L'Ode à la liberté [Livre I]
Excédé par son comportement oisif, Eren frappa du ta poing la table, surprenant son entourage - Tous, sauf la concernée.
— Putain Æsma, pesta le brun - prenant la couchette avec laquelle elle s'amusait. On ne joue pas avec la nourriture. T'attends quoi pour manger ?
— Si tu n'as pas faim, je peux finir ton assiette, sifflota Sasha.
— On ne t'a pas sonné ! rouspéta-t-il.
Le jeune Titan fusilla, de ses yeux émeraudes, Miss Patate, retournant son dessein sur sa camarade.
— Depuis que t'es rentré de Ragako, t'as rien foutu !
Le véritable motif de son agacement ? Voir une assiette pleine par la demoiselle qui hantait ses songes, un repas cuisiné par ses soins, qu'elle refusait de goûter. Un plat de son enfance...
Condamnée à vagabonder avec les papillons noirs, Æsma se désintéressait complètement de son groupe, de son environnement et de sa propre existence, sa raison d'être. Elle poussa un dernier soupir, puis se leva, déposant son écuelle en face de Sasha - salivant devant cette auge appétissante.
— J'ai pas faim de toute façon. Je vais aller chercher du bois.
La nourriture froide n'empêcha pas le Soldat Braus d'engloutir les premières frites sans remords.
— Non, mais je rêve... fulmina Eren.
— Finis d'abord ton assiette, tu dois reprendre des forces, lui ordonna Mikasa tout en fourrant le bâton de patate dans la bouche de son frère.
— Tu devrais la laisser tranquille quelque temps, lança Jean visiblement ennuyé.
— Hein ..?
— Vu son attitude, elle semble souffrir d'une peine de cœur.
— Ne prends pas ton cas pour généralité, se moqua Eren.
— Qu'est-ce que tu racontes face de sanglier !
— Tu vois très bien ce que je veux dire, pas besoin de te faire un dessin.
Eren esquissa un sourire désinvolte, désignant discrètement Mikasa de son index. Un secret pour personne et profitait de ses aubaine pour remuer le couteau dans la plaie. La jeune asiatique ignorait la majorité du temps Face de cheval, contrairement à Æsma qui considérait et veillait toujours sur Eren le plus souvent possible - hormis ces derniers jours.
Jean le foudroya du regard, finissant par se rendre compte qu'il pouvait reprendre l'avantage et défia son camarade de ses yeux bistres.
— Moi qui pensait qu'Æsma et toi aviez le béguin l'un pour l'autre. Elle a dû réaliser que t'es juste un pauvre type. Un vrai coureur de jupon.
— Qu'est-ce que tu racontes ? S'écria le soldat Jäger.
— Fais pas l'innocent Eren. Mikasa, Annie, Æsma, maintenant Chris...Historia.
Eren brutalisa une fois de plus la table en signe de protestation, une envie irrépressible d'étrangler son collègue. Le soldat Kirschtein possédait un don inné pour le faire sortir de ses gonds et pour des stupidités sans fondement.
Historia regardait les garçons horrifiés, niant de ses petites mains, anxieuse à l'idée de se confronter à Mikasa.
Delroy s'esclaffa face à la scène cocasse, sous les yeux éberlués de ses compagnons.
— Au contraire, c'est une occasion en or pour Monsieur Jäger d'aller la réconforter, enchérit-il.
Le grand brun évita de peu une fourchette balancée par le soldat Ackerman. Une jolie façon d'exprimer son pardon, selon Armin - piquer la curiosité. En tant que spectateur et doté d'un esprit de détective, il cherchait à comprendre toutes les subtilités comportemental de chaque individu, surtout de son meilleur ami.Évoluant dans un monde cruel, influencé par sa soif de vengeance, Eren agissait souvent de manière spontanée , mais il s'ingéniait à éteindre la flamme qui alimentait toute sa passion instinctive et alambiqué.
Sous un ciel radieux, les oiseaux chantaient, voltigeant allègrement sous le regard suspicieux du jeune homme. Ses deux pierres émeraudes parcouraient l'horizon à la recherche de son amie. Le jeune Titan se dirigea vers le boxe, où l'on stockait les bottes de paille et contourna le bâtiment, atteignant le porche où une pile de bois coupé étaient disposés. Personne. Il entendit un objet tombé au sol, roulant jusqu'à ses pieds.
Quelques secondes auparavant, Æsma transportait à bout de bras, un tas de bois, trébuchant aussitôt sur un cailloux - inexistant - quand elle aperçut son camarade, l'aidant à se relever.
— Ça va ?
