Le destin des Ackerman - Tome 1
Thomas est dans son dortoir, seul, assis sur son lit et adossé contre le mur. Il sanglote doucement en serrant fort contre son cœur le pendentif qui appartenait à Petra. Trop perdu dans ses pensée, il ne s'en aperçoit pas que quelqu'un entre dans la grande pièce où une douzaine de lits sont disposés.
Le jeune homme n'entend pas le bruit des pas ni le son d'une cuillère en argent qui tape lentement le bord d'une tasse en porcelaine.
— Thomas ? demande une voix douce et hésitante bien trop proche de lui qui le fait sursauter.
Il lève rapidement les yeux vers la personne qui vient le déranger et il reconnaît cette fille qui était avec lui ces trois dernières années dans la 128e brigade d'entraînement : Lise Niso.
En trois ans, il est difficile d'être un étranger pour qui que ce soit et c'est sans doute pour ça que les brigades d'entraînement regroupent par cinq-cents des jeunes adolescents pour les entraîner : avoir des liens renforcés et un esprit de groupe qui les rend meilleurs au combat.
Pourtant, il est impossible de bien s'entendre avec tout le monde, encore moins d'avoir tout autant d'amis... Mais Lise fait partie de ces personnes avec qui il s'est toujours bien entendu et avec qui - dès les premiers jours - un rapprochement s'est effectué. Toujours douce, calme, souriante et préoccupée par les autres. Thomas s'est toujours demandé comment une telle personne pouvait être soldat. Il n'a jamais osé lui demander quelles sont ses motivations mais il est clair pour lui que toutes ses qualités et sa façon d'être auraient pu être mieux employées ailleurs, en tout cas pas comme chair à canon dans ce corps d'armée où personne ne fait de vieux os.
Pourtant, que personne ne s'y trompe, elle est loin d'être maladroite au combat et n'est pas non plus stupide. Arrivée troisième de la promotion, elle n'a pas à rougir face à tous les autres qui se vantent - à tort - d'être des virtuoses de la tridimensionnalité. C'est une chose de plus qui étonnera toujours monsieur Ralle. Il la regarde, elle et son sourire forcé trahissant son inquiétude, avant de baisser les yeux sur ce qu'elle a entre les mains.
— Tu n'étais pas là au déjeuner, j'ai pensé que tu étais malade alors je t'ai apporté une tasse de café et de quoi grignoter, explique-t-elle pour justifier sa présence puisqu'elle n'est pas certaine d'être la bienvenue.
La jeune femme s'est trouvée bête quand, à quelques pas tout juste de lui, elle a compris qu'il pleurait dans son coin, il était malheureusement trop tard pour faire demi-tour. Malgré tout ils sont amis et c'est son devoir d'être là pour lui dans ces moments de doute et de tristesse. Rater des repas, rester seul pendant des heures... Non, vraiment quelque chose cloche. Il n'a jamais été le plus extraverti ni le plus bruyant mais il est d'habitude le premier à plaisanter, sourire et soutenir ses compagnons.
— Merci c'est... Merci, Lise, répond Thomas qui ne sait pas vraiment quoi dire alors qu'il essuie le coin de ses yeux et range en vitesse le pendentif.
— Dis... Qu'est-ce qui ne va pas ? demande la jeune femme en posant ce qu'elle a apporté sur le chevet de fortune qui se trouve être la malle du soldat voisin.
A cette question, le nouveau membre du bataillon d'exploration lève de grands yeux vers elle puis baisse de nouveau la tête, muré dans le silence.
— Écoute Tom... On est amis depuis qu'on est soldats et d'habitude c'est toi qui est là pour moi quand je me demande si je dois continuer parce que je doute de mes capacités ou si j'ai bien fait de m'enrôler, commence-t-elle.
A ces mots Thomas se dit qu'effectivement si elle a bien un défaut c'est que ses sentiments et son besoin d'affection s'expriment beaucoup trop souvent et l'emportent souvent sur le reste.
— Je n'ai pas envie de te voir mourir parce que tu es trop ailleurs à cause de quelque chose que tu ne me dis pas, termine-t-elle.
Le jeune homme ouvre la bouche pour dire quelque chose mais aucun son ne sort et il prend finalement la main de Lise afin d'y déposer le collier qui appartenait à Petra. Intriguée elle détaille le bijou qu'elle examine sous différents angles.
