L'Ode à la liberté [Livre I]

ANNÉE 850 

104ème BRIGADE D'ENTRAÎNEMENT - SECTION NORD

Fraîchement intégrée à l'armée, parmi la 104ème Brigade d'Entrainement, Æsma frémit d'excitation. Or il fallait encore patienter. Trois années s'offraient à elle avant de pouvoir s'enrôler au sein du Bataillon d'Exploration, découvrir l'inconnu, et qui sait, peut-être aura-t-elle la chance d'être à ses côtés. Ce sera en prouvant sa valeur qu'elle sera digne d'être avec lui.

— Hé toi ! Cesse de rêvasser. Quel est ton nom ? Hurla une voix intimidante.

« Merde ... » murmura la jeune fille paniquée. Trop absorbé par le soldat de ses rêves, elle n'avait pas remarqué la présence de son chef-instructeur. Instinctivement, elle mit la main droite sur le cœur, l'autre au dos. 

— Æsma Traum ! De la capitale Mitras !

— Traum... Mitras... marmonna-t-il. 

Klaus Gütlig - déconcerté - cachait son trouble.

— Traum, que viens-tu foutre ici ?

— M'engager dans le Bataillon d'Exploration pardi ! Il est en notre devoir de sauver l'humanité !

Abêti, choqué, l'instructeur dévisagea la nouvelle recrue. Il n'en croyait pas ses oreilles. À croire que c'était la plus grosse connerie qu'il entendait de toute son humble existence. Un lourd silence s'installa. La blondinette ne comprenait pas ce changement d'ambiance aussi soudain, se sentant oppressée par les regards et sourires moqueurs de ses camarades.

Quelques jours plus tard, un quart des recrues avait déjà déguerpi. Les entraînements s'avéraient être mortel. 

Au fil des jours, des amitiés se créèrent à chaque fin de sessions. Le repas de ce soir était particulièrement animé. Beaucoup des conscrits partagèrent leur envie de rejoindre les Brigades Spéciales. Les plus courageux eux discutèrent de la Garnison. Seule Æsma rêvait d'intégrer le Bataillon d'Exploration.

Frustrée, la jeune file partit se réfugier dans son coin. Elle ne partageait rien en commun avec le reste de ses camarades. En aucun cas, elle n'avait imaginé que son intégration à l'armée aurait été aussi difficile et éprouvant. La plupart la méprisait déjà. Devoir supporter les autres, allait être la tâche la plus ardue. 

Une de ses camarades - accompagnée d'un autre - s'installa à sa table, le sourire aux lèvres. Son instinct lui disait de se méfier.

Hitch Doris. Elle possédait des yeux noisettes en forme d'amande. Avec ses cheveux mi-longs et ondulés - d'un châtain clair - sa coupe lui conférait un visage angélique. Un an plus âgée et pourtant immature. C'était la grande peste de la 104ème Brigade.

Le grand garçon aux cheveux gris, Boris Feulner, était le pire des vantards. Ce dernier s'assit au côté de la blondinette. Elle se renfrogna en remarquant son sourire en coin, se demanda à quelle sauce elle allait être mangée.

— Hé princesse, qu'est-ce qu'une fille comme toi vient faire ici ?

— Qu'est-ce que ça peut te foutre ? Répondit Æsma à Hitch.

— Oh rien du tout, ricana-t-elle. C'est pas tous les jours qu'on voit les filles à papa et maman traîner dans le coin.

— Encore moins à vouloir s'enrôler tête baissée dans le Bataillon, ajouta Boris.

— Arrêtez de l'emmerder, intervint un autre camarade.

— Oh Marlowe, c'est toi. Pardon, je suis tout simplement curieuse, dit Hitch s'adressant à nouveau à Æsma. Tu t'ennuies dans la vie c'est ça ? Tu es à la recherche de sensation forte ? Ou peut-être que papa et maman t'ont puni et ont décidé à t'apprendre la vie ?

Æsma foudroya du regard la peste en face d'elle. Peu importe les choix qu'elle faisait, n'importe qui la jugeait. Elle serra les dents. Pour garder meilleur contenance - les mains dissimulées sous la table - elle enfonçait ses ongles dans chaque paume pour mieux ressentir la douleur.

