Étrangère
M'endormir avec la présence de Livaï m'avait rassuré. Je m'étirai un instant avant de me mettre assise. Je pensais voir la personne qui m'avait accueilli mais la pièce était vide. Je frottai plusieurs fois mes yeux puis me déplaçai jusqu'à la salle de bains. Je me mouillai la figure tout en fixant mon propre reflet dans le miroir. J'étais un titan. J'avais survécu à une mort inévitable sans savoir comment. J'avais retrouvé Ben. Je soupirai en pensant à tous les événements que cela allait engendrer.
En retournant dans la chambre, je remarquai des vêtements parfaitement pliés au coin de la table. Ils étaient à ma taille. Livaï en avait peut-être trouvé pendant mon sommeil. J'enfilai rapidement mes affaires tout en m'attachant les cheveux. J'avais peur d'être en retard. Précipitamment, j'ouvris la porte. Quelqu'un me rentra dedans. Ma tête se cogna contre le torse de cette personne. Légèrement étourdie, je levai les yeux. Livaï était de retour.
-Bonjour, dis-je timidement. Excusez-moi, j'aurais dû faire attention.
-Est-ce que tu as bien dormi ?
Sa question me troubla un instant. Je hochai lentement la tête avant de le remercier une nouvelle fois. J'étais vraiment reconnaissante de son geste. Je n'avais pas l'habitude d'apercevoir sa gentillesse.
-Tu ferais mieux de te dépêcher, me conseilla-t-il. Hanji t'attend.
La tension monta subitement. Je sortis de la pièce en essayant de le cacher. J'avais peur d'échouer mais aussi de réussir. Je ne me sentais pas encore prête à me voir me transformer en titan.
Dans les couloirs, je rencontrai Ben. Apercevoir son sourire de bon matin me rappelait tant de souvenirs. Je ne cachai pas ma joie de le retrouver.
-Te voir me fait le plus grand des biens, lui dis-je contente.
Il se gratta l'arrière de la nuque, le rose aux joues. Son geste m'arracha un sourire. J'avais l'impression de retourner quelques semaines en arrière, dans notre forêt. Du moins, à un détail près. Grand-mère avait réellement disparu.
-Qu'est-ce que tu vas faire aujourd'hui ? demandai-je intriguée.
-Je vais suivre une remise à niveau, me répondit-il fier.
-Avec Livaï ?
-Non, grogna-t-il en fronçant les sourcils, il a refusé.
Je lui expliquai que je n'étais pas surprise. Ce n'était pas vraiment son rôle. Je lui expliquai à mon tour ma journée. Ben remarqua mon stress et essaya de me rassurer. Il posa ses mains sur mes épaules puis me souhaita bonne chance.
Je me dirigeai à l'extérieur du bâtiment. Je pouvais déjà apercevoir au loin Hanji entrain de sautiller. Lorsque la brune me remarqua, elle se précipita dans ma direction.
-Hana, est-ce que tu es prête ? me cria-t-elle en claquant des mains.
Au même moment, l'escouade de Livaï nous rejoignirent. Je constatai tristement qu'il n'était pas présent. J'étais terriblement déçue, j'avais moi-même demandé sa présence. Toujours incertaine, je hochai la tête. Hanji m'invita à m'installer un peu plus loin. À cette table, elle m'expliqua notre objectif. Je devais essayer de reproduire la même chose que Eren, c'est-à-dire me transformer à l'intérieur d'un puits. Elle disait aussi qu'il était préférable de m'imaginer un but précis afin de me motiver.
Hanji enroula quelques cordes autour de moi. Plus je m'engouffrais à l'intérieur de ces murs étroits et plus les battements de mon cœur accéléraient. Une fois au fond, la brune agita sa main. J'inspirai profondément puis déplaçai la mienne devant ma bouche. Eren m'avait expliqué qu'avant chaque transformation, il devait se blesser. Sans réfléchir, je mordis l'un de mes doigts puis fermai les yeux. Je patientai quelques secondes avant de comprendre que rien ne s'était passé.
-Tu sais comment tu dois faire ? me cria Hanji.
-Oui, hurlai-je positivement, oui ne vous inquiétez pas.