— Qu'est-ce que tu fous là ? Lui demanda-t-elle - époussetant son pantalon déchiré au niveau du genoux droit.
— Il faut désinfecter ta jambe.
— Qu'est-ce que ça peut te foutre ? Rétorqua-t-elle énervée.
— Justement... Je... balbutia Eren.
— Bon, si tu n'as rien à dire, je m'en vais.
— Attends ! répondit Eren - s'empressant de retenir sa camarade par le bras. Je voulais m'excuser. M'excuser de mon attitude...
Æsma leva un sourcil, méfiante.
— Et je m'inquiète, t'as pas l'air dans ton assiette.
La blondinette s'extirpa de lui, et croisa les bras, exigeant des explications. Derrière son masque de marbre, elle ressentait de l'euphorie entremêlée à de la terreur. Ravi qu'il consente enfin à lui adresser la parole comme à l'accoutumé, mais irrémédiablement affolé à l'idée de se confier. Se confier tout particulièrement à lui.
— Sasha m'a dit t'avoir vu à Trost être dans les bras d'un officier des Brigades Spéciales. Je ne l'ai pas cru au début, mais quand je vous ai vu... Je ne sais pas ce qu'il m'a pris. Si j'avais su que c'était ton frère.
Les muscles de son visage se contractait à cette mini révélation absurde, puis elle gonfla ses joues... Éclatant de rire devant la mine déconfite d'Eren.
— Ne te moque pas, se crispa-t-il.
— Comment t'as pu être jaloux de mon frère ? Ria-t-elle de plus belle.
— Je ne suis pas jaloux, répondit-il.
Traum essuya ses larmes et le contempla un long moment, restant figée sur les oreilles rougissantes de Jäger. Elle n'entendait pas les appels d'Eren, s'inquiétant de ce silence soudain.
Elle était aussi pâle que du linge propre et vira subitement au rouge. Puis son visage vira au rouge. Il angoissait à ce qu'une bombe explose. Et cette dernière éclata faiblement, mais puissamment pour le pousser. Le projectile prit la fuite en direction de la forêt, laissant la cible déroutée.
Un paysage tranquille et somptueux dissimulé au cœur de la forêt s'offrait à elle. La végétation se mouvait prudemment pour ne pas réveiller la masse liquide qui dormait au milieu du décor, traversant et se dissimulant à chaque extrémité. Des petits cailloux occupait une partie du territoire pour mener à cette substance pure et limpide.
Un havre de paix pour Æsma, qui trouva refuge auprès du cours d'eau inanimé. Elle se frappait la tête contre les genoux, histoire d'effacer et d'oublier définitivement le tourbillon d'émotions qui la consumait. Une quiétude qui fuit sans dire bonjour aux crissements du gravier sous des chaussures, angoissant la blondinette à mesure que le vacarme se rapprochait. Elle abdiqua à la première absence de bruit.
À bout de souffle, Eren - mains sur les genoux, les jambes flageolantes - regardait d'un air désemparé, sa camarade. Obéissant à une pulsion primitive et inexplicable, il l'avait poursuivi - tardivement.
— Laisse moi tranquille, dit froidement la jeune fille - enfouissant son visage dans ses genoux.
Des paroles presque blessantes, amplement mérité, n'y prêta pas attention et s'assit à ses côtés. Il contempla attristé la silhouette se préservant du danger. Il ne pouvait nier qu'il était en partie le principal fautif de la discorde. Cependant les sous-entendus de Delroy traduisaient autre chose, mais quoi ? Il appréhendait.
Elle qui souhaitait remettre de l'ordre dans idées... tout partait à volo. Le simple fait de le regarder droit dans les yeux la terrifiait. La discussion avec Hanji l'avait chamboulée plus qu'elle ne l'aurait pensé. Maudit chef.
— Tu devrais désinfecter ta blessure au genoux.
— M'en fou !
Eren secoua doucement son amie.
— Delroy m'a dit qu'il s'est passé quelque chose avant votre départ du District. Et j'ai l'impression que ça à l'air grave. Il m'a dit que tu avais besoin...d'être consolé.
Une crise de panique interne, s'empara de la blondinette, rêvant à l'instant précis d'égorger son équipier. Nifa, qui eut vent de l'affaire - et Delroy s'étaient gentiment moqués d'elle tout le long du trajet. Pas besoin d'un troisième gus pour se foutre de sa gueule. Encore moins si celui-ci s'appelait Eren...
Capricieuse dans l'âme, cette fois-ci elle restait cloîtrée dans sa position. Croyant que le brun lâchait l'affaire, quand il se leva, Æsma releva la tête. Il était toujours là, mais planté devant elle, faisant barrage.