— Mais vas-tu te taire ! Dit Marlowe.

— Oh ça va ! Si on ne peut plus taquiner ses camarades...

— Tu es toujours aussi casse-couille hein ! Qu'est-ce que ça changerait à ta misérable petite vie inutile et pathétique ?! Rétorqua Æsma.

— Déjà que la majorité des soldats du Bataillon ont deux mains gauches... Savoir qu'une incapable de la haute bourgeoisie protège nos arrières, ça ne me rassure pas des masses. 

— Répète un peu ! Estime toi heureuse que des « incapables » comme eux protège ton sale petit cul. C'est à cause de ce genre de mentalité, comme la tienne, que le monde n'est pas prêt d'évoluer. 

Malgré toute la volonté du monde, Æsma se laissa entraîner par ses émotions et saisit sa camarade par le col de sa veste. Elle menaça du regard les deux garçons qui voulaient intervenir.

— J'ai bien conscience que je suis née avec une petite cuillère en argent. Ouais, j'ai jamais vu de Titans en dehors des manuels. Pourtant, ça ne m'empêche pas de vouloir fuir de cette prison dorée. Je souhaite appartenir à ce groupe qui font bouger les choses.Ces prochaines années me serviront et je serais capable de réagir en conséquence. Une chose est sûre, je ne veux pas mourir bête comme vous tous réunis. 

— Lâche moi, grogna Hitch en se dégageant. Si tu souhaites mourir prématurément, c'est ton choix.

— Mais calmez vous les filles ! S'interposa Marlowe. Nous sommes tous camarades. Nous devons faire preuve de tolérance les uns envers les autres. Surtout vous deux. Dès demain, on nous assignera une équipe. Il est important de travailler main dans la main et non se mettre des bâtons dans les roues. Si vous visez les Brigades Spéciales, vous avez tout intérêt de mettre les bouchés doubles pour être dans le top dix.

Les deux jeunes filles se regardèrent en chien de faïence. Æsma pris une grande inspiration et quitta la pièce ignorant le reste de ses camarades. 

Une fois isolée dans la petite forêt à côté du camp d'entraînement, Æsma retira sa carapace. Elle ne pouvait retenir la pluie chaude qui s'abattait sur son visage. Même si le gars à la coupe au bol l'avait défendu du peu qu'il pouvait, tout le monde la détestait. On lui rappelait pour la énième fois qu'elle n'était pas à sa place. 

Ce n'est pas le moment de flancher, se disait-elle, en repensant à cet homme qu'elle espérait tant revoir un jour. Son cœur et son intuition en parfaite harmonie - savaient qu'il était toujours en vie, malgré les pertes humaines à chaque expédition. Une promesse est une promesse, et celle-ci en valait la peine.

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Une dispute éclata au sein de l'escouade d'Æsma. L'exercice du jour consistait à combattre les Titans sur le terrain, permettant à chacun d'apprendre à travailler en équipe. C'était peine perdu. Les conscrits préféraient travailler chacun dans leur coin pour prouver qui était le plus fort.

Heureusement que ceci n'était qu'une simple simulation. Agacée par le comportement puéril de ses camarades, Æsma se pinça le nez, respira un grand coup avant de hurler.

— Fermez là putain ! Vous ne voyez pas qu'on perd un temps précieux pour des conneries ?! Ce n'est pas en mettant la faute sur l'un ou sur l'autre, que nous avancerons et que nous renforcerons l'esprit d'équipe. Ce test est ultra important ! Mettez vos différends de côtés !

— C'est toi qui dit ça, ricana Hitch.

— Ferme là ! Rétorqua Marlowe. Elle n'a pas tort. D'ailleurs que suggères-tu ?

— Et bien... commença-t-elle à réfléchir.

— Elle n'en a aucune idée !

