Le destin des Ackerman - Tome 2
Il fait nuit noire et la coupure électrique généralisée a privé la ville de lumière. Sous une pluie toujours aussi battante, les soldats de chaque camp doivent se battre dans un mélange de poussière, de boue et de gravats dans une obscurité où — pour se guider — ils ne peuvent se fier qu'aux nombreux flash lumineux sortant de la bouche des canon des fusils ou aux grenades et mortiers qui illuminent d'une façon aussi éphémère que mortelle le sol jonché de cadavres mutilés.
Dans cette bataille où chaque bâtiment, ruine, muret et bloc de pierre a une importance stratégique, dans ce combat presque au corps à corps où la distance entre deux ennemis n'est parfois que l'épaisseur d'un mur de briques, dans ce massacre aveugle où tout est confus, ce qu'il reste du corps expéditionnaire de l'armée Mahr essaye tant bien que mal de se réorganiser pour préparer une contre-attaque.
Et malgré cette bataille désordonnée qui met à mal l'autorité des officiers, l'escouade des aspirants guerriers réussit à s'extirper des combats indemne et à se réfugier dans un sous-sol dont l'entrée est directement accessible par la rue, surplombé d'un bâtiment apparemment résidentiel partiellement détruit.
Le capitaine Augstein balaie du bras la surface d'un établi, faisant tomber en cascade les outils qui s'y trouvaient, dans un bruit métallique qui agresse les oreilles des personnes présentes dans la pièce. Il se précipite ensuite pour sortir une carte de l'intérieur de sa veste et la déplie, essayant de se situer sur le plan de Zelevsk. A ses côtés, Annie attend patiemment de savoir quoi faire et, surtout, si elle va pouvoir utiliser son titan pour que cette bataille soit rapidement de l'histoire ancienne.
De l'autre côté de la pièce, Hans s'est laissé tomber le long d'un mur, son fusil de précision étendu à ses côtés.
— Kathrin... Kathrin est encore là-bas... Pourquoi est-ce qu'on l'a laissée là-bas...
Karl Wanberg s'approche de lui avant de s'assoir près de son camarade. Celui que certains surnomment « le rat » a la particularité d'avoir le physique qui correspond au titan pour lequel il s'entraîne depuis des années. Petit et vif, bagarreur et revanchard, le titan mâchoire semble être fait sur mesure pour lui.
— L'infirmerie avait été déplacée en sous-sol pour éviter d'exposer les blessés au bombardement, elle va bien j'en suis sûr, essaye de rassurer Karl en posant sa main sur le bras de son camarade.
— Ce n'est pas le bombardement qui m'inquiète... L'attaque a été si violente... Ils nous ont chassé de notre QG en un clin d'œil et on a dû laisser nos blessés derrière-nous, sans parler de ceux qu'ils ont dû faire prisonniers... Qui sait ce qu'ils vont leur faire ? Ils les ont sûrement déjà tous exécutés...
Heinrich s'approche de Hans à son tour, s'accroupit devant lui et le saisit par les épaules avant de le secouer brièvement.
— Hé, ressaisis-toi mon vieux. Il faut rester optimiste. On va trouver le moyen de contre-attaquer quand on aura rejoint notre corps d'armée et on libérera nos potes, ok ?
Hans fixe son camarade, les yeux écarquillés parce qu'il se rend compte que lui qui est d'habitude si prompt à plaisanter et qui ne perd jamais son optimisme, s'est laissé envahir par la peur et le défaitisme tellement il a été secoué par cette attaque en pleine nuit.
Laura se tourne vers Annie après avoir écouté attentivement les membres de son escouade discuter.
— Peut-être qu'un coup de pouce d'un titan nous aurait sorti de cette merde sans que l'on doive abandonner les nôtres...
Annie se redresse lorsqu'elle entend ces mots et se tourne vers la cadette de l'escouade qui la toise de haut en bas de façon dédaigneuse.
— Oui, c'est à toi que je parle, reprend Laura, finalement l'échec de la mission à Paradis n'était pas un accident, tu es une incapable qui a trop peur de se transformer pour porter un coup décisif.