Comprenant qu'il n'obtiendrait pas gain de cause aisément, il s'accroupit au bord de l'eau et ramassa un cailloux plat.
Eren lâcha l'affaire et se leva. Croyant qu'il partait enfin, Æsma releva la tête, mais il était toujours là. Le jeune homme lui fit son plus beau sourire. Comprenant qu'il n'obtiendra pas gain de cause aussi aisément, il s'approcha de la rivière et ramassa un cailloux plat.
— On se fait un concours de ricochet ? Si tu gagnes, je ne t'embête plus. Si je gagne, tu me racontes tout, dit-il d'une voix joviale
Joviale, mais douce et réconfortante qui ne manqua pas de faire fondre le cœur - pourtant brisé - de sa camarade.
Les ondes disparaissaient au fur et à mesure que le galet avançait, avant de se faire engloutir par cette eau paisible.
Un autre cailloux sombra - cette fois-ci - lourdement dans la rivière. À peine lancé, son successeur coula dans le cours d'eau. Æsma était à son dixième coup d'essai. La blondinette ramassa à nouveau quelques cailloux non loin d'elle.
Curieux, Eren vérifia les petites pierres récupérées par sa camarade - étonné qu'elle n'est pas réussi une seule fois et paru subitement découragé.
— T'es pas sérieuse ?
— Quoi ?!
Il se moqua gentiment d'elle, mais avant qu'elle ne boude, il récupéra un de ses cailloux pour le comparer au sien.
— Ne prends jamais le premier cailloux qui te passe sous la main, dit-il - sûr de lui.
Æsma grinçait des dents, marmonnant « bande de peau de vache ». Voilà la raison de ses défaites face à Hitch ou Boris. Elle se gourait depuis le début et aucun d'eux ne lui avait avoué quoi que ce soit. Pas même Marlo ! Ils avaient trouvé la technique imparable pour éviter les corvées. La blondinette comptait bien se venger à l'occasion.
Elle imita Eren - à la recherche d'une pierre plate, lisse et de préférence circulaire. Une fois les bottes retirées, elle retroussa son pantalon jusqu'aux genoux. Æsma tressaillit. Le printemps venait de renaître, mais l'eau était encore fraîche.
— Au fait... lança Eren - comme si ce dernier avait eu une révélation.
— Hmm ?
Eren posa son regard sur elle, étrangement silencieux. Non, pas ça ! pensa-t-elle, redoutant sa question.
— Quelque chose me turlupine.
— Et bien accouche ! s'impatienta-t-elle.
— Je ne t'ai jamais vu porter de robe, ni de jupe...
Quoi ? Æsma plissa les yeux - ennuyée.
— Tu as déjà vu des soldats se battre dans ce genre d'accoutrement ?
— Non, mais... Même pendant nos congés. Il fait beau pourtant.
— Qu'est-ce que ça veut dire ? Parce que je suis une fille, je dois obligatoirement porter des vêtements « exclusivement" féminin ?
— Mais non. Eren soupira -rougissant - avant de rajouter, je me posais simplement la question. Comme ça...
À son tour de soupirer. Elle ne savait pas pourquoi... Enfin, aussi loin dans ses souvenirs, elle rechignait à porter ce genre de vêtement. Même sa mère avait fini par céder à son caprice. Cette femme avait abandonné toute tentative de faire de sa fille une lady. Madame Hortense n'avait pas cherché à la forcer non plus. Le fait d'y repenser lui donnait des maux de tête. Trop brouillon comme souvenir.
— Pour te répondre... Je pense juste que ce genre de vêtement est inutile. Enfin... C'est absolument pas pratique pour courir ou grimper, dit Æsma les sourcils froncés.
— Tiens, Annie pensait pareil, répondit Eren à voix basse, un brin nostalgique.
Annie. Il pensait encore à elle. Le fait de prononcer ce nom lui donnait la nausée, réalisant qu'une relation amoureuse avec lui était inconcevable. Puis, il y avait Miksasa... Au lieu de se laisser emporter par la jalousie, Æsma éclaboussa le visage de son camarade, le prenant par surprise et pointa du doigt la rivière, sommant de se concentrer.
À la recherche du cailloux parfait pour son prochain essai, elle effleura les cailloux un à un, avant de repérer un galet adéquat. Au même instant, sa main heurtait celle de son camarade. La jeune fille se pétrifia à ce contact. Les deux adolescents se dévisageaient un instant. Non, non et non, cria-t-elle, en son for intérieur. Alors qu'elle se faisait une raison, ses sentiments prenaient le dessus.
