L'Exécuteur

Ils rebroussaient chemin, marchant à grand pas dans le petit couloir à côté des appartements de Levi, descendant ensuite l'escalier qui menait à l'étage supérieur de la boîte. Le noiraud en vint à tenter de retirer son bras de la poigne d'Eren.

« Qu-qu'est-ce que tu fais ?

Il ne semblait pas avoir déjà été autant pris au dépourvu. Le sourire fiché sur les lèvres du brun s'agrandit. Alors qu'il poussait la porte menant dans la salle du premier étage, il se tourna vers le plus vieux, toujours sans s'arrêter d'avancer.

- Fais-moi confiance. »

La musique envahit leurs oreilles, parler ou contester ne servit plus à rien.

Le noiraud était un solitaire qui se passait bien de se dévoiler à qui que ce soit. Ça aurait pu lui convenir. Mais dans ce cas, pourquoi Eren ne pouvait refluer cet étrange sentiment de tristesse, enrobé d'une solitude affligée ? Ce n'était pas étonnant venant d'une personne qui tuait tant. Mais ce sourire triste qu'avait affiché Levi, c'était un morceau de verre qui s'était détaché du miroir, laissant voir une infime partie de ce qui se trouvait derrière. Le brun en avait été chamboulé, il avait senti un voile de désespoir noirâtre lui étreindre la poitrine. Lui qui parvenait tant bien que mal à cacher son âme douloureuse… Levi avait eu un instant de faiblesse, il s'était révélé. Si peu cependant et, pourtant, ça avait eu un impact phénoménal sur Eren. A quel point le corps du noiraud pouvait-il être rongé par la douleur si la moindre parcelle le rendait si mélancolique ? Il allait lui montrer. Il allait lui montrer toutes ces petites choses qui l'avaient aidé à s'en sortir, à ne pas se retrouver étouffé par des flots de sang. Ces simples actions qui lui maintenaient la tête hors de l'eau. Il était déterminé.

Ils descendirent au rez-de-chaussée, Levi ouvrit la seconde porte. Le couloir bordeaux fut traversé en un rien de temps. Le noiraud se faisait toujours tirer par Eren, se laissant traîner sans ménagement. Le brun avait une bonne poigne. Celui-ci stoppa brusquement, laissant un Levi toujours aussi dérouté derrière lui. Il fit volte-face et l'étudia de la tête aux pieds avec une mine sérieuse comme le noiraud ne pensait jamais voir un jour sur lui.

« Ton pouvoir, il est permanent ? C'est à ça que te servent tes lunettes non ?

Il ne lui avait pas fallu très longtemps pour méditer sur la question. C'était la réponse la plus logique.

- C'est exact.

Le gérant n'avait même pas cherché à démentir. Il savait que ça aurait été inutile. Mais alors qu'il s'attendait à ce qu'Eren lui demande les effets produits s'il retirait ses lunettes, il dit tout autre chose.

- Et ça ne t'embête pas de ne pas voir les couleurs dans toute leur splendeur ? De ne pas te sentir regardé dans les yeux par ton homologue ?

Les verres avaient beau être teintés de manière à ce qu'il voie presque aussi bien qu'en plein jour, les nuances s'en trouvaient forcément altérées.

- Je m'y suis adapté.

Avant que le brun n'ouvre la bouche, il avoua de lui-même :

- Mon don touche chaque terre-à-terre.

Le noiraud faillit se mordre la langue tellement il aurait voulu retenir cette révélation. Mais ça avait été comme si, en quelque sorte, Eren la méritait.

- Au moins ça ne concerne pas toute la population.

- Pas les lunaires en effet, prononça le noiraud avec méfiance.

Il craignait son don tant il était puissant, il ne pouvait jamais retirer sa fichue paire de lunettes. Le jeune infirmier baissa la tête avec un sourire attristé.

- Tu as donc si peur que ça, fit-il tout bas.

- Comment ça ? dit Levi, qui s'était tendu.

Le brun avait perdu son sourire et froncé les sourcils, puis relevé la tête.

- Ton pouvoir te maintient enfermé en fin de compte.

- Ca me regarde, rétorqua l'autre du tac-au-tac.

Toute son attitude montrait son envie de fuir cette conversation, que la tournure qu'elle prenait ne promettait rien de bon pour la suite. Le brun fit un pas en arrière et déclara d'un haussement d'épaules :

- Je trouve simplement ça dommage. Tu devrais avoir le droit de vivre plus librement.

Il tendit l'oreille et se mit à sourire subitement avec satisfaction, puis recula un peu plus. Son dos buta contre la porte et celle-ci s'ouvrit. Dehors la pluie avait augmenté en puissance, frappant avec force la route goudronnée de la ruelle. La musique de la boîte avait couvert son vacarme, mais maintenant que plus aucune matière ne bloquait le son des gouttes, ces dernières résonnaient impitoyablement dans leur tête. L'infirmier ne cessa pas de reculer. Levi s'avança, le bras tendu :

- Gamin, qu'est-ce que tu fous ?

Eren se trouvait maintenant au milieu de la petite rue. Il regardait toujours le gérant, son sourire s'agrandissant toujours un peu plus, laissant paraître ses dents.