Le lieutenant Leonhart reste impassible et fixe sans sourciller la morveuse qui l'attaque, certainement pour évacuer son stress. Pourtant, au fond, ce discours fait sens et Annie a reçu assez de remontrances tout en ayant assez de recul pour savoir que ses échecs sont criants et cuisants.
— Tu as oublié tout ce qu'on nous apprend sur le rôle de guerrier ? continue l'aspirante.
Non, elle ne l'a pas oublié... Annie se souvient de ce discours qui expliquait qu'un guerrier n'est pas un simple soldat pourvu d'une arme extraordinaire, ils sont sélectionnés pour leurs qualités et leur intelligence afin d'être décisifs sur le terrain, pour leur combattivité et leur patriotisme.
La jeune femme aurait certainement eu un petit sourire en coin en pensant à ce dernier mot s'il n'y avait pas une peste prête à tout pour la rabaisser face à elle, avec un regard noir accusateur. En voyant ses camarades si prompts à tout faire et tout donner pour Mahr, elle a une nouvelle preuve de l'ironie dans laquelle le peuple eldien se trouve, sur le continent. Depuis plus de cent ans ils se fourvoient tous à essayer de plaire à leurs geôliers, séduits par de belles paroles et de belles promesses alors qu'en réalité, le regard que ces gens portent à leur peuple démunis et parqué comme un troupeau ne changera jamais.
Oui, les plus patriotes sont ces hommes et femmes rejetés et haïs par leur pays, ces gens toujours lancés en première ligne pour faire office de chair à canon, ces pauvres âmes pour lesquelles la liberté est un fantasme sinon un désir inavouable...
— Tu n'es bonne qu'à suivre les ordres, ton titan aurait dû être transmis à quelqu'un d'autre quand tu es revenue.
A ces mots, un souvenir fait brusquement surface.
Annie galopait dans l'une de ces grandes plaines verdoyantes de Paradis, légèrement vallonnées et ponctuellement boisées. A ses côtés Judith tirait un fumigène vert et, devant elles, Thomas était concentré, le regard fixé droit devant lui, les poignées de son équipement tridimensionnel en main.
— Ils pourraient te donner l'autorisation de te transformer, ça nous ferait moins de boulot... avait prononcé Judith après avoir longuement soupiré.
A ce moment là Annie avait tourné la tête vers son lieutenant qui semblait plus calme et concentré que d'habitude et son manque de réaction à la plaisanterie de Judith était d'autant plus étrange. Elle haussa ensuite les épaules pour seule réponse.
— Ah je vois, faut l'autorisation de monsieur c'est ça ? demanda mademoiselle Stern.
Annie revient à la réalité et fait de nouveau face à Laura dont les mâchoires sont serrées à cause de l'énervement.
Alexander Cranz, petit protégé de Sieg Jaëger et aspirant au bestial s'approche de Laura pour lui sommer de s'en tenir là afin d'éviter d'être rappelée à l'ordre par leur supérieur. Pourtant, après coup, en voyant que le capitaine ne bronche pas et que Annie semble avoir un semblant de réaction aux mots de l'aspirante, il ne peut s'empêcher de saisir l'occasion pour y ajouter son grain de sel lorsque Laura retourne dans son coin en bougonnant.
— Elle n'a pas tort. Tout le monde sait que tu nous as trahi et que tu as même été jusqu'à essayer de donner Reiner en pâture à un péquenaud d'insulaire en train de crever. Je me demande bien pourquoi tu es revenue puisque tu les aimes tant ces démons...
Le lieutenant Leonhart serre les poings mais, lorsqu'elle ouvre la bouche pour rétorquer, quelque chose attire son attention dans sa vision périphérique : Samuel s'approche du capitaine. Ce dernier a préféré se concentrer sur l'établissement d'un plan pour rendre à ces nordiens la monnaie de leur pièce au lieu de demander calme et discipline à ses hommes.
Forcément, ces jeunes gens encore pleins d'adrénaline et impatients de bouger de cet endroit sinistre dans les circonstances actuelles se tournent tous, curieux, vers Samuel Berner lorsqu'il rejoint le capitaine, certainement pour recevoir des instructions.