Je n'apercevais que les traces de mes dents sur mon doigt. Il ne saignait même pas. J'essayai une seconde, une troisième puis une quatrième fois. J'avais mordu assez fort, mon pouce était complètement ensanglanté. Je fermai les yeux, pensant fortement que mon but était de sortir et de m'échapper de ce puits. Les minutes passèrent, j'étais toujours humaine. La colère commençait à bouillir au fond de moi. Mes morsures étaient de plus en plus violents, mes mains se retrouvèrent recouvertes de sang.
-Je n'y arrive pas ! criai-je.
La tête d'Hanji surgit à nouveau au dessus de moi. Un peu déçue, elle m'expliqua qu'elle allait me remonter. Le ciel qui était tout à l'heure bleu était déjà devenu plus foncé. Combien de temps s'était écoulé ? La brune m'aida à sortir du puits, elle avait l'air tellement dépitée.
-Pourquoi ça ne marche pas ? se plaignit-elle en se tirant les cheveux.
-Peut-être que je ne suis pas réellement un titan..
Elle se stoppa net. Son sourire habituel avait disparu. Déterminée, elle attrapa mes épaules.
-Tu es capable de grandes choses Hana, il te faut juste de l'ambition !
-J'en ai !
-Non ! Tu as peur de te transformer. Tu as peur d'être dans la peau de ses monstres ! s'énerva-t-elle.
Elle avait entièrement raison. Je baissai la tête, déçue de mon incompétence. J'avais vraiment l'impression d'être inutile. Elle essaya tant bien que mal de me rassurer en me disant que Eren n'avait pas non plus réussi la première fois. Seulement, je ne changeai pas d'avis. Il s'agissait de moi et je détestais ne pas réussir ce que j'entreprenais. Remarquant mon changement d'humeur, la brune soupira puis posa sa main sur ma tête.
-Ton corps te dit oui mais ton mental te dit non. Il faut que tu aies un peu plus confiance en toi, me sourit-elle.
Ses paroles me redonnèrent instantanément du courage. Cette femme avait un don. J'avais maintenant envie de lui prouver ce que je valais réellement. Seulement, au même moment, je remarquai Livaï venir dans notre direction. Une animosité se manifesta subitement en moi.
-Alors ? dit-il en regardant Hanji.
J'étais totalement abasourdie par son comportement. Je me souvenais pourtant très bien, il avait accepté ma requête dans le bureau de Erwin. Se pointer en retard et en plus en agissant ainsi m'irritait au plus haut point. Prise d'un élan d'audace, je décidai de répondre à la place de la brune.
-Vous pouvez retourner d'où vous venez.
Toutes les personnes autour de moi restèrent surpris. Je pouvais clairement ressentir leur nervosité. Livaï m'observait impassible. Au fond de moi, je lui en voulais tellement. Par sa présence, j'étais plus rassurée et plus motivée. J'aurais peut-être même pu réussir à me transformer.
-Ne parle pas comme ça au caporal ! s'énerva la rousse à ses côtés.
Elle avait déjà l'air sur les nerfs, je doutais que ma simple réplique l'avait énervé à ce point. Je me montrai insolente, lui répondant sans mâcher mes mots.
-Vous êtes un soldat autant que moi. Vous n'êtes pas en droit de me donner des ordres.
Elle dégaina subitement sa lame avant de la pointer dans ma direction.
-Arrête, lui ordonna Livaï en la retenant par le bras.
-Petra tu ne devrais pas la provoquer dans cet état, la conseilla Hanji perdue.
Le regard de la rousse se posa sur mes mains ensanglantées.
-Je n'ai pas peur, dit-elle sérieuse. Je ne suis pas dans l'équipe du caporal Livaï pour rien.
Je serrai les poings, au point que mes phalanges en devinrent blanches. Peut-être que si je me concentrais assez et imaginais que mon but était de faire du mal à Petra, ma transformation réussirait. Sans réfléchir je m'avançai hâtivement vers elle, ramenant ma main près de ma bouche.
-Ne fais pas ça, me lança froidement Livaï.
J'avais déjà pratiquement posé mes dents sur mon pouce. Le goût du sang prenait possession de ma langue. Petra était toujours retenu par Livaï. Les autres membres de l'escouade avaient leur épées de sortie, prêts à intervenir à tout moment. Ravalant ma fierté, j'éloignai ma main.