- Bah alors, c'est pas toi qui disais avoir chaud ?! s'exclama-t-il pour se faire entendre.

- Mais t'es complètement ma –

Sa voix mourut sur ses lèvres quand il vit le plus jeune fermer les yeux et dresser le cou vers le ciel, écartant ses bras. La pluie fouettait son visage bronzé, mais qu'est-ce qu'il pouvait se sentir vivant. Il était pris dans une tempête, qui grondait tout autour de lui. Il ouvrit la bouche, laissant l'eau inonder la moindre parcelle de son corps et envahir sa bouche. Il n'entendait plus la musique, uniquement la pluie torrentielle qui s'abattait sur lui. Et pourtant c'était comme de douces caresses contre sa peau, innocentes, lavées de la souillure qui rongeait cette ville. C'était pur. Un gloussement remonta le long de sa gorge puis un rire sortit de sa bouche, que le noiraud ne put entendre.

- Qu'est-ce que tu attends ! s'exclama l'infirmier. Ramène-toi !

Le plus vieux avait les bras croisés et l'air indécis. Alors le brun se rapprocha de lui, s'arrêtant à la limite de la porte, restant toujours sous la flotte.

- Je n'aime pas vraiment la pluie, soupira le gérant. Rentre au lieu de faire l'imbécile, tu vas attraper froid.

Eren voyait bien qu'il crevait encore de chaud. Mais l'idée d'être trempé paraissait pire visiblement. Notre jeune protagoniste afficha un sourire en coin creusant une de ses fossettes.

- Arrête de te dégonfler.

- Si tu veux chopper la crève ça sera sans moi, répliqua le noiraud.

Eren gonfla les joues. Ça ne servait à rien, Levi n'écoutait que la petite voix dans sa tête et rien d'autre.

- Cesse donc d'avoir peur, fit-il d'un ton presque tranchant.

Le noiraud eut un geste de recul.

- Je ne vois pas quel rapport ça –

Il stoppa de lui-même quand la douce main de l'infirmier se posa sur son poignet.

- Je t'ai dit de me faire confiance, non ? dit ce dernier.

Et il le tira. Avant que Levi n'ait le temps de riposter ou se dégager. Il l'entraîna sous la tempête. Le noiraud fut rapidement trempé jusqu'aux os. La main du brun, qui enserrait toujours son poignet, se leva dans les airs. Il tendit également son autre bras bien haut. D'abord trop ébahis, le noiraud se laissa faire, puis rapidement il se dégagea et enfila prestement son manteau, se ruant vers la porte qui s'était refermée. Des doigts frais vinrent attraper les siens, le retenant. Il fit volte-face vers le brun. Eren avait les yeux brillants, le gérant avait l'impression qu'il le fixait à travers ses lunettes, qu'il pouvait voir ses yeux cachés et sondait son âme, lui mouvant les tripes.

- Reste. »

Alors Levi resta. Il n'aurait su expliquer pourquoi il l'avait écouté. Lui qui détestait les temps humides. L'infirmier, quant à lui, était soulagé. Il ne pensait pas que le noiraud lui aurait tenu compagnie aussi facilement, à faire le second idiot planté sous la flotte. Il serra sa main un peu plus fort. Levi ne le savait pas… Mais Eren le comprenait plus qu'il ne le croyait. S'il ne pouvait le lui révéler alors il le soutiendrait, il le sortirait de cette roue interminable qui le plongeait dans un mal si affreux. Le brun avait ses amis sur qui compter, mais le gérant, lui, mettait à quiconque une barrière bien nette, même les plus proches. Eren avait lui aussi été comme ça. Il l'était même encore, en partie. A vouloir tenir les autres les plus éloignés possible de sa vie de fou. Cela ne concernait pas uniquement son secret d'Exécuteur, mais plutôt la démence qui le rongeait de l'intérieur, le maintenant toujours un peu plus décalé par rapport au reste, dans un état précaire qui pouvait tomber d'un côté ou de l'autre à n'importe quel moment. Il était en revanche parvenu à mettre en place une certaine vie sociale, des amis avec qui il pouvait rire. Levi, en revanche, s'était enfoncé dans sa noirceur. Le brun l'avait bien vu quand il avait rencontré ses proches. Ces derniers avaient tenté de détendre le gérant, de le faire penser à autre chose, et ça avait fonctionné ! Pourtant il restait cet aura beaucoup trop imposant qui planait tout autour de lui, comme une deuxième ombre. Voire même comme une seconde peau. Levi n'oubliait pas. Il n'oubliait jamais. Il traînait à la moindre seconde ses peurs, sa haine et ses meurtres derrière lui. Toutes ces souffrances l'empêchaient de sourire vraiment, de montrer rien qu'un instant le personnage qu'il aurait été sans toute cette merde. C'était terrible.

Peut-être le temps était-il enclin à l'empathie, en tout cas celle-ci touchait Eren en plein cœur. Lui aussi il était perdu dans une bataille sans fin, dans des meurtres sanglants, une folie logée au plus profond de son âme. Il en avait passé du temps sous la pluie, à tenter de regrouper ses idées, ou juste oublier. Il lâcha la main du noiraud presque à contrecœur pour baisser la fermeture éclair de son blouson. Sous la mine à moitié consternée de Levi, il laissa tomber son vêtement au sol. Son tee-shirt militaire à manches longues devint rapidement noir, les couleurs trempées ne se détachant plus distinctement les unes des autres. Encore une fois il écarta les bras, mais cette fois-ci en fixant le noiraud, un sourire de bien-être collé au visage. Il ferma ses paupières, inspira longuement, puis ses iris de jade vinrent se poser sur le ciel ténébreux.

