La fin de l'Épouvanteur

Chapitre 1 : Déliquescence

Chapitre final

2226 mots, Catégorie: M

Dernière mise à jour 20/09/2021 14:21

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Je ne suis pas un héros ! (septembre octobre 2021).


Assoiffé comme jamais, je me désaltérais, absorbant tout ce fluide rouge divinement exquis, me remémorant brièvement le début de l’évènement.


L’agneau esseulé et égaré en pleine nuit, sirotait dans ce bar miteux, planquer dans un coin de la grande pièce où ivrognes et pèlerins grouillaient. Sa beauté n’a d’égal que la valeur qu’on lui donne, mais contrairement aux autres ignorants jetant des œillades à la demoiselle, mon odorat ne me trompais pas : j’avais affaire à une Bénévolente.

Si mon devoir était de protéger les habitants du village, je nourrissais un autre dessein. Ma concupiscence, était-elle que je négligeais de plus en plus les requêtes de ces faibles êtres humains, incapables d’esprit critique. Et voir quelques-unes de ses mèches de cheveux noirs anilines dépasser de son chignon me rappelait des souvenirs douloureux - me sentant à nouveau bafoué et trahi - me poussant à poursuivre une vengeance fallacieuse.

Nul besoin de l’amadouer, me gardant à l’esprit que la lune battait son plein. Elle ne devrait pas tarder à quitter les lieux pour renforcer sa magie.

L’heure arrivant, je payais mon dû attendant que la jeune femme sorte de la taverne pour la prendre en filature.

À l’orée de la forêt, elle trottait, slalomant à travers les arbres où sa crinière se mouvait suavement sous mes yeux, stimulant tous mes sens. Poursuivant mon ascension pour l’acculer dans la clairière située au cœur de la forêt et loin de toute population, je maintenais une distance pour ne pas qu’elle flaire un danger quelconque. 

J’éprouvais des picotements sur l’épiderme de ma peau devenant partiellement écailleuse et mes ongles se rallongeait ressemblant à des griffes, tandis qu'une nouvelle rangée de dents déchirait la surface de la gencive.

Me dissimulant dans la fourré, je patientais contemplant la guérisseuse ôter ses vêtement et détacher l'élastique, sa crinière tombant au dessus de ses reins et s’approcha d’un pas leste et gracieux sous les projecteurs de l’astre, débutant une danse vertueuse se rendant plus lascive à chaque mouvement.

Guettant le moment fatidique, lorsque la sorcière entra en transe, je jetais mon dévolu sur elle, mordant aussitôt dans sa chair.


En pleine effervescence, je rongeais mon frein, m’attardant sur la saveur et les arômes. Boire de cette eau cinabre déployant mon acuité aussi bien sensorielle que visuelle, j’étais apte à entendre le moindre bruit se profilant à l’horizon comme un battement d’aile à des kilomètres ou percevoir le moindre petit détail dans les environs, comme l’insecte rampant dans la boue, broyant dans le vide - j’entrapercevais parfaitement l’intérieur du cœlomique, où ses organes circulaient, s’adaptant à chaque mouvement de son hôte.

Lorsque je finis de siffler jusqu’à la dernière goutte, j’utilisais la manche de ma veste pour essuyer ma bouche quelque peu maculée, observant le corps inerte de la demoiselle qui contemplait le firmament étoilé de ses grands yeux bleus ternes. Dégageant les dernières mèches de cheveux châtains pour examiner ce visage angélique - âgé d’une vingtaine d’année tout au plus - je m’interrogeais à combien j’étais ? Combien d’innocent son passé sous mes crocs depuis ce jour ? À vrai dire, je m’abstenais de compter, acceptant que je ne contrôlais plus rien, que l’obscur avait eu raison de moi.

Je me relevais, admirant à mon tour la voûte céleste, exhalant l’odeur du sang encore déposé sur ma langue et mon palais, sentant encore le reste du liquide s’écouler le long de mon œsophage, tombant en cascade et se dissoudre au creux de mon estomac. Quel panorama magnifique que la vie me donnait en échange de ce spectacle morbide offert par mes soins… Terrible.

Profitant de cet instant paisible, je me déconnectais de la réalité, fantasmant sur une vie idyllique avec la plus puissante des sorcières, encore disparu à ce jour.