— Il appartenait à ma grande sœur, elle a été tuée lors de la 57e expédition extra-muros, je l'ai appris juste avant qu'on ne fasse notre choix de corps d'armée, dit-il avec un ton qui ne porte étrangement aucune émotion, vide.
La talentueuse recrue ouvre grand les yeux, choquée, et son regard alterne rapidement entre le collier et son compagnon. Elle se souvient que plusieurs fois il lui a parlé de sa grande sœur, dont il était très fier parce qu'elle faisait partie de l'élite du bataillon d'exploration et avait été choisie pour intégrer l'escouade tactique menée par le célèbre Caporal-Chef Livaï. Elle sait que son seul souhait était de la rejoindre dans ce corps d'armée pour qu'à son tour elle soit fière de lui, qu'elle voit qu'il a réussit à devenir un homme après toutes ses années où elle s'est occupée de lui, bien plus que sa propre mère.
Elle se rend compte à quel point le destin est cruel dans ce monde terrifiant parce que le jour où il allait atteindre son objectif, tout s'est dérobé sous ses pieds.
Mademoiselle Niso ne sait pas vraiment quoi dire ni quoi faire face à cette terrible nouvelle. Elle prend donc la main du jeune homme et lui rend ce bijou qui a tant de valeur à ses yeux. Soucieuse de bien faire, elle prolonge le contact en s'asseyant sur le bord du lit puis enlace Thomas pour le consoler, sa main gauche caressant lentement son dos.
Lui, il ne bouge pas, son menton repose sur l'épaule de Lise. Ne sachant pas quoi faire dans l'instant, il reste immobile et silencieux à fixer droit devant lui d'un air vague.
Après un temps qu'il ne saurait mesurer, elle se dégage lentement de l'étreinte puis l'observe avec une lueur de tendresse dans les yeux.
— Hem-hem ! interrompt quelqu'un qui semble être près de la porte, Bon les amoureux, vous ferez plus tard des cochonneries, le Sergent nous veut dans la cour dans cinq minutes ! s'exclame Josh avec un grand sourire aux lèvres adressé à Thomas.
— Crétin... peste Lise à voix basse alors qu'elle détourne le regard, parce que ses joues s'enflamment, gênée d'avoir été prise sur le fait.
Lorsque Lise, Thomas et toutes les autres nouvelles recrues arrivent dans la cours ils peuvent tous voir que c'est le chaos. Des soldats courent dans tous les sens : certains en tirant la bride de deux chevaux, d'autres avec des bouteilles de gaz ou des stocks de lames. Ils se mettent tous en rang devant leur sergent qui a anormalement l'air tendu et inquiet.
— Jeunes gens, il est l'heure pour vous d'offrir votre cœur à l'humanité ! Les titans ont franchi le mur Rose et il est de notre devoir d'en constater les dégâts et de localiser la brèche !
A ces mots la majorité des jeunes recrues ont soudainement une expression de peur sur le visage puis des messes basses parcourent rapidement l'assemblée.
— Vous formerez des escouades de quatre et vous devrez longer le mur. Comme il devrait faire nuit d'ici à ce qu'on y arrive, vous ne devriez pas avoir de problèmes avec les titans mais restez sur vos gardes ! Prenez chacun deux torches, on part dans cinq minutes !
Tout le monde s'empresse d'aller chercher des torches, son cheval et d'éventuelles réserves de gaz et de lames. Quand Thomas se tourne, il voit une nouvelle recrue dont il ne connait pas le nom prostrée sur elle-même, se tenant la tête, le regard horrifié et plein de larmes. Alors qu'il la regarde, une main tape doucement son épaule.
— Fais attention à toi, conseille Lise avec son petit sourire.
Elle a attaché ses cheveux qui tombent sur son épaule, il a toujours aimé sa coiffure de "combat".
— Toi aussi, répond Thomas qui sourit à la jeune femme, laquelle tourne les talons pour aller chercher son cheval en se tapotant les joues.
La nuit est tombée et le calme plat règne au pied du mur Rose si l'on excepte le bruit des sabots des chevaux au pas. L'escouade de Thomas - composée de Josh, Judith et Hurado - longe le mur, menée par un officier qu'ils n'avaient encore jamais vu. Il a les traits durs, froids, fermés. Josh se rapproche du cheval de Thomas pour parler à voix basse.
— Putain cette nuit noire me fout les jetons on voit pas à trois mètres devant nous...
— Dans mon village on dit qu'une nuit sans Lune est un très mauvais présage, surenchérit Hurado et, vu l'expression qu'il affiche, il est difficile de savoir s'il plaisante pour foutre la frousse à ses camarades ou s'il partage là une véritable peur.