« On se sent pas mieux, là ?

Le gérant ne sut pas s'il s'adressait réellement à lui. En fait Eren lui-même n'aurait su répondre à cette interrogation. Tout ce à quoi il pensait c'est qu'il se sentait bien, ainsi recouvert d'une pluie insistante. Il resta une longue minute sans bouger, les yeux clos et l'esprit vidé, un simple plissement présent à la commissure de ses lèvres. Quand il rouvrit ses paupières et reporta son regard sur Levi, il constata que ce dernier avait le visage tourné ailleurs. Plus haut, au-dessus des immeubles. Ses bras reposaient toujours le long de ses flancs, il semblait même ne pas respirer. Une véritable statue. Eren n'aurait sût dire si ses yeux étaient clos. Le noiraud se fondait parfaitement dans la pluie imperturbable, celle-ci confondant sa peau blanche et ses cheveux corbeaux de son voile grisâtre. L'eau gouttait en abondance de ces mèches noires, s'écrasant contre son front, glissant le long de ses temps jusqu'à venir longer sa mâchoire carrée, se détachant une fois parvenues à la pointe de son menton. Ce tableau magnifique fit frémir le brun, qui porta ses mains à ses bras alors qu'il n'avait absolument pas froid. Il y avait autre chose qui se dégageait du gérant, comme une pointe d'absence, un laisser aller à peine visible. Pourtant le jeune infirmier le vit, il le sentit comme un impact contre son propre corps qui lui retourna l'estomac. Il en était certain, même rien qu'un instant il était parvenu à détourner l'attention de Levi. Reprenant sa respiration, il avança vers lui. Il leva ses doigts en direction de son visage de craie. Il aurait voulu ne serait-ce qu'effleurer sa peau de marbre, comme figée. Il stoppa à deux millimètres de sa joue, se yeux s'écarquillant légèrement, réalisant ce qu'il était en train de faire. Il baissa sa main, venant la poser sur le manteau trempé du noiraud au niveau de la poitrine. Ce dernier, ayant senti une approche, tourna sa tête dans sa direction, semblant surpris de trouver l'infirmier tout d'un coup aussi proche. Mais il n'esquissa aucun geste pour le repousser, ni même reculer. Le brun appuya un peu plus contre son cœur, comme s'il espérait pouvoir le sentir battre à travers l'épais vêtement.

- Nous avons tous nos problèmes, déclara-t-il. Qu'ils soient ou non plus importants. A l'hôpital il y a encore et toujours plus de patients qui ne devraient pas se trouver là et, chaque jour, moi je les soigne, j'assiste à toutes ces conneries qui blessent et tuent des innocents.

Il n'allait pas avouer son entière condition, pourtant ce qu'il disait-là était tout de même d'une vérité frappante. Il le pensait, il le regrettait. Il ne rencontrait hélas pas le mal uniquement sous sa couverture d'Exécuteur. Eren savait l'entière attention du noiraud braquée sur lui, alors il poursuivit :

- Cette ville est juste merdique, trop d'habitants sont devenus fous et égoïstes. Je ne fais que très peu pour changer ces choses qui nous touchent tous. Je soigne. J'essaye simplement de faire en sorte de remettre chacun debout, de les rafistoler du mieux que je peux, de les rassurer… Il y a toujours trop de personnes dans le besoin, qui vivent sous des menaces constantes. C'est ça mon problème, conclut-il, c'est toutes ces pourritures qui rongent notre ville.

Il enleva finalement sa main du manteau de Levi, oubliant qu'elle était restée là tout le temps de son monologue. Il passa brièvement ses doigts dans ses cheveux trempés collés à son crâne avec un rire nerveux. Il entendit indistinctement le noiraud marmonner quelque chose et l'interrogea du regard, haussant un sourcil.

- Tu fais plus que tu ne le crois, soupira le gérant.

Eren, un tantinet rassuré, sourit. Puis il détourna la tête sur sa droite, les yeux sur le ciel perdus dans le vague, pensifs.

- Toute cette eau qui déferle sur nous me paraît si agréable. Comme si la nature nous lavait de cette crasse infectieuse. Alors que la plupart se cachent, moi je me mets dessous et je profite de cette douche bien pure, dit-il, puis il se gratta l'arrière de la tête avec une moue gênée. Ça peut paraître étrange, mais je le sens comme ça.

Il leva ses iris turquoise, son cou tendu au maximum, avec un sourire en coin.

- Au fond on devrait tous sortir se faire tremper. On en a bien besoin.