L’odeur de la mort me rappelait sur terre, m’obligeant à garder mes yeux sur ma victime. Le moindre, que je puisse faire, était de l’enterrer comme il se doit. Tout comme les précédentes, elle méritait de reposer en paix et trouver refuge au Paradis, si cet endroit existait - ma foi, pourquoi pas, pour le peu que j’ai vu depuis le début de mon existence. Alice a fait bien fait un tour dans l’Obscur pour récupérer Douloureuse…

Ah Alice… soufflais-je dans un murmure s’estompant au gré du vent.

Soulevant la carcasse de la jeune fille, je quittais la clairière inondée par la noirceur, longeant le sentier tortueux menant jusqu’au cimetière à l’entrée de la forêt.

Traversant le terrain orné de sépulture et de pierres tombales, le chemin était obstrué par d’innombrable âmes cherchant la rédemption.

Nul besoin de pelle pour creuser la tombe, dès que je me transformais en cet être hybride - nouvelle espèce de lamia - mes ongles ou plutôt mes griffes suffisait à elle-même pour labourer la terre. Un pouvoir peu commun. Septième fils d’un septième fils et enfant de Zenobia elle-même, je possédais des dons uniques, qu’aucun Épouvanteur ou Lamia ne connaîtrait. Un cadeau comme un fardeau.

Une période, j’aurais compati à leur souffrance, les aidant volontiers à trouver la lumière. Une époque révolue. Passant mon chemin sans les prendre en considération, lasse d’écouter leurs jérémiades, je les abandonnais au supplice de Tantale, leur laissant ainsi le loisir de hanter les habitants du village à quelques mètres de là.

Dès mes treize ans, j’ai eu l’honneur et le privilège de devenir l’apprenti Épouvanteur de John Gregory, le meilleur de tous les Épouvanteur que j’ai pu rencontrer - meilleur que tous ces hommes d’églises et être humains travaillant pour la lumière. Sans lui, l’obscure aurait déjà gagné. Sans moi, il serait toujours vivant.

Déambulant sur les routes désertes - selon le courant soufflait - je repensais à tous ces moments passés à ses côtés, me battant férocement contre les êtres obscurs : sorcières, gobelins et toute autres créatures, entités maléfiques qui pouvaient exister. Cela me manquait sur un laps de temps très bref - un moment qui se volatilisa se laissant dominer par mon propre marasme.

Ce spleen me permettait de retrouver forme humaine, effaçant la majeur partie de mes écailles - toujours ancrés le long de ma colonne vertébrale - retrouvant un visage fin et normal, faisant disparaître ces ongles acérés. Humain ou Lamia, je ne me sentais plus à ma place, rêvant de m’engouffrer dans une mort certaine.


Après deux jours de marches sans m’arrêter, mes pieds foulaient enfin le sol de Chipenden, où je prenais soin de contourner le village pour rentrer directement à la maison, montant cette pente, traversés maintes et maintes fois.

Franchissant une énième fois le jardin pour m’introduire par la porte de derrière, je remarquais le sac au sol et le bâton en sorbier posé contre le mur - objets que je ne touchais plus. Non pas que par faiblesse, je refusais tout simplement de raviver des souvenirs aussi bons que mauvais. J’accrochai mon manteau aux patères et me dirigeai aussitôt vers la cuisine pour me repaître. 

Il était flagrant que plus personne ne s’occupait de la maison - entretenu Kratch fut un temps, appréciant d'arpenter le foyer sous les traits d’un chat roux. Si sa cuisine me manquait un peu, je m’adaptais plus facilement à cette solitude s’intensifiant de jour en jour, déclinant progressivement les quêtes des villageois, laissant le tintement résonner pendant des heures afin que le silence domine et demeure à jamais.

La cheminée allumée, j’admirais la danse enivrante des flammes, embrasant le bois crépitant et se désagrégeant après de sempiternels secondes, m’imaginant de fondre dans les flammes de l’enfer à la merci du Malin - simple chimère se dissipant dans la braise, comme l’éclat à l’intérieur de mes yeux verts.