— Il n'y a que les imbéciles de montagnards comme toi pour croire à ces conneries, lâche Judith sur un ton exaspéré, sûrement parce que ses nerfs sont à fleur de peau dans cette ambiance absolument stressante.
Chacun se demande s'il n'y a pas des dizaines de titans qui les observent en ce moment, en se léchant les babines.
Pourtant, c'est soudainement l'hilarité générale qui résonne dans la nuit suite aux mots de Judith et même si c'est un signe que les nerfs sont à cran, ça fait du bien à tout le monde de rire un peu. L'officier se tourne sur sa monture.
— La ferme les gosses, dit-il fermement mais à la vue de la moitié de son visage éclairé par sa torche, tous remarquent que de grosses gouttes de sueur coulent sur son visage et ça ne va pas les rassurer.
Les rires cessent immédiatement.
Deux minutes après que le silence règne de nouveau, l'officier se stoppe brusquement. Il tourne très lentement la tête pour regarder à sa droite et lève dans le même rythme sa torche. A la stupeur de tous, un titan est assit par-terre, adossé à un arbre et les regarde de son air benêt, les yeux mi-clos.
Tous les visages se crispent et les yeux s'ouvrent grands : tout le monde retient son souffle et personne n'ose bouger.
C'est la première fois que Thomas voit un vrai titan et sa première impression fait froid dans le dos. Leur air simplet, leur grande bouche ouverte, leurs gigantesques dents, leur regard avide et leur taille... Tout est monstrueux chez eux et s'imaginer être saisit par l'une de ces grandes mains pour se faire bouffer le plonge dans un état de stress intense qu'il ne peut pas réprimer.
— Il a l'air docile, on continue, ordonne le meneur de la petite troupe qui met son cheval au pas, sans pour autant quitter le titan du regard.
Thomas lance un bref coup d'œil à ses compagnons et il remarque que Judith, malgré son assurance et son air habituel de se foutre de tout, semble choquée par cette proximité avec son ennemi et prédateur. Hurado lui, conscient qu'il a porté la poisse avec son histoire de présage, baisse la tête et semble vouloir se faire oublier, sans doute qu'il ne dira plus un mot avant demain. Josh de son côté se mord violemment la lèvre inférieure, le regard fixé sur ce monstre de chair en tremblant de tout son être.
— Aller le tombeur, avance, prononce Judith qui met une tape sur la croupe du cheval de Josh pour que celui-ci se mette au pas.
Une demie heure plus tard, près du district de Krolva, à la porte Ouest du mur Rose, la troupe croise une autre escouade. Une fois qu'ils sont à la même hauteur les sergents ordonnent la halte. Thomas reconnaît le groupe où se trouvent Adley, Lise et Anna. Les regards des deux "tourtereaux" se croisent et chacun se sourit de façon complice et rassurante, ce qui n'échappe pas à Josh qui a reprit du poil de la bête et donne un coup de coude à son pote.
— Alors, vous avez vu quelque chose ? demande Adley.
— Rien à part un titan qui faisait la sieste... répond l'officier.
— C'est étrange, aucune brèche dans le mur, comment des titans auraient pu être vus ici ? questionne l'autre sergent.
— Je n'en sais rien mais p...
Un hurlement surnaturel résonne et perce les airs soudainement, un énorme cri que personne n'a jamais entendu auparavant.
— Qu'est-ce que...?! s'étonne en premier Adley.
Dix secondes s'écoulent à peine et une trentaine de membres du bataillon d'exploration arrivent au galop. Tous reconnaissent à sa tête la capitaine Hanji qui a - pour une fois - une expression fermée et déterminée. Derrière elle la fine fleur des bataillons comme Mikasa Ackerman, Eren Jäger, Armin Arlelt et autres vétérans de la bataille de Trost.
— La 104e est prise au piège au château d'Utgard, ils sont assaillis par des titans en pleine nuit, on doit leur porter secours ! s'écrie Hanji qui passe à toute allure devant les deux escouades qui étaient plantées là.
Ces dernières attendent que les trente passent puis suivent au galop.
Après dix kilomètres de course, les quarante soldats arrivent au château et là, tous sont choqués par ce qu'ils voient : des dizaines de titans essayent de pénétrer dans le château partiellement en ruine ou tentent de casser les tours. A y regarder de plus près il y a de la lumière en haut de la plus grande tour, sûrement là où ils se sont tous retranchés.