Il haussa les épaules en inspirant puis expirant bruyamment. Levi n'avait pipé mot. Il devait le trouver encore plus attardé maintenant. Mais le brun n'en avait pas grand-chose à cirer, il avait l'habitude d'incarner le rôle du « bizarre » ou du « suicidaire » – bien que ce dernier surnom soit principalement davantage une moquerie amicale, enfin une semi moquerie. Un son nouveau fendit l'air, un bruit rauque mais agréable, mélodieux. Bien que trop bref. Avec étonnement son regard papillonna sur la bouche du noiraud, dont les lèvres fines s'étaient entrouvertes. Est-ce qu'il venait… de rire ? Le noiraud se racla la gorge et détourna la tête, faisant mine de contempler le vieil immeuble derrière. Oui, le brun pouvait l'affirmer, Levi venait de rire. Se moquait-il de lui ? Il gonfla les joues.

- Idiot, grommela le gérant en se détournant.

Eren baissa la tête.

- On ferait sans doute mieux de rentrer se sécher, supposa le brun, déçu.

Le noiraud, qui était en train de le dépasser, se trouvant de dos, tourna à peine la tête dans sa direction.

- De quoi tu parles ? fit-il d'un air faussement étonné. Je croyais qu'on se promènerait un peu.

Il repartit d'une démarche souple et tranquille, tandis qu'Eren le regardait s'éloigner, surpris. Les paroles du gérant prenant forme dans sa tête, son visage s'éclaira subitement, il ramassa prestement sa veste et le rejoignit en trottinant, tout sourire. Il ne fit aucune remarque, affichant simplement une petite moue triomphale. Il y était parvenu, Levi le suivait – bien que là ce soit plutôt l'inverse. Ne restait maintenant plus qu'à le dérider une bonne fois pour toutes et, bien qu'il n'ait pas encore trouvé de quelle manière, il était confiant.

- Tu peux rentrer ton petit air suffisant, le coupa le noiraud dans ses réflexions internes. La prochaine fois que tu me tires sous la flotte sans mon consentement gamin, je t'assure que je ne serai pas aussi clément.

Le brun allait protester, à la place de quoi il analysa discrètement l'expression du gérant, qui venait de changer suite à ses mots. Il semblait un peu plus renfrogné et sa lèvre inférieure était légèrement avancée, comme… boudeuse ?! Inutile de dire qu'Eren se retint de s'esclaffer. Il n'aurait jamais pensé voir Levi faire une tête dans le genre, comme un enfant qu'on aurait surpris en train de voler un gâteau alors qu'il avait manigancé tout un plan machiavélique.

- Tu n'es pas souvent pris au dépourvu hein, ricana-t-il.

- Tu serais pas en train de te ficher de moi par hasard ? grommela le plus vieux d'un ton menaçant.

- Mais pas du tout voyons, fit-il d'un ton qui laissait supposer le contraire.

Il se reçut pour la peine une tape dans l'arrière de la tête, mais cela ne l'arrêta pas pour autant, il se mit même à rire. Le noiraud marmonna une série de mots inintelligibles, puis s'éclaircit la gorge :

- Tu joues avec le feu microbe, fais très attention. »

Eren continuait de rire et Levi, malgré lui, s'était mis à sourire. Ils marchaient côte à côte, la pluie tombant toujours sur eux en un véritable déluge. Mais ça leur convenait, ils se sentaient bien ainsi, trempé jusqu'aux os, supportant le poids de leurs vêtements alourdis par l'eau. Leurs épaules n'étaient pas très loin l'une de l'autre, le jeune infirmier ne manqua pas de le remarquer. Plus que deux ou trois centimètres et elles auraient pu se toucher. Cela signifiait beaucoup. Le gérant avait baissé sa garde, il était plus à l'aise. Ils continuèrent leur route invisible, allant là où les menaient leurs pas. L'Exécuteur et le Chien, les deux seuls âmes vivantes sous cette averse monstre, le cœur léger.

.

En cette saison les températures auraient dû se faire plus basses, moins douces. Une brise fraîche demeurait, presque imperceptible. Les giboulées de mars s'étaient faites tardives, débordant sur la fin du mois d'avril comme aujourd'hui. Eren et Levi avançaient toujours sans vraiment regarder où ils allaient, quand subitement le second plaça un bras en travers du ventre du premier. Le brun lui jeta un coup d'œil interrogatif.

« La limite de la zone sécurisée, expliqua-t-il d'un mouvement de menton.

Notre protagoniste plissa les yeux, remarquant en effet des lumières rouges clignotant contre le mur d'un immeuble.

- Merde, grogna-t-il, déjà ? Le coin m'avait l'air sympa.

Il marqua un temps avant d'ajouter :

- On s'approche ?

Le noiraud haussa un sourcil avec une moue dubitative. La proposition d'Eren avait beau être un tantinet surprenante, il commençait à cerner un peu le personnage. Le brun aimait prendre des risques. Qui n'en aurait pas déjà fait le constat ? Comme le gérant de Titania l'avait si bien dit, l'infirmier jouait avec le feu. Il n'hésitait pas à s'exprimer, à remballer, jurer. Il avait un point de vue bien à lui, aimait avancer des propos pour faire débat. Mais surtout, il avait une certaine étincelle de magie et de mystère passionnants qui entouraient le moindre de ses mots, la moindre de ses actions qui pouvait nous paraître dénuée de sens. Parce qu'un geste, quel qu'il soit, avait ses conséquences qui venaient avec. Eren était un grand gamin, mais Levi n'était pas complètement dupe, il avait très bien saisi que le brun était doté d'une très grande réflexion, qu'il menait des analyses approfondies. Alors qu'il pouvait passer outre des faits flagrants, il portait une attention toute particulière aux détails. Le noiraud le trouvait dangereux. Dans le sens où il n'était pas idiot – peut-être même pas assez justement – et qu'il semblait parfaitement voir à travers son jeu. Comme s'il pouvait facilement disposer de toutes les connaissances du monde et, même encore mieux, les plus cachées. Et pourtant cet imbécile de gosse n'en pipait mot, ne faisait aucune allusion, le regardant simplement de ses grands yeux vert d'eau. Mais d'un côté il lui donnait envie de rentrer dans cette attitude désinvolte. Ça en devenait peut-être contagieux, qui sait.