De son vivant, mon ancien maître ne m’aurait jamais laissé un tel affront se produire, encore moins m’abandonner à de telles bassesses. N’osant envisager de ce qu’il aurait pensé de mes déboires, j’avala ma salive se souvenant de l’arôme métallique musarder sur les parois de ma bouche, me procurant des sensations plus qu’affriolantes, électrisant agréablement tous les membres de mon corps - où mon cœur palpitait d’un désir ardent.

Je me levais dans l’optique d’aller dormir, mais mes bas instincts me poussaient à sortir de la maison, alors que j’étais à peine rentré. La faim me consumait de plus belle, excité à l’idée de dévorer à nouveau de la chair humaine - ou non. Même si j’avais une préférence pour les êtres humains, m’abreuver de sang d'une créature de l’obscure amplifiait mes pouvoirs, assouvissant presque mon appétit insatiable - tout dépendait de sa vitalité.

Devant élargir mon champ de périmètre après avoir éliminé la majorité des sorcières des Comté, cap sur le Nord.


*****


Au-delà des collines brûlées, je remarquais le sommet de deux kulads, à proximité l’une de l’autre, annonçant mon arrivée à la frontière du territoire des Kobalos, ayant été réduite au fil des années - j’aurais dû m’en douter, après avoir traversé Shanna depuis plusieurs jours maintenant. Grimalkin semblait ne pas lésiner sur sa tâche… Enfin, peu importe. Du moment que je trouvais un Haut-Mage vivant dans l’une des deux tours, celui-ci ne sera qu’un amuse-bouche, le temps que j’atteigne Valkarky.

Sur ma route, je croisais un skulka. Automatiquement, je me métamorphosais prenant l’apparence d’une lamia - entre la sauvage et la domestique - éveillant tout mes sens, pouvant entendre le cours d’eau afflué à plusieurs mètres, devinant que ses congénères émergeaient de la rivière pour venir m’attaquer en traître. Mes dents tranchantes ne me seraient d’aucune utilité, sauf si je souhaitais m’empoisonner, puis je ne voulais pas perdre plus de temps et je décidais donc de jouer avec le temps pour planter ces serpents d’eau et continuer mon chemin.

Sortie de ce guêpier, je flairais la magie noire envahir les lieux à mesure que j’avançais dans les bois, une puissance qui m’était très familière.

Je me stoppai en chemin, patientant quelques secondes, sentant le froid se balader sur ma peau, mais personne, ni même un orbe apparu. Étrange. Pourquoi ne se montrait-elle pas ? Ma présence, l’incommoderait-elle ? C’est ce que j’en concluais, distinguant la défiance s’ancrer dans la zone, pourtant, elle était belle et bien là.

Irrité et surtout affamé, je me raclais la gorge, appelant l’hôtesse d’accueil.

— Je sais que tu es là, clamais-je.

Des feuilles tremblaient, le bruit s’éparpillant d’un arbre à un autre se stoppant à une distance convenable pour la pernicieuse surgissant de son terrier, toujours d’une beauté sauvage n’ayant pas pris l’ombre d’une ride. Elle peignait toujours ses lèvres en noir, dissimulant à l’intérieur des crocs pointus qu’elle aimait de son vivant taillé. Ses cheveux me rappelaient ceux d’Alice. Elle portait toujours ces lanières en cuir où elle rangeait ses lames et dagues. La défunte ne bougea pas se contentant de me toiser et de rester mutique.

La mort lui allait à ravir, je ne pouvais le nier.

Que valait le cœur d’une sorcière décédée ? Que valait le cœur d’une tueuse de renom, pratiquant la magie des ossements ?

Voilà que je me surprenais à m’interroger sur le goût de son sang, l’envie de dévorer une de mes anciennes alliées et amie.

— Que fais-tu ici ? Me demanda-t-elle enfin - restant sur la défensive.

Joie et mélancolie aurait du m’envahir, mais aucune émotion ne se présentait. Seule la faim m’animait.

Avais-je à ce point changé pour m’engouffrer confortablement dans les ténèbres, aussi profondes qu’elles soient, que même les entités maléfiques et Anciens Dieux n’osaient franchir le pas ?

Lâché dans la fosse au lion par ma propre mère, renier par le reste de ma famille, abandonné par mon maître, et répudier par la femme que j’aime - aujourd’hui, ne distinguant plus le bien du mal, je succombais me livrant pleinement à l’obscur.


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