La rousse ne me faisait pas peur. J'avais simplement repensé aux mots de Hanji. Ma transformation n'aurait probablement pas marché. Mon corps m'aurait autorisé mais mon mental me disait que Livaï n'aurait pas aimé me voir perdre le contrôle. Je me maudissais intérieurement d'être aussi faible face à lui.
-Je ferai mieux de partir, indiquai-je à Hanji.
Elle m'affirma que nous aurons toute la journée de demain pour recommencer. Elle me conseilla aussi de passer à l'infirmerie pour mettre un bandage autour de mes doigts. J'ignorai délibérément Livaï puis partis sans adresser un mot aux autres.
J'atteignis rapidement l'infirmerie. Je trouvai dans l'un des tiroirs plusieurs bandages ainsi que du désinfectant. Tandis que je les appliquai sur mes mains, mon ventre gargouilla. Il était l'heure de dîner.
J'étais à présent entrain de manger mon repas avec Ben. Je l'avais croisé sur le chemin et il m'avait gentiment invité. J'étais contente d'enfin pouvoir me changer les idées. Je lui demandai comment sa journée s'était passée. Sans surprise, il s'était entrainé sans arrêt. Je lui racontai à mon tour brièvement la mienne en passant quelques détails. Je me perdis dans mes explications lorsque Livaï entra dans la salle avec son escouade. À ma plus grande surprise, il se détacha de son groupe pour venir dans ma direction.
-J'ai deux mots à te dire, me grogna-t-il sèchement.
-Pas pour l'instant, lui répondis-je toujours en l'ignorant.
-Alors..
-Elle a dit qu'elle ne voulait pas vous parler, le coupa Ben.
Livaï posa son regard froid sur lui, il était effrayant. Ben ne devrait pas essayer de s'imposer, il creusait sa propre tombe.
-Je ne me souviens pas t'avoir autorisé à me parler, lui cracha Livaï.
Je sentais que la situation pouvait très rapidement dégénérer. Quelqu'un devait intervenir. Livaï avait réponse à tout tandis que Ben avait toujours la langue bien pendue.
-Sinon quoi ? Vous allez m'enfermer dans votre chambre moi aussi ? lui demanda-t-il d'un air arrogant.
Je fronçai les sourcils. Il ne pouvait pas se permettre de dire de telles choses. J'étais sur le point de m'interposer mais Livaï leva sa main devant mon visage, signe que je devais rester à ma place. D'un geste vif, il attrapa Ben par le col de sa chemise.
-Tu te prends pour qui ? s'énerva mon supérieur.
-Ça suffit maintenant arrêtez, paniquai-je en essayant de les séparer.
L'intervention de Livaï avait attiré la curiosité des autres soldats vers notre table et pratiquement tout le monde maintenant assistait à notre spectacle. Contre toute attente, Ben ricana. Il agissait toujours de cette manière lorsque quelqu'un avait le malheur de trop l'énerver. Il se mettait à parler haut et fort tout en crachant des paroles blessantes, dans le même et unique but d'humilier la personne en face de lui.
Ben essaya de se détacher en lui tordant le bras. Livaï riposta et poussa Ben en arrière. D'un pas rapide, il se dirigea à nouveau vers lui. Je me faufilai entre les deux, faisant face à mon supérieur. Je lui demandai d'arrêter tout en lui expliquant que ce n'était pas la peine. Livaï me lança un regard froid en guise de réponse. Il devait se demander pourquoi est-ce que j'étais entrain de défendre quelqu'un qui avait cherché lui-même les problèmes. Je ne le défendais pas réellement, je connaissais juste le résultat de cette bagarre. Ben allait perdre.
Ben continua de le provoquer. Livaï m'écarta de son chemin puis écrasa son poing dans la figure du brun. N'importe qui aurait pu s'évanouir avec la force qu'il avait utilisé. Saignant à présent du nez, Ben avait l'air sonné cependant il ne flancha pas. Je n'étais d'aucune utilité face à deux brutes pareils. Heureusement pour moi, les membres de l'escouade de Livaï bloquèrent rapidement Ben. Ils le tenaient fermement, il ne pouvait plus rien faire mis à part se calmer.
-C'est bon, se débattit Ben, c'est bon je me calme.