Alors que dehors la bataille fait encore rage — en témoignent les coups de feux résonnant sans fin — et que l'orage gronde toujours, les adolescents se figent lorsque le capitaine Augstein remet à Samuel une feuille de papier pliée en trois que ce dernier met en sécurité contre son cœur à l'intérieur de sa veste.
— Bien, jeunes gens, il va être l'heure de bouger.
Hans et Karl relèvent la tête, prêts à recevoir les ordres qui seront les premiers pas sur le chemin de la libération de leurs camarades aux griffes des ennemis.
— Après avoir vérifié la carte j'ai compris que leur attaque par le Sud-Est n'était pas anodine, ajoute l'officier.
— C'est vrai ça, on les attendait plus à l'Est... commente Alexander, appuyé sur son fusil dont il se sert de canne.
— Ils ont coupé notre ligne de ravitaillement et certainement détruit notre chemin de fer.
Tous se regardent, apeurés et choqués par cette nouvelle parce qu'ils saisissent tous qu'ils sont maintenant esseulés et acculés dans cette ville infestée de gens hostiles.
— Envoyons une équipe de messagers pour prévenir l'Etat-major, non..? se hasarde Heinrich qui montre par son langage corporel qu'il est prêt à remplir cette mission.
— Non, trop risqué et chance de succès trop faible, tranche le capitaine.
Pendant un court instant certains dans l'assistance échange un regard inquiet à cause de l'impression que leur officier est un incapable qui craque sous la pression et baisse déjà les bras. Alexander fixe froidement monsieur Augstein et approche sa main du holster sur sa cuisse où est rangé son revolver. Il se résigne finalement et serre le poing de toutes ses forces : la propagande Mahr est bien trop ancrée dans son esprit et la promesse d'une vie "normale" s'il devient guerrier l'empêchent d'exécuter sommairement celui qu'il voit maintenant comme un incapable.
— Ils sont en train de nous encercler et nous ont privé de ravitaillement et de contact mais nous avons pourtant un moyen de contre-attaquer. Pour nous surprendre cette nuit en ayant autant d'hommes, ils ont dû dégarnir leurs forces du port. Drescher et Roer, vous allez retrouver le commandant pour lui porter le message que nous devons organiser une attaque massive sur le port d'ici quelques heures, à l'aube, il faudra économiser les munitions et les hommes d'ici là en feintant une retraite.
— Oui capitaine ! s'écrient solennellement les deux soldats qui font un salut militaire avant de sortir de la pièce.
— Berner, Leonhart, Wanberg... Vous aurez pour mission de vous faufiler entre les lignes ennemies pour atteindre notre ancien quartier général. Vous y trouverez un poste télégraphe qui vous servira à envoyer un message à notre État-major.
Les trois nommés acquiescent avant de saluer leur officier dans les formes. Ils ramassent leur paquetage, leurs armes et partent sur le champ. Lorsque Annie passe devant le capitaine, celui-ci l'interpelle.
— Leonhart !
— Oui, capitaine ?
— S'il est impossible d'atteindre votre objectif pour une raison ou une autre, je t'autorise à te transformer. Il est capital que notre état-major sache qu'il faut désormais envoyer matériel, ravitaillement, munitions et hommes par la mer.
— A vos ordres.
Puis elle rejoint ses deux camarades.
***
Tous les trois, contrairement à tous leurs camarades, n'empruntent pas la sortie donnant sur la rue mais remontent l'escalier qui mène vers le rez-de-chaussée de cette maison de ville touchée par un obus.
La porte entrouverte leur permet d'entrer sans bruit et Karl est le premier à passer la tête pour regarder à gauche, à droite puis une nouvelle fois à gauche. Il entre ensuite, jette un nouveau coup d'œil puis fait signe à ses compagnons qu'ils peuvent le rejoindre. Annie passe la porte et regarde d'abord sur sa droite et son regard tombe directement sur une salle d'eau où une corbeille en osier remplie de linge de toilette est tombée à la renverse, déversant son contenu sur le sol poussiéreux et jonché de petits débris venant du plafond qui tient bon mais présente de nombreuses fissures inquiétantes. Encore plus à droite se trouve une chambre et elle le voit au lit qui se devine à la lueur des flammes qui brûlent encore dans la rue sur laquelle donne la fenêtre de cette pièce.