Au loin, le jour pointe le bout de son nez et déjà les couleurs de l'aube commencent à envahir l'horizon. A cet instant, alors qu'un premier rayon du soleil perce les nuages et irradie la plaine que surplombe la forteresse, un gigantesque éclair jaune apparaît et semble frapper une boule lumineuse. Après un instant, alors que le phénomène a disparu aussi vite qu'il est survenu, un autre cri résonne, plus strident et aiguë.
La troupe accélère alors la cadence, quelque chose de spécial se passe. A l'avant-garde tous vérifient rapidement leurs bouteilles de gaz puis empoignent les crosses de leur appareil tridimensionnel avant d'y gripper une lame.
— Tenez-vous prêts à intervenir ! hurle Hanji, succédée par un cri rageur de la part de tous les vétérans prêts à tailler en pièce ces démons.
Thomas serre les dents, tiraillé par la peur et l'envie de venger sa sœur, il formule secrètement le vœu de tous les éradiquer, de tous leur faire payer, de tous leur faire manger la poussière.
Lise qui galope à ses côtés le regarde armer ses lames et elle est saisie d'une inquiétude plus intense que jamais en remarquant la détermination de son ami, comprenant ses intentions après ce qu'il lui a révélé plusieurs heures plus tôt.
— Thomas ! Tu devrais rester en retrait, laissons les vétérans faire, on va les couvrir et s'occuper d'aller chercher les réfugiés et les blessés ! conseille la jeune femme mais elle comprend vite que c'est peine perdue.
Il ne détourne même pas le regard, fixé sur son objectif : il est décidé à faire couler du sang.
Quelques minutes plus tard ils arrivent au château et l'avant-garde passe déjà en manœuvre tridimensionnelle, Thomas les regarde faire. Il aperçoit Mikasa Ackerman qui, avec une vitesse incroyable, plante son grappin droit dans une pierre, utilise son gaz dans un timing parfait pour utiliser conjointement l'aérodynamisme et l'angle pour se propulser et trouver une position d'attaque idéale. Elle plante ensuite ses deux grappins dans le rempart et se propulse vers le titan de six mètres qui est là, arrivant parfaitement parallèle à sa nuque qu'elle découpe sec et net.
Abasourdi, impressionné et motivé, il se hisse maladroitement sur la selle de son cheval puis plante son grappin et se propulse à l'aide du gaz pour se lancer dans la bataille.
Tout autour de lui des soldats voltigent, tournoient sur eux-même, filent à toute vitesse et changent brusquement de direction : ils ont une maîtrise incroyable de leurs instruments et leurs déplacements semblent aussi intelligents que redoutables...
Derrière lui, Lise le suit parce qu'elle veut s'assurer qu'il ne lui arrivera rien.
— Thomas ! crie-t-elle sans pouvoir être entendue par celui qu'elle tente de suivre entre le bruit des grappins, du gaz, des pas de titans et des chocs quand l'un d'eux s'écrase au sol en faisant trembler la terre. Thomas attends !
Monsieur Ralle détecte enfin une cible potentielle, un titan de cinq mètres qui est en train de sortir des décombres, une épaisse vapeur brûlante recouvrant la majorité de son corps. Il remarque en s'approchant qu'il a ses deux jambes en moins, une partie du crâne enfoncé et de profondes blessures à l'abdomen. C'est la cible parfaite pour une jeune recrue afin de faire ses premières armes et montrer à tous qu'il mérite sa place.
Il actionne donc la gâchette qui libère le grappin droit, tournoie sur lui-même puis plante le gauche pour plonger vers la nuque de sa cible en libérant du gaz. Alors qu'il amorce sa manœuvre, il entend derrière lui un cri d'horreur d'une voix qu'il connait bien, une voix féminine.
— Lise ? se demande-t-il alors qu'il fonce droit vers le titan.
Thomas arrive à toute allure et, ayant perdu sa concentration parce qu'il cherche du regard d'où provient cette voix, il ne voit pas la main du titan se tendre vers lui. Ses yeux sont rivés vers une silhouette qui se fait dévorer, les dents d'un titan de huit mètres se refermant sur son ventre, la partie haute de son corps déjà à l'intérieur de sa bouche. Du sang gicle et vient tâcher Thomas tout entier. Quand il regarde de nouveau le titan avec un air horrifié, celui-ci le toise droit dans les yeux avec cet air toujours aussi simplet mais abominable. Soudain, le souvenir de ce titan presque endormi à la lisière de la forêt lui revient et les sentiments avec. Il se fige, son esprit se vide de toute pensée et intention : pétrifié par la peur.