Eren prit la main de sa camarade, la retourna pour y déposer le galet dans sa paume et trouva un autre cailloux adéquat. Il décida de lui enseigner l'art et la manière du lancer de galet. Trouver le meilleur angle et le lancé - face plate - en parallèle à la surface d'eau, tout en pivotant légèrement avec son poignet.
Æsma se concentra. Confiante, elle se laissa pousser des ailes dans le dos et fit son plus beau lancer. Ce qu'elle croyait. Elle avait, certes, bien reproduit les gestes, mais dans un excès de zèle, son bras était parti plus loin, la petite pierre atterrissant sur Eren.
— Bon on va déjà revoir ta posture, déclara-t-il consterné.
Prenant son courage à deux main, il colla son torse contre le dos de la jeune fille, attrapa le poignet qui tenait le galet et lui fit faire les mouvements dans le vide, répétant inlassablement les gestes.
Pétrifiée, l'âme d'Æsma se volatilisa pour ne laisser qu'un simple pantin au main du jeune Titan, pendant que son corps continuait d'emmagasiner l'électricité statique que déchargeait le brun sur elle.
Concentre-toi, lui disait Eren. Se concentrer ? Comment pouvait-elle se concentrer dans un moment pareil ? Elle ne maîtrisait plus rien, jusqu'à laisser le caillou s'échapper de sa main et sursauter apeuré. Elle désirait se liquéfier et disparaître dans le courant, qui se cachait là bas - dans les buissons et les énormes branches feuillues et ornées de mousses. L'anarchie déferlait chez le soldat Traum.
L'anarchie triomphait chez le soldat Jäger, hypernerveux. Un torrent impétueux l'avait bêtement poussé contre elle, l'obligeant à l'étreindre, sentir son parfum, effleurer sa peau... Il peinait à respirer, ne suivant pas les battements de son propre cœur. À cette allure, il n'allait plus maîtriser quoi que ce soit...
« Au contraire, c'est une occasion en or pour Monsieur Jäger d'aller la réconforter ».
— Delroy nous a dit que tu avais passé la soirée à l'infirmerie, dit Eren - reprenant enfin son souffle.
Æsma se dégagea de son étreinte. Une mine contrariée, les joues rouges, elle observait Eren.
Ne souhaitant pas répondre, elle pointa du doigt son camarade, en gueulant :
— Et toi alors ? Qu'est-que mon frère t'a dit la dernière fois ?!
En une fraction de seconde, la surprise se lisait sur le visage d'Eren, passant à de la tristesse, avant d'arborer une expression plus qu'enjouée.
— Rien du tout.
— Mon cul oui ! Il t'a menacé avoue le ! Je ne sais pas pourquoi exactement ... mais ... Oh et puis laisse tomber, j'm'en fou. Faut être un sacré crétin pour croire tout ce que grand con, répondit-elle, pleine d’amertume.
Sorti de l'eau, Æsma se laissa tomber lourdement... Aïe. Bordel de merde, il manquait plus que ça, maugréa-t-elle. Une mini rocher se terrait parmi les gravillons. Elle frotta sa fesse droite endoloris.
Une journée passée à ses côtés, totalement décousue... pensa le garçon songeur - contemplant sa camarade en pleine séance de boudage. Il s'inquiétait seulement et cette tête de mule avait brillamment dévié la conversation. Est-ce que Delroy en serait la cause ? Non, ça aurait été flagrant. Son frère l'a rappelé à l'ordre ? Probablement, vu l'avertissement qu'il s'était pris, installant l'épée de Damoclès sur sa tête. « Votre relation est inconcevable. »
Un gargouillis s'échappa du ventre de la blondinette. Ses yeux verdoyants écarquillent à ce bruit peu discret. Honteuse, elle camoufla ses joues.
— T'es vraiment un sacré numéro, soupira Eren en tendant la main à Æsma - l'aidant à se relever. T'aurais mangé à midi, on n'en serait pas là. Mikasa et Historia sont sensées faire un gâteau pour le goûter.
Æsma traina des pieds quelques mètres plus loin d'Eren - bien loin derrière lui. Elle était quelque peu soulagée d'avoir évité l'interrogatoire, remerciant de tout cœur son estomac.
La jeune fille en profita pour observer le garçon à distance.
Quelle conne ! s'insultait-elle silencieusement. Elle frappa ses joues pour se punir. Comment avait-elle pu oublier son anniversaire ? D'ailleurs, il semblerait qu'il ait poussé de quelques centimètres. Elle s'était senti minuscule tout à l'heure. En plus, il avait pris du muscle... Cette fois-ci, elle se frappa le crâne pour arrêter de penser.