Notre protagoniste scrutait avec attention l'angle de la rue, trépignant presque. Juste derrière le béton se trouvaient les barrières de la zone sécurisée, avec bien une petite équipe de policiers en train de s'ennuyer ferme. Une ombre entra dans son champ de vision par la gauche, lente et silencieuse. Le noiraud était en train de s'avancer vers le bout de la rue.

- Levi, qu'est-ce que tu fiches ? chuchota-t-il à moitié.

Le gérant mit son index devant sa bouche avec un sourire. Il alla se mettre dos au mur et progressa vers le bord de l'immeuble. Eren étouffa un rire derrière sa main. On aurait dit la scène d'un film comique de voleurs pas très doués. Le noiraud se rapprocha un peu plus et lui fit signe de venir en agitant la main, alors le brun vint se poster près de lui sur la pointe des pieds. Il était parfaitement conscient que dans tous les cas, le bruit de la pluie aurait étouffé ses pas, pourtant, aussi idiot que cela puisse paraître, Levi paraissait être entré dans une sorte de jeu et l'y avoir invité. Il acceptait la proposition avec joie évidemment. Ils s'amusaient tous les deux comme des gosses aux abords de la zone sécurisée, le lieu où, justement, le rire n'a pas vraiment sa place. C'était une situation un peu ironique.

Il fallait penser à deux choses, qui l'arrêtèrent net. La première, s'ils se faisaient chopper comme deux couillons en train d'espionner les flics. S'enfuir serait stupide, ça ne ferait qu'aggraver leur situation si on réussissait à les rattraper – bien que le Chien et l'Exécuteur doivent parvenir à les semer, un doute subsistait compte tenu du nombre de voitures de patrouille qui circulaient à proximité de la limite. Là, ils seraient vraiment mal. La seconde, la plus importante, la merde dans laquelle serait Eren en tant qu'officiel terre-à-terre. Un sans pouvoir dans la zone sécurisée en aurait pour son salaire du mois. Mais surtout, le gérant découvrirait qu'il lui avait menti sur sa condition – enfin, à demi menti au fond, puisqu'il était un réel lunaire. Encore pire, si les policiers utilisaient leur petit gadget permettant de les placer dans la catégorie possesseur de pouvoir ou non, puis leur demandaient leur identité, Eren serait clairement découvert en tant qu'imposteur. Evidemment il ne les laisserait jamais aller jusque-là.

- Eh, fit-il d'un ton hésitant, posant une main sur l'avant-bras du noiraud. On jette un coup d'œil puis on s'en va, ok ?

Le noiraud parut surpris.

- Depuis quand tu fais ta tapette toi ? se moqua-t-il.

- Je vis pas dans le luxe môssieur, alors si je dois banquer une blinde parce qu'on a trop fait les cons et qu'on s'est faits prendre, non merci.

- Très bien, un coup d'œil et on rentre, soupira le gérant, la lueur de malice dans ses yeux disparue.

Eren en fut presque déçu. Mais principalement de lui-même. Il n'était jamais le premier à refuser de faire quelque chose de risqué, c'était même bien le contraire. Et voilà qu'il fuyait devant Levi… s'en fut intolérable. Il avait tout de même une certaine rivalité avec le Chien, qu'il comptait bien préserver – plus par amusement qu'autre chose. Que ce soit le rebelle ou le gérant… Ils étaient identiques, ils réagissaient et pensaient pareil.

- Tu voudras regarder aussi ou bien tu me laisses faire ? le nargua Levi.

Eren gonfla les joues et croisa les bras, détournant la tête. Le noiraud n'avait pas besoin de dire grand-chose pour le faire réagir. Ce dernier haussa les épaules et se pencha lentement de l'autre côté de l'angle de la rue, laissant uniquement une partie de son visage dépasser du béton. L'infirmier, offensé qu'il était, mis son pouce et son index dans sa bouche, puis siffla. L'action fut alors comme au ralenti. Le noiraud tourna brusquement la tête vers lui, l'air totalement stupéfait, tandis que lui affichait un sourire triomphal, le son résonnant encore tout autour d'eux. Notre protagoniste lui empoigna alors la main et se mit à courir, faisant résonner leurs pas contre l'eau bouillonnante du goudron. Il bifurqua soudainement à gauche quelques mètres plus loin, derrière une voiture.

- Baisse-toi ! dit-il au gérant, qui obtempéra.

Ce dernier, accroupi, l'empoigna par le col.

- Tu voulais qu'on se fasse prendre ou quoi ? siffla-t-il. Qu'est-ce qui t'a pris ?!