Le titan l'attrape sans difficulté et le soldat sent sous sa poigne qui se ferme sur lui une pression douloureuse. Dans un instant qui semble être une éternité pour lui, alors que le temps a l'air d'être au ralenti, il se voit être dirigé lentement mais sûrement vers cette bouche grande ouverte dont les dents font la taille de sa tête, celles-ci étant déjà pleines de sang et de morceaux de chair humaine.
— Ça y est, c'est la fin ? C'est comme ça que je vais mourir ? pense Thomas en fixant le palais du titan duquel il se rapproche dangereusement. J'espère que ça ne fait pas mal...
Autour de lui le son des sabres qui s'abattent sur la peau dure des titans, le bruit du gaz éjecté à toute vitesse, les filins qui fendent l'air, les hurlements d'horreur et de mort, le brouhaha causé par les mouvements des titans : tout ça ne devient qu'un bruit blanc et diffus pour le jeune homme dont la connexion avec le monde réel semble déjà être rompue. Il n'y a plus que lui, cette bouche béante et l'image de Petra qui l'attend au pas de la porte de chez eux, son sourire radieux aux lèvres, portant sa jolie robe qu'elle mettait tous les dimanches pour leur balade afin de cueillir des fleurs, ses cheveux balayés par le vent dont les bourrasques s'engouffrent depuis le sommet du mur. Il la voit lui tendre la main, le guider jusqu'à ce monde dont personne n'est jamais revenu pour le décrire.
En cet instant il se sent en paix et en harmonie, un halo de sentiments positifs commence à l'entourer délicatement.
— Petra... murmure-t-il en fermant les yeux.
Puis, alors que l'haleine dégoûtante du titan commençait à le le brûler, il sent que son prédateur a un violent spasme avant que sa main ne tombe lourdement sur les pierres taillées de l'éboulis. Ses doigts se relâchent, laissant tomber son contenu qui roule au sol.
Quand il se redresse pour s'asseoir en gémissant, il balaie les alentours du regard afin de distinguer la personne qui vient de lui sauver la vie : il découvre avec stupeur que ce n'est pas la tête rousse de Lise mais un visage dur et concentré qui se pose furtivement sur lui, des cheveux noirs mi-longs et lisses, une écharpe rouge entourant son cou. Après avoir échangé ce regard pendant une fraction de seconde, elle actionne de nouveau sa gâchette et reprend sa route pour découper les titans encore vivants.
Littéralement sous le choc, Thomas la regarde s'éloigner rapidement avant que son regard ne tombe sur le cadavre du titan qui était sur le point de le dévorer et dont le corps commence déjà à s'évaporer.
Le jeune homme scrute ce qui l'entoure, confus, et découvre toutes ces flaques de sang frais, ces morceaux de corps humains épars qui gisent là, séparés de leur propriétaire sûrement déjà en train d'être digéré dans l'estomac de l'un de ces titans. Face à lui, quelques mètres plus loin, un visage l'observe, une expression d'effroi intense vissé sur ses traits... Un visage séparé du reste de son corps, une tête ensanglantée qui a roulé jusqu'ici et semble juger le jeune homme qui a capitulé dès l'instant où il a compris qu'il allait être dévoré.
Oui, finalement il est faible, sans talent et incapable de quoi que ce soit. Si au moins il avait été assez fort pour lutter jusqu'au bout, pour espérer jusqu'au bout. Comment Petra pourrait l'attendre avec un beau sourire s'il ne lui fait pas honneur avant de la rejoindre ? Pourrait-elle vraiment être fière de son petit frère si ce dernier abandonne au moindre obstacle, comme toujours ?
Et pour celle qui vient de le sauver, qu'est-il ? Comment le voit-elle ? Ne s'est-il pas affiché à ses yeux comme un lâche résigné à mourir ? Est-ce que ceux qui ne se battent pas jusqu'au bout ont vraiment le droit de porter les ailes de la liberté ?
Non, sûrement que non.
Écrasé par cette profonde remise en question, par tous les sentiments intenses qu'il a ressenti en si peu de temps, par cette pression qui retombe et le choc reçu à la tête en tombant : Thomas s'évanouit et sa joue heurte le sol là où une flaque de sang frais se forme depuis des restes impossible à identifier.