Lorsque le lieutenant Leonhart rejoint ses deux compagnons qui sont partis sur la gauche dans ce couloir qui donne sur l'entrée et, plus loin, sur une petite cuisine, elle les trouve figés sur les trois marches qui descendent dans le salon, fixant tous les deux dans une même direction.
Là, à leurs pieds, s'étendent trois corps ensevelis sous le plafond qui s'est effondré sur eux. Le gigantesque trou qui les surplombe permet à la lumière de la lune qui perce timidement les épais nuages d'orage d'éclairer cette scène aussi macabre que désolante, illustration de la folie stupide des hommes. Les rebelles de Zelevsk ont accepté de sacrifier leurs compatriotes pour atteindre leurs ennemis, ils ont préféré offrir la vie de civils innocents de leur propre peuple sur l'autel de la violence éternelle plutôt que tout faire pour les protéger d'une guerre qui ne ressemblera à aucune autre.
Ils tournent la tête vers la gauche lorsque qu'un craquement se fait entendre et les fait tous trois sursauter : dans la cheminée miraculeusement intacte et dont un feu d'une faible lueur dans l'âtre vit toujours, une bûche vient de céder en créant des milliers d'étincelles.
Karl se précipite soudain pour une raison qui ne saute pas aux yeux de ses camarades. Il s'accroupit près de la cheminée, dans l'ombre d'un recoin.
— Petite ? Hé oh, petite ! prononce-t-il.
Annie ouvre grand les yeux lorsqu'elle comprend qu'il y a un rescapé et que c'est une petite fille. Le jeune Wanberg se tourne vers les deux autres membres de l'escouade d'aspirants.
— Je ne suis pas doué avec les gosses, aidez-moi !
Le lieutenant Leonhart s'approche alors et, lorsqu'elle dirige sa lampe torche vers la petite, se pétrifie.
Par elle ne sait quelle sorcellerie, à se demander si c'est son esprit qui lui joue un tour, elle croit voir une personne qu'elle connaît très bien, enfant. De fins et lisses cheveux mi-longs noirs comme la nuit, des traits fins, des yeux légèrement bridés à l'iris noir...
La petite fille fixe sa famille désarticulée et écrasée sous des tonnes de pierre et dont le sang se déverse encore sur le sol poussiéreux, les mains collées sur ses oreilles. Sa peau pâle est noircie à certains endroits, couverte de salissure à d'autres. Sa petite robe à bretelle en velours rouge pâle, le haut blanc en dessous, ses collants en laine blanche et ses souliers noirs vernis sont tous aussi sales et souillés par le drame qui s'est passé ici.
Samuel s'approche puis dépasse Annie. Cette dernière prend soudainement peur en imaginant la réaction qu'il pourrait avoir en voyant cette petite qui pourrait éveiller en lui quelque chose qu'elle redoute mais elle ne fait rien à part retenir son souffle.
Le soldat Berner s'assoit près de la gamine après avoir ouvert les boutons de sa veste rembourrée qu'il ouvre. Annie se rend compte que la petite grelotte violemment et que ses lèvres sont violacées.
— Viens contre moi, on va se tenir chaud mutuellement, prononce Samuel sur un ton à la fois rassurant et doux avec toute la bienveillance du monde.
La petite asiatique lève lentement les yeux vers le jeune homme qui lui parle dans une langue qu'elle ne semble pas comprendre. Ses yeux s'arrondissent, ses lèvres commencent à trembler, ses yeux se plissent puis elle éclate en sanglots avant de se laisser tomber contre le soldat mahr qui referme le pan de sa veste autour d'elle et la serre contre lui.