Ils le lâchèrent tout de même hésitants tandis que Livaï faisait déjà demi-tour. Je pensais que tout était terminé. Seulement, mon supérieur se stoppa. Toujours dos à nous, il resta immobile un instant. Un air hautain sur le visage, il décida à son tour de provoquer Ben.
-Tu parles beaucoup pour quelqu'un qui était mort jusqu'à maintenant.
La scène se déroula en un instant. Les soldats s'étaient déjà assez éloignés pour laisser le temps à Ben de réagir. Il se précipita vers Livaï, armé du couteau avec lequel il avait mangé. Par instinct, je me jetai entre les deux en fermant les yeux. Je serrai les dents, j'attendais de sentir la lame s'enfoncer dans ma peau. Ben était trop proche pour faire marche-arrière.
Soudain, j'entendis des cris, des cris d'horreurs. Ouvrant nerveusement les yeux, je notai que mes doigts saignaient à nouveau. Des gouttes de sang perlaient sur le sol, à mes pieds. Qu'est-ce qu'il se passait ? Les regards que je croisai étaient tous plus terrifiés les uns que les autres. Ben et Livaï étaient tout aussi ahuris. J'observai alors mon bras avant d'être moi-même horrifiée. Ma main s'était transformée en une gigantesque main squelettique. Le couteau de Ben était enfoncé à l'intérieur. Me mordre avait tellement été un réflexe que je ne m'en rappelais même pas. J'avais seulement pensé que mon seul et unique but était de protéger Livaï. Tous les soldats me fixaient avec dégout. Prise de panique, je retirai maladroitement mon bras avant de courir à toute allure en dehors de la pièce.
J'ouvris violemment la porte de la chambre de Livaï avant de me jeter sur le canapé. Je recouvrai chaque passerelle de ma peau, me recroquevillant sur moi-même. J'avais peur. Peur de ce que je venais de voir, peur des regards des autres, peur de la réaction de Livaï. Je passai ma soirée seule, perdue et totalement désorientée.
Je me réveillai en panique quelques heures plus tard. Je venais de faire un cauchemar dans lequel les personnes qui avaient saccagé ma chambre revenaient pour me kidnapper. Je me redressai, transpirante et avec une respiration saccadée. Je sursautai brusquement en entendant une voix parvenir jusqu'à mes oreilles.
-Est-ce que ça va ? me demanda Livaï.
-J'ai fait un cauchemar, avouai-je en tremblant. J'ai peur qu'ils viennent.
-Qui ?
-Les personnes qui veulent me kidnapper, répondis-je en enroulant mes bras autour de mes genoux.
-Personne ne viendra Hana.
J'arrêtai soudainement de paniquer. Entendre mon prénom sortir de sa bouche avait été comme une mélodie.
-Jamais je ne les laisserai faire.
Je hochai timidement la tête. Il faisait sombre, il ne pouvait pas voir mes joues. Livaï se releva pour repartir. J'avais besoin de plus. Je voulais parler plus. Les mots suivants sortirent naturellement de ma bouche.
-J'ai vraiment réagi de façon immature tout à l'heure, m'excusai-je. Je n'aurais pas dû m'énerver. Vous avez le droit d'être occupé.
Je parlais évidemment de ce qu'il s'était passé plus tôt dans la journée. J'avais eu du temps pour réfléchir et je m'en rendais seulement compte maintenant. Je ne pouvais pas lui en vouloir.
-Je n'aurais tout simplement pas dû accepter. Je respecte toujours ce que je dis.
Un silence s'installa. J'étais déçue de comprendre qu'il n'avait jamais eu l'intention de m'aider. Il était venu parce qu'il avait tout simplement donné son approbation à Erwin.
-Nous sommes entrain de découvrir une toute nouvelle facette de notre monde, m'expliqua-t-il sérieusement. Je veux être le premier à comprendre l'origine des titans. J'ai été présent pour Eren, j'essayerai d'être présent pour toi la prochaine fois.
Surprise, je restai d'abord muette. Un sourire s'afficha soudainement sur mon visage.
-Je vous remercie, lui chuchotai-je rassurée.
-Merci à toi, continua-t-il, de m'avoir protégé.
[Chapitre relu et corrigé]