— Tu commences sérieusement à me saouler Hitch! Déjà, il faut qu'on puisse connaître les qualités et défauts de chacun pour qu'on puisse mettre à profit nos capacités et se partager le boulot. Par exemple... Marlowe est un très bon observateur ! Il fait attention à tout ce qui l'entoure, mais pas toujours apte à prendre les bonnes décisions. Hitch, malgré que ce soit une tête à claque, n'hésite pas à venir en renfort en cas de souci, mais doit éviter de se laisser submerger par ses émotions.

— Hé !

— Je n'ai pas terminé. Boris sait se montrer rapide et efficace quand on lui demande quelque chose, mais peut mieux faire, s'il ne reposait pas sur ses acquis... Quant à Nina, elle manie parfaitement les lames, mais manque cruellement d'endurance. Quant à moi, euh...

— Tu es capable de te fondre dans le décor. On ne voit jamais tes attaques arriver, par contre, tu consommes beaucoup trop de gaz et émousses tes lames trop facilement, réagit Marlowe.

— Effectivement, confirma Nina. Je propose tout de même que nous laissions Æsma diriger l'équipe. Elle a été capable de déceler ce qu'il y a de meilleur entre nous. Je pense que tu seras capable de tous nous synchroniser. Nous sommes, malgré tout, une équipe très soudée !

— Allons tous leur montrer de quoi nous sommes capable, rajouta Hitch. Nous allons tous les écraser !

— Bien dit, rit Æsma. Vérifions que nous avons tout l'équipement nécessaire, sinon il faut vite nous ravitailler. On n'a plus de temps à perdre !

Bordel de merde, dans quel pétrin me suis-je mis ? Se disait Æsma. Son cœur battait à cent à l'heure, se demandant si elle allait être de taille à diriger correctement son équipe. Elle ne possédait pas l'âme d'un Leader. Pourtant ses camarades lui ont accordé leur confiance. Leur vie n'était pas en danger, mais tous souhaitaient intégrer les Brigades Spéciales. 

Ce n'est pas le moment de douter, pensa-t-elle. Après s'être ravitaillée, elle prit une grande inspiration et murmure : « C'est partie, ne les déçois pas. »

Pour rattraper le retard, il faut qu'on gagne du terrain assez vite. Si on se divise en trois groupe, ça pourrait le faire. Évitons juste de nous éloigner des un des autres. Nina n'a peut-être pas une vision d'aigle, mais elle est quasiment au même niveau que Marlowe, murmurait la blondinette à elle même.

— Hitch, Marlowe, sur ma droite. Boris, Nina, sur ma gauche. Vous travaillerez de paire. Vous ne devrez pas vous éloigner à plus de vingt mètres de moi. Pour ma part, je me mettrais un peu plus en hauteur que vous, au cas où l'on croiserait des titans de plus de dix mètres.

Un Titan en bois de quinze mètres apparu. Deux Titans de trois mètres et un de six mètres se trouvaient sur la gauche. À droite, un de huit mètres. Tous s'exécutèrent pour tailler la nuque de chacun.

Ils dansèrent avec leurs lames pendant plus d'une heure avant d'arriver au point final. Personne aux alentours. Æsma entendit les feuilles bouger frénétiquement. Les autres escouades ne tardaient pas à les rattraper. Il fallait absolument qu'ils arrivent en premier pour buter le dernier Titan. 

Son stock de lames était épuisé. Sa paire en cours d'utilisation était déjà émoussée et avait raccourci au fil des heures. 

«Et si... Non, non, c'est impossible, marmonna-t-elle hésitante ». Le temps pressait. « Tant pis, qui ne tente rien n'a rien ». Elle s'accrocha au dernier arbre et accéléra la cadence avec le peu de gaz restant. Au lieu de se poser pour changer les lames, elle balança celles de son arme, dans le cou du titan, mais ne le fit pas tomber pour autant.

Perdant l'équilibre, la blondinette se rétama avant de faire deux trois tonneaux, arrivant au pied de l'instructeur. Le mannequin n'était pas encore tombé, mais vacillait. « Les jambes ! » Cria-t-elle à son équipe qui arrivait tout juste.

Ce fut Boris - étant le plus proche - qui s'exécuta et réussit à faire tomber le mannequin en bois.