En cet instant, les bruits si forts et intrusifs de la bataille qui se déroule tout autour d'eux disparaît et devient un bruit de fond diffus à peine perceptible. Dans un silence surnaturel causé par leur attention focalisée sur l'étreinte, Annie et Karl n'entendent que les pleurs déchirants de cette enfant qui, en une nuit, a tout perdu. Un sentiment d'impuissance les envahit d'abord parce qu'ils ne peuvent rien faire sinon la regarder exprimer toute la détresse qui sommeille dans son petit corps frêle puis c'est l'injustice et la colère qui se réveillent dans leurs entrailles. Annie ne sait que trop bien comme la vie est injuste, comme la guerre ne peut que semer mort et destruction derrière elle et que ce sont toujours les innocents qui en payent le prix fort.
Combien de familles a-t-elle déchirées lorsqu'elle a chassé Eren à travers les rangs du bataillon d'exploration lors d'une sortie extra-muros ? Combien d'enfants a-t-elle fait pleurer lorsqu'elle a ravagé Stohess en se battant contre le titan assaillant ? Combien de gens se sont retrouvés écrasés par leur propre toit dans ce désastre ?
Accablée par les remords, conséquence de cette prise de conscience, elle reste debout à fixer Samuel qui n'essaye même pas de prononcer le moindre mot pour stopper les pleurs de l'enfant prostrée contre sa chaleur si rassurante dans cet environnement froid et traumatisant. Il se contente de la laisser pleurer, la serrant contre lui sous cet épais manteau d'uniforme.
De son côté, Karl en profite pour faire un rapide tour des lieux et cherche à travers une fenêtre un chemin par lequel ils pourraient s'échapper et se faufiler pour remplir la mission donnée par leur capitaine.
Quelques minutes s'écoulent et, lorsque les sanglots se calment, Karl revient vers ses compagnons.
— Les combats s'éloignent, on devrait bouger avant que la police et la milice ne viennent chercher des survivants.
Annie acquiesce et s'approche de deux pas pour tapoter l'épaule de Samuel qui lève alors la tête.
— Il faut qu'on y aille, dit-elle.
Il hoche la tête et cherche le regard de l'enfant qui essuie ses grosses larmes sur ses petites joues rougies par le froid.
— Qu'est-ce qu'on fait d'elle..? demande naïvement Karl.
Annie ne sait pas quoi lui répondre. Emmener une enfant avec eux serait risqué pour eux comme pour elle... Ils pourraient aussi l'emmener vers d'autres habitants ou la diriger vers des soldats de Zelevsk mais ce serait du suicide et la laisser ici...
Elle n'a pas le temps de répondre ni même de se décider parce que Samuel interrompt leur réflexion.
— Dis-moi, comment tu t'appelles ? demande-t-il à la petite.
Elle le regarde avant de tourner la tête vers Annie puis Karl et revient à Samuel, apparemment perdue.
Samuel se désigne donc et prononce son nom avant de la désigner elle.
— Anna, prononce l'enfant avec sa petite voix éraillée.
Le soldat Berner, accroupit face à l'enfant, sourit avant de prendre sa petite main dans la sienne, gantée.
— Ici c'est trop dangereux, la maison va te tomber sur la tête si tu restes là. Viens avec moi, je vais te protéger, d'accord ?
Anna fixe la bouche du jeune homme lorsqu'il lui parle et vient à remuer légèrement la sienne, montrant qu'elle essaye de lire sur ses lèvres. Lorsqu'elle acquiesce et resserre ses petits doigts autour de la main du soldat, Annie remarque que la petite fille comprend parfaitement la langue et se souvient que, lorsqu'ils l'ont trouvée, elle se tenait les oreilles. L'explosion a dû la rendre sourde et, elle l'espère, temporairement.
Karl ayant compris l'intention de son camarade revient avec un manteau à la taille de la petite qu'il a trouvé plus loin ainsi qu'une écharpe qu'il apporte à Samuel qui s'empresse d'aider la petite à les enfiler.
Lorsque le petit groupe s'apprête à partir, ils voient des faisceaux de lampes torches parcourir la façade du bâtiment en face de l'entrée principale du bâtiment. Karl se précipite contre l'un des murs encore debout, Annie se tapis au sol derrière des décombres et Samuel emmène Anna avec lui dans le recoin de la cheminée où elle se trouvait plus tôt.