Eren se mit à rire.

- Eh, c'est toi qui l'avais cherché ! riposta-t-il en hoquetant.

- Il aurait pu nous arriver des emmerdes sale gamin ! grogna le plus vieux avec véhémence, le rapprochant un peu plus de son visage, le brun toujours maintenu par le col.

Le jeune infirmier conservait sa première place de preneur de risque en fin de compte. Et il en était foutrement fier. Son souffle se mélangea à celui du noiraud, qui fulminait. Ses lèvres fines étaient pincées, si bien qu'elles étaient devenues pratiquement aussi pâles que sa peau blanchâtre. Sa mâchoire crispée paraissait avoir durci le moindre des pores de la surface de son visage, lui conférant de nouveau cette allure figée. L'aspect statue disparut finalement quand un afflux sanguin vint prendre place au niveau des joues du gérant, de manière presque imperceptible mais pourtant bien présente. Le brun le remarqua bien sûr, il était si observateur… Ses yeux s'écarquillèrent d'un demi-millimètre alors qu'il inspirait le souffle froid du noiraud, se fondant au sien, puis sa poitrine se serra. Il entrouvrit la bouche.

- Heu, je… Je…

L'air se bloqua dans sa gorge alors qu'il faisait un constat tout autre. Sa proximité avec Levi n'avait jamais été aussi importante et, le connaissant, celui-ci avait rarement laissé quelqu'un s'approcher d'aussi près. Mais surtout, Eren parvint à voir. De manière floue mais bien réelle. Il vit le gérant qui le regardait derrière ses lunettes,il aperçut ses pupilles d'encre ainsi que le contour de ses yeux plissés par la colère qui s'entrouvraient progressivement, comme choqués. Le brun cessa littéralement de respirer. Il avança d'un millimètre, souhaitant en voir plus. Pour la première fois il parvenait à imaginer le visage de Levi sans aucun accessoire pour le cacher, surtout sans cette fichue paire de lunettes. Il allait s'approcher un peu plus quand il réalisa la connerie qu'il était en train de faire et détourna la tête.

- T-trop près, souffla-t-il.

Le noiraud le lâcha, l'unique force sur laquelle il s'était appuyé le maintenant redressé. Eren tomba sur les fesses, dans la flotte. Son pantalon absorba l'eau immédiatement, bientôt imité par son boxer.

- Merde je suis désolé, marmonna Levi en le remettant sur pieds, lui défroissant le col à la manière d'une mère poule.

L'infirmier le regarda faire sans piper mot, puis bientôt un gloussement remonta le long de sa gorge, irrépressible. Le gérant ramena sa main contre lui.

- Eh l'idiot, je rêve ou tu te fiches encore de moi ? gronda-t-il.

Le brun se calma, bien que son cœur batte toujours un peu trop vite à son goût.

- Je ne me moque pas, fit-il avec un sourire gêné, je –

- Qu'est-ce que tu fiches Bob ! tonna une voix derrière eux.

Ils tressaillirent tous les deux, leurs sens en alerte absolue. Le noiraud jeta un rapide coup d'œil par-dessus le capot de la voiture avant de se rebaisser brusquement.

- Deux flics s'approchent, chuchota-t-il furieusement. Un sur le trottoir et un sur la route.

- Oups.

Il lui donna une tape sur le sommet du crâne.

- C'est ta faute crétin, grogna le gérant. Si t'étais moins borné t –

Notre protagoniste lui plaqua une main sur la bouche. Les deux policiers étaient maintenant tout près et, en dépit du bruit que faisait la pluie, il valait maintenant mieux pour eux de se taire.

- Je te dis que j'avais entendu un bruit, fit l'un, celui qui avait déjà parlé.

- Tu débloques le nouveau, se moqua le dénommé Bob. Y a jamais rien par ici, on est tranquilles.

Ils n'étaient maintenant plus qu'à deux véhicules d'eux. Le brun et le noiraud se regardèrent, à moitié paniqués. Eren lui fit signe qu'ils allaient devoir se glisser sous la Peugeot contre laquelle ils étaient appuyés, sous la mine dégoûté du plus vieux. Quand ils posèrent leurs mains à plat sur le goudron râpeux, les bruits de pas cessèrent.

- Merde Bob, qu'est-ce que tu fiches ? jura le nouveau.

- Ça se voit pas ? gloussa la voix grasse de l'autre. Je suis en train de pisser.

- Fait chier, je retourne à la voiture, grinça le premier, ses pas furibonds s'éloignant en claquant sur le sol.

Les cliquetis d'une ceinture qu'on remettait en place se firent entendre.

- Ce p'tit péteux, soupira Bob, qui partit à sa suite.

Nos deux imbéciles, qui s'étaient arrêtés de respirer, soupirèrent de soulagement. Ils maintinrent leur position accroupie durant quelques secondes supplémentaires jusqu'à ce que Levi prenne la parole :

- Bon, je crois qu'on en a assez fait pour aujourd'hui.

Le brun hocha lentement de la tête puis se redressa. Ils vérifièrent que plus personne ne se trouvait dans la rue avant de reprendre leur marche en sens inverse. Un silence légèrement pesant prit place, qu'Eren fut le premier à rompre, n'y tenant plus.

