Les Oiseaux blancs

Chapitre 1 : Les Oiseaux blancs

Chapitre final

1202 mots, Catégorie: G

Dernière mise à jour il y a 5 mois

À écouter avec : Ennio Morricone - Mission to Mars OST : 09 - Where


Time : 00:00

Il volait. Il n’y croyait pas et pourtant, c’était bien son corps qui se balançait à quelques mètres au-dessus du sol rocheux de la montagne. Accroché à cette espèce d’assemblage primitif, composé d’une paire d’ailes tissée et maintenu par des branches de bois. Comment cet engin, si simpliste, pouvait marcher ? Il n’en était pas à sa première surprise. Des situations inexplicables, il venait d’en traverser tout le long de son périple en Amerzone. Comment l’Hydraflot, semblant être fait de bric et de broc, avait-il pu l’emmener si loin ? Comment feu Alexandre Valembois avait pu savoir que son engin aurait exactement assez d’essence pour se poser précisément sur une île de l’Atlantique et faire le plein ? Comment, dans ce village tribal abandonné et témoin d’un sordide génocide, avait-il pu trouver une jeune indienne pour l’aider à préparer un ancien rituel ? Comment ce rituel fonctionnait-il, guérissant l’œuf et transformant l’embryon en Oiseau blanc ? Comment cet œuf avait pu passer des années enfermé dans cette caverne bretonne sans périr ?

Tant de questions, tant de mystères. Mais il n’avait pas le temps de trouver les réponses. À quelques kilomètres de là, il savait que les habitants de Puebla se rassemblaient, préparant secrètement le plus gros coup d’état de leur siècle. Il était maintenant sûr que leur rébellion serait victorieuse, puisque Antonio Alvarez, leur dictateur, venait de rendre l’âme dans le temple de pierre qu’il venait de quitter. Mais les amerzoniens n’étaient pas au courant, pas encore. Il leur fallait un rêve. Il leur fallait l’Oiseau blanc. Car, comme l’avait si bien dit Alvarez, dans son dernier souffle, l’ennemi du pouvoir, c’est bien le rêve !


Time 01:00

 Le volcan se tenait devant lui, mélange de désolation et de majesté. La chaleur environnante devenait étouffante, signe qu’il approchait du cœur de la montagne de feu. L’engin vola, porté par les courants d’air chaud, jusqu’à un couloir rocheux qui l’amena directement au centre du cratère. Son cœur se contracta sous la peur lorsqu’il vit dangereusement approcher le puit de lave en fusion. Heureusement, il put bifurquer au dernier moment et perdit le contrôle de l’engin qui le fit s’écraser au sol, près du trou incandescent.


Time 01:30

 Se remettant de ses émotions, il vérifia si l’œuf allait bien. Il était intact. Même après 60 années d’attente, une longue traversée à travers océan, jungle et marais, et des chutes parfois violentes, l’œuf était toujours intact. Mais qu’en était-il de l’embryon ? Il n’avait plus le temps de réfléchir. Au centre du trou de lave, une avancée de pierre semblait attendre sa venue, ainsi que l’œuf. Il avança prudemment, l’œuf bien en place dans ses bras, et s’approcha du minuscule pont de pierre. Il prit soin de ne pas regarder en bas, malgré la fournaise infernale qui émanait et le faisait suer abondamment. Arrivé enfin à l’extrémité de l’avancée, il s’agenouilla et, tout aussi prudemment, déposa enfin l’œuf à sa place originelle. Puis il recula, sortant du dangereux cercle de lave, et attendit, le cœur battant la chamade.


Time 02:48

Il ne se passa rien pendant plusieurs secondes. Soudain, il y eut un petit bruit de craquement, et il vit la coquille se fissurer. L’embryon était bien vivant, et il semblait réagir à la chaleur de son environnement ! L’œuf s’ouvrit subitement et une étrange membrane en sortit. Sous le courant chaud, celle-ci se déploya comme une ombrelle, entrainant avec elle une poche de la taille de l’œuf. Il la vit s’élever, haut dans les airs, atteignant plusieurs mètres d’altitude. Puis la membrane se déchira et une petite tête pourvu de deux grands yeux noirs en sortit. Une, puis deux, puis trois. Ce fut quatre petits volatiles qu’il vit quitter leur sac de gestation, plongeant soudain dans le volcan et le puit incandescent. Il poussa un cri de désespoir et courut vers la lave, le cœur au bord des lèvres.


Time 03:41

Mais les oiseaux réapparurent, leurs immenses ailes déployées de chaque côté de leur minuscule corps, reprenant de l’altitude avec une grâce enchanteresse. Subjugué par leur beauté, il tomba à genoux et laissa enfin ses émotions éclater. Beaucoup avaient pris Alexandre Valembois pour un fou, à l’époque. Lui y comprit. Pourtant, sous ses yeux embués de larmes, il ne put s’empêcher d’avoir une pensée pour cet homme qui avait consacré la moitié de sa vie à tenter de réparer l’erreur qu’il avait commise plus d’un demi-siècle auparavant. Et il avait fallu que lui, simple journaliste, il croise la route de ce vieux passionné aux idées folles, pour que dans son cœur naisse cette même folie de croire et de rêver à ce qu’il ne pouvait expliquer. Et la récompense de cette audace et de cette volonté se tenait maintenant devant ces yeux, si haut dans le ciel.


Time 04:30

Ils ne s’arrêteraient jamais de voler, au-dessus du volcan et de ses fumées chaudes. Ils étaient nés, ils vivraient, et ils mourraient sans jamais se poser, même un instant ; leur corps sans vie, continuant de planer inlassablement, longtemps après leur mort. Avec leur plumage d’un blanc éclatant, leur corps dénués de pattes et leurs ailes si grandes qu’ils ne pouvaient jamais les replier, l’Oiseau blanc était de retour en Amerzone. Et avec eux, c’était le rêve et l’espoir qui revenait dans le cœur des amerzoniens. Ce jour-là, les habitants qui étaient prêts pour la bataille eurent vent de ce qu’avaient vu les pécheurs, par-delà la jungle verdoyante. Ce n’étaient pas les oiseaux noirs qu’ils avaient l’habitude d’apercevoir aux abords du volcan. Non, ceux-là étaient immaculés. Les Oiseaux blancs étaient revenus, comme un signe du destin pour emplir à nouveau leurs cœurs de rêve et d’espoir.


Time 05:03

La bataille fût terrible. Les soldats d’Alvarez étaient armés et n’hésitèrent pas à tirer sur les civils, blessant et tuant nombre de révoltés. Mais cette fois, les habitants semblaient animés par une force et une volonté nouvelle. À l’unisson, tels les battements d’un seul cœur, ils submergèrent les soldats et les mirent à genoux. La vague implacable de la justice déferla sur l’Hôtel de Ville, saccageant les quartiers du dictateur, brisant ses portraits et faisant tomber ses subordonnés. Les amerzoniens victorieux montèrent sur le balcon et, à la vue de tous, brandir fièrement le drapeau de leur patrie, symbole de leur fierté et de leur liberté.

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