— Bordel, regarde ce désastre... prononce l'un des hommes dehors dont la lampe éclaire l'intérieur de la maison à travers l'une des fenêtres qui a volé en éclats.
Le deuxième faisceau s'arrête sur les trois cadavres jonchant le sol.
— Attends, je connais cette maison. Oh non... Pas eux... Les Ackerman étaient si gentils... Des réfugiés politiques, des gens charmants qui n'ont jamais causé de problèmes... Quel gâchis... Se rallier aux rebelles pour tirer sur nos propres compatriotes, dis-moi que c'est un cauchemar... se plaint le second.
Annie ouvre de grands yeux. La coïncidence la trouble au plus haut point. Cette enfant n'a donc pas qu'une ressemblance physique avec Mikasa... Des Ackerman, ici ? Comment ? Pourquoi ?
— On devrait y aller, je crois qu'on ne sauvera personne ici... conseille un troisième homme.
— Mais je ne vois que trois corps ! Ils avaient une petite fille, du même âge que la mienne, elles jouaient ensemble au parc, laissez-moi la retrouver !
Un long soupir se fait entendre.
— Bien, mais fais attention, le bâtiment menace de s'effondrer, ne nous force pas à extraire ta vieille carcasse de là ! plaisante son collègue.
Anna remue contre Samuel lorsqu'elle reconnaît la voix puis le visage de l'homme qui entre en enjambant une portion de mur effondrée. Le soldat aimerait la retenir, il aimerait empêcher de risquer que ses compagnons et lui soient repérés mais il ne veut pas la retenir contre son gré, il ne veut pas la priver de retrouver des gens qu'elle connaît. Il souhaite simplement que Anna puisse se remettre de ce drame pour vivre une vie heureuse loin des horreurs de la guerre si c'est toutefois possible. Il écarte alors ses bras pour lui permettre de partir.
La petite fille se dresse sur ses petits pieds et fait un premier pas avant de s'arrêter. Encore dissimulée dans l'ombre, elle se retourne ensuite pour fixer le soldat qui s'est montré gentil avec elle. Elle semble hésiter mais sort finalement de sa cachette et s'avance vers l'homme qu'elle connaît.
— Anna ! Oh mon dieu Anna tu es en vie ! s'écrie le policier nordien qui s'empresse de prendre la petite dans ses bras en essayant de cacher à sa vue les corps démembrés et sanguinolents.
L'un de ses collègues dirige sa lampe torche vers le recoin d'où elle est sortie, par réflexe et sursaute, dégainant par réflexe son revolver lorsqu'il voit qu'il y a quelqu'un.
— Un soldat Mahr ! s'écrie-t-il lorsqu'il reconnaît l'uniforme.
Ni une, ni deux, le troisième policier pointe son fusil vers Samuel alors que le premier emporte Anna à l'abri.
— Met tes mains en évidence sale chien !
Samuel prend bien soin de ne pas toucher à son arme et s'exécute dans l'instant.
— A genoux !
Annie et Karl assistent à la scène, impuissants. Ils ne peuvent que regarder ou entendre la scène se dérouler et perçoivent maintenant que les deux soldats tenant leur camarade en joue s'approchent pour le maîtriser.
Aveuglé par les lampes torches dirigées vers son visage, les mains derrière la tête à genoux, il est maintenant vulnérable et à leur merci. C'est à ce moment que l'enfant fixe ce jeune homme et ouvre grand ses petits yeux comme si elle venait de découvrir quelque chose en voyant au grand jour le visage du soldat.
Le lieutenant Leonhart voit Anna fixer en direction du soldat Berner sur le point d'être fait prisonnier sinon pire et écarquiller ses yeux. Elle se débat dans les bras de l'ami de sa famille et parvient à lui échapper parce qu'il essaye d'attraper lui aussi son arme de service. Elle court rapidement vers Samuel pour se jeter contre lui, essayant de l'entourer de ses bras, stoppant net le mouvement des policiers.
— Écarte-toi petite !