- Je te jure, j'ai cru que j'allais lui arracher ses couilles à ce Bob.

- D'autant qu'il avait l'air d'un parfait connard.

- D'autant qu'il avait l'air d'un parfait connard, répéta-t-il, affirmant les dires du noiraud.

Ils soupirèrent de concert. Toujours prudent, notre protagoniste se tourna afin de vérifier qu'on ne les suivait pas. Cependant, une petite quarantaine de mètres plus loin, il remarqua deux groupes de deux personnes, un sur chaque trottoir. Il stoppa net et plissa les yeux. Merde, pas de doute, l'uniforme des policiers se découpait dans l'ombre.

- Qu'est-ce qu'il y a ? fit le gérant avec légèreté, qui avait suivi le mouvement.

Eren lui prit le poignet et entama une course, traînant le noiraud derrière lui.

- Les flics, se récria-t-il dans un grondement.

Levi vint se poster à sa hauteur, laissant sa main dans celle du jeune infirmier.

- Putain, t'es sûr ?

- Ouais, grogna-t-il. Tu te souviens du chemin ?

Le noiraud parut se triturer les méninges.

- Merde, non ! s'exclama-t-il avec hargne. On était forcément partis en direction du sud-est, mais je ne vais jamais dans ce fichu coin.

Qu'est-ce qu'ils étaient censés faire bordel ?! Eren devait se calmer, reprendre ses esprits, éloigner son euphorie du jeune adulte immature. Il avait besoin de la mémoire affolante de l'Exécuteur, de sa facette calculatrice glaciale. Quand ils parvinrent à la prochaine intersection, le brun stoppa.

- Donne-moi dix secondes, grommela-t-il dans sa barbe, sans être certain que le gérant l'ait entendu.

Avenue Maria et rue Menson. A quel endroit pouvaient-elles bien se couper ? Il ferma les paupières, oublieux de la pluie et des bruits de pas qui se rapprochaient. Le plan de la zone sécurisée prit forme dans sa tête, sélectionnant la partie recherchée. Sud-Est. Limite du septième arrondissement. Un parfait tracé le relia à la boîte Titania. Rouvrant les yeux, attentif au moindre mouvement, il tira de nouveau Levi, repartant dans une course folle, bifurquant sur le gauche.

- Je me souviens, dit-il à son attention.

Il se souvenait parfaitement. Mais c'était plutôt qu'il connaissait. La moindre rue, la moindre impasse, le moindre chemin l'expédiant le plus rapidement possible d'un point à un autre. Les pas qui résonnaient derrière eux s'éloignèrent. Le Chien et l'Exécuteur, avant d'être rapides, étaient endurants. Après trois bonnes minutes d'une course les rapprochant d'un sprint, ils ralentirent l'allure, marchant simplement rapidement en regardant de tous les côtés.

- Je crois bien qu'on les a clairement semés là, soupira le brun redevenu lui-même, dépourvu de son air sérieux.

- Mouais, marmonna le noiraud.

Il allait ajouter quelque chose, à la place de quoi il choppa notre protagoniste par le haut du tee-shirt et le plaqua dans une ruelle à un mètre devant eux. Des phares éclairèrent l'avenue dans laquelle ils se trouvaient deux secondes plus tôt. Une voiture passa ensuite à une allure raisonnable devant eux. Le noiraud se plaqua un peu plus contre le corps de note infirmier, fixant le véhicule, les mâchoires serrées. Une fois les policiers repartis, ils restèrent quelques courtes secondes de plus comme ça. Mais ce fut les plus longues de sa vie pour Eren. Il n'aimait pas ça. Il se sentait étrangement mal à l'aise, son tee-shirt était beaucoup trop fin à son goût et il pouvait clairement percevoir la chaleur qui émanait du corps de Levi, se mélangeant à la sienne. Alors que le temps était enclin au froid, il avait anormalement chaud. Pour la deuxième fois dans la soirée. Il n'était pas idiot, ni un adolescent novice, il avait à peu près saisi son petit problème. La proximité d'un homme que son corps n'avait pas ressenti depuis un laps de temps inhabituel. Puisqu'il ne pouvait supporter de relation stable, il avait un besoin régulier de sentir une peau contre la sienne, qu'il s'agisse d'une conquête nocturne ou non. Bien que la majeure partie du temps ce soit dans ce premier concept. Il était là son problème. Levi était bien trop proche physiquement de lui en cet instant, mais surtout, ils étaient proches psychiquement. Ils avaient bien trop d'affinités. Il était évident qu'il paraisse un tant soit peu attirant, le brun s'en était rendu compte très rapidement. Son regard s'était perdu sur le visage anxieux du noiraud, qui fixait toujours la route à sa gauche. Et encore une fois, en dépit de la pénombre, Eren aperçut l'ombre de ses yeux derrière ses lunettes. Merde. Qu'est-ce qui l'empêchait réellement de les retirer en cet instant ? Levi ne pourrait réagir à temps pour riposter. Pourquoi diable fallait-il que le noiraud refuse de se montrer entièrement à lui alors qu'il lui avait dit être un lunaire ? Après ces moments passés ensemble, ne devrait-il pas croire un minimum en lui ? Le gérant accordait sa confiance difficilement. Son don touchait-il donc autant les terre-à-terre qui croisaient son regard ? Alors que l'infirmier se posait cette dernière question, s'étonnant lui-même de la hargne qui venait de le prendre au ventre, le plus vieux venait de reporter son attention sur lui. Le brun put cette fois-ci clairement distinguer les deux yeux sombres qui venaient de se poser sur lui. Il était encore plus proche de son visage que tout à l'heure. Sur le coup, il envoya un millier d'insultes à sa poitrine devenue un peu trop vibrante.

