispute et elle était partie dans sa chambre pour boucler ses valises dans le but de partir, tout en me traitant de monstre au cœur de pierre.


Je n’avais jamais envisagé cette possibilité de rejet. Belle allait partir. Belle allait retourner au village. Belle allait me quitter. Je ne pouvais consentir à ne plus jamais la revoir. Mon cœur ne pouvait pas être de pierre, puisqu’il était brisé.


Alors, je m’étais dirigé vers sa chambre, lui promettant que je pouvais la rendre heureuse et que je comptais bien le faire. Pour elle, je comptais exaucer son vœu d’être ce qu’elle préférait le plus au monde.


Je me souviens encore de ses cris d’agonie. Ces cris qui ne quitteraient jamais plus mes oreilles et que j’allais entendre chaque soir jusqu’à la fin de mes jours.


Je me souviens de ses yeux emplis de terreur lorsque ses magnifiques cheveux de la couleur du miel tombèrent mèche par mèche au sol. Je me souviens du bruit d’os craquant, rapetissant, puis se soudant les uns aux autres afin de ne faire qu’un entre ses bras, ses jambes et son buste. Je me souviens de ses paupières se révulsant, ne supportant plus la douleur. Je me souviens de la voir s’évanouir, puis reprendre conscience sous la pression de l’horreur des changements que son corps subissait. Sa bouche s’était alors fermée, comme si ses lèvres avaient été scellées entre elles et même si je n’avais plus entendu sa lente et douloureuse complainte, les gémissements inhumains qu’elle avait continué à pousser m’avait indiqué que ce n’était pas terminé.


Quelque chose de rouge écarlate était sorti de son crâne, remplaçant son cuir chevelu, et grandissant jusqu’à faire le tour de sa tête. Elle avait pissé le sang, mais ce n’avait été rien comparé à ce qu’il s’était passé par la suite. Dans un bruit d’insecte qu’on écrase et qu’on réduit en bouillie, des sortes d’épines à la pointe acérée avaient transpercé son corps de l’intérieur. Du sang en avait été éjecté dans toute la pièce, éclaboussant les meubles et les murs, m’en envoyant dans les yeux et dans la bouche par la même occasion. Je me souviens à ce moment-là m’être aperçu avec effroi que je n’avais jamais rien goûté d’aussi délicieux.


Sa peau, puis le restant de son corps qui avait tenu debout jusqu’alors avaient rapetissé et s’était coloré dans une teinte d’un vert impérial. Ses yeux avaient été la dernière chose d’humaine que j’avais pu voir en elle. Ecarquillés d’horreur, ils m’avaient cherché, m’avaient supplié d’arrêter cette torture.


Soudain, ils s’étaient fermés pour de bon avant de disparaître dans le plus profond de son nouveau corps.


Je me souviens m’être avancé dans la pièce qui était devenue silencieuse. Je m’étais baissé et avais ramassé ce qui se trouvait au sol, là où Belle se tenait quelques minutes plus tôt. Je m’étais redressé et avais contemplé ma trouvaille, la plus belle de toutes les roses que j’avais pu voir dans ma vie.

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