Le visage enfouit dans le cou de Samuel, Anna secoue la tête en signe de négation de toute ses forces.
Le policier qui était une connaissance des Ackerman s'interpose entre ses collègues et Anna parce qu'il ne veut pas que les choses dégénèrent, surtout en présence d'une enfant qui a déjà vu assez de choses horribles aujourd'hui. Au fond, il aimerait même éviter de tuer quelqu'un, même si c'est un soldat Mahr. A en juger par le peu d'éléments dont il dispose, ce jeune homme a dû sauver Anna ou du moins l'aider d'une façon ou d'une autre parce que, connaissant les Ackerman et l'éducation donnée à leurs enfants, jamais elle n'aurait sauté au cou d'un inconnu.
— Calmez-vous les gars !
Ses collègues n'ajoutent rien, ils se détendent un peu mais restent sur leurs gardes et maintiennent le soldat mahr en joue.
— Anna, viens avec moi, je vais te donner un plat chaud et un bon lit pour te reposer.
La petite continue de se cramponner au jeune homme pour une raison inconnue et mystérieuse, tant pour les policiers que pour les deux autres soldats mahr encore cachés qui assistent à cette scène qui n'a aucun sens. Anna connaîtrait-elle Samuel ? Impossible.
Karl, positionné dans leur angle mort, saisit le moment pour attraper son fusil et tirer dans le dos d'un des policiers en retrait. La panique s'empare des policiers et son collègue fait volte-face en cherchant d'où vient le coup de feu mais il se fait abattre d'une balle en pleine tête dans la foulée par Annie qui saisit elle aussi l'occasion. Le policier qui essayait de calmer le jeu se retourne et regarde droit dans les yeux ses deux agresseurs qui sortent de l'ombre en le pointant avec leurs armes respectives. Il lâche son pistolet et lève les mains.
L'expression du pauvre homme se décompose quand il comprend qu'il est fait comme un rat et qu'il n'y a sûrement aucun moyen pour qu'il sorte d'ici en vie. Ses pensées vont immédiatement à ses enfants, leurs visages souriants lui apparaissent avant qu'il ne commence à marmonner une prière pour demander à la divinité qu'il vénère de protéger sa famille.
— On devrait le supprimer et partir au plus vite avant que d'autres ne viennent voir ce qu'il se passe par ici, suggère Karl, prêt à appuyer sur la détente pour faire sauter la cervelle du nordien.
A peine Annie a-t-elle le temps de répondre pour donner son avis que le policier qui vient de se rendre s'effondre, inconscient. Samuel se tient debout derrière lui et vient de lui asséner un violent coup derrière la tête pour l'assommer.
— Prenons leurs uniformes et leurs papiers pour passer plus facilement leurs lignes et cachons les corps, répond Samuel à l'intention de Karl.
— Et celui que tu viens de mettre sur le carreau, on en fait quoi ? Si ton intention était de ne pas le tuer, je doute que le laisser roupiller dans ce froid glacial va dans ce sens, rétorque l'aspirant au titan mâchoire.
— Trouvons-lui une couverture et mettons-le devant la cheminée.
Karl soupire mais acquiesce finalement avant de s'empresser pour faire ce que Samuel a suggéré.
Annie fixe Samuel puis laisse son regard retomber sur la petite Anna, qui dévisage l'homme qu'elle connait giser inconscient au sol, à moitié dissimulée derrière Samuel en se demandant ce qu'il s'est passé.
En l'espace de quelques minutes, les trois soldats enfilent l'uniforme de la police de Zelevsk, cachent les corps des deux policiers puis se préparent à partir.
Alors que Karl termine de s'équiper, Samuel s'approche de Annie.
— Dis-moi... commence le soldat Berner.
— Mh ?
— J'ai entendu ce que t'ont dit Laura et Alexander tout à l'heure... Si ce qu'ils t'ont dit est vrai, pourquoi es-tu toujours une guerrière ?
Annie fixe un instant son interlocuteur, silencieuse et figée avant de serrer les dents pour se retenir de révéler des informations confidentielles.
— Parce que je leur ai donné quelque chose qu'ils voulaient plus que mon titan.