- Tu as une bonne mémoire morveux, mais je vais prendre les choses en main à partir de là. »

Eren ne fit qu'acquiescer et le laissa faire. Nous étions dans le quartier de Titania, le noiraud connaissait le coin à coup sûr. Et puis le brun ne se sentait pas l'énergie de trop réfléchir. Pour la première fois, la pluie lui parut réellement trop froide et ses vêtements imbibés plus lourds que jamais. Levi, se rendant sans doute compte que leur proximité avait trop longtemps duré, s'écarta assez subitement. Ils reprirent leur marche, le brun se laissant guider, les mains dans les poches et ruminant des pensées inaudibles, parfaitement conscient de la présence du noiraud à ses côtés. Trop conscient même. Il l'épia du coin de l'œil discrètement. Levi arborait une mine tout aussi renfrognée que la sienne, perdu dans un long tissage de pensées déplaisantes. Merde. Eren était en train de gâcher son coup dans son but de lui remonter le moral. Il soupira doucement avec une moue boudeuse puis, avec toute l'hésitation du monde, il posa sa main dans l'intérieur du bras du noiraud – qui avait la sienne dans la poche de son manteau – au niveau du coude. Il maintint sa position jusqu'à leur arrivée devant Titania, sentant Levi se détendre petit à petit. Il ne se rendit compte que plus tard que ses propres muscles s'étaient également relaxés, tout doucement, l'absorbant dans une ambiance sereine. La fatigue prit sa place tranquillement.

Parvenus aux appartements du noiraud, ce dernier prêta des vêtements de rechange au brun pour la nuit, le temps que les siens ne sèchent. Levi lui ordonna, plus qu'il ne lui proposa, de prendre sa chambre, tandis que lui dormirait sur le canapé. Eren accepta de bonne grâce, trop épuisé pour riposter, puis lui emprunta une serviette et partit se changer dans la chambre. Bientôt revêtu d'un jogging noir et d'un tee-shirt gris un poil trop large, il rejoignit le noiraud dans le salon. Seule la lumière de la lampe de chevet subsistait, éclairant la pièce d'un ton doux. Le gérant, assis sur le canapé, s'était déjà rhabillé avec un jogging gris clair et un tee-shirt blanc – assurément à manches longues. Notre protagoniste se rapprocha jusqu'à qu'il ne lève son visage sur lui.

« J'ai terminé, marmonna l'infirmier en se dandinant d'un pied sur l'autre.

Le noiraud hocha la tête avec un petit sourire.

- Je venais vérifier comment tu te sentais. Pour ton bras, crut-il bon de préciser.

Le plus vieux sembla réfléchir un court instant, puis haussa les épaules.

- Si je ne bouge pas trop ça va.

- Ah bon. D'accord.

Il ne sut trop quoi ajouter. Il se sentit très idiot subitement et grommela dans sa barbe avant de se racler la gorge.

- Bonne nuit.

Le gérant tapota un coussin de son bras valide et le mit à l'un des bouts du canapé.

- Bonne nuit, répondit-il, le gratifiant d'un sourire en coin.

Eren opina puis se détourna, mais alors qu'il arrivait devant la porte il fit brutalement volte-face. Levi était juste là, il s'était mis debout et le regardait s'éloigner, la bouche entrouverte comme s'il voulait dire quelque chose. Le jeune infirmier ne lui en laissa de toute façon pas le temps.

- Merci ! s'exclama-t-il, puis ajouta plus bas. Je me suis bien amusé ce soir. Je n'avais jamais eu de compagnie sous un temps pareil.

Il se gratta la tête, se trouvant plus bizarre qu'autre chose.

- Alors, heu… eh bien, merci, conclut-il en balbutiant.

Levi poussa un long soupir et se dirigea vers le bureau, la main posée près du bouton de la lampe de chevet.

- Idiot, c'est à moi de te remercier.

Les lèvres du brun s'étirèrent.

- Vraiment ?

Le noiraud détourna la tête en faisant la moue, puis laissa échapper un soupir vaincu.

- Ouais.

L'infirmier se mit à rire doucement devant son embarras. L'atmosphère se détendit rapidement.

- Merci pour cette soirée Eren, laissa échapper le gérant avec hésitation, mais également une reconnaissance frappante.

Notre protagoniste afficha une mine rassurée, tandis qu'un sourire paisible flottait sur ses lèvres. Ça lui ferait presque étrange de se faire appeler par son prénom.

- A demain Levi.

- A demain gamin. »

Ouais, ce surnom convenait mieux dans la bouche du noiraud. L'infirmier ferma la porte et partit s'allonger sur le lit. Celui-ci était imbibé de l'odeur du noiraud, douce et agréable, discrète. Le brun inspira un long coup et se laissa